Pendant deux ans l’ASVEL Lyon-Villeurbanne va bénéficier d’une invitation en Euroleague avec l’ambition de décrocher ensuite une Licence A synonyme de participation assurée pour une longue durée. Voici comment. En trois épisodes.
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Il existe des plans de l’Aréna de 10 à 12 500 places qui doit se construire en principe à Villeurbanne, en face de l’actuelle Astroballe sur le site du stade Georges-Lyvet donc proche de la ligne de métro A et du périphérique avec 2 000m2 de commerces et de restaurants. Sur le site de DCB International, qui doit constituer la société d’exploitation avec TGL Group, l’ASVEL et des exploitants privés, il est même noté :
« A Villeurbanne (69), la nouvelle salle multi-fonctionnelle accueillera en 2020 l’équipe de Tony Parker (ASVEL). »
Ce ne sera pas en 2020. Le rendez-vous pour l’ouverture de l’aréna a été décalé à la rentrée de la saison 2021-22. C’est un interminable feuilleton car il n’est jamais simple de construire un tel édifice en France. Il y a eu des projets qui étaient sur le point d’aboutir qui se sont écroulés souvent pour des raisons « politiques », comme à Dunkerque et à Orléans. Celui de l’ASVEL a déjà connu moult rebondissements, le dernier en date étant la volonté de l’Olympique Lyonnais d’édifier dans les deux à trois ans dans l’Est lyonnais une aréna de 12 à 15 000 places pouvant accueillir des concerts, des séminaires et des activités sportives comme… du basket. Un projet en plus de celui de Villeurbanne ou à sa place ? L’avenir nous le dira.
Ce qui est certain, c’est que l’ensemble de la stratégie de l’ASVEL de Tony Parker est bâti autour de cette aréna. C’est avec cette perspective que ECA lui a ouvert pour deux ans les portes de l’Euroleague et c’est quand les grues seront en train de l’édifier qu’elle pourra se voir octroyer la fameuse licence A. C’est aussi grâce à un aréna que l’ASVEL pourra envisager de passer de 10 à 15 millions d’euros de budget.
« C’est un tout. Le but c’est de s’appuyer sur l’aréna, sur le développement des ressources en ticketting , sponsoring et merchandising, en ventes d’hospitalité, de loges, lors des matches. Et de bénéficier d’autres subsides de la marge qui sera effectuée sur d’autres opérations que les matches de basket, » explique Alain Cloux.
L’ASVEL devra remplir le double de sièges, se mettre dans la moyenne élevée de l’Euroleague, qui sera pourquoi pas de 10 000 spectateurs dans trois, quatre ans, et ça sera une grande première en France où aucun sport de salle n’a plus approcher jusqu’ici une telle performance.
« Le but c’est de développer les ressources sur tous les aspects commerciaux. Il faut la remplir donc c’est avoir obligatoirement une politique commerciale qui soit encore plus pointue que celle que l’on a aujourd’hui. Qui dit exploitation d’une salle multifonctions dit qu’il y aura une société d’exploitation qui soit mise en œuvre par rapport à la vente de l’ensemble de la salle pour les matches, concerts, spectacles, séminaires. Le Groupama Stadium vit tous les jours. Ils essaient de remplir au maximum leurs espaces. On va changer de planète avec une aréna de 10 000 places. »
Avec une Licence A, l’ASVEL bénéficiera d’une manne un peu supérieure de la part de la télévision. La somme est liée au montant du contrat avec le télédiffuseur de chaque pays et si le pays en question compte une seule ou plusieurs équipes en Euroleague. A court terme, l’ASVEL est certaine de ne pas partager la manne avec un autre club français. Cette manne devrait se situer entre un et deux millions. Encore une fois, on est très loin du foot.
Comme autre piste pour accroître les ressources, l’ASVEL pense au trading, un mot à l’apparence barbare, qui correspond en fait aux indemnités que versent les clubs, actuellement les franchises NBA, pour transférer des joueurs sous contrat.
« Vu nos contraintes fiscales et sociales en France, l’idée de départ -et on essaye de travailler là-dessus- c’est de s’appuyer sur une base de joueurs expérimentés et aussi d’avoir des jeunes que l’on a formé ou post formés. Ainsi Théo Maledon a fait l’INSEP et il est resté un an au centre de formation avant de véritablement éclore cette année. C’est une sorte de post formation même s’il est jeune. Après qu’ils aient passé un, deux, trois années ici, c’est d’envisager que les joueurs partent dans un autre club européen plus huppé s’ils sont super performants, ou bien s’ils en ont les caractéristiques, qu’ils soient draftés et partent dans un club NBA. Aujourd’hui, en France, on intègre ça à la marge notamment parce qu’il n’y a pas de marché en Europe ou très peu. Peut-être qu’avec l’évolution de l’Euroleague et des compétitions européennes un marché va se créer et à ce moment-là je pense qu’on aura notre place. Ça peut constituer une forme de nouvelle ressource. L’idée, c’est aussi de pouvoir s’appuyer sur l’Académie (NDLR: plus de 350 jeunes se sont inscrits pour la rentrée) qui va ouvrir l’été prochain pour aussi constituer un vivier de ce type-là pour apporter des performances et dans un deuxième temps des ressources supplémentaires au club. On a parlé du trading mais il y a peut-être d’autres formes de ressources qui ne sont pas encore identifiées aujourd’hui et vers lesquelles on pourra peut-être se tourner. »
Les dés sont-ils pipés?
L’ASVEL est prévenue : la Ligue Nationale de Basket et son organisme de contrôle de gestion ne tolèreront pas de dérapages financiers. Malgré tout, le représentant français en Euroleague doit donc être un minimum compétitif dans une compétition où règnent des clubs alimentés par les sections football (le Real, le Barça) ou par des richissimes hommes d’affaires (Panathinaikos (1), Olympiakos (2)) et qui ne regardent pas à la dépense. Le staff villeurbannais a évidemment conscience de la problématique. Quand on prend en compte les ressources propres du Real Madrid (13,1 millions d’après le quotidien AS), on s’aperçoit qu’elles sont grosso-modo équivalentes au… budget que l’ASVEL espère avoir avec une Licence A. C’est la richissime section football qui règle le reste de l’addition.
« C’est une autre planète. C’est d’autres moyens dont ils peuvent disposer sur l’aspect financier mais aussi des structures. C’est aussi très clairement sur eux que la notoriété de la compétition est assise et doit aussi sa popularité. On ne peut pas lutter contre ça. Ils apportent du renom, de l’histoire, des titres, du prestige à tous les clubs. On sait qu’on ne part pas avec les mêmes moyens. Si on ne veut pas jouer dans cette cours-là, on fait autre chose. Il ne faut pas s’arrêter à ça. »
On le sait depuis des années, les clubs français sont doublement handicapés puisque les règles sociales sont ici beaucoup plus contraignantes que dans les autres pays européens, y compris en Allemagne. D’après une étude de l’Expansion, on peut en conclure que si l’ASVEL était basée en Turquie sa masse salariale actuelle passerait de 2,6 à 6,1 millions ! De quoi s’offrir deux à trois joueurs à 1 million la saison.
Tout en rappelant qu’en France on ne paye pas les impôts des joueurs alors que c’est une pratique commune à beaucoup de pays, Alain Cloux donne un autre exemple, avec les réserves d’usage :
« On a obtenu des éléments vis-à-vis de la Russie. Si on additionne le salaire net d’un joueur à qui vous donnez 100 euros nets dans sa poche avec les charges sociales salariales, patronales et l’impôt sur le revenu, en France on arrive grosso-modo à 225. En Russie, vous arrivez à 111. C’est parlant. Ça mériterait une étude faite par un institut spécialisé mais il y a quelques pays où la comparaison est complètement disproportionnée. Sans même parler du budget. Il n’y a pas que le taux qui compte, il y a aussi le plafond. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes si fortement taxés sur les charges sociales et sur les impôts. »
Récemment, les carambolages financiers des principaux clubs européens ont fait les choux gras des médias spécialisés. Le Real Madrid et le FC Barcelone ont bâti cette saison des budgets prévisionnels avec des déficits envisagés de 28,2 millions pour l’un et de 24,9 millions pour l’autre. En juin 2017, Fenerbahçe, alors vainqueur de l’Euroleague, annonçait un déficit de 18M€ sur un budget de 30. Un partenariat -le plus important de l’histoire du basket européen- signé pour trois ans avec le Groupe Dogus devait couvrir la moitié de ce budget. Sauf qu’un an plus tard, le géant turc qui gère plus de 300 entreprises et qui compte 35 000 salariés, arrêtait les frais minés par les problèmes économiques qui ont affaibli la Turquie. Quelques mois plus tard, Beko, une marque d’électroménagers, prenait le relai sans que le montant du sponsoring soit dévoilé.
Ces exemples de gestions financières olé-olé apportent de l’eau au moulin de ceux qui pensent que l’Euroleague ne possède pas de véritable économie et que les dés y sont pipés. Aussi, l’ASVEL a-t-elle une voie de navigation dans ce maelström ?
« On espère bien. A nous d’analyser les choses et de faire les choix qui seront liés aux réalités et aux contraintes. On a deux ans pour prouver sur le plan sportif aussi des ressources, les moyens que l’on va mettre à tous les niveaux, que l’on a la possibilité d’avoir une licence A, de s’inscrire sur le long terme. L’économie, comme on vient de le dire, n’est pas la même pour un club que pour un autre en fonctions de sa réalité et de ses actionnaires. A nous d’essayer de trouver un modèle vers lequel on peut tendre pour faire que ce soit équilibré, développer des ressources pour avoir des performances respectables dans cette compétition. Tout en s’inspirant de certains clubs, on va essayer d’inventer un modèle, le nôtre et surtout de s’inscrire dans la durée. C’est l’objectif qui a été fixé par nos dirigeants et que l’on essaye de s’imposer au quotidien. »
Un autre danger, c’est celui de la scission entre certains seigneurs d’Euroleague et leurs ligues nationales. Récemment, le Real Madrid et Olympiakos ont laissé planer cette menace. Le Maccabi Tel-Aviv s’est plaint récemment d’un calendrier trop dense et avait envisagé, il y a quelques mois, d’aligner deux équipes différentes sans passer aux travaux pratiques. De plus, on soupçonne l’Euroleague de vouloir planifier des matchs le week-end, plus lucratifs en terme télévisuel, qui les confronteraient frontalement à ceux des championnats domestiques.
« Obligatoirement vous réfléchissez sur le fait de participer concomitamment à l’Euroleague et à la Jeep Elite par rapport au nombre de matches que ça impose. On n’a pas du tout envie de quitter notre championnat national. Notre produit de base est là. Il y a pas mal de clubs qui travaillent bien pour améliorer la Jeep Elite et faire progresser le championnat. On est un des membres de ce produit-là. On ne s’est pas inscrit dans l’idée de ne pas participer à ce championnat national… Même si arriver à mener de front les deux, c’est un challenge ! »
L’Euroleague a l’intention à plus long terme d’accroître encore le nombre de ses clubs mais jusqu’à quel point une formule par matches allers-retours avec tout le plateau est-elle tenable ?
« Ce qui est sûr c’est que le nombre de matches de Jeep Elite va diminuer en 2020-21 (NDLR: le championnat repassera à 16 clubs). On ne va pas répondre à leur place. On peut tout envisager à terme comme des conférences comme en NBA. Mais continuer sous forme d’un championnat à plus de 18, ça ferait encore plus de matches… »
Lutter sur deux fronts
Le fan n’a pas les yeux rivés dans les coulisses mais sur le terrain. C’est la vérité qui l’intéresse. Les dernières saisons des clubs français ont été frustrantes, lassantes, car les défaites s’accumulaient brisant l’espoir de voir la lumière du top 16. Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, il faut bien constater que les trois dernières places du classement actuel de l’Euroleague sont occupées par des novices : Buducnost, Gran Canaria (6 victoires et 18 défaites) et Darussafaka (3-21). De plus, exténués par leurs efforts européens, les Canariens ont plongé dans le fort championnat espagnol (16e, 6-14) au point de risquer la descente en LEB.
« On a à l’esprit ces exemples-là, on a regardé de près », confie Alain Cloux. « On s’est tout de suite rendu compte des difficultés qu’ils pouvaient rencontrer en particulier Gran Canaria. On en parlait avec Yohan Sangaré la semaine dernière : l’idée c’est de tout mettre en œuvre pour bien débuter. Il faut déjà se rassurer sur le championnat national dès le départ. Et essayer dès les premières journées d’Euroleague de décrocher les bonnes perfs. Ça doit faire quatre matches de Jeep Elite avant de commencer l’Euroleague. Ces quatre journées-là, il faut essayer de s’appuyer dessus pour créer de la confiance. Cette année, par exemple, le Maccabi a eu du mal à débuter. Tout va dépendre du tirage au sort et du calendrier. En étant invité, je ne suis pas certain que l’on sera favorisé ! On va prendre ce qu’il y a… Le Bayern a parfaitement géré la transition entre l’Eurocup et l’Euroleague et la Bundesliga. On a l’impression qu’ils ont toujours été là. C’est difficile de s’inscrire dans des certitudes quand on voit Kaunas l’année dernière et Kaunas cette année. On sait que ça va être dur. »
(1) Décédé en juin dernier, Pavlos Giannakopoulos était avec son frère Thanasis propriétaire de l’empire pharmaceutique grecque Vianex, créée en 1924 par leur père Dimitrios. Vianex fabrique et commercialise actuellement, en Grèce et ailleurs, divers produits, en collaboration avec de grandes entreprises internationales. La société a déclaré un chiffre d’affaires net de 240,2 millions d’euros en 2012. En 2006, la fortune personnelle de Pavlos était estimée à 450 millions d’euros, soit la moitié de l’empire commercial des frères Giannakopoulos (975 millions d’euros). C’est en 2012 que Dimitris a succédé à son père à la tête du Panathinaikos.
(2) L’Olympiakos est entre les mains de la dynastie Angelopoulos. Le grand-père Panayotis était un industriel, le père Constantine un magnat de l’acier et des transports maritimes. Ses fils, Giorgios et Panayotis Angelopoulos sont les propriétaires d’une société de transports de pétrole et de produits pétroliers et de l’Olympiakos. La fortune des Angelopoulos est estimée à environ un milliard d’euros.
Photos: Eurocupbasketball