Son cursus sportif et universitaire était totalement exceptionnel lorsque Bill Bradley devint champion d’Europe avec le Simmenthal Milan en 1966.
Bill était un surdoué, pour le basket, pour les études, pour la politique. Il cherchait sans cesse à innover, à s’améliorer. Dans le jardin familial, il avait dessiné une raquette et planté un panier. Il localisait visuellement le cercle puis répétait des shoots en suspension comme un robot et en aveugle. Il invitait régulièrement un de ses copains pour se tester ensemble. Celui-ci avait la permission de shooter les yeux ouverts, mais prenait régulièrement une raclée.
Elu deux fois all-American en high school, Bill Bradley avait le choix entre soixante-quinze bourses d’études. Un pied cassé lui interdit de rejoindre Duke, et finalement il sélectionna l’université de Princeton, qui ne proposait pas de bourses pour les sportifs mais qui était une institution intellectuellement prestigieuse, que fréquentèrent le président John F. Kennedy et plusieurs prix Nobel de physique et d’économie.
« Je n’ai jamais vu un garçon aussi travailleur », lâcha plus tard le coach Butch Van Breda Kolff. Une anecdote rapportée par Jean-Jacques Maleval, dans « L’Equipe Basket Magazine » en dit long sur l’investissement monacal de ce fils de banquier. Un soir, quelques potes décidèrent de le dérider et demandèrent à une fille de se glisser nue dans les draps de notre héros. En la découvrant, Bill piqua une grosse colère et la pria de déguerpir sur le champ. Rien ne pouvait le faire dévier du droit chemin qui mène aux diplômes et aux titres.
« Je voulais te dire que c’est la plus grande démonstration que je n’ai jamais vu. Ce fut un plaisir de regarder ça et je voulais t’en remercier »
Deux minutes d’ovation au Garden
Le monde entier le découvrit lors des Jeux de Tokyo. Bill venait d’être élu NCAA Player of the Year de l’année 1964 par le prestigieux magazine The Sporting News. A 21 ans, Bradley était le plus jeune de l’équipe américaine et tourna à 10,1 points en moyenne avec un presque parfait 23/24 aux lancers-francs. Les Etats-Unis remportèrent évidemment leurs neuf matches ; seule la Yougoslavie (-8) s’approcha de leurs baskets. L’élégance gestuelle, la technicité de William Warren Bradley, capable de haut de son 1,96m, de jouer arrière ou ailier, avait frappé les imaginations. Et inutile d’ajouter que son QI basket était hors normes.
La soirée du 30 décembre 1964 au Madison Square Garden de New York est passée dans la postérité. Elle illustre le magnétisme que possédait Bradley sur les foules. Il restait quatre minutes et trente-sept secondes à jouer dans ce match Princeton-Michigan lorsqu’il se vit siffler sa cinquième faute. Le match fut interrompu deux minutes. Les 18 500 spectateurs newyorkais lui offrirent la plus longue ovation jamais reçue dans ce temple mondial du sport. Bradley avait tout réussi, 41 points, 9 rebonds et 4 passes décisives, plus une défense en béton armé. Princeton menait de douze points, et sans lui l’université de l’Ivy League se fit dépasser, 78-80. Admiratif, le pivot de Michigan Bill Buntin vint alors l’enserrer dans ses bras pour le féliciter. Cette saison-là, contre toutes les prévisions, Bradley emmena Princeton au Final Four NCAA. Sa star fut vite percluse par les fautes et Princeton se fit corriger par Michigan (76-93), mais lors du match dit de consolation qui existait à l’époque, il cumula 58 points avec 22/25 aux shoots et 14/15 aux lancers et c’est lui qui se fit élire MVP du tournoi. L’arbitre Bob Korte, qui avait sifflé lors des deux matches quantité de fautes à Bradley, vint le voir dans les vestiaires et lui serra la main en disant : « je voulais te dire que c’est la plus grande démonstration que je n’ai jamais vu. Ce fut un plaisir de regarder ça et je voulais t’en remercier. »
Bradley se vit remettre un autre trophée, le James E. Sullivan Award, qui échoit chaque année au meilleur athlète amateur américain. C’était la première fois qu’un basketteur en héritait.
« L’Américain avait la liberté de rejoindre l’équipe seulement un jour avant chaque match »
L’idée de génie de Milan
Diplômé avec mention de Princeton, Bill Bradley fut choisi par les New York Knicks dans le cadre des choix territoriaux (territorial pick), une règle en vigueur à l’époque. Seulement, il venait de bénéficier d’une « Rhodes Scholarship », une bourse réservée aux plus brillants étudiants des Etats-Unis –le futur président Bill Clinton en fut plus tard un des récipiendaires- et préféra poursuivre son cursus universitaire deux ans à Oxford, en Angleterre, plutôt que de rejoindre instantanément la NBA. Au programme : sciences politiques, économie et philosophie au sein des têtes les mieux faites venues de Grande-Bretagne et d’ailleurs.
C’est à ce moment-là que Milan, parrainé par une entreprise de viande en conserve, Simmenthal, fit preuve d’une très grande habilité. Bradley avait déjà sympathisé avec deux basketteurs italiens lors de la cérémonie de clôture des Jeux de Tokyo. Il participait aux Universiades à Budapest lorsqu’il fut approché par Ricky Pagani, un ancien joueur du club qui parlait une douzaine de langues, qui était mandaté par le propriétaire du club, Adolfo Bogoncelli, et le coach légendaire Cesare Rubini, et qui se fit passer pour un agent. Bradley se laissa convaincre de rejoindre le club lombard. Dans le contrat, il était prévu que Bill ne jouerait que la coupe des champions, l’équivalent de l’Euroleague –soit douze matches au total-, que la prime serait de 1 000$ par match, que le club prendrait en charge les frais de déplacement, et que l’Américain avait la liberté de rejoindre l’équipe seulement un jour avant chaque match.
Le Simmental était parvenue en demi-finale de la Coupe des champions deux ans auparavant. Il engagea un deuxième Américain, Duane « Skip » Thoren, un pivot de 2,08m qui sortait de l’université d’Illinois, et qui fera ensuite une solide carrière en ABA. C’est le Real Madrid qui avait lancé auparavant la « mode » des joueurs américains avec la paire Clifford Luyk-Bob Burgess. Mais pour mesurer combien était exceptionnelle la présence de deux ressortissants étatsuniens dans la même équipe, il faut savoir que cette saison-là, la première division française, forte de trente-deux équipes, n’en recensait que deux, Henry Fields au Stade-Français et Leroy Johnson à Caen ! Des joueurs totalement lambda à l’échelle américaine. Bill Bradley, lui, même s’il s’entraînait peu, c’était l’as des as.
Les débuts de Bradley à Milan furent éblouissants. Il passa 36 points aux Allemands de Giessen. Il en mit 43 au Racing Malines la première fois et 33 la seconde. Ses gestes sur le terrain étaient ceux d’un extra-terrestre. Dans les rues de Milan, il s’amusait à lire les prix des marchandises dans les vitrines des magasins, tout en marchant la tête bien droite. Cette vision périphérique, il l’avait développé en s’entraînant au basket. Bradley épatait le public mais aussi ceux qui le côtoyait. C’était un homme extrêmement bien élevé. Milan passa sur le corps du Real Madrid titré les deux saisons précédentes. 20 points pour Bradley à l’aller, 27 au retour. De Bill Bradley, son entraîneur Cesare Rubini dira « C’est un phénomène. Il joue comme un Dieu et de l’autre côté il étudie pour devenir président des Etats-Unis. »
Juste avant le Final Four, Bill Bradley participa avec l’équipe d’Oxford –avec qui il s’entraînait parfois- au derby face au grand rival Cambridge, gagné 76-64 et devant un demi-millier d’étudiants qui pour une majorité n’y connaissaient rien au basket. En demi-finale, le Simmenthal écarta le CSKA Moscou, super puissance européenne de l’époque, et en finale, à Bologne, il vint difficilement à bout du Slavia de Prague (77-72). Bradley (14 points) ne fut pas offensivement à son meilleur, mais Skip Thoren et Gabriele Vianello (21 points chacun) assurèrent largement la marque.
« En 2000, il se lança dans l’investiture démocrate pour la présidentielle »
Battu par Al Gore
Bradley ne porta pas une seconde saison le maillot du Simmenthal et quitta Oxford deux mois avant l’examen final afin de rejoindre les réserves de l’US Air Force. Il signa un contrat de quatre années et de 500 000$ pour les New York Knicks où il ne prit ses fonctions qu’en décembre 1967 à cause d’un accident de la circulation. Il avait été si fin dans les négociations que la presse l’affubla du surnom « Dollar Bill » (en anglais « Bill » signifie « billet »). Suite à la blessure de Cazzie Russel, il entra dans le cinq majeur quelques mois plus tard. Il fit partie des deux équipes des Knicks qui furent champion en 1970 et 73. Big Apple s’en souvient, émue. Ce n’est plus jamais arrivé depuis.
Les archives statistiques attestent qu’il a joué 742 matches en NBA pour 12,4 points en moyenne. Mais Bill Bradley, ce n’était pas qu’un excellent basketteur. Il fut élu sénateur du New Jersey, un an après s’être retiré de la NBA. En 2000, il se lança dans l’investiture démocrate pour la présidentielle. Il reçut notamment le soutien d’un ancien équipier des Knicks, un certain Phil Jackson, et aussi de Michael Jordan. Mais, sentant le vent tourné, Bradley se retira en mars de la course pour soutenir son rival Al Gore, qui sera battu lui-même battu par George W. Bush. Huit ans plus tard, Bradley se prononça en faveur de Barack Obama, un autre fervent du basket-ball. Son CV évoque également sa réussite dans les affaires, l’écriture de plusieurs livres sur la politique, la culture et l’économie. Un incroyable touche à tout ce Bill Bradley âgé aujourd’hui de soixante-treize ans, une étoile qui l’espace de quelques matches illumina le ciel européen.
Article paru dans Basket Hebdo en 2013.