Deux plus gros budgets de l’histoire du championnat de France, les deux finalistes de l’édition 2022 de Betclic Elite, l’ASVEL et Monaco, écrasent économiquement le reste des clubs français. Alors que l’écart financier pourrait encore s’agrandir dans les futures années, ne risque-t-on pas d’avoir un championnat outrageusement dominé par les deux équipes d’Euroleague, comme ailleurs en Europe ? Eléments de réponse.
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Pendant de – trop – nombreuses saisons, la France a souffert d’un manque de continuité pour couronner son champion. Sur les vingt dernières années, on dénombre dix vainqueurs différents (l’ASVEL, Le Mans, Chalon, Limoges, Nanterre, Nancy, Cholet, Strasbourg, Roanne, Pau), auxquels il faut rajouter quatre autres finalistes (Monaco, Dijon, Orléans, Gravelines), et quasiment autant de participants différents à la compétition européenne la plus renommée, l’Euroleague… quand la Pro A avait au moins un représentant, ce qui n’a pas toujours été le cas. Pas facile d’ainsi s’identifier à un championnat de France, qui reste l’un des meilleurs d’Europe, mais qui peine toujours à faire l’unanimité.
Si on resserre la comparaison sur les quatre dernières saisons, on remarque que l’ASVEL et Monaco installent progressivement une rivalité à un degré supérieur : finalistes l’un contre l’autre en 2019 et cette saison, en 2022, ils étaient aussi co-leaders du championnat à son arrêt en 2020 et, sans des séries en match sec en 2021, il y a fort à parier que ce duo aurait pu se reformer pour une série vers le titre. Pour T.J. Parker, « cette finale entre l’ASVEL et Monaco, c’est ce que tout le monde voulait ». Après une saison exceptionnelle de la Roca Team en Euroleague (défaite au match 5 des quarts de finale contre l’Olympiakos), difficile de donner tort au coach villeurbannais tant ce duel était attendu, sur le papier, entre les deux effectifs les plus larges de Betclic Elite. Cette affiche risque ainsi de devenir un classique, un vrai, sur le moyen terme.
« Retrouver l’ASVEL et Monaco en finale, c’est l’évolution logique du développement de ces deux grosses écuries » – Paul Lacombe (ASVEL)
Depuis trois ans, les deux organisations ont consolidé leur budget (15,1 millions d’euros pour l’ASVEL, 14,1 pour Monaco), et ainsi accentué leur domination financière sur l’Hexagone. Lors de la saison 2018-2019, il ne dépassait pas les 10 millions d’euros annuels dans les deux cas (9,2 millions pour l’ASVEL, 8,1 pour Monaco) mais l’écart avec ses poursuivants était très faible (Strasbourg à 7,7 millions et Limoges à 7,0). Cette année, les deux poursuivants principaux en termes de budget, Boulogne-Levallois et Pau, annonçaient une budget supérieur à 7 millions d’euros, une barre qui ne sera pas atteinte la saison prochaine pour ces deux clubs en difficulté financière. À l’inverse, les deux cadors du championnat cherchent encore à faire gonfler leurs chiffres pour exister davantage en Euroleague. Le budget prévisionnel monégasque pour la saison prochaine était d’environ 18 millions d’euros il y a quelques mois. Lyon-Villeurbanne et la Roca Team disposent donc d’au moins deux fois plus de moyens que tous les autres, et l’écart risque de grandir un peu plus dans un futur proche.
Sans compter l’aspect purement sportif : l’ASVEL est devenue membre permanente de l’Euroleague en s’associant à l’OL et en misant sur les jeunes et les Français, Monaco a atteint la C1 en remportant l’Eurocup et en constituant une armada à tonalité américaine autour de la superstar Mike James, appuyée par l’arrivée d’Aleksei Fedorychev à la place de président. Une rivalité s’était d’ailleurs installée dès leur première confrontation européenne et ce tir au buzzer vainqueur du milieu du terrain de William Howard à Monaco. « Retrouver ces deux clubs en finale, c’est l’évolution logique du développement de ces deux grosses écuries, dont les projets doivent tirer le championnat vers le haut, aujourd’hui et demain », schématise Paul Lacombe, formé à l’ASVEL, passé à Monaco, et revenu dans son club formateur, qui dispute sa huitième finale nationale d’affilée. Les deux formations sont tellement proches que personne ne s’est amusé à clairement poser l’étiquette de favori sur son équipe. « C’est du 50/50 », résumait le Lyonnais d’origine Yakuba Ouattara, arrière de la Roca Team, en amont du match 1 de la finale.
Comme les deux équipes sont dans les mêmes sphères économiques, elles se battent aussi pour les mêmes joueurs. Paul Lacombe, Marcos Knight, Léo Westermann, mais aussi Moustapha Fall, Eric Buckner, Norris Cole sont passés par les deux clubs ces dernières saisons… Jerry Boutsiele avait été approché par l’ASVEL l’été dernier quand Monaco a réussi à le signer. Cette saison, le Villeurbannais Elie Okobo est courtisé par la Roca Team, et l’on sait aussi que les deux cadors tricolores ont toujours un oeil sur des joueurs français comme Nando De Colo, Louis Labeyrie ou Fabien Causeur. Citons aussi le coach Zvezdan Mitrovic, qui a disputé l’Euroleague avec les deux clubs… Bref, ils sont sur le même marché. « C’est génial d’avoir un concurrent comme ça. Cela tire tout le monde vers le haut, plaidait le président Tony Parker en début de saison. Aujourd’hui, nous avons deux vraies locomotives dans le basket français. J’adore le fait que nous ayons un tel concurrent. Avec Monaco, c’est une grande histoire d’amour depuis 2016. »
Le championnat de France ressemblera-t-il aux autres championnats européens ?
Toujours est-il que retrouver la même finale en 2019 et en 2022 est un signe que les deux équipes s’échappent du reste du peloton. Un phénomène qui s’accroît, comme un peu partout en Europe. On ne compte plus les exemples. En Espagne, on dénombre huit finales Barcelone – Madrid sur les onze dernières. En Grèce, si l’on fait abstraction des trois saisons de relégation de l’Olympiakos en D2 sur fond de désaccord avec la ligue, il faut remonter à 2005 pour trouver la trace d’un autre finaliste que le Panathinaïkos et l’Olympiakos, c’était l’AEK Athènes. En Turquie, il n’y a plus eu d’autre finaliste que Fenerbahçe et l’Anadolu Efes depuis le Tofas Bursa en 2018.
Dans les Balkans, l’ABA League – ligue des anciens pays yougoslaves – a couronné l’Etoile Rouge six fois lors des sept dernières finales et le Partizan Belgrade, qui a retrouvé des couleurs cette année avec le retour de Zeljko Obradovic, risque de ramener cette dualité au sommet pendant de longues années. En Italie, depuis une dizaine d’années, Milan participait une année sur deux aux finales nationales, mais le phénomène s’est accéléré depuis deux saisons, où les deux plus gros budgets – l’Olimpia et la Virtus Bologne – s’affrontent en finale. Les exceptions qui confirment la règle : le Maccabi Tel Aviv et le Zalgiris Kaunas ont tous deux perdu avant la finale d’Israël et de Lituanie cette année, alors qu’ils restaient sur plusieurs titres consécutifs.
Le phénomène observé en France est davantage comparable à celui de l’Allemagne, où quatre des cinq dernières finales ont opposé ses deux principaux représentants européens, le Bayern Munich, dépositaire d’une licence permanente en Euroleague en même temps que l’ASVEL, et l’ALBA Berlin, petit poucet financier de la compétition invité pour deux saisons européennes et aux résultats sportifs plus qu’honorables, dans la même lignée que Monaco mais avec moins de moyens. L’Allemagne a toutefois eu des cycles plus prononcés en termes de domination nationale avec sept titres en huit saisons pour Bamberg entre 2010 et 2017, sept titres consécutifs de l’ALBA entre 1997 et 2003 qui faisaient eux-mêmes suite à sept titres d’affilée pour le Bayer Leverkusen entre 1989 et 1996.
William Howard : « On n’est jamais à l’abri qu’une équipe fasse une grosse saison, et des projets comme celui du Paris Basketball peuvent changer la donne »
Pourtant, de l’avis des joueurs, voir chaque année Monaco et l’ASVEL en finale dans un championnat de France qui reste homogène n’a rien de sûr. « Je ne pense pas forcément que nous sommes partis pour retrouver tout le temps l’ASVEL et Monaco en finale en fin de saison ces prochaines années, affirme le capitaine monégasque, Léo Westermann, ayant débuté chez les pros à Villeurbanne. C’est sûr qu’avoir des gros moyens donne un avantage, mais on a vu en Lituanie ou en Israël que Kaunas et le Maccabi n’ont pas été au rendez-vous. Pour notre part, nous avons joué deux prolongations contre Strasbourg et aurions pu jouer un cinquième match contre Pau. Et l’ASVEL était également à deux doigts de tomber contre Cholet. C’est un avantage, mais un match de basket reste un match de basket. Et les quarts de finale sont très traitres en France. Alors, oui, il y aura beaucoup d’ASVEL – Monaco, mais ce n’est pas une garantie. »
« On peut penser que l’ASVEL et Monaco se retrouveront chaque année en finale parce que c’est souvent ceux qui ont le plus d’argent et qui arrivent à conserver le plus de joueurs qui sont en finale. Mais on n’est jamais à l’abri qu’une équipe fasse une grosse saison, et il peut y avoir des projets comme celui du Paris Basketball qui peuvent changer ça, concède le Villeurbannais William Howard. Mais c’est vrai que c’est souvent les gros budgets qui sont au rendez-vous à la fin, comme on l’a vu en Euroleague, où nous sommes, à l’ASVEL, dans les petits poucets. Et, l’an dernier, Mous (Fall) et Guerschon (Yabusele) nous ont quittés pour rejoindre de plus grands clubs. »
Si l’on regarde à moyen terme, et compte tenu des incertitudes liées aux projets de Boulogne-Levallois et Pau, il apparait qu’un seul club est effectivement en mesure de concurrencer l’ASVEL et Monaco dans un futur proche : le Paris Basketball. Invité en Eurocup la saison prochaine, sans équité sportive (il a terminé 15e de la saison régulière) et après une seule saison dans l’Elite, le club accélère aussitôt son développement. Si son budget n’était que très légèrement supérieur à 5 millions d’euros, il y a fort à parier qu’il dépassera tout prochainement celui de Strasbourg, qui se maintient depuis quelques années autour des 7 millions d’euros. Au-delà du budget, la dimension américaine du projet du club de David Kahn attire. Ce n’est pas un hasard si Victor Wembanyama, potentiel numéro un de la Draft NBA 2023, réfléchit notamment à activer sa clause de sortie avant le 26 juin pour rejoindre la capitale.
Quoi qu’il en soit, le Paris Basketball n’en est qu’à sa quatrième année d’existence et devra se construire sur plusieurs saisons avant d’atteindre les résultats de l’ASVEL ou de Monaco. Les deux cadors du championnat ne se sont pas faits en un jour, et si les deux équipes récoltent le fruit de leur investissement seulement ces dernières saisons, ce sont des décisions prises bien en amont qui leur permettent aujourd’hui d’être sous le feu des projecteurs.
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Pendant de – trop – nombreuses saisons, la France a souffert d’un manque de continuité pour couronner son champion. Sur les vingt dernières années, on dénombre dix vainqueurs différents (l’ASVEL, Le Mans, Chalon, Limoges, Nanterre, Nancy, Cholet, Strasbourg, Roanne, Pau), auxquels il faut rajouter quatre autres finalistes (Monaco, Dijon, Orléans, Gravelines), et quasiment autant de participants différents à la compétition européenne la plus renommée, l’Euroleague… quand la Pro A avait au moins un représentant, ce qui n’a pas toujours été le cas. Pas facile d’ainsi s’identifier à un championnat de France, qui reste l’un des meilleurs d’Europe, mais qui peine toujours à faire l’unanimité.
L’ASVEL et Monaco ont depuis quelques années installé une rivalité à un degré supérieur…
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Photo : Elie Okobo (Infinity Nine Media)