Pendant plus de trois décennies, George Eddy a été la voix de l’Amérique pour le basket français. Le journaliste a initié des générations de fans à la NBA qui était jusqu’alors un continent mystérieux. Il a été aussi un commentateur avisé du basket français et européen. Dans cette interview long format, il nous parle de ses expériences riches et variées, nous rappelant notamment qu’il fut un shooteur d’exception. L’interview est en deux parties. Voici la première.
Jusqu’à Noël, Basket Europe décerne ses trophées de la saison, avec des interviews et portraits de plusieurs personnalités de l’année 2022. Débutons avec le « trophée du faux retraité », qui revient à George Eddy. Pour découvrir l’intégralité de nos trophées, mais aussi de nombreuses nouveautés en 2023, abonnez-vous !
[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]
Finalement, vous n’êtes pas à la retraite. Vous prolongez votre activité ?
Tout le monde a confondu le fait que Canal+ n’avait plus de droits pour la France et la fin de ma carrière alors que je compte faire encore un an ou deux sur Canal+ Afrique. Mais, c’est vrai, le public français ne me verra plus sauf changement de situation. En fait, après mon infarctus, j’étais prêt de rendre les armes et de m’occuper de ma vie et de ma santé, mais comme je me sens beaucoup mieux dix-sept mois après, je n’ai pas envie d’arrêter. Ce n’est pas parce que j’ai besoin d’argent, c’est plutôt pour m’occuper, je m’amuse dans mon travail.
Vous avez été élu à l’Académie du basket et vous avez reçu lors de l’assemblée générale de la FFBB, à Ajaccio, le Coq d’or de la fédération. C’est quelque chose qui vous a ému ?
Oui, énormément.
Vous êtes reconnu dans le basket comme la Voix de l’Amérique. C’est important d’être considéré aussi comme un spécialiste du basket français et européen ?
Et mondial ! J’espère être un peu un historien de tous les baskets : NBA, américain, français, international. Vu toutes les grandes compétitions que j’ai eu la chance de commenter, je pense que j’ai les bonnes références pour me considérer comme ça. D’ailleurs, à travers les années, j’ai eu beaucoup de retombées de la NBA quand j’ai fait des blogs chez eux. J’en ai fait aussi pendant des années pour la FIBA. Donc, j’ai déjà ressenti beaucoup de reconnaissance par la NBA et la FIBA que je considère comme les références mondiales dans ce sport. Donc, si eux me considéraient comme quelqu’un de compétent et bien renseigné, c’était déjà comme un trophée. L’histoire avec la fédé m’a beaucoup touchée car ce sont la plupart des gens bénévoles et altruistes et je me sentais dans ma famille, celle des amoureux du basket prêts à se sacrifier un peu pour leur sport, donner leur temps, leur énergie. Et je me considère comme ça aussi. C’était ma profession, mais ça allait au-delà. Je me suis reconnu dans leur façon de me rendre hommage, chose que je n’attendais pas ni pour l’Académie, qui est le Hall of Fame français, ni pour le Coq d’or. Je suis un pur produit du basket français puisque je n’ai jamais joué aux Etats-Unis en dehors des playgrounds. Je n’ai jamais été dans les équipes de lycée et de l’université de mes écoles. C’est en arrivant en France où pour la première fois, on a reconnu mon talent. On m’a donné une place en première division d’entrée de jeu, moi qui n’avais jamais joué dans un basket organisé de ma vie. C’est la France qui m’a formé et qui m’a permis de faire tout ce que j’ai pu faire dans ma carrière de joueur, coach, dirigeant et ensuite journaliste. À la limite, c’est beaucoup plus important pour moi d’être reconnu par le basket français que par le basket américain.
Y a-t-il beaucoup de gens qui viennent vous voir aujourd’hui en vous disant : j’ai découvert et aimé la NBA grâce à vous ?
Tous les jours et parfois plusieurs fois par jour. « Vous avez bercé mon enfance », « bravo pour les nuits blanches que nous avons passé à regarder les finales de Jordan ». Tous ces commentaires-là me vont droit au cœur. Et même si je les ai entendus des milliers de fois, je suis toujours aussi content de l’entendre, et de me rendre compte que même 20 ou 30 ans après, il y a des gens qui gardent ça comme un souvenir précieux de leur enfance ou de leur adolescence. J’ai dû faire cinq générations de basketteurs en 38 ans de carrière.
« Il fallait tout faire découvrir au nouveau public de Canal+ car il ne savait pas comment se déroulait le championnat, les règles n’étaient pas les mêmes, il ne connaissait absolument pas les vedettes de l’époque »
À partir de quand avez-vous maîtrisé suffisamment bien le français pour créer des expressions comme « Dunkorama », ou « Jordanesque », qui sont entrées au patrimoine du basket français ?
J’ai toujours aimé les jeux de mots même en anglais, et j’en faisais un peu en langage parlé, en français, avec mes potes. Assez tôt, j’ai utilisé des expressions américaines car j’ai senti que c’était authentique de les importer en France. Ça montrait que je connaissais le jargon de là-bas et que je pouvais le transmettre au public français. Ça faisait quelque part des mini-cours d’anglais pour ceux qui aimaient regarder le basket sur Canal+. Je pense que très tôt dans mes commentaires, il y a eu « coast to coast ». « Slam Dunk », ça a mis un peu de temps car pendant les premières années, on disait encore « smash » et aprèsn c’est le mot « dunk » qui l’a remplacé. « Money time » est venu très vite en devenant populaire dans tous les sports en France. J’en suis ravi. C’est même marqué sur Wikipedia que c’est moi qui soi-disant a introduit le terme en français. Je ne sais pas si c’est vrai !
Ce que l’on peut dire, c’est qu’à votre arrivée en France, il y a 45 ans, les termes américains n’existaient pas dans le basket français, y compris de haut niveau…
…Comme la NBA n’existait pas du tout ! À part le bouquin de Thierry Bretagne et Jean-Jacques Maléval (NDLR : Ce Fabuleux Basket Américain paru en 1972), qui était quand même réservé à quelques archi aficionados, qui n’étaient pas très nombreux. Quand Canal commence la NBA en 1985, personne ne la connaît à part des joueurs comme Vincent Collet qui s’est passionné pour tous les baskets très jeune. Avoir une connaissance de la NBA était à l’époque une chose rare, même pour les vedettes françaises. Ça faisait très peu de candidats pour commenter les matches, et c’est pour ça que (Charles) Biétry (NDLR : le chef des sports de Canal+) m’a pris.
À l’époque, vous étiez au Racing Paris, ce qui vous a permis de faire les deux : consultant pour la NBA et joueur ?
Oui. On jouait avec le Racing la montée en première division. C’était l’arrivée de la ligne à trois-points et (André) Buffière m’avait recruté pour ça. À la fin des matches allers, j’étais le meilleur marqueur du championnat derrière les Américains et on était invaincus grâce à la ligne à trois-points (NDLR : celle-ci est apparue après les JO de Los Angeles en 1984). C’était évidemment une année phare à tous points de vue. Le fait que j’habite à Paris, c’était parfait. Le fait que je me suis abonné très tôt à Canal quand j’ai vu qu’ils allaient faire des programmes différents et notamment des sports américains. Trois semaines avant le début des programmes, je regardais la mire ! Je les attendais impatiemment. Et j’ai vu dans la documentation qu’ils allaient faire la NBA et ça a fait tilt dans ma tête. Je me suis dit très vite « qui va commenter ça ? » Si ce n’est pas Bill Sweek ou George Fisher, qui va le faire ? Ça m’étonnerait qu’ils aient le temps de venir à Paris toutes les semaines pour commenter un match NBA. Je me suis dit que je ne voyais pas qui serait plus expert que moi sur le sujet vu que depuis l’âge de huit ans, je m’imprégnais de tout ce qui était la NBA. Lorsque j’étais en France, je recevais des K7 de mes amis américains. J’avais amené une télé et un magnétoscope américains avec moi. Je regardais des matches avec mes coéquipiers le samedi. NBA et NCAA. Sans le savoir, c’était la meilleure préparation pour mon travail à Canal. J’avais la connaissance du sujet et comme pour la terminologie dont vous avez parlé, il fallait tout faire découvrir au nouveau public de Canal+ car il ne savait pas comment se déroulait le championnat, les règles n’étaient pas les mêmes, il ne connaissait absolument pas les vedettes de l’époque. J’avais à tout faire découvrir à un nouveau public et j’étais ravi de pouvoir le faire.
« Le « Nulle Part Ailleurs » avec Jordan, c’est un peu le sommet de ce que l’on a pu faire »
Une question que l’on a du souvent vous posez : quel est le match, l’interview, le moment le plus marquant de votre carrière ?
Le « Nulle Part Ailleurs » avec Jordan, c’est un peu le sommet de ce que l’on a pu faire. C’était une exclusivité pour Canal. On a fait la meilleure audience de la saison de « Nulle Part Ailleurs », qui était présenté par Guillaume Durant à l’époque. Il m’a demandé d’être co-interviewer durant toute la présence en plateau de Jordan. C’était une consécration pour moi et pour la NBA sur Canal, pour la NBA en France, à travers le tournoi McDonald’s qui faisait le plein à Bercy. On avait déjà fait à ce moment-là cinq titres avec Jordan en direct en le couvrant au jour le jour pendant les finales, en l’interviewant. Mais ce que j’ai vécu avec lui en 1990 à Géo-André (NDLR : pour sa deuxième venue en France après 1985) a été autant sinon plus importante dans ma carrière car là j’ai pu entrer dans l’intimité d’une star mondiale pendant les quelques jours où j’ai été le traducteur, animateur de la journée. J’ai fait aussi une grosse interview de lui. 1990, c’est un peu le début de tout le phénomène. Et 1997, c’est un peu le haut de la montagne, le pinacle pour toute l’aventure depuis 1985 sur Canal, la montée en puissance du basket et la montée du basket. Ça a continué après, mais c’était différent. On a surfé sur le succès que l’on a eu dans les années 90 avec la période Tony Parker qui a duré quinze bonnes années. Et après, c’est LeBron, Stephen Curry, Giannis Antetokounmpo et Joël Embiid.
En plus d’être journaliste, vous avez été joueur, entraîneur, speaker/animateur, vous avez fait des doublages au cinéma, vous avez été ambassadeur d’un site de paris sportifs. C’est une trajectoire rêvée ?
J’ai été aussi directeur de la communication du PSG basket la première année. Lorsque Charles Biétry a pris le club en mains, il m’a laissé faire le speaker, mais comme je commentais le championnat de France, il voulait que je reste assez neutre. Il ne trouvait pas normal qu’un directeur de com’ d’un club commente les matches en même temps. Il y a même Mister (Michel) Gomez qui a dit quand on est venu commenter un match de Pau : « Ah ! Les espions du PSG sont arrivés ! » Et j’ai même failli devenir président du PSG Basket un après-midi quand Biétry est parti. Michel Denisot me l’a proposé. Mais, à la fin de l’après-midi, les actionnaires ont décidé de vendre le club à Louis Nicollin. C’était la période la chute d’Internet et de Vivendi, au début des années 2000. Canal était en grande difficulté et a failli disparaître à cette époque-là. Et donc il n’y avait pas beaucoup d’argent à mettre sur le basket. Je ne pense pas que j’aurais été heureux dans ce rôle de président à gérer la baisse de budget et des ambitions. A la limite, heureusement que je n’ai pas eu la place.
Hormis journaliste, quelles sont les autres activités qui vont ont le plus intéressé ?
Je suis très curieux de nature donc découvrir d’autres milieux m’a intéressé. J’ai fait aussi beaucoup de voix de publicité. J’ai doublé les K7 sur Fox Vidéo sur Jordan et la NBA pendant des années. Pécuniairement, c’était évidemment intéressant. Comme j’étais un peu le représentant de la NBA sur Canal, on venait vers moi pour me proposer des choses dès que ça touchait à la NBA. À chaque fois qu’un joueur NBA venait en France, j’étais impliqué avec Nike d’une manière ou d’une autre souvent comme présentateur des matches. Tout m’intéressait. J’ai écrit six livres. J’ai participé à créer les magazines Newsport et Cinq Majeur. J’ai été dans le journal Le Sport qui a voulu concurrencer L’Equipe. Ça n’a duré qu’un an (1987-88). Tout ça m’a permis de découvrir d’autres milieux, d’autres métiers, même si tout était lié au basket, de m’épanouir. Ça mettait un peu de beurre dans les épinards et aussi du sel dans ma vie car je n’étais pas qu’une machine à commenter des matches. J’ai été aussi joueur pendant mes sept premières années à Canal. J’ai été quatre ans entraîneur-joueur en 3e et 2e division au Vésinet en parallèle de tout ce que je faisais à Canal : basket, foot américain, parfois athlétisme, golf.
Vous avez été aussi entraîneur du Racing Paris en première division ?
Pendant six mois, durant les matches allers, durant la saison 86-87. On est 4e et ils me virent à Noël pour mettre (André) Buffière à ma place. Et lui finit 4e à la fin de la saison. Donc, je pense que notre place était 4e (rires) !
Ça ne vous a pas donné envie de faire une carrière de coach complète ?
En fait, ça ne m’a donné qu’une envie : ne plus faire ce métier-là ! J’avais trente ans, j’avais arrêté de jouer trop tôt. Je ne pense pas que j’étais mauvais même si je manquais d’expérience. J’avais quand même Jean-Michel Sénégal, Hervé Dubuisson, Patrick Cham à gérer, qui m’ont appris plein de choses avec leur expérience. Le problème du coach, c’est que même quand tu gagnes, ceux qui jouent moins ne sont pas contents, leurs agents, leurs femmes ne sont pas contentes. On refait le managérat au cocktail d’après-match. Je n’ai trouvé ni plaisir, ni satisfaction et j’avoue que lorsqu’ils m’ont viré, j’étais presque soulagé. Grâce à Alain Weisz à Chatou, j’ai repris un rôle de joueur et donc par la suite, j’ai fait quatre ans au Vésinet comme entraîneur-joueur et c’était très bien. Le job de coach dépend trop de la chance et du résultat. Un ballon qui tourne autour du cercle et qui ressort, tu perds d’un point, et ça peut te coûter ta place, même si tu as été très professionnel et que tu as bien fait ton boulot. Tu peux te faire virer injustement et souvent c’est le cas. C’est toujours le coach qui paye les pots cassés car c’est plus facile de changer un coach que dix joueurs. Je me suis dirigé vers les commentaires et le journalisme car là, si tu fais ton boulot, ce n’est pas le résultat qui décide de la suite de ta carrière.
Deuxième partie à découvrir demain, mardi
.
.
[armelse]
Finalement, vous n’êtes pas à la retraite. Vous prolongez votre activité ?
Tout le monde a confondu le fait que Canal+ n’avait plus de droits pour la France et la fin de ma carrière alors que je compte faire encore un an ou deux sur Canal+ Afrique. Mais, c’est vrai, le public français ne me verra plus sauf changement de situation. En fait, après mon infarctus, j’étais prêt de rendre les armes et de m’occuper de ma vie et de ma santé, mais comme je me sens beaucoup mieux dix-sept mois après, je n’ai pas envie d’arrêter. Ce n’est pas parce que j’ai besoin d’argent, c’est plutôt pour m’occuper, je m’amuse dans mon travail.
Vous avez été élu à l’Académie du basket et vous avez reçu lors de l’assemblée générale de la FFBB, à Ajaccio, le Coq d’or de la fédération. C’est quelque chose qui vous a ému ?
Oui, énormément.
Vous êtes reconnu dans le basket comme la Voix de l’Amérique. C’est important d’être considéré aussi comme un spécialiste du basket français et européen ?
Et mondial ! J’espère être un peu un historien de tous les baskets : NBA, américain, français, international. Vu toutes les grandes compétitions que j’ai eu la chance de commenter, je pense que j’ai les bonnes références pour me considérer comme ça. D’ailleurs, à travers les années, j’ai eu beaucoup de retombées de la NBA quand j’ai fait des blogs chez eux. J’en ai fait aussi pendant des années pour la FIBA. Donc, j’ai déjà ressenti beaucoup de reconnaissance par la NBA et la FIBA que je considère comme les références mondiales dans ce sport. Donc, si eux me considéraient comme quelqu’un de compétent et bien renseigné, c’était déjà comme un trophée. L’histoire avec la fédé m’a beaucoup touchée car…
[/arm_restrict_content]
[arm_restrict_content plan= »unregistered, » type= »show »][arm_setup id= »2″ hide_title= »true »][/arm_restrict_content]
Photo d’ouverture : Le « Nulle Part Ailleurs » avec Michael Jordan (Canal+)