Le chiffre a choqué le monde des observateurs du basket. Le déficit du Real Madrid pour la saison dernière est abyssal. Qu’est-ce que cela signifie vraiment pour le basket européen ?
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30 millions de déficit. Le Real Madrid a perdu 30 millions d’euros la saison dernière. Mauvaise saison ? Annus horribilis ? La glorieuse incertitude du sport a encore frappé ? Non, le Real a été champion d’Espagne et a remporté l’Euroleague. En 2017, le Fenerbahçe Istanbul, champion de Turquie et vainqueur de l’Euroleague, s’en était mieux sorti. 20 millions de perte sèche. La logique est difficile à saisir. Economiquement, ça n’a pas de sens. S’agit-il de mauvais élèves isolés ? De brebis galeuses ? Non, pas vraiment. Sur la saison 2016-17, les équipes engagées en Euroleague auraient cumulées 200 millions de déficit*.
Il s’agit donc d’un système. Les plus grands clubs de basket d’Europe, sans exception, sont des gouffres financiers. Les pertes du Real et du Barca sont absorbés par leur section football dont l’économie faramineuse n’a rien à voir avec les niveaux du basket. Le CSKA et le Maccabi sont des clubs « nationaux » dont les budgets sont assurés par des soutiens puissants. En fin de saison dernière, au moment de la passe d’arme entre le président du Panathinaikos Dimitrios Giannakopoulos, armateur grec milliardaire, et Jordi Bertomeu, le patron de l’Euroleague, le président du Pana affirmait dans un communiqué que sa famille avait investi (le verbe « dépenser » est sans doute plus approprié) plus de 350 millions dans le club depuis 31 ans.
4,5 millions de recettes seulement pour le Zalgiris
Quand Pierre Seillant, l’éternel « prési » de Pau-Orthez fustigeait Limoges et ses « titres à crédit », au moins, la démarche qui consistait à dépasser l’équilibre de son budget une saison était motivé par l’ambition de recettes supplémentaires pour la ou les saisons suivantes. Aujourd’hui, il est clair qu’en Euroleague, l’équilibre économique des 10 clubs les plus puissants n’est même pas un objectif recherché.
Revenons au Real. Sur ses 46 millions de budget, Madrid affiche donc 16 millions de revenus. Un tiers. Une autre planète. Un autre exemple, plus proche de nous. Le Zalgiris Kaunas, l’exemple souvent cité pour les clubs français. Le bon élève qui a livré une formidable saison 2017-18 en remportant son championnat et en ralliant le Final Four de l’Euroleague avec un budget de 8,5 millions d’euros seulement. Information prise auprès d’un collègue lituanien proche du club, Kaunas n’a généré que 4,5 millions de recettes (1,3 de bonus Euroleague, 3 millions de sponsors, droits télés, billetterie et produits dérivés) le reste étant absorbés par la municipalité principalement et par les opérateurs de l’Arena qui reversent une partie de revenus des autres événements (concerts, expositions, etc…) au club.
Tout ça pour dire quoi ?
Qu’une dizaine de clubs en Europe sont prêts à perdre des dizaines de millions chacun pour remporter le trophée majeur du basket européen. Tant mieux pour la centaine de joueurs, dont de nombreux Français, qui profitent des largesses de cette élite, tant mieux pour les fans qui voient de superbes matches de basket. En retour, ce constat pose quatre problèmes immenses.
1 Pas de fair play
Le premier est celui du fair-play financier. Comment des clubs normaux, entendez des entreprises qui doivent équilibrer leurs dépenses et leurs recettes, peuvent tenter de se mesurer à ces entités ? En France, il existe un contrôle de gestion. Un club ne peut pas perdre d’argent délibérément. Par exemple, l’Asvel pour la saison 2019-20, devra présenter un budget validé par la LNB pour la Jeep Elite tout en participant à l’Euroleague. Bonne chance. Autant jouer avec une main attachée dans le dos alors que les frais d’engagement et de participation à cette compétition sont élevés. Sans même parler des différents taux d’imposition entre les pays. Ni même du prélèvement à la source qui sera désormais la norme en France.
Même en NBA, il existe un salary cap, un plafond pour la masse salariale. Certes très haut, tout est relatif, mais des règles existent. Au-delà d’un certain montant, les riches payent une taxe dont 50% est reversée aux autres équipes et le reste va au développement de la ligue. Une idée ?
2 Pas de développement
Comment développer le marketing et les revenus d’une ligue dont les principaux membres n’ont pas besoin d’argent ? Ou en tout cas acceptent d’en perdre autant ? Dans la compétition du sport spectacle d’aujourd’hui, les parts de marchés sont tellement difficiles à gagner sur un marché concurrentiel que seul un besoin vital permet de grandir. L’Euroleague actuelle ne parvient pas à trouver un modèle économique pérenne et la déconnexion des grands clubs dépensiers de la réalité du terrain fait qu’un certain nombre de marché plus rationnels, comme la France ou l’Allemagne sont pour l’instant largués ou même tout simplement exclus. Et sans les deux plus gros marchés d’Europe compétitifs, comment espérer développer le business de la ligue ? Et donc la pression sur les dirigeants actuels de l’Euroleague va croissante. Au-delà de la personnalité bouillante de Giannakopoulos le président du Pana, le fond de sa critique envers ECA, l’entreprise qui gère les droits de l’Euroleague, est que l’argent promis n’arrive toujours pas.
3 Vampirisation
Aujourd’hui, face à cette situation, la stratégie économique de l’Euroleague ressemble à une fuite en avant. L’Euroleague a décidé de grossir, d’accepter plus d’équipes, de proposer plus de matches et pour se faire de la place, ECA empiète sur le territoire des ligues nationales. Partout, l’Euroleague invite les premières divisions à réduire le nombre de ses clubs. C’est en Espagne, ligue nationale la plus puissante après la NBA, que le conflit est le plus dur. Le Barca, le Real et Vitoria, détenteurs d’une licence de 10 ans en Euroleague, sont actuellement contre un maintien d’une ACB à 18 clubs. Le président de la fédération espagnol Jorge Garbajosa a souvent mis en garde contre le comportement de Jordi Bertomeu. « On veut le meilleur pour le basket espagnol », déclarait-il le 12 avril à El Espanol. « Et pas seulement pour trois équipes. L’Euroleague nous trouvera sur sa route si elle attaque les intérêts du basket espagnol. »
Autre chantier pour ECA, décaler ses matches de plus en plus proches des fenêtres du week-end pour s’accaparer les meilleurs créneaux possibles en termes de revenus télé. Une manœuvre dénoncée notamment le 8 juin 2018 par Alain Béral, président de la ligue nationale française sur le site de la LNB. « En fait, ces organisations ont besoin de venir chercher des fonds, des revenus, sur les différents territoires. Parce que leurs modèles économiques actuels ne sont pas suffisants. Les frais, pour les clubs, sont énormes, en termes de déplacements, etc. Donc, il leur faut affaiblir les ligues nationales pour aller chercher des ressources. »
4 Un frein aux équipes nationales
Il est tout à fait possible de discuter la pertinence du nouveau calendrier des compétitions internationales mis en place par la FIBA après une concertation de plusieurs années. La stratégie au final, consiste à tenter de faire grandir et développer le basket partout dans le monde en utilisant le levier identifié comme le meilleur possible : faire jouer l’équipe nationale à domicile pour des matches à enjeux, tout en offrant un été de break tous les quatre ans (un Euro en moins) pour respecter les temps de repos des joueurs. Est-ce la bonne formule ? Est-ce que cela va marcher ? C’est un peu tôt pour tirer un bilan sans suffisamment de recul et des aménagements apparaissent pour le moins nécessaires.
Mais ce qui certain, c’est que ce n’est pas à une entreprise privée qui sert les intérêts de dix clubs qui marchent sur la tête au niveau économique de donner la réponse. L’application de cette nouvelle formule a été très compliquée sur le seul continent européen en raison du refus de l’Euroleague de chercher un compromis au niveau des calendriers. Comment se fait-il que l’Euroleague puisse perturber à ce point un dispositif dont la réussite rejaillirait à terme positivement sur elle ? Si les joueurs de la C1 avaient été mis à disposition des équipes nationales, la polémique sur les « fenêtres » n’aurait jamais existé.
L’Euroleague est intégrée à un modèle sportif européen pyramidal où les petits clubs, la formation jouent un rôle essentiel dans l’émergence des talents qui rayonnent ensuite au plus haut niveau. Le Real Madrid n’est d’ailleurs pas une équipe d’Euroleague. Il s’agit d’une équipe de liga ACB, par ailleurs engagée en Euroleague. La tentation de la ligue fermée, de se couper du reste du basket européen (ligues nationales, équipes nationales) n’a aucun sens. Et l’argument économique qui voudrait faire de l’Euroleague la NBA de l’Europe est grotesque. Les déficits de l’élite des clubs européens nous le rappellent saison après saison alors que les revenus de la NBA se chiffraient par exemple pour 2016-17 à 7,37 milliards de dollars et que la courbe est à la hausse.
Il est temps que les plus grands clubs d’Europe, outrageusement dépensiers, apprennent à respecter leur environnement et jouent un rôle de locomotives plutôt que celui de vampires prédateurs. Tout le monde y gagnera.
*Déclaration de Patrick Comninos, ancien président des opération de l’UEFA, aujourd’hui président de la BCL au moment du Final Four de la BCL 2018.
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30 millions de déficit. Le Real Madrid a perdu 30 millions d’euros la saison dernière. Mauvaise saison ? Annus horribilis ? La glorieuse incertitude du sport a encore frappé ? Non, le Real a été champion d’Espagne et a remporté l’Euroleague. En 2017, le Fenerbahçe Istanbul, champion de Turquie et vainqueur de l’Euroleague, s’en était mieux sorti. 20 millions de perte sèche. La logique est difficile à saisir. Economiquement, ça n’a pas de sens. S’agit-il de mauvais élèves isolés ? De brebis galeuses ? Non, pas vraiment. Sur la saison 2016-17, les équipes engagées en Euroleague auraient cumulées 200 millions de déficit*.
Il s’agit donc d’un système. Les plus grands clubs de basket d’Europe, sans exception, sont des gouffres financiers. Les pertes du Real et du Barca sont absorbés par leur section football dont l’économie faramineuse n’a rien à voir avec les niveaux du basket. Le CSKA et le Maccabi sont des clubs « nationaux » dont les budgets sont assurés par des soutiens puissants. En fin de saison dernière, au moment de la passe d’arme entre le président du Panathinaikos Dimitrios Giannakopoulos, armateur grec milliardaire, et Jordi Bertomeu, le patron de l’Euroleague, le président du Pana affirmait dans un communiqué que sa famille avait investi (le verbe « dépenser » est sans doute plus approprié) plus de 350 millions dans le club depuis 31 ans.
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Photos: Real Madrid, vainqueur de l’Euroleague 2018 (Real) et Thomas Heurtel (FIBA)