Denis Masseglia est le président du CNOSF. Le 9 novembre, Thomas Bach président du CIO invitait ses homologues nationaux à œuvrer pour la défense du modèle sportif européen, notamment la défense des équipes nationales, face à la tentation d’un modèle d’organisation privé du sport. Et sur ce dossier, le basket est au centre du jeu. Nous avons donc fait le point avec le boss de l’olympisme français.
Thomas Bach a indiqué que le modèle européen du sport est « menacé » par les entreprises privées qui s’insèrent dans l’organisation des compétitions sportives de très haut niveau. Est-ce que vous partagez ce constat ?
Oui. Parce que toute entreprise commerciale qui veut organiser des compétitions à des fins qui lui permettent de gagner de l’argent ne peut pas miser sur quelque chose où il y a l’incertitude d’un système ouvert avec des montées et des descentes. Le modèle américain qui est construit sur des ligues fermées est tout autre. Les retombées en termes commerciaux sont supérieures à ce qui se fait en Europe. Ce sont deux conceptions différentes de la pratique. Mais la question mérite d’être posée : est-ce uniquement parce que ces ligues sont fermées et qu’elles génèrent de l’argent ? On parle de deux contextes, de deux économies, de deux cultures différentes. Il faut prendre les deux dans leur globalité. La société américaine, par exemple, possède une très forte culture du sport universitaire. Vraiment très forte, ce qui n’est pas le cas en France. On ne peut pas sortir le contexte sportif du modèle sociétal globale. Et le modèle européen est axé sur des systèmes de montées et descentes et donc une organisation ouverte. Voilà ce qui explique le mot menace. Après, tels que nous sommes organisés, un système fermé ou seuls les intérêts financiers seraient pris en considération se ferait forcément au détriment de tout ce qui est formation, clubs et équipe nationale. Sans clubs et sans formation, il n’y a pas d’équipe nationale. C’est vrai dans tous les sports.
Est-ce qu’une greffe d’une ligue fermée, au sommet de la pyramide du modèle sportif européen est envisageable ou les deux logiques sont incompatibles ?
Aujourd’hui, ce sont les fédérations qui organisent. Elles ne sont pas parfaites mais elles ont au moins le mérite d’être dirigées par des gens qui ont une fibre « mouvement sportif ». Si le système est dirigé par des intérêts commerciaux, les intérêts du mouvement sportif, développement de la formation, des clubs, du développement des disciplines au profit de toutes les populations, ne pourront pas être pris en compte de la même manière. Ce ne seront pas des objectifs comme c’est le cas aujourd’hui avec notamment une forme de solidarité.
Thomas Bach invitait également chaque comité olympique à travailler avec son gouvernement. Qu’est-ce que vous avez mis en place avec le gouvernement français et quelle écoute vous obtenez auprès du ministère sur cette question-là ?
Au début de l’année 2018, le CNOSF a déjà travaillé avec le ministère pour apporter quelques éléments à la commission européenne pour éviter qu’on puisse éviter, par des aspects législatifs, de faciliter l’implantation de ligues fermées ou de ligues organisées autrement que par l’intermédiaire des fédérations. Le propos de Thomas Bach évidemment vise à rassembler l’autorité étatique, qui a plus de poids vis-à-vis de l’Europe, et l’autorité sportive pour qu’elles parlent d’une même voix. Aujourd’hui, pour la France, CNO et ministère des sports, nous parlons d’une même voix pour qu’effectivement il y ait une prise de politique française allant dans le sens de la protection du modèle sportive européen.
Le basket est au cœur de ces questions, avec une ligue quasi-fermée, l’Euroleague, dirigée par une entreprise de droit privée, insérée au cœur du basket européen. Est-ce que ce qui se passe en basket peut être vu comme une expérience concrète des dangers que vous décriviez jusque-là ?
On pourrait même dire que le basket est le seul véritablement touché aujourd’hui. On voit le problème : il y a désormais une réelle difficulté pour les équipes nationales européennes à rassembler leurs joueurs pour les qualifications aux grandes compétitions. Les qualifications nécessitent la présence d’une forte équipe, pas seulement lors des tournois finaux mais aussi toute l’année pour gagner le droit de jouer ce tournoi final. Le basket amène une preuve supplémentaire que la priorité, pour une entreprise privée qui cherche à faire du profit avec son produit, n’est pas la même que pour le reste de la discipline. Pour une fédération nationale ou internationale, la participation à une coupe du monde ou aux Jeux Olympiques est une priorité. Pour une entreprise comme l’Euroleague, non. C’est un vrai danger pour les équipes nationales et pour les tournois internationaux.
En quoi le fait de toucher aux équipes nationales est si problématique pour une discipline ?
Parce qu’une équipe nationale est le moteur essentiel de promotion du sport dans un pays. On n’a pas mieux aujourd’hui que l’équipe nationale pour faire du prosélytisme et de la promotion pour que les jeunes s’inscrivent dans un club pour être les champions de demain, et aussi pour la pratique du plus grand nombre. Et donc pour l’économie du sport aussi.
« Aujourd’hui, le basket est observé, parce que l’Euroleague existe, parce qu’il y a eu une tentative de la FIBA de reprendre en main les choses avec la Basketball Champions League »
Est-ce que le basket et ses problèmes peut servir de projection ou d’avertissement de ce qui pourrait arriver si ce genre de situations avec des entrepreneurs privés qui veulent fermer des ligues ou des événements – on voit bien la tentation dans le football ?
Il y a toujours un sport en avance. Sur cette question, il s’agit du basket. Le foot l’a été avec l’arrêt Bosman par exemple. Il y a toujours un sport qui est touché plus précocement. Aujourd’hui, le basket est observé, parce que l’Euroleague existe, parce qu’il y a eu une tentative de la FIBA de reprendre en main les choses avec la Basketball Champions League. Un équilibre doit être trouvé mais c’est plus difficile à faire quand un des deux parties a avant tout en tête ses intérêts commerciaux.
Est-ce que l’Union Européenne peut légiférer et à quelle échéance pour statuer définitivement sur cette question qui touche le basket de plein fouet ?
Je ne saurai pas répondre à cette question. A partir du moment où l’UE a considéré le sport comme une activité ordinaire, position qui a prévalu sur certains arrêts qui ont par la suite complètement désorganisé le sport, comme l’arrêt Bosman pour ne citer que celui-là, je ne sais pas ce qui peut être fait aujourd’hui dans ce cadre de la libre circulation et de la libre concurrence. C’est normal que le mouvement sportif défende ses fondamentaux. On n’est pas là pour empêcher les athlètes de gagner de l’argent ni pour empêcher les clubs de se développer. On est là pour veiller à ce que le sport reste au service du plus grand nombre, de la population, de la jeunesse.
Jean-Pierre Siutat, président de la fédération française de basket-ball, est aussi vice-président du CNOSF. Est-ce que le dossier du basket est au centre des préoccupations du CNOSF ?
Au centre, je ne sais pas, mais Jean-Pierre nous informe régulièrement des difficultés que la FIBA a pu rencontrer par rapport aux autres organisations qui veulent s’occuper du basket en Europe. Il a été leader dans l’approche gouvernementale en saisissant le ministère des sports et en saisissant les plus hautes autorités de l’eEtat, pour qu’il y ait une réaction française et que la France puisse être leader dans la défense du modèle européen. Les propos de Thomas Bach vont évidemment dans le sens de ce que Jean-Pierre a défendu depuis le début et dans ce qu’on a relayé aussi de notre côté.
Photo: Nicolas Batum (FIBA)