Le championnat du monde U19 de 1987 qui se déroula à Bormio, en Italie, prouva que les Yougoslaves étaient quasiment parvenus à un niveau comparable à celui des meilleurs Américains.
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En ce mois d’août 1987, la Valtellina -ou Valteline, région d’Italie du Nord, proche de la Suisse- vit une tragédie. Partout, les villages et les champs sont inondés. « J’étais dans la salle avec Niccolai Acchiughino et nous nous demandions quand cela s’arrêterait. Nous étions à Caspoggio, où nous avons joué des matchs amicaux et l’eau a chuté à l’infini, tapotant sans cesse sur notre toit. Il a continué à pleuvoir sans arrêt et pour atteindre Bormio nous avons dû faire un détour complètement fou, en traversant également la Suisse,» témoigne Ricardo Pittis, alors membre de l’équipe italienne conviée à ce championnat du monde des U19 et qui finira avec la médaille de bronze. Trente millions de mètres cubes de montagne se sont effondrés à 390 kilomètres à l’heure sur la ville de San Antonio Morignone et les hameaux voisins, provoquant la mort de 53 personnes et engloutissant toutes les habitations.
Enrico Vinci, alors président de la fédération italienne de basket, a pris une décision qui allait à l’encontre de celle du préfet. « Il y a 300 athlètes qui viennent de 12 pays à travers le monde, on ne peut pas les renvoyer chez eux ». The Show Must Go On. Le tournoi a commencé le 29 juillet, quatre jours plus tard que la date initiale et sans cérémonie d’ouverture. Les 12 équipes ont été réparties en deux groupes et les Etats-Unis, immenses favoris, se retrouvaient dans le même que la Yougoslavie encore unifiée pour quatre ans. Dans l’équipe américaine, on retrouvait Stacey Augmon, Robert Brickey, Ron Huery, Larry Johnson, Gary Payton, Kevin Pritchard, Dwayne Schintzius, Lionel Simmons, LaBradford Smith, Stephen Thompson, Brian Williams et Scott Williams. C’était une bonne équipe mais pas la meilleure possible. Le coach était Larry Brown, qui officiait alors à l’université de Kansas.
A gauche, Toni Kukoc. A droite, Dino Radja avec Dwayne Schintzus (2,19m).
« Jamais, jamais, dans ma carrière, je ne me rapprocherai de ces chiffres. » Toni Kukoc
Toni Kukoc en état de grâce
Le premier match entre les deux nations de pointe donna lieu à une immense surprise. La Yougoslavie fit sévèrement chuter les Etats-Unis, 110-95. Une différence était criarde : 16 paniers à trois-points -la ligne à 6,25m avait été instaurée trois ans auparavant dans le basket international- pour les Yougoslaves, un seul pour les Américains. Il faut préciser qu’un joueur était en état de grâce ce jour-là, une longue tige alors listée à 2,05m, Toni Kukoc. Il marqua sous tous les angles avec ou sans dribble et sans jamais toucher le cercle. Il en planta 11 sur 12 tirs. Le futur ailier des Chicago Bulls reconnut plus tard que ce fut un moment unique. « Jamais, jamais, dans ma carrière, je ne me rapprocherai de ces chiffres. Le sommet pour moi dans un match avec des trois-points était de 5 ou 6 mais ce jour-là, tout rentrait. Je me sentais extrêmement à l’aise. Quand mes deux premiers tirs sont rentrés, j’ai pris confiance en moi et je ne me suis arrêté qu’à la fin du match. Je tirais sur mes défenseurs, m’arrêtant même au niveau de l’arc en contre-attaque. Nous avions une équipe formidable, bien couverte dans toutes les positions, mais nous ne savions même pas quelle était la limite pour nous. Nous n’avions aucune idée du niveau que nous pourrions atteindre. »
Les deux équipes se retrouvèrent en finale et Larry Brown demanda évidemment à ses boys de cadenasser Kukoc. Ce fut fait. Pink Panther se contenta de neuf points et la Yougoslavie ne transforma que 6 de ses 16 shoots primés. La clé de l’attaque américaine fut confiée au meneur Kevin Pritchard, capable de remporter le titre NCAA la saison suivante, avant de porter les maillots de Golden State, des Boston Celtics et d’autres franchises NBA après un passage en Europe. Mais, en face, le coach Svetislav Pesic avait anticipé la stratégie. Il ordonna de servir un maximum les deux intérieurs, Vlade Divac (2,12m) et Dino Radja (2,07m).
Malgré son jeune âge, le Serbe Vlade Divac était déjà mâture. Après avoir participé au championnat du monde en Espagne en 1986, il venait de remporter avec le Partizan Belgrade la Coupe Korac scorant deux fois 22 points en finale contre Cantu, puis une médaille de bronze à l’Euro en Grèce, en compagnie de Kukoc et Radja et du meneur de jeu des U19, Sasa Djordjevic, qui l’alimenta en ballon lors de cette finale au point qu’il marqua 21 points en convertissant les deux tiers de ses shoots tout en ramassant 10 rebonds. La Yougoslavie triompha 86-76.
On retiendra pour l’anecdote que le meilleur marqueur de la fabuleuse équipe yougoslave fut Nebojsa Ilic (15,3 points), qui fit ensuite une carrière honnête notamment avec l’Etoile Rouge de Belgrade, mais sans plus. Le pauvre garçon dût affronter le courroux de Pesic après qu’il se soit foulé la cheville en sautant sur un trampoline pour enfants.
« Stara Planina? Je pense qu’il y a des prisons où les conditions sont meilleures. » Toni Kukoc
Un camp d’enfer
La carrière de joueur de Svetislav Pesic s’était bien terminée avec le titre de champion de Yougoslavie en 1978 et de champion d’Europe l’année suivante avec le Bosna Sarejevo. Trois ans plus tard, il en devint l’entraîneur jusqu’en 1987. Il lui fut proposé aussi de travailler avec l’équipe U19 de Yougoslavie, ce qu’il accepta. Avec son préparateur physique, Milivoje Karalejic, qui était aussi son principal assistant, il prépara un plan sur trois ans. Pour lui c’était une évidence qu’aussi talentueuse était son équipe, elle avait besoin de s’endurcir.
Le camp d’entraînement de l’équipe U19 se tint dans les montagnes de Stara Planina, à la frontière bulgare, qui disposait de toutes les infrastructures nécessaires mais qui était difficile d’accès. « Nous avons pris des billets de deuxième classe et le train de Belgrade à Pirot. Tous les sièges étaient occupés, nous avons donc atteint les voitures où le bétail était gardé. L’une contenait des vaches et l’autre était vide, avec juste du foin. Nous nous sommes installés là », raconte Dino Raja. « C’était comme un film de Quentin Tarantino. Mais c’était l’époque, c’est ainsi que nous avons grandi », se souvient Zoran Kalpic. « Stara Planina? Je pense qu’il y a des prisons où les conditions sont meilleures. Nous avons passé un mois dans cet endroit et n’avons vu que 10 joueurs et 4 entraîneurs à côté de nous. Il n’y avait pas de démocratie, il y avait une dictature. Mais à cet âge, il est encore mieux de jouer sous la direction d’un entraîneur dictatorial », déclare avec le recul Toni Kukoc.
Les jeunes Yougoslaves n’étaient pas encore des athlètes à part entière. Le préparateur physique Milivoje Karalejic se souvient qu’au début de la préparation, Vlade Divac ne pouvait jamais lever son corps en position assise depuis une position couchée. «Kukoc était un talent incroyable. Mais lorsque nous avons fait de la musculation à Stara Planina, nous avions six stations. J’ai divisé les joueurs en paires, ils ont travaillé à tour de rôle sur le renforcement des muscles des bras, des épaules, du tronc et des jambes. Tout le monde a fait les exercices, sauf Kukoc. Il est passé de station en station, mais n’a pas travaillé sur elles. » Il s’est avéré que le staff technique de Jujoplastika Split pour lequel Kukoc jouait alors, considérait qu’il était trop tôt pour qu’il travaille avec des poids et haltères. « Je lui ai dit que j’appellerai son entraîneur. Le lendemain, je l’ai appelé et je lui ai dit: « Kuki, nous avons discuté ensemble. Vous travaillerez avec les autres ! » Paraît-il qu’ensuite Kukoc était l’un des plus actifs à la muscu.
Les joueurs n’avaient pas de temps libre. Plus précisément, c’était le cas, mais il n’y avait rien à faire dans les montagnes et il n’y avait nulle part où aller. Seul dérivatif, regarder des enregistrements de matches NBA. Une denrée rare à cette époque en Yougoslavie. « Nous avons regardé la télévision et des cassettes vidéo. Pendant deux années consécutives, nous avons regardé le même enregistrement car il n’y en avait pas d’autres. C’était la finale entre les Celtics et les Lakers. Nous avons absorbé chacun de leurs mouvements », se souvient Sasa Djordjevic. « Nous avons subi un lavage de cerveau. Avec du savon. Chacun de nous avait dès préjugés en club sur ce que nous pouvions et ne pouvions pas faire. Au camp d’entraînement, nous avons oublié tout cela », témoigne Teoman Alibegovic.
L’un des exercices préférés du préparateur physique était de faire courir ses jeunes joueurs sur une pente en pierre. La première fois avec deux arrêts. La deuxième fois avec un arrêt. La troisième fois non-stop. Le problème est que la pente augmentait au fur et à mesure pour atteindre environ 35 degrés. Djordjevic and Co ont terminé la course à un rythme cardiaque de 220 à 230 battements par minute. « À la fin, vos yeux s’assombrissaient et votre cœur était prêt à se briser », se souvient Kukoc.
« Le basket européen s’est réveillé ce jour-là », Radenko Dobras
Le rendez-vous manqué avec la Dream Team
A la fin du camp d’entraînement, tous ont poussé un immense soupir de soulagement. L’effort lors d’un match de basket paraissait alors si léger… « Nous avons joué les premiers matchs comme des taureaux dans une corrida », se souvient le préparateur physique.
Dans le journal italien La Gazzetta dello Sport, l’équipe nationale yougoslave était alors appelée « les Harlem Globtrotters blancs « . Mais le plus important est de savoir que ces deux matches victorieux ont affecté le futur du basket-ball mondial. Pesic a qualifié la finale avec les États-Unis de « match déterminant pour toute une génération. » « Tout a commencé avec l’équipe qui a gagné à Bormio. Le basket européen s’est réveillé ce jour-là. Le basket yougoslave s’est également réveillé. Nous avons prouvé qu’il pouvait se tenir aux côtés du basket américain, au même niveau », estime Radenko Dobras. « Cette victoire m’a ouvert les yeux. J’ai réalisé que je pouvais devenir quelqu’un d’important dans ce sport », complète Toni Kukoc en ajoutant : « Si notre équipe n’avait pas éclaté, alors le match avec la Dream Team en 1992 serait devenu le meilleur de l’histoire du basket-ball. »
Seulement à l’été 1991, il en était définitivement terminé de la Yougoslavie. Et de son basket-ball radieux. C’est la seule Croatie de Drazen Petrovic, Toni Kukoc et Dino Radja qui affronta les Etats-Unis en finale aux JO de Barcelone et qui se fit exploser par manque de réserves.
Les champions yougoslaves :
Radenko Dobras (1,95m, Bosna Sarajevo), Samir Avdic (2,00m, Bosna Sarajevo), Teoman Alibegovic (2,03m, Bosna Sarajevo), Luka Pavicevic (1,94m, Buducnost), Nebojsa Ilic (1,99m, Etoile Rouge Belgrade), Zoran Kalpic (Sibenka Sibenik), Miroslav Pecarski (1,94m, Vojvodina), Slavisa Koprivica (2,00m, Partizan Belgrade), Alexandre Djordjevic (1,88m, Partizan Belgrade), Vlade Divac (2,12m, Partizan Belgrade), Dino Radja (2,07m, Jugoplastika Split), Toni Kukoc (2,05m, Jugoplastika Split). Coach : Svetislav Pesic.
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En ce mois d’août 1987, la Valtellina (ou Valteline, région d’Italie du Nord, proche de la Suisse) vit une tragédie. Partout, les villages et les champs sont inondés. « J’étais dans la salle avec Niccolai Acchiughino et nous nous demandions quand cela s’arrêterait. Nous étions à Caspoggio, où nous avons joué des matchs amicaux et l’eau a chuté à l’infini, tapotant sans cesse sur notre toit. Il a continué à pleuvoir sans arrêt et pour atteindre Bormio nous avons dû faire un détour complètement fou, en traversant également la Suisse, » témoigne Ricardo Pittis, alors membre de l’équipe italienne conviée à ce championnat du monde des U19 et qui finira avec la médaille de bronze. Trente millions de mètres cubes de montagne se sont effondrés à 390 kilomètres à l’heure sur la ville de San Antonio Morignone et les hameaux voisins, provoquant la mort de 53 personnes et engloutissant toutes les habitations.
Enrico Vinci, alors président de la fédération italienne de basket, a pris une décision qui allait à l’encontre de celle du préfet. « Il y a 300 athlètes qui viennent de 12 pays à travers le monde, on ne peut pas les renvoyer chez eux ». The Show Must Go On. Le tournoi a commencé le 29 juillet, quatre jours plus tard que la date initiale et sans cérémonie d’ouverture. Les 12 équipes ont été réparties en deux groupes et les Etats-Unis, immenses favoris, se retrouvaient dans le même groupe que la Yougoslavie encore unifiée pour quatre ans. Dans l’équipe américaine, on retrouvait Stacey Augmon, Robert Brickey, Ron Huery, Larry Johnson, Gary Payton, Kevin Pritchard, Dwayne Schintzius, Lionel Simmons, LaBradford Smith, Stephen Thompson, Brian Williams et Scott Williams. C’était une bonne équipe mais pas la meilleure possible. Le coach était Larry Brown, qui officiait alors à l’université de Kansas.
A gauche, Toni Kukoc. A droite Dino Radja avec Dwayne Schintzus (2,19m).
« Jamais, jamais, dans ma carrière, je ne me rapprocherai de ces chiffres. » Toni Kukoc
Toni Kukoc en état de grâce
Le premier match entre les deux nations de pointe donna lieu à une immense surprise. La Yougoslavie fit sévèrement chuter les Etats-Unis, 110-95. Une différence était criarde : 16 paniers à trois-points -la ligne à 6,25m avait été instaurée trois ans auparavant dans le basket international- pour les Yougoslaves, un seul pour les Américains. Il faut préciser qu’un joueur était en état de grâce ce jour-là, une longue tige alors listé à 2,05m, Toni Kukoc. Il marqua sous tous les angles avec ou sans dribble et sans jamais toucher le cercle. Il en planta 11 sur 12 tirs. Le futur ailier des Chicago Bulls reconnut plus tard que ce fut un moment unique. « Jamais, jamais, dans ma carrière, je ne me rapprocherai de ces chiffres. Le sommet pour moi dans un match avec des trois-points était de 5 ou 6 mais ce jour-là,
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