Chaque saison, entre trois et quatre coaches de l’élite masculine professionnelle font face à un licenciement en cours d’exercice. Une bonne dizaine d’entraîneurs professionnels patientent à ce jour dans l’espoir de trouver un poste dans les principales divisions françaises. Zoom sur cette période de pause à durée indéterminée et aux parcours contrastés.
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Ils sont la vitrine des clubs. Dans une salle ou derrière un écran, leurs faits et gestes depuis le banc sont scrutés, aimés ou détestés. Ce sont eux qui récoltent les louanges des victoires et essuient les critiques après les défaites. Ce sont eux qui doivent justifier après chaque match, dans les bureaux, dans le vestiaire et auprès des journalistes, de choix qui dépendent de multiples facteurs, et pas seulement la partie visible de l’iceberg. Les coaches ont un métier critiqué, peu compris, sans doute pas assez reconnu du grand public. Ce sont souvent les premiers à payer le prix fort d’une mauvaise dynamique, une mauvaise saison, un mauvais recrutement, une réalité économique que seul le terrain ne peut pas toujours justifier.
« Un licenciement dépend de tellement de choses : d’un contexte, d’un groupe, d’un club, de moyens. Le coach est le fusible parfait. Quand ça ne va pas, c’est le coach qui trinque », estimait il y a quelques semaines dans nos colonnes Laurent Legname, remercié par la JL Bourg pour la première fois de sa carrière après dix ans de coaching en mai dernier. Ce dernier a succédé cette semaine au BCM Gravelines-Dunkerque à J.D. Jackson, deuxième coach remercié de l’exercice en cours après Lassi Tuovi à Strasbourg, remplacé par l’Italien Luca Banchi.
Sur les cinq dernières saisons en première division, au moins trois coaches ont été limogés lors de chaque exercice, sans compter les nombreux cas d’entraîneurs remerciés entre deux saisons et avant la fin de leur bail. Si l’on excepte Nanterre (où Pascal Donnadieu fait figure d’exception, étant en place depuis plus de 30 ans), Le Mans, l’ASVEL, Roanne et Blois, promu cet été, toutes les équipes de l’élite française actuelle ont eu recours à un changement d’entraîneur depuis l’été 2020, soit plus de deux tiers d’entre eux. Difficile de le quantifier en pourcentage mais il est admis que l’immense majorité des coaches – même le gratin de la profession – se trouve confrontée à cette situation au moins une fois dans une carrière.
Coaches remerciés en cours de saison sur les cinq derniers exercices en première division
Betclic Elite 22-23 : 2, en cours (Tuovi, Jackson)
Betclic Elite 21-22 : 4 (Crevecoeur, Mitrovic, Heitz, Legname)
Jeep Elite 20-21 : 3 (Espinosa, Vila, Crevecoeur)
Jeep Elite 19-20 (arrêt) : 5 (Pluvy, Issa, Julbe, Hervé, Collet)
Jeep Elite 18-19 : 4 (Filipovski, Milling, Boissié, Espinosa)
Les coaches vivent avec ce statut de non-intouchable. « On sait que c’est inhérent à ce métier, ça peut arriver à un moment ou un autre », reconnait Laurent Legname, qui avait déjà tenu ce discours un an plus tôt quand il venait d’arriver à Bourg-en-Bresse. « Quand on met l’entraineur en retrait, il sait très bien au fond de lui que ce n’est pas toujours lui le problème. Ce qui est clair dans l’esprit de tous, nous coaches, c’est que nous savons que ce sont des aléas du métier. Ce n’est pas un hasard si la convention collective nationale du sport parle d’aléa sportif inhérent à toute compétition, accentue Jose Ruiz, président du syndicat des coaches de basket (SCB). Quelque part, on trouve toujours ces mesures de licenciement injustifiées parce que ce n’est pas l’entraîneur qui défend, qui shoote les lancers-francs. Le coach fait avec les moyens qu’il a, parfois ils sont suffisants, parfois non. La gestion humaine d’un groupe, on sait que c’est toujours difficile. Et à un moment donné, on sait que la perte de confiance peut se porter vers l’élément unique que représente l’entraineur. Il ne faut pas l’oublier. »
Ceci étant, le turnover existe mais il reste toujours moindre dans le basket, où entre 10 et 15 tacticiens français sont systématiquement dans l’attente d’un poste, ce qui est peu. À ce jour, cette liste comprend, entre autres, Mehdy Mary, Cédric Heitz, Pierre Vincent, Jean-Christophe Prat, François Peronnet ou Christian Monschau, pour ne citer qu’eux. Des chiffres qui restent positifs pour la profession quand on sait qu’ils sont entre 150 et 200 coaches professionnels sans emploi en tout temps dans le football, entre 20 et 40 dans le rugby et une dizaine aussi dans le handball, mais avec un nombre supérieur de pluri-actifs. Cela s’explique aussi par le développement de passerelles entre le métier d’entraîneur et celui de directeur sportif ou general manager, qui offre en quelque sorte au coach de basket une deuxième ou troisième carrière.
Un métier ingrat
Il n’empêche que les exemples de coaches laissés sur le carreau restent nombreux, plus nombreux en pourcentage que le nombre de joueurs laissés libres en cours de saison. Les dirigeants connaissent l’équation du coût du changement. « On réfléchit beaucoup avant de limoger un entraineur. C’est toujours un moment difficile, estimait sur BFM Alsace Martial Bellon, président de la SIG Strasbourg, après le limogeage du prometteur Lassi Tuovi. Il y a dix joueurs et on ne change pas dix joueurs comme ça. Malheureusement, lorsqu’une équipe connait des résultats tels que nous avons connu sur ce début de saison (1 victoire, 7 défaites au moment du remplacement), la responsabilité du coach est par définition engagée. »
À l’inverse, de manière générale, les divers GM et directeurs sportifs sont la plupart du temps épargnés, même lorsqu’ils sont à l’origine des choix du coach. Une différence culturelle entre la France et l’étranger selon Laurent Legname, qui a scruté cet été le marché étranger dès lors qu’il fut remercié à Bourg-en-Bresse. « Si un GM étranger prend le risque de choisir un coach étranger, en l’occurence français, et que ça ne marche pas, alors le coach se fait virer mais le GM aussi ! En France, c’est un cas de figure plus rare, c’est surtout l’entraîneur qui trinque », considère le nouveau coach du BCM. « J’ai trop rarement entendu parler d’un directeur sportif ou d’un general manager qui s’est fait virer pour le choix d’un coach. Cela devrait changer à l’avenir », appuie un autre ancien coach sous couvert d’anonymat.
Par ailleurs, il serait déraisonnable d’écrire que la fonction de coach n’entraîne pas une certaine difficulté de vie. Le statut de CDD spécifique aux entraîneurs, créé en 2015 par la loi Braillard, implique une sorte de contrat de mission. Elle est évidemment acceptée par toute la profession mais elle reste, comme celle des joueurs, parfois lointaine de la sécurité des CDI en entreprise, et même au sein des administrations des clubs. « J’ai une très très longue vie dans ce milieu dans lequel je me suis bien senti. Mais j’ai aussi trouvé qu’il était difficile, peu connu, peu compris, pas toujours respecté », estime Jose Ruiz, qui a plus de 30 ans de coaching derrière lui et qui a officié notamment en première division masculine puis féminine, entre Lille, Saint-Quentin, Clermont, Tarbes, Villeneuve D’Ascq, Bordeaux, Istres, Montpellier, Strasbourg et Bordeaux, en plus de son expérience de sélectionneur du Mali (champion d’Afrique, participation aux JO de Pékin). « L’entraineur est quelqu’un qui se remet en question de façon permanente, dans la défaite mais aussi la victoire. Vous déménagez régulièrement, votre famille vous suit, votre épouse ou époux change de job, vos enfants changent d’école. Et je n’oublie pas nos collègues féminines, peu nombreuses dans le métier mais pas oubliées. Je pense qu’on oublie aujourd’hui la difficulté d’une carrière. Nous, coaches, acceptons cette forme de précarité – le terme est juste dans les faits mais pas dans l’esprit – à condition qu’il y ait du respect envers le coach quand on met un terme à son contrat », ajoute-t-il.
Lorsqu’un coach se retrouve sans emploi, le syndicat peut jouer un rôle financier dans certains cas, en première instance, en appel ou en cassation par l’intermédiaire de l’organisme interne à la CFDT – dont est rattaché le syndicat des coaches -, la Caisse nationale d’action syndicale (CNAS), voire de soutien moral. « Quand on prend connaissance d’un licenciement, on passe toujours un coup de fil aux collègues car la pire des choses, c’est l’indifférence. Je ne crois pas qu’on en ait loupé un. Tous les entraineurs sont importants parce qu’au-delà des gens, c’est la profession qu’il faut défendre », poursuit le président du SCB, syndicat discret mais au rôle structurant, qui livre des conseils de carrière tant dans la lecture des contrats que des litiges ou même des formations. Le syndicat regroupe par ailleurs une forte adhésion de la profession, de la première division jusqu’à la NM3 pour les hommes et la LF2 pour les femmes.
Partir ou rester
Pour certains coaches au chômage, l’attente est passagère et supportable. Laurent Legname a patienté quelques mois en occupant une fonction de consultant pour Skweek TV et en montant sa société de conseil autour du management sportif. D’autres, notamment comme Mehdy Mary ou Cédric Heitz, se nourrissent de longue date d’un apprentissage supplémentaire du coaching à l’étranger pendant leur période sans emploi. D’autres encore s’impatientent sans plan B mais restent confiants en l’avenir.
En revanche, pour d’autres, l’épuisement lié à la profession devient trop intense. L’attente implique un trop plein d’incertitudes et la passion finit par s’estomper. Le cas le plus frappant est certainement celui de Matthieu Chauvet, 46 ans, coach de l’année 2013 en Ligue Féminine avec Toulouse, qui avait déjà attendu trois ans pour rebondir chez les Pinkies à Charnay, avec lesquelles il a remporté deux titres de champion de France en 2017 et 2019. Alors qu’il se sentait prêt à rebondir une nouvelle fois dans un autre club après la relégation du CBBS en LF2 cet été, il n’a pas trouvé de nouveau challenge à relever et a fini par renoncer au mois de novembre.
« Les dernières saisons ont été véritablement épuisantes. Même si l’horloge biologique tourne, j’avais l’impression d’avoir vieilli très vite en très peu de temps. Ce que je vivais était de plus en plus éloigné de mes valeurs, de mes attentes, voire de ma trop grande exigence. La balance plaisir-passion penchait un peu trop du côté négatif. La flamme s’éteignait petit à petit. À un moment donné, il fallait savoir dire stop », a confié l’intéressé au Progrès, expliquant par ailleurs avoir fait quelques burnouts pendant ses deux dernières saisons et que le déclic de sa mise en retrait du coaching professionnel s’était produit cet été, en famille.
Le coach originaire de l’Ain va désormais rebondir dans le coaching… en entreprise, en créant début 2023 son propre organisme de formation. Un partage de connaissance de plus en plus apprécié en reconversion. « Je me suis toujours considéré comme un coach de manière générale ! L’idée de transmettre mes connaissances pour aider les autres à être meilleurs, à devenir performants, comme je l’ai toujours fait tout au long de ma carrière, me motive plus que tout. Je souhaite partager mon expertise et expérience du sport de haut niveau pour accompagner un maximum d’entrepreneurs », a-t-il ajouté.
Autre cas de figure original qui n’est pas passé inaperçu au sein de la profession : celui d’Antoine Brault. Après vingt ans de vie commune avec le PB 86, l’ancien coach-assistant a troqué sa licence de basket pour celle de chauffeur de taxi. « Quand ça s’arrête, on remet tout en cause sur le plan professionnel et familial, nous explique le Poitevin d’adoption. Dans mon cas, c’était sans doute un peu plus douloureux que certains car j’étais de tout temps à Poitiers, j’ai été formé comme entraîneur là-bas, j’ai passé quatre ans en Pro A ». La reconversion s’est finalement imposée en bout d’un processus de remise en question. « Le métier de coach, étendu au poste d’assistant, est usant, chronophage. Depuis plusieurs années, j’avançais avec un peu moins de conviction. Ce n’était pas le bon moment pour devenir coach principal quand Ruddy Nelhomme avait été remercié. Comme je me posais la question de continuer depuis plusieurs années, j’ai décidé de changer de cap quand j’ai été remercié car c’était ce dont j’avais envie », analyse Antoine Brault.
Près de deux ans après sa mise en retrait du monde professionnel, il ne regrette pas sa vie basket, lui qui a toujours un orteil dans l’entraînement depuis qu’il a pris en main des U13 inter-départementaux à Poitiers. Il retient énormément de positif de ses vingt années dans le coaching. « C’est un métier compliqué mais c’est aussi un métier hyper passionnant sur le plan humain. J’ai eu la chance faire partie d’une épopée en passant de la NM2 à la Pro A avec le même club et de côtoyer, faire évoluer des joueurs passés par la NBA : Kévin Séraphin, Evan Fournier ou Sekou Doumbouya, c’est beau et ça forge. » En plus de sa licence de taxi, Antoine Brault travaille aussi dans l’organisation d’événements, notamment dans les manifestations au niveau des food trucks. Diverses occupations où ses anciennes compétences de coach lui permettent de « faire face à des problèmes au quotidien ». Pour la petite histoire, l’ex-entraîneur poitevin a finalement repris la licence de taxi du père d’Imanol Prot, 18 ans, l’une des pépites du club qui évolue désormais en NM1. Preuve que le basket n’est jamais très loin dans un projet de reconversion.
« Il y a une vingtaine d’années, quand on se débarrassait de son chien, on l’accusait de la rage »
Si l’on revient au constat de départ, le coach de basket connaît les mêmes risques de se faire remercier quand dans tous les autres sports collectifs en France, mais le marché des coaches libres reste plus compact pour la balle orange que celui du foot et du rugby et relativement proche du hand. Surtout, si l’on revient à quelques années en arrière, il y a du progrès selon José Ruiz. « Il y a une vingtaine d’années, quand on se débarrassait de son chien, on l’accusait de la rage. Pour les coaches, c’était pareil : on s’évertuait à inventer une faute professionnelle. Aujourd’hui, les employeurs de notre milieu sont des gens fort respectables et ça ne se passe plus comme ça de manière générale. Il y a une forme de respect dans ce moment douloureux. On paie généralement la fin du contrat, ce qui démontre le respect qui aujourd’hui est quasi-total. Lorsqu’il ne l’est pas, heureusement, il y a la loi. Et dans ces quelques cas, c’est la justice qui détermine si c’est justifié. »
Et le nombre de coaches en attente d’un emploi augmente-t-il dans le temps ? Si oui, pour quelles raisons ? Là encore, difficile de trouver des données chiffrées, mais l’on peut malgré tout avancer l’argument – sensible, qui concerne tous les sports – du nombre d’entraîneurs étrangers de plus en plus important ces dernières années, notamment en première division, qui entraîne de facto une augmentation du nombre de tacticiens français sur le carreau. À ce jour, ils sont cinq représentants étrangers sur les 18 clubs de l’élite masculine hexagonale (Sasa Obradovic, Massimo Cancellieri, Nenad Markovic, Will Weaver et Luca Banchi), et de plus en plus présents dans les centres de formation français. Ce qui rend le problème complexe à réguler pour le ministère, qui donne les équivalences aux ressortissants étrangers pour exercer, ce qu’il faut d’ailleurs distinguer des techniciens étrangers qui ont obtenu leur diplôme en France, comme le Serbe Nikola Antic.
« Aujourd’hui, la position de l’Etat évolue mais ça ne veut pas dire qu’il faut ouvrir grand les portes aux personnes dont la compétence n’est pas indiscutablement établie, met en garde le président du SCB. Nous sommes par exemple choqués qu’il puisse y avoir des entraineurs étrangers dans notre quatrième division nationale, sans que cela ne doit clairement répertorié, ou pour des U18. » Ce phénomène provient aussi de la pénurie de qualification et de formation des coaches sur le plan fédéral. « Pendant dix années, la formation française a été insuffisante et c’est dommage. En conséquence, l’année dernière, cinq clubs de LNB ne trouvaient pas d’entraîneurs pour leurs centres de formation, d’où l’arrivée d’un coach italien (Piero Zanella) chez les Espoirs de Boulazac par exemple. Et attention, le syndicat des coaches ne dit pas que ces techniciens étrangers ne sont pas des collègues compétents mais il ne faut pas que cela soit un principe incontrôlé. » Il faut aussi souligner qu’à partir de l’année prochaine, la fédération veut doubler le nombre de diplômes d’état délivrés en France. Un petit pas de plus pour valoriser le métier de coach, une profession de mission qui souffre bien souvent d’un déficit de considération.
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Ils sont la vitrine des clubs. Dans une salle ou derrière un écran, leurs faits et gestes depuis le banc sont scrutés, aimés ou détestés. Ce sont eux qui récoltent les louanges des victoires et essuient les critiques après les défaites. Ce sont eux qui doivent justifier après chaque match, dans les bureaux, dans le vestiaire et auprès des journalistes, de choix qui dépendent de multiples facteurs, et pas seulement la partie visible de l’iceberg. Les coaches ont un métier critiqué, peu compris, sans doute pas assez reconnu du grand public. Ce sont souvent les premiers à payer le prix fort d’une mauvaise dynamique, une mauvaise saison, un mauvais recrutement, une réalité économique que seul le terrain ne peut pas toujours justifier.
« Un licenciement dépend de tellement de choses : d’un contexte, d’un groupe, d’un club, de moyens. Le coach est le fusible parfait. Quand ça ne va pas, c’est le coach qui trinque », estimait il y a quelques semaines dans nos colonnes Laurent Legname, remercié par la JL Bourg pour la première fois de sa carrière après dix ans de coaching en mai dernier. Ce dernier a succédé cette semaine au BCM Gravelines-Dunkerque à J.D. Jackson, deuxième coach remercié de l’exercice en cours après Lassi Tuovi à Strasbourg, remplacé par l’Italien Luca Banchi.
Sur les cinq dernières saisons en première division, au moins trois coaches ont été limogés lors de chaque exercice…
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Photo : montage Basket Europe