Il y a vingt-cinq ans la NBA partait à la conquête du monde en constituant la meilleure équipe de tous les temps pour les Jeux Olympiques de Barcelone. Plus jamais on ne verra ça.
Replaçons nous dans le contexte de l’époque. Hyper puissance du basket mondial jusque là, les Etats-Unis sont attaqués sur tous les fronts. Leurs universitaires ne font subitement plus le poids : défaite aux Jeux Panaméricains de 1987, aux Jeux Olympiques de Séoul l’année suivante, au Mondial argentin de 1990. La FIBA vient enfin de leur octroyer la possibilité d’appeler en renfort leurs joueurs de NBA dans les compétitions internationales, de laver ces affronts, de prouver qu’ils sont bien les number one.
La mythologie américaine a toujours existé mais elle s’est développée considérablement avec la diffusion des images télé, le commerce des baskets boosté par Nike, la forte personnalité de joueurs d’exception, Michael Jordan, Magic Johnson et Larry Bird. Un an plutôt lors de sa venue à Paris, Jordan a créé une véritable émeute. En France, chaque magazine de basket vend 50, 60, 80, 100 000 exemplaires par mois. Un phénomène sinon de société, du moins de mode.
Le staff de la NBA aussi a passé la surmultiplié et son commissionner, David Stern, a compris que le marché était désormais global. Les grands manitous de la ligue ont une idée de génie : regrouper les 11 (plus un universitaire, Chris Laettner) meilleurs joueurs sous le label « équipe de rêve ». Tous acceptent, y compris Jordan qui est plus que jamais valorisé par Nike avec notamment une gigantesque pub sur la façade d’un immeuble de Barcelone. Quant à Magic Johnson, il a stupéfait le monde en annonçant sa séropositivité quelques mois plutôt et en gagnant pour son retour le titre de MVP du All-Star Game. Jordan se met même un peu en retrait à Barcelone pour lui laisser le leadership médiatique. Une photo prise au All-Star Game par l’hebdo Sports Illustrated réunissant sous le maillot étoilé Jordan, Magic, Charles Barkley, Karl Malone et Pat Ewing fait le tour du Monde et sert de formidable teasing. Le concept Dream Team est aussi un big business avec des retombées estimées en amont à 30 millions de dollars mais qui sont en fait… inestimables.
Arturas Karnishovas photographe
Lors de la cérémonie d’ouverture au stade olympique, les caméras du monde entier s’arrêtent sur un sourire qui se détache de la nuée d’athlètes sur la pelouse, celui de Magic. Du jamais vu : les sportifs des autres disciplines l’approchent, veulent se faire photographier avec le meneur des Lakers. Un exemple parmi d’autres, les tennismen français Guy Forget et Henri Leconte sortent leur caméscope pour immortaliser l’irrationnel, les pros de la NBA aux Jeux Olympiques.[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »] « Mon rêve c’est de voir jouer la Dream Team », annonce le hurdler Philippe Tourret. « C’est exceptionnel de voir les autres athlètes venir assister à nos entrainements, nous demander des autographes et faire des photos de nous. Je ne peux pas le croire », s’étonne Magic.
Plus incroyable encore, les propres adversaires des Dreamteamers sont hypnotisés par les extraterrestres. Déjà lors du tournoi préolympique à Portland, l’Argentin Marcelo Milanesio a déclaré : « quand on s’est retrouvé au milieu du terrain, j’étais comme un fou de le voir, lui, Magic Johnson, en train de me serrer la main. » Le Brésilien Paulinho parle aussi de « rêve » et d’ « entrainement de luxe » le fait d’affronter les Américains. Barkley envoie un méchant coup de coude à l’Angolais Herlander Coimbra mais le coach Victorino en rigole, « c’est normal, c’est Barkley. Il fait ça toute l’année en NBA. On s’y attendait. No problem. » Roi de la provoc’, Sir Charles ajoute : « vous avez raison, j’ai eu tort, celui-là n’avait pas dû manger depuis 15 jours. La prochaine fois, j’en choisirai un plus gros… ! » Cette remarque plus bête que méchante aurait pu provoquer un incident diplomatique mais les Dreamteamers sont intouchables. Tout le monde se marre. Les acteurs sont les premiers supporters de l’équipe américaine au point qu’en demi-finale le Lituanien Arturas Karnishovas sort son instamatic pour faire des photos du match le long de la ligne de touche ! « Jouer contre eux signifiait tant pour moi… C’était mon rêve… Ils sont mes héros… C’était comme un show… »
Platini subjugué
En 1992, ils ne sont encore qu’une poignée d’Européens à avoir rejoint les rangs de la NBA et pour les autres c’est comme lorsqu’une équipe de Division d’Honneur de foot rencontre l’OM ou le PSG en Coupe de France. Même Tony Kukoc, joyau de l’Europe, est nerveux alors qu’il s’apprête à rejoindre les Chicago Bulls. Il faut dire que Scottie Pippen n’apprécie pas que le GM Jerry Krause lui offre un contrat supérieur au sien et il annonce au préalable à ses équipiers quels supplices il va faire subir au Croate. Dunks, no look pass, puissance, vitesse, agilité, personne ne résiste au tsunami américain (+43,7 pts d’écart en moyenne) et la Croatie se félicite d’en prendre seulement 32 en finale. « Nous sommes des hommes heureux » sourie Drazen Petrovic. « Aucun d’entre nous n’est capable de jouer comme eux » ajoute Dino Radja. Quel mental ! De toute façon, le coach brésilien avait prévenu « pour que l’on gagne… il faudrait que le chauffeur de bus s’égare. » Dans sa chronique journalière pour USA Today, Barkley envoie un tacle : « l’équipe féminine américaine ferait mieux en face de nous que les Européens. » Il faut dire que l’éclatement de l’URSS et surtout de la Yougoslavie survenu quelques mois auparavant a réduit à néant les forces de l’opposition.
Même Michel Platini, grand amateur de basket, est subjugué : « le match on sait à chaque fois qui va le gagner alors on aimerait qu’il n’y ait pas d’arbitre, seulement du spectacle. Ce qui est quand même assez original dans un sport, surtout à ce niveau de compétition. »
« C’est vrai que les matches des Américains, c’était un peu un All-Star Game… mais avec une seule équipe » résumera le journaliste francophile de Sports Illustrated Alex Wolff qui comme beaucoup de spécialistes s’ennuiera bien vite en constatant l’ampleur des dégâts.
Les deux poings de Barkley
La Dream Team n’est pas logé au Village Olympique avec les autres athlètes mais dans le centre-ville, à l’hôtel Ambassador. La NBA a réservé tout l’hôtel, soit 90 chambres à 900$ la nuitée. A l’entrée il faut montrer patte blanche et à chaque étage des gardes armées assurent en permanence la sécurité. Ce traitement de faveur n’est pas forcément apprécié par les autres membres de la délégation olympique américaine, ce à quoi John Stockton réplique : « ce n’est pas un problème de privilège, de riches ou de pauvres. C’est simplement que nous sommes… les Beatles américains. » Et pas quatre Beatles. Douze.
Quand la délégation sort de son bunker, elle est accompagnée d’un véhicule blindé, de motards sirènes hurlantes et répartie en trois bus : le premier est réservé aux femmes et enfants des joueurs, le deuxième au staff de la NBA et le troisième aux joueurs eux-mêmes. Exagéré ? Un peu lourdingue ? Forcément comme tout ce qui est sécurité made-in-USA. Seulement lorsque Magic et sa femme Cookie décident d’emmener Earvin junior en promenade dans sa poussette, c’est de la pure folie et, bousculés, agrippés, ils sont à même d’être piétinés par les fans ! L’escapade ne dure que quelques centaines de mètres et il n’y aura pas d’autres tentatives. Charles Barkley, lui, ne se laisse pas intimider par cet univers impitoyable et multiplie les virées nocturnes bien arrosées sur Las Ramblas. « Moi, j’ai ma propre sécurité, mes deux poings » frime t-il.
« Ce qui se passe aux JO est plus incroyable encore que tout ce que j’avais pu imaginer. Je crois qu’en fait personne ne s’attendait vraiment à cet accueil. » Le constat est de Michael Jordan qui pourtant partout où il passe déchaine les passions, alors forcément ça en dit long sur l’impact de la Dream Team aux JO. Pour la première conférence des Dreamteamers, ce sont 1 500 journalistes qui ont pris d’assaut la salle de presse délaissant les autres disciplines. Tout aussi significatif, les lecteurs du quotidien espagnol Sport estiment à 37,7% que la Dream Team est l’étoile des Jeux de Barcelone devant la voile espagnole pourtant grande pourvoyeuse d’or pour le pays hôte, à 9,4% !
Après la finale, Magic Johnson lance une prophétie : « je ne serai plus là d’ici à ce que l’on retrouve une équipe comme ça. » Vrai. Il n’y a qu’une Dream Team. L’originale. Celle de 1992.
Article paru dans Maxi-Basket en 2011
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