En 1968, l’AEK Athènes remporta Coupe des Coupes, la C2 de l’époque, devant 80 000 fans rassemblés au Stade de Marbre. La naissance en Grèce d’une passion pour le basket-ball.
[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]
C’était la première fois qu’un club grec s’appropria une coupe européenne dans un sport collectif, aussi le réalisateur Tassos Boulmetis en a fait un film intitulé sobrement 1968. Il retrace les histoires personnelles des joueurs de cette épopée animés par un but commun, la victoire. Des acteurs grecs célèbres, mais dont la notoriété hors frontières n’est palpable que par les cinéphiles, ont été sollicités pour les principaux rôles.
Cette aventure se déroula dans un contexte politique nauséabond. Un an auparavant, l’armée grecque avait pris le pouvoir par le biais d’un coup d’Etat, en le justifiant par la volonté de faire barrage au communisme. La plupart des responsables politiques du pays furent emprisonnés, des tribunaux militaires d’exception furent installés dans les dix plus grandes villes du pays, les partis politiques et les syndicats furent interdits, la junte reprit l’Eglise en main, des ouvrages et des spectacles furent interdits, la torture fut partout instituée. La Grèce plongea dans les ténèbres.
Georgios Amerikanos était bien Grec
Jusque-là, ce sont les clubs du bloc de l’Est qui avaient trusté les places de finalistes dans la Coupe des Champions. Essentiellement des soviétiques, et aussi l’Academic Sofia, le Spartak Brno et le Slavia Prague. Le Real Madrid, le Simmenthal Milan et aussi l’Ignis Varèse, vainqueur de la première édition de la Coupe des Coupes l’année précédente, avaient ouvert une brèche dans cette suprématie.
L’AEK Athènes était montée peu à peu en puissance, en assemblant des joueurs venus de clubs différents, mais sans étranger, contrairement à la plupart des équipes occidentales. Il y avait le géant Georgios Trontzos, 2,17m, passé brièvement par Gonzaga, Christos Zoupas, surnommé « le Docteur » car il était alors étudiant en médecine, Stelios « L’Oiseau » Vassiliadis, et Georgios Amerikanos, que l’on appelait « The International » car son nom signifie, on s’en doutait, l’Américain. S’appuyant sur ce corps de joueurs, l’AEK remporta quatre championnats nationaux d’affilée, de 1963 à 1966, avant de lâcher prise l’année suivante. Il parvint également en 1966 en demi-finale de la Coupe des Champions (C1) où il fut vaincu par le Slavia Prague. Une tragédie ébranla l’équipe lorsque Georgios Moshos s’effondra durant le match. Il était victime d’un cancer en phase terminale, mais il l’avait caché à ses coéquipers. Il devait décéder quelques mois plus tard, à l’âge de 29 ans.
« Nous n’avions aucun étranger dans l’équipe. Nous avions un Américain (Amerikanos) mais il était de Nikaia (NDLR : dans la banlieue d’Athènes) », a rappelé Christos Zoupas, qui devint ensuite maire d’Ymittos et médecin-diabétologue. A l’époque, le basket en Grèce se pratiquait à l’extérieur. « Nous nous entraînions tous les soirs de 19-20h jusqu’à 23h, qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il fasse chaud, et cela pendant une décennie. Comme nous étions à l’hôtel avant les matches, nous n’étions chez nous que pendant un ou deux jours. Aussi, nous étions ensemble tout le temps. Parfois ce contact constant paraissait excessif et pouvait créer des tensions. »
Pour se faufiler jusqu’à la finale, l’AEK écarta le Kas Vitoria au deuxième tour, grâce notamment aux 41 points d’Amerikanos au match retour. Il n’était pas pour rien le meilleur marqueur du championnat national. Lors du quart-de-finale aller, les Grecs firent du petit bois des Belges du Royal IV Bruxelles. Mais le retour ressembla à un cauchemar. L’AEK fut obligée de s’entraîner sur l’une des places principales de la capitale belge, parsemée de lignes de tram, à la vue de tous. Bousculés, Amerikanos and Co furent rejoints sur l’ensemble des deux matches, à 8 secondes de la fin, 74-52. Stelios Vassiliadis bénéficia de deux lancers-francs qu’il transforma. Avantage AEK. Mais, il restait une ultime possession pour Kenneth Washington, un arrière de 1,91m, célèbre aux Etats-Unis pour avoir été deux fois champion NCAA avec UCLA, et qui participa ensuite au championnat du monde de 1970. Seulement, Washington buta sur la forteresse grecque et l’AEK se qualifia ainsi pour la demi-finale.
Les Grecs se retrouvèrent nez à nez avec l’Ignis de Varèse de Dino Meneghin, qui venait d’éliminer l’ASVEL, et qui était hyper-favorite. Là encore, l’AEK passa par un trou de souris. Battus de 18 points à l’aller en Italie, les Athéniens gagnèrent le retour de 20 devant 50 000 personnes au stade Kallimármaro. L’inévitable Amerikanos passa 31 points, Zoupas et Trontzos, 12 chacun. Le géant, bien qu’handicapé par une entorse de la cheville, inscrivit le panier décisif.
80 000 spectateurs, c’est dans le Livre des Records
Jusque-là, les finales européennes se disputaient par manches aller et retour. Mais la Fédération Internationale décida de changer de format et de faire jouer cette finale de Coupe des Coupes sur une seule rencontre, mais… pas sur terrain neutre. La junte grecque perçut l’intérêt politique d’accueillir un évènement sportif d’une telle envergure et de renvoyer au monde une image positive après une année de répression. Christos Zoupas se souvient que la ville organisatrice devait être désignée par tirage au sort, mais les colonels grecs firent pression sur la FIBA pour qu’elle se tienne à Athènes. Dans le même temps, ils prirent contact avec le Slavia Prague, en leur offrant une compensation financière et en invitant toute la délégation à Athènes pendant une semaine. La femme de Jiri Zidek, le meilleur joueur tchèque, qui venait d’accoucher, reçut des cadeaux pour son bébé. Il fut organisé sur place quantité d’apparitions publiques pour les joueurs du Slavia. Il se dit que tout ceci faisait partie d’un plan ourdi pour distraire et épuiser les adversaires avant la finale. « Les joueurs tchèques se sont bien amusés », témoigna Christos Zoupas. « C’était de gentilles personnes, qui ont connu diverses difficultés avec le régime communiste de leur pays. Ils logeaient dans un bel hôtel et je me souviens qu’ils ont été emmenés aux « Etoiles » de Glyfada. Je suis resté ensuite en contact avec Jiri Zidek et j’ai encore reçu récemment un long mail de sa part. »
Pour l’événement, la junte militaire supprima le couvre-feu et permit à la foule de se rendre en masse au Kallimármaro. C’est ce stade planté en plein cœur d’Athènes, en forme de fer à cheval, appelé également Stade des Panathénées ou Stade de Marbre, berceau du sport athénien depuis l’Antiquité, où se déroulèrent des épreuves des premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne en 1896. On estime à 80 000 le nombre de supporters -le mot prendre ici tout son sens- qui l’investirent pour cette soirée historique ; 65 000 places étaient assises, les autres ont dû rester debout. Le Guiness Book considère qu’il s’agit toujours d’un record pour un match de basket en plein air. A l’extérieur, une autre foule de 40 000 personnes écoutèrent le match à la radio et les réactions des chanceux qui étaient à l’intérieur. Ni ERT, ni YENED, la chaîne des forces armées, ne diffusèrent la finale. Aussi, Vassilis Georgiou, entra en quelque sorte au Panthéon des commentateurs grâce à la diffusion exclusive à la radio, en racontant avec passion les derniers instants du match qui font partie de la légende du sport grec.
« Nous avons été bloqués sur Kifissia, à l’hôtel Apergis », a raconté Christos Zoupas. « Grâce aux téléphones, nous avons appris ce qui se passait à Athènes et nous n’en croyions pas nos oreilles. Bien avant le match, il y avait des fans sur les gradins de Kallimármaro. Ils jouaient au backgammon et aux cartes, ils avaient des sacs de nourriture… Sans l’aide de la police, l’accès n’aurait pas été facile. Nous sommes arrivés par derrière, à 19h. Je me souviens du bruit lorsque nous sommes entrés dans les vestiaires. Nous nous sommes lentement habillés, en nous regardant comme si nous étions perdus. Nous nous sommes dit : « que se passe t-il ? Où sommes nous ? Que va-t-il se passer ? » Lors du Final 4 de 1966, le Slavia nous avait largement battu, mais avec 80 000 spectateurs, ce n’était pas la même chose. Il n’y avait pas de rivalité à cette époque, seule la Grèce comptait, et il y avait des fans de toutes les équipes dans les gradins. De nombreux jeunes enfants voulaient sauter sur le terrain et ils étaient poursuivis par la police. »
Une nuit d’extase dans toute la capitale
A la mi-temps, l’AEK menait 47-38, mais les Tchèques retrouvèrent toute leur énergie et passèrent en tête à 11 minutes de la fin. C’est alors que Georgios Amerikanos a pris le destin de son équipe et de toute la Grèce en mains. Il finira meilleur marqueur de l’AEK avec 29 points, Trontzos avec 24, et Jiri Zidek, l’un des meilleurs joueurs d’Europe, 31. La foule faisait un boucan incroyable, criant sans cesse « AEK ! AEK ! ». Des journaux et des mouchoirs étaient lancés sur le terrain, des fusées éclairantes dans le ciel. Lors de l’EuroBasket de 1987 à Athènes, un photographe qui avait couvert la soirée, nous assura que lui et ses confrères avaient sciemment flashé ensemble lorsque les Tchèques prenaient un tir afin de les éblouir. A une minute de la fin, des milliers de bougies furent allumées dans les gradins du stade, qui étaient demeurés jusque-là dans l’obscurité, seul le terrain étant éclairé. « Le Dieu de la Grèce, le Dieu de l’AEK est avec nous ! Venez Amerikanos, venez Trontzos, aller Zoupas !, » cria le radio-reporter. « Amerikanos marque un panier merveilleux et il vient et m’embrasse, je l’embrasse en retour (…) Depuis que Trontzos a marqué ce panier onirique, il n’y a plus moyen de perdre maintenant, messieurs ! Nous tenons le ballon en dehors de la zone. Allez les gars ! 89-82. C’est fini, c’est fini ! L’ascension du basket grec ! Le grand AEK, l’AEK onirique a remporté la Coupe d’Europe ! George (Amerikanos), nous les avons mis en pièces. Nous l’avons soulevée ! AEK ! Grèce ! Europe ! »
Les Grecs n’ont jamais fait dans la demi-mesure. Les Tchèques étaient étourdis par le tohu-bohu. « Cette nuit magique à Athènes fut l’un des plus grands moments de ma carrière. Des moments inoubliables. Il y avait 80 000 personnes qui nous applaudissaient et nous ne savions pas si nous avions perdu ou gagné, » confia plus tard Jiri Zidek. A l’issue de la finale, les rues de la capitale furent inondées de fans. Ceux qui étaient aux premiers rangs embrassèrent leurs héros et, selon une ancienne tradition olympique toujours d’actualité, ils les firent monter sur leurs épaules. George Amerikanos tenta de s’échapper avec sa femme en voiture et quand il fut reconnu par la foule celle-ci souleva la caisse et la porta pendant deux kilomètres jusqu’à Victoria Square ! La célébration se poursuivit toute la nuit et l’équipe se retrouva dans un night club pour fêter à la grecque cette victoire historique.
Ce triomphe fut évidemment récupéré par les colonels qui fêtaient ainsi le premier anniversaire de leur prise de pouvoir. C’était pour eux une excellente occasion d’afficher une unité nationale et de permettre au peuple grec de se réjouir et d’oublier la sanglante répression. Cette grande première permit aussi de créer une culture du basket du basket-ball dans le pays, qui pris encore plus de vigueur avec le titre européen de 1987, remporté également à Athènes.
Christos Zoupas livra en conclusion une anecdote : « La coupe que vous voyez sur les photos n’est pas la vraie. L’original est un grand vase de cristal de Bohême, de 40-50cm, avec des lettres en or qui indiquent « AEK Athènes », qui est conservé dans les bureaux du club. Ils ne l’ont pas apporté car elle se serait brisée et c’est pourquoi ils nous ont donné à soulever une coupe symbolique en fer. »
x
[armelse]
[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]
C’était la première fois qu’un club grec s’appropria une coupe européenne dans un sport collectif, aussi le réalisateur Tassos Boulmetis en a fait un film intitulé sobrement 1968. Il retrace les histoires personnelles des joueurs de cette épopée animés par un but commun, la victoire. Des acteurs grecs célèbres, mais dont la notoriété hors frontières n’est palpable que par les cinéphiles, ont été sollicités pour les principaux rôles.
Cette aventure se déroula dans un contexte politique nauséabond. Un an auparavant, l’armée grecque avait pris le pouvoir par le biais d’un coup d’Etat, en le justifiant par la volonté de faire barrage au communisme. La plupart des responsables politiques du pays furent emprisonnés, des tribunaux militaires d’exception furent installés dans les dix plus grandes villes du pays, les partis politiques et les syndicats furent interdits, la junte reprit l’Eglise en main, des ouvrages et des spectacles furent interdits, la torture fut partout instituée. La Grèce plongea dans les ténèbres.
Georgios Amerikanos était bien Grec
Jusque-là, ce sont les clubs du bloc de l’Est qui avaient trusté les places de finalistes dans la Coupe des Champions. Essentiellement des soviétiques, et aussi l’Academic Sofia, le Spartak Brno et le Slavia Prague. Le Real Madrid, le Simmenthal Milan et aussi l’Ignis Varèse, vainqueur de la première édition de la Coupe des Coupes l’année précédente, avaient ouvert une brèche dans cette suprématie.
L’AEK Athènes était montée peu à peu en puissance, en assemblant des joueurs venus de clubs différents, mais sans étranger, contrairement à la plupart des équipes occidentales. Il y avait le géant Georgios Trontzos, 2,17m, passé brièvement par Gonzaga, Christos Zoupas, surnommé « le Docteur » car il était alors étudiant en médecine, Stelios « L’Oiseau » Vassiliadis, et Georgios Amerikanos, que l’on appelait « The International » car son nom signifie, on s’en doutait, l’Américain. S’appuyant sur ce corps de joueurs, l’AEK remporta quatre championnats nationaux d’affilée, de 1963 à 1966, avant de lâcher prise l’année suivante. Il parvint également en 1966 en demi-finale de la Coupe des Champions (C1) où il fut vaincu par le Slavia Prague. Une tragédie ébranla l’équipe lorsque Georgios Moshos s’effondra durant le match. Il était victime d’un cancer en phase terminale, mais il l’avait caché à ses coéquipers. Il devait décéder quelques mois plus tard, à l’âge de 29 ans.
« Nous n’avions aucun étranger dans l’équipe. Nous avions un Américain (Amerikanos) mais il était de Nikaia (NDLR : dans la banlieue d’Athènes) », a rappelé Christos Zoupas, qui devint ensuite maire d’Ymittos et médecin-diabétologue. A l’époque, le basket en Grèce se pratiquait à l’extérieur. « Nous nous entraînions tous les soirs de 19-20h jusqu’à 23h, qu’il neige, qu’il pleuve, qu’il fasse chaud, et cela pendant une décennie. Comme nous étions à l’hôtel avant les matches,
[/arm_restrict_content]
[arm_restrict_content plan= »unregistered, » type= »show »][arm_setup id= »2″ hide_title= »true »][/arm_restrict_content]