Un cabinet d’avocats suisse a rédigé un texte qui met en exergue un nouveau règlement édicté par la Fédération Internationale (FIBA) à propos des agents de joueurs. En voici quelques extraits :
« Le sport et ses gangrènes : celles dont on parle comme le dopage et les matches truqués. Et celles que l’on tait comme la corruption et les conflits d’intérêts, et qui s’invitent jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir et de la justice sportives. Parmi les milieux concernés, celui des agents de joueurs, qui a fait des conflits d’intérêts son modèle d’affaires dans nombre de sports d’équipe ces dernières décennies. Un milieu dont les pratiques de rémunération illicites ont conduit aux pires excès, poussant récemment des fédérations sportives et des associations de clubs à prendre des mesures pour régulariser leur marché des transferts de joueurs. Parmi elles, la
Fédération internationale de basketball (FIBA) fait office de pionnière au niveau global avec son nouveau règlement sur les agents qui est entré en vigueur le 1er janvier 2022. Un règlement qui interdit de manière explicite et conséquente les pratiques des agents de joueurs comportant des conflits d’intérêts, un règlement par lequel la FIBA brise un tabou tout en remettant les relations économiques et juridiques entre agents, clubs et joueurs sur les rails de la légalité (…)
Dans le monde du sport, l’activité de l’agent de joueurs consiste généralement à conseiller ses joueurs et à gérer et défendre leurs intérêts durant leur carrière ou une partie de celle-ci. L’agent se mue en intermédiaire lorsqu’il négocie les contrats de travail de ses joueurs avec des clubs. Même si l’activité de l’agent est généralement perçue de manière globale, il est crucial de distinguer son activité de placement de celle de management, car les droits et les obligations qui en découlent pour l’agent, ses joueurs et les clubs ne sont pas les mêmes. En effet, si l’agent n’est qu’un intermédiaire – il ne fait que négocier et conclure des contrats de travail avec des clubs, et rien d’autre -, il pourra, dans certaines circonstances, lever un conflit d’intérêts préexistant et s’engager dans les négociations comme si ce conflit d’intérêts n’existait pas. Or, si l’agent est aussi un manager, il est lié à ses joueurs dans la durée du fait de ses prestations de management en leur faveur et il ne peut dès lors pas déroger à son obligation légale de préserver en tout temps les intérêts de ses joueurs, laquelle est issue de cette relation de management. De
ce fait, il lui est interdit de se mettre dans une situation de conflit d’intérêts qui est susceptible de nuire aux intérêts de ses joueurs, et il ne peut pas non plus lever un tel conflit d’intérêts.
Une telle obligation de protection des intérêts du représenté (joueur) par son représentant (agent) est prévue non seulement par le droit suisse du mandat (articles 394ss du Code suisse des obligations – un droit suisse que les fédérations sportives basées en Suisse doivent prendre en considération et faire respecter dans la mise en œuvre de leurs réglementations sportives et extra-sportives – mais également par la plupart des autres ordres juridiques au niveau international. Et la violation de cette obligation de protection, au détriment des intérêts du représenté, peut généralement faire l’objet d’une action civile en récupération de la commission que l’agent aurait touché
indûment du fait de son conflit d’intérêts6 et d’une plainte disciplinaire auprès de la fédération sportive compétente; elle est également, comme évoqué plus haut, bien souvent susceptible de constituer une infraction pénale de gestion déloyale.
Dès lors, et comme l’explique plus en détail le site internet www.check-your-agent.football/fr/ qui constitue une source d’informations assez complète sur la problématique des conflits d’intérêts des agents, ceux-ci se mettent automatiquement dans une position illicite de conflit d’intérêts lorsque :
✕ Ils se font payer par les clubs leurs commissions pour leur activité de management effectuée pour le compte de leurs joueurs, et/ou ;
✕ Ils perçoivent des clubs, à l’insu de leurs joueurs, plus d’argent que celui qu’ils percevraient s’ils étaient rémunérés par ces derniers pour l’activité effectuée pour leur compte, et/ou ;
✕ Ils perçoivent de l’argent des clubs en vertu de pratiques de double ou de triple représentation, et/ou ;
✕ Ils se lient juridiquement aux clubs de leurs joueurs, d’une manière ou d’une autre (par exemple, en football, pour négocier les accords de transfert qui concernent leurs joueurs), et se font rémunérer à ces fins.
Or, ce sont toutes ces pratiques de rémunération et de connivences entre agents et clubs qui constituent encore aujourd’hui le modèle d’affaires illicite des agents dans le marché des transferts de certains sports d’équipe, des pratiques que la FIBA interdit désormais explicitement à l’article 298 de son nouveau règlement sur les agents. En effet, ce règlement stipule qu’un agent n’est notamment plus autorisé à :
Représenter ou conseiller plus d’une partie dans la même transaction. Une interdiction qui va de soi puisque tout rapport de multiple représentation d’un agent donne automatiquement naissance à un conflit d’intérêts illicite. Accepter de se faire rémunérer pour ses services par quelqu’un d’autre que son client. Dans le 99% des cas, le client effectif de l’agent, c’est son joueur. Un joueur qui, pour préserver ses intérêts notamment financiers et pour s’assurer que l’agent les préserve également, se doit de rémunérer lui-même son agent, tant pour les prestations de placement que de management que celui-ci rend en sa faveur. Par ailleurs, le fait pour le joueur de tenir
son agent « par le porte-monnaie » lui permet de s’assurer de la qualité de ses prestations en sa faveur.
Représenter ou conseiller un club si l’agent est sous contrat avec un joueur enregistré
auprès de ce club. Cette règle concrétise elle aussi l’interdiction de la multiple représentation par un agent, vis-à-vis d’un club et de l’ensemble de ses joueurs.
Utiliser directement ou indirectement une partie tierce pour contourner les restrictions ci-dessus. La seule exception étant qu’un joueur peut se mettre d’accord avec un tiers pour que ce dernier verse pour son compte la rémunération due à l’agent. Si ce tiers est le club du joueur, il n’aura le droit de prélever le montant de la rémunération à payer à l’agent que sur le salaire du joueur, le club n’ayant pas le droit de verser quoi que ce soit à l’agent de ses propres deniers, pour éviter justement un conflit d’intérêts. Il s’agira alors d’une simple modalité de paiement convenue entre le joueur et le tiers, l’agent n’étant pas impliqué dans cet arrangement. En pratique, il est cependant difficile de voir quel est l’intérêt d’un club de procéder de la sorte et de se charger de tâches et de responsabilités inutiles alors qu’il peut laisser le joueur payer lui-même la commission de son agent.
En interdisant ainsi de manière conséquente ces pratiques illicites des agents, la FIBA est la première fédération internationale à briser le tabou de leurs conflits d’intérêts et à les remettre là où ils ont leur place, soit aux côtés de leurs clients, les joueurs. La FIBA remet ainsi les relations économiques et juridiques entre agents, clubs et joueurs sur les rails de la légalité, dans un nouveau cadre légal qui responsabilise les joueurs qui devront désormais rémunérer eux-mêmes leur agent, et ceci en distinguant les prestations de placement de celles de management qui sont effectuées en leur faveur par leur agent, car leur mode de rémunération n’est pas le même. »
Photo : Le siège de la FIBA, à Mies en Suisse