Un temps marquées par l’indifférence, les relations entre Antillais et Métropolitains se sont transformées en histoire d’amour. De Jacques Cachemire à Kévin Séraphin, en passant par Jim Bilba, les joueurs venus des mers chaudes ont illuminé le basket français.
Savaient-ils les Normands d’Elisabethville qu’ils assistaient en ce 12 août 1960 à l’élaboration d’un premier véritable trait d’union entre la France et l’une de ses perles des Antilles, la Guadeloupe ? Probablement pas. D’ailleurs la frêle goélette antillaise se fracassa contre le paquebot France qui voguait alors vers les Jeux de Rome, 41 à 124.
La Guadeloupe, la Martinique, deux îles, et la Guyane plantée en Amérique du Sud, furent initialement des territoires marqués au fer rouge par les guerres des empires coloniaux européens et l’esclavage. Ce sont aujourd’hui trois départements d’Outre-Mer. Les populations sont restreintes (405 739 à l’actif de la Guadeloupe, 386 486 pour la Martinique et 250 377 pour la Guyane), le nombre de licenciés au basket tout autant (6 377 pour les trois départements sur 641 367 au total), mais leur impact est considérable. Que serait, que vaudrait, l’équipe nationale sans ses forces antillaises et plus crûment sans son or noir ?
« Dans le basket on aimait beaucoup les Noirs, les Harlem étaient symboles d’étoiles, de spectacle, Tatum était une vedette. »
Maurice Boulois et Alain Schol à l’Euro de 1965
Longtemps la 1ère division française fut réfractaire aux basketteurs noirs. Par racisme comme aux Etats-Unis où existait une ségrégation ? Plutôt par ignorance, par volonté d’utiliser dans l’équipe des joueurs du cru. Ainsi l’équipe d’Auboué, l’une des meilleures qui soit, était constituée à l’amorce des années soixante de 11 joueurs natifs de la ville et les 4 autres n’étaient pas nés bien loin. « S’il y avait du racisme, ce n’était pas dit, c’était diffus. Les insultes racistes ont toujours existé, genre « remonte sur ton arbre » mais il n’y avait pas de débat sur ça. Au contraire, dans le basket on aimait beaucoup les Noirs, les Harlem étaient symboles d’étoiles, de spectacle, Tatum était une vedette » rapporte l’historien Gérard Bosc. « Je n’ai pas souffert de racisme » confirme le premier international antillais, Max-Joseph Noël, qui répondait au sobriquet de « Blanchette », un surnom plus bête que méchant donné communément aux footballeurs de couleur sombre. « Il y a des gens de ma génération qui avaient un complexe d’infériorité vis à vis des Blancs, mais on s’est aperçu que les Blancs ne sont pas meilleurs que nous » rigole t-il. « Nous, les Antillais, sommes très satiriques. Comme pour tous les gens qui ont été esclaves, c’est une façon de résister au mauvais sort en souriant. »
Il y a un demi-siècle, les visages étaient donc pâles avec quelques exceptions notables comme les Américains Henry Fields, Frank Jackson, Len Green, ou encore Roger Correa, né à Dakar, les internationaux Roger Antoine, né à Bamako au Mali, et Jacques Owen, un pur Parisien.
Max Mamie, qui se dirigea vers l’arbitrage, fut l’une des premières figures antillaises du basket français. Max Joseph-Noël eut donc le privilège d’être aussi un pionnier, le premier Antillais à être sélectionné en équipe de France, suivi de près par Maurice Boulois et Alain Schol. Ces deux-là furent repérés par René Lavergne qui avait été envoyé sous les tropiques par la fédération pour y tenir des conférences. « Il avait vu là-bas des joueurs intéressants et il les avait proposés à des clubs notamment à l’Espérance de Toulouse », confirme Gérard Bosc. Boulois porta notamment le maillot de la Chorale de Roanne, entraîna pas mal d’équipes du Sud-Ouest de la France, et fonda, il y a une trentaine d’années, un camp pour jeunes basketteurs à Lectoure. Maurice Boulois et Alain Schol disputèrent l’Euro de 1965 et Schol récidiva en 67. Alain Schol, 2,04m, se distingua en étant un SDF de la 1ère division pour toucher quelques francs sous le manteau. « Il vendait sa taille » sourit Gérard Bosc qui l’a eu comme joueur quand il coachait Caen. « A mon avis, c’était le plus doué de tous, très adroit, délié, un peu comme Nicolas Batum », juge Max Joseph-Noël. « Il jouait pivot ou poste mais il aurait pu jouer ailier sans problème. Comme Batum on avait l’impression qu’il dormait sur le terrain, et tout d’un coup il plantait un ou deux paniers et il avait un double pas ravageur. »
« Nous sommes tous des enfants de nègres plus ou moins métissés donc d’origine plus ou moins modestes »
Jacques Cachemire, la première star
Que représentait au milieu du XXe siècle la France métropolitaine pour un Antillais ? « C’était la mère patrie, une autre planète, lointaine, mais qui nous intéressait tous, particulièrement nous qui étions étudiants avec la perspective d’y faire des études » témoigne Max Joseph-Noël. « Nous sommes tous des enfants de nègres plus ou moins métissés donc d’origine plus ou moins modestes. Je donne mon exemple : j’étais le 6e enfant d’une famille de 8. Avec mes parents, cela faisait 10 personnes à table. On n’était pas malheureux mais il n’y avait pas de superflu ou alors mes parents faisaient des sacrifices pour nous envoyer au bal. La métropole c’était la possibilité d’améliorer la situation. Les deux filières, c’était les études ou s’engager dans l’armée. »
Le basket n’en était pas encore une, une filière. La vocation et la venue en métropole de quantité d’Antillais, de toutes générations, furent très souvent de purs et heureux hasards. Jacques Cachemire était un super athlète – 51 secondes au 400 m, 1,90 m au saut en hauteur et surtout un saut tout juste mordu à 7 m, pour s’amuser – mais il avait un jump shot totalement désaxé quand il quitta sa chère Guadeloupe. Il signa à l’ASPTT Rouen, section athlétisme. C’est un pote qui le décida à s’orienter ensuite vers le basket. Il passa par l’AL Montivilliers alors en Nationale 2 et son entraineur était un certain André Collet ; Jacques faisait parfois sauter sur ses genoux son fils de 4 ans, Vincent. Le Guadeloupéen pris son essor sous le management d’André Buffière au SA Lyon et connu ses plus belles années à l’Olympique d’Antibes. Quel shooteur ! Son fouetté du poignet était magnifique. Cachou fut la première star antillaise du basket-ball et Patrick Cham, 58 ans aujourd’hui, alors au fin fond de la Guadeloupe, se souvient d’avoir entendu son nom à la radio et aperçu furtivement quelques images de lui alors qu’il était ado.
Dans les années 70, quelques Antillais vinrent se frotter à la Nationale 1, l’actuel Pro A, Georges Ithany au Stade Français, Léon Eugène à Orthez, et la paire Saint-Ange Vébobe/Victor Boistol à Vichy. « A l’époque, il existait un championnat des régions, j’avais vingt ans, je faisais partie de l’encadrement de la sélection de la Martinique, nous sommes venus à Vichy. Les dirigeants du club me connaissaient par Saint-Ange Vébobe, arrivé un an auparavant en France, et qui leur avait parlé de moi. Ils m’ont fait des propositions et je suis resté », nous disait il y a quelques années Victor Boistol. C’est la réussite de Vébobe et Boistol à la JAV qui inspira le président de Cholet Basket Michel Léger et qui est ainsi à la source de la filière antillaise au club des Mauges.
Quitter son île, le soleil, la mer, la douceur des Alizées, c’est forcément un crève-cœur. Mais les Antillais sont ambitieux. C’est Georges Ithany, alors en vacances, qui découvre à St. Claude un jeune gars de 17 ans doué et bien bâti, Patrick Cham. « C’est comme ça que le recrutement se faisait. Quelqu’un qui était dans le circuit te voyait et te faisait une proposition. La détection n’était pas organisée même si une filière se mettait en place. Deux jeunes Antillais étaient déjà partis au Stade Français un an avant moi. Quand on aime quelque chose, on veut aller où c’est le mieux possible », explique Cham qui, mineur, eut comme tuteur à son arrivée le président du club David Azar. « J’ai eu un choc culturel mais pas au niveau du basket car j’avais de grosses qualités physiques et ça m’a permis tout de suite de faire partie des meilleurs jeunes Français et de m’entraîner avec les pros. » Patrick Cham, 1,95 m, était ce que l’on appelait un ailier bondissant. La preuve ? Sous le maillot bleu, il fit équipe à l’intérieur avec Richard Dacoury, même taille, lors de l’Euro de 1981. Les deux Blacks, tels des ventilateurs, firent souffler un vent orageux dans la peinture et quantité de ballons furent déviés de leur trajectoire. Bien entendu, à la longue, force resta au big men.
Encore un exemple de hasard qui a bien fait les choses, celui de Georges Vestris, un pivot de 2,13 m, qui avec ses parents se rendit à ses 15 ans en métropole pour rendre visite à ses sœurs. L’une habitait Tours et son mari jouait au Football Club de Tours en deuxième division. Elle fréquentait aussi les Américains de l’ASPO, LC Bowen, Ray Reynolds et DeWitt Menyard. Un soir elle emmena son frère à un entrainement. « J’ai crû qu’il était Américain », dira quelque temps plus tard Pierre Dao alors coach. « Les dirigeants de Tours m’ont mis le grappin dessus », confirma Vestris. Merci la Providence.
« La première année, c’est toujours difficile sans les parents, on ne connaît personne, il fait froid. »
Succès et échecs
Un prof de gym d’Oloron, Jean Cotellon, joua un rôle décisif dans les années quatre-vingt dans l’édification d’une passerelle entre les Antilles et la Guadeloupe. C’est Cotellon qui incita Félix Courtinard, une force de la nature (2,05 m, 107 kg) à s’essayer au basket. C’est lui aussi qui effectua les démarches pour que Jim Bilba franchisse l’Atlantique. Georges Bengaber, le premier entraineur de Bilba à Ban-E-Lot, l’un des sept clubs de Pointe-à-Pitre, nous avait indiqué que l’agent Cottelon était peu apprécié en Guadeloupe et nous avait conté sa rencontre avec celui qui allait devenir l’une des plus belles réussites du basket français. « Jim est venu dans notre club à l’âge de 16 ans et il avait d’énormes qualités physiques. Mais surtout il ne rechignait pas à la tâche. C’est pour ça qu’il restait avec moi après les entrainements ou qu’il allait à l’école de perfectionnement du CTR au Hall des Sports. Il fallait même lui dire d’arrêter, de se reposer. Et encore… »
C’est sur les conseils de son demi-frère Rony Coco, qui jouait alors dans le Béarn, que Florent Piétrus pris la décision de rejoindre le centre de formation de Pau. Comme beaucoup d’Antillais, il connut le blues à son arrivée. « Au début, je me suis senti seul » rapportait-il. « La première année, c’est toujours difficile sans les parents, on ne connaît personne, il fait froid. Après, on s’habitue. J’ai demandé à Mickaël de venir me rejoindre et ça a tout changé. » Le cadet, qui songeait à arrêter le basket, en a été aussi galvanisé. « Florent m’a incité à continuer », confirmait-il à l’époque. « Il connaît plus de choses et de personnes pour être arrivé plus tôt que moi à Pau et ça m’aide un peu. Je retiens aussi tous ses conseils. »
Deux Guadeloupéens, deux big men, vont foirer leur carrière si l’on songe à leur formidable potentiel, Rudy Bourgarel et Jérôme Moiso. Après un lancement en France, les deux ont comme dénominateur commun d’avoir choisi une formation en NCAA.
Rudy Bourgarel, le père de l’actuel pivot des Utah Jazz Rudy Gobert, qui lui ressemble physiquement comme deux palmiers antillais, était promis à la draft 89. Dans les prédictions des revues américaines on le trouvait au milieu de pivots cotés comme le Yougoslave Vlade Divac, Gary Leonard de Missouri et encore Mitch McMullen de San Diego State. Sous la tunique du Marist College, Bourgarel avait compilé 10,7 points, 6,8 rebonds et 1,5 contres lors de son année de junior (3e année). Rudy faisait alors équipe avec le Néerlandais Rik Smits qui s’illustra ensuite aux Indiana Pacers. Ce fut son apogée. Le Guadeloupéen fut expédié manu militari en France soit-disant pour satisfaire ses obligations militaires et le Racing Paris lui fit signer un contrat. « C’est pour ça que l’an dernier, j’avais vraiment l’impression de perdre mon temps en France », racontait Bourgarel quelques mois plus tard. « Parce que j’étais là contre mon gré. Parce qu’en fait, on ne le savait sans doute pas, j’étais libéré par l’armée, dispensé quoi, mais des gens ici, dont je ne dirai pas le nom, ont agi pour me retenir à Paris. Alors, oui, avec tout ça, j’avais la tête aux Etats-Unis. » Rudy Bourgarel ne vit jamais à quoi ressemblait la NBA, il en perdit son basket et sa vie personnelle tourna au vinaigre.
Quant à Jérôme Moiso, s’il affiche 145 matches NBA au compteur, il laisse une incroyable impression d’inachevé.
Inefficace le choix d’un Antillais d’opter pour les Etats-Unis ? N’allons pas si vite en besogne. Ronny Turiaf fut le leader de l’université de Gonzaga et à sa sortie il a prolongé le rêve américain en NBA. Si nombre d’Antillais sont tentés par l’aventure américaine, il reste que la venue en métropole demeure l’axe prioritaire pour les enfants des îles. Le centre de formation de Cholet pourrait s’implanter à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France ou Cayenne. Mike Gelabale, Rodrigue Beaubois et Kévin Séraphin sont les dernières perles des Antilles à avoir été polies à CB. La paire Jeff Martin, comme coach recruteur, Jacques Catel, le directeur du centre, font un job cinq étoiles. « Il y a un potentiel » affirme Steeve Essart, un autre produit du centre, quand on lui demande d’évoquer la Guyane, qui paraît un peu en retrait des deux autres départements d’Outre-Mer. « Ce qu’il faut apprendre aux jeunes, c’est qu’avant de réussir il y a la notion de sacrifice. Ce dont il faut avoir conscience aussi c’est qu’il y a deux fois moins d’habitants en Guyane qu’en Martinique et en Guadeloupe. Il faut progresser. Et quand les jeunes voient Kévin Séraphin en NBA, ils s’imaginent à sa place. J’espère qu’ils se donneront à fond pour augmenter le nombre de Guyanais en pro. »
« Le pourcentage de Guadeloupéens qui restent en métropole est plus important que ceux qui reviennent, à cause en premier de l’étroitesse du marché du travail.
Retour aux sources
Jacques Cachemire revenait régulièrement en Guadeloupe durant la période estivale et y prêchait la bonne parole. Patrick Cham a suivi son exemple. « Il existe un terrain place de la Victoire à Pointe-à-Pitre où tous les basketteurs se rencontraient le dimanche matin, à partir de 7h. On côtoyait tout le monde, ceux qui jouaient dans des divisions inférieures. Ça existe encore, on y organise des tournois de vacances », explique Patrick Cham. Jim Bilba a pris le relais. Et puis Mike Pietrus qui, sur le terrain du nouveau palais des sports du Gosier, anime l’été un camp qui porte son nom. Mike Gelabale a organisé le Gelabale Slam ouvert aux garçons comme aux filles. Avec Boris Elisabeth-Mesnager, et l’organisation Passion en Action, Ronny Turiaf a mis sur pieds deux all-stars games à Rivière Salée et Fort-de-France. Steeve Essart a conservé des liens très forts avec la Guyane, « mon cœur me dit de retourner là-bas car mes enfants y sont et j’aimerais me rapprocher d’eux. Quand j’ai vu Sacha Giffa qui a son BE2, je me suis dit que je pourrais moi aussi rester dans le milieu où j’ai toujours été, que j’ai toujours aimé, pour encadrer des jeunes. »
Le Martiniquais Félix Courtinard s’est installé en Guadeloupe. Il y a une quinzaine d’années il avait monté une entreprise de rôtisserie ambulante de poulets. Il est aujourd’hui président du club des Phoenix à Petit Bourg. Georges Vestris s’occupe aussi d’un club, en Martinique. Tout comme Saint-Ange Vebobe, Conseiller d’Animation Sportive sur l’île, qui est sur Saint-Joseph. Jean-Philippe Méthélie est lui au pole Outre-Mer réservé aux jeunes de 15-18 ans pas encore assez mûrs pour intégrer les centres de formation de Pro A. Après 26 ans passés en métropole, Patrick Cham est revenu en Guadeloupe. Il est CTS auprès de la Ligue de basket. Il souhaite impliquer davantage Jacques Cachemire afin qu’il serve de référence aux jeunes. « Le pourcentage de Guadeloupéens qui restent en métropole est plus important que ceux qui reviennent, à cause en premier de l’étroitesse du marché du travail. Il y a pourtant un besoin énorme de ces experts pour nous emmener au haut niveau. Ce retour ne peut se faire que par les collectivités car les associations n’ont pas les moyens, seules de faire venir des anciens joueurs pour entrainer. »
En attendant, les jeunes Antillais peuvent être fiers des glorieux anciens. Ils ont contribué largement à l’Histoire de France du basket-ball.
Article paru dans Maxi-Basket en 2011, revu en 2017 pour Basket Europe.
A suivre : Max Joseph Noël, le premier international antillais
Photo: Florent Pietrus (FFBB)