Meilleur marqueur du championnat espagnol, Edwin Jackson (1,90m, 27 ans) sort d’une saison extraordinaire sur le plan individuel. Signataire d’un contrat en Chine, l’ancien Villeurbannais est revenu pour Basket Europe sur sa saison, sur l’équipe de France et sur ce qui l’attend en Chine. L’interview est en deux parties (la première est ici) et accessible à nos abonnées Premium (cliquez-ici pour vous abonner).
Pouvez vous maintenant nous parler de votre intersaison ? Avec qui avez-vous été en contact et qu’en est-il du choix que vous avez dû faire entre la Chine, l’Europe et la NBA ?
J’ai performé toute l’année donc forcément il y avait des équipes intéressées mais je n’ai même pas attendu. L’offre chinoise était tellement bonne que j’ai accepté directement. J’ai quelques offres de clubs d’Eurocup, il y a quelques clubs d’Euroleague qui ont dit qu’ils étaient très intéressés et qu’ils formuleraient une offre, mais après j’ai reçu l’offre de la Chine et j’ai tout de suite accepté. Ca représentait trop d’argent pour un court laps de temps et personne n’aurait été capable de me donner ça en Europe, c’est aussi simple que ça.
Suite à l’annonce de votre départ en Chine, il y a eu beaucoup de réactions et vous avez souvent répondu aux gens sur Twitter. Aviez-vous prévu de faire ça ?
Non, j’aime bien « faire réfléchir » et éveiller la curiosité. Sur Twitter, il y a aussi des gens qui prennent les choses trop à cœur mais j’aime bien échanger et avoir le point de vue des gens. De toute façon ça n’influencera pas mes choix, je n’attendais pas de conseils , c’est juste que j’aime bien voir la réaction des gens. Ca me fait rire. Comme quoi, les gens discutaient de mon choix mais Aaron Jackson (ndlr, joueur du CSKA Moscou cette saison) a signé là-bas, Keith Langford – le meilleur marqueur de l’Euroleague – aussi, Luis Scola a fini là-bas et Ioannis Bourousis vient de signer également donc les gens me font bien rire. Les clubs européens sont bien gentils mais à balancer de plus en plus de clopinettes, les joueurs ne vont pas rester en Europe. C’est notre métier avant tout.
« Etre dans une équipe qui ne joue qu’une fois par semaine c’est horrible. »
Quand vous avez accepté l’offre, vous avez appelé Guershon Yabusele pour avoir son ressenti sur comment ça s’est passé là-bas ?
Non, je ne l’ai pas appelé. J’y suis allé un peu tête baissée et j’ai trouvé que c’était aussi une super opportunité pour moi de connaître un autre pays, de voyager, de faire d’autres trucs et surtout de jouer parce que cette année en Europe j’ai fait 30 matchs en 10 mois et je peux vous dire que la saison est longue. Il va falloir trouver une solution parce que revenir le 15 août et jouer que 30 matchs alors qu’en NBA ils arrivent à en jouer 82 entre septembre et juin, c’est plus possible. Etre dans une équipe qui ne joue qu’une fois par semaine c’est horrible.[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »] J’étais là de août à fin mai pour jouer 31 ou 32 matchs, faut pas déconner. On s’entraîne tout le temps, en Europe on ne fait que s’entraîner, on a plus d’entraînements que de matchs. C’est trop, entraînement sur entraînement sur entraînement… Je veux bien mais bon… Surtout que moi je suis l’un des premiers à vouloir m’entraîner mais au bout d’un moment c’est bon… Cette année en Chine j’aurai plus de 40 matchs, avec les playoffs voire 45 en six mois et demi donc c’est vite vu. Je dois être là-bas le 20 septembre et la finale c’est le 10 avril ou quelque chose comme ça.
Vous avez parlé avec l’entraîneur Jonas Kazlauskas avant ou après la signature ?
Je l’ai eu après la signature, il m’a dit qu’il m’avait vu jouer et qu’il pensait que j’étais bien plus complet que ce que les gens pouvaient le penser. Il m’a aussi appelé pour me dire qu’en tant que deuxième arrière avec un style de jeu aussi agressif j’ai développé un bon sens de la passe, que c’est quelque chose qu’il veut travailler avec moi et que même si je suis un scoreur je ne suis pas un joueur qui voulait prendre 50 shoots par match. Eux, ils essayent de gagner le championnat. C’est une équipe qui est plutôt sérieuse dans le développement et qui a l’habitude de jouer les premiers rôles dans le championnat chinois donc, pourquoi pas. Vous savez, les gens disent tout le temps que ce championnat est faible mais si les bons joueurs n’y vont pas c’est sûr que ça restera faible. Pourquoi il n’y aurait pas une bonne ligue là-bas ? J’ai regardé plusieurs matchs de leur ligue, oui c’est spécial parce qu’ils donnent beaucoup la balle aux Américains et ils prennent vachement de shoots etc. C’est différent, c’est plus orienté sur les standards NBA mais si on regarde plus profondément, déjà ce sont des matchs de 48 minutes et non pas 40 comme ici donc forcément il y aura plus de points. Par exemple, Jimmer Fredette marquait plus de 37 points de moyenne mais ça dérange personne qu’en NBA un mec mette 35 points de moyenne. La ligue est a des années lumières du niveau NBA mais ce que je veux dire c’est que le modèle est le même. Il y a beaucoup d’isolations et de shoots. Les joueurs qui sont recrutés gagnent beaucoup d’argent donc, oui, ils prennent beaucoup de shoots, c’est différent du jeu européen mais ça ne veut pas dire que la ligue est nulle. J’ai parlé à plusieurs Américains qui jouent là-bas, ils m’ont dit « ouais on met des cartons mais il faut aller les chercher. Ce n’est pas genre « on arrive en marchant et on met 40 points ». Ils mettent 40 points parce qu’ils jouent bien. C’est un show, je pense que la ligue va se développer et qu’il va y avoir de plus en plus de joueurs qui vont signer là-bas. Ils payent à temps et, par exemple, j’ai gagné un bonus à la signature. Je ne l’ai pas encore touché, mais dès que je termine la campagne avec l’Equipe de France et que je passe les tests médicaux, ils me donnent mon premier chèque. C’est du jamais vu, en Europe tu joues un mois et demi avant qu’on te donne ton premier chèque, on commence à te dire ceci-cela, le jour où tu dois être payé on commence à te dire d’attendre et à te parler de jours ouvrables. Dans le monde du travail normal, ça n’existe pas, tu ne peux pas faire ça. Mais nous, comme on touche des sommes plus importantes, on devrait dire « oh bah c’est pas grave, payez moi quand vous voulez même avec trois mois de retard ». C’est pas une question de montant, c’est une question de principe. On est toujours en train de parler du modèle NBA et des salaires mais là-bas ils ne payent pas leur joueurs en retard et pourtant ils gagnent bien plus que ce qu’on peut gagner en Europe. Si tu viens bosser dans n’importe quel bureau et que le chèque arrive avec deux mois de retard, personne va dire « oh bah c’est pas grave, je suis content ».
« Quand tu as une enveloppe de 500 000 euros pour un joueur, au final en France tu ne peux lui en donner que, je sais pas, 300 000 parce qu’il y a différentes charges ou des avantages en nature à fournir, alors qu’en Espagne ce n’est pas le cas. »
Vous parlez de retards de paies mais ça vous est arrivé en Pro A ?
Non, pas en Pro A mais à l’Estudiantes c’est arrivé, oui. Pas dans le sens où il ne payent pas mais ils sont nonchalants, ils se disent que c’est pas grave s’ils payent le 10 du mois. Ok pas de problème mais si moi j’arrive à tous les entraînements avec 10 minutes de retard, ils vont râler donc pourquoi ils le font ? « Non mais c’est pas pareil… » et bah si c’est pareil. Il a un engagement dans le contrat qui dit que je dois être à l’heure à l’entraînement et que le club doit être à l’heure sur la paie. Tout travail mérite salaire. En plus, ils te mettent des amendes pour un oui ou pour un non. A Malaga, on a perdu quelques matchs qu’on aurait pas dû perdre mais on se plante des fois, ça arrive. Tu te rends compte si en NBA, Carmelo Anthony prenait une amende parce que New York devait avoir une super team et qu’au final ils perdent des matchs et font une saison de merde ? Du jamais vu. Le Panathinaïkos qui fait prendre le bus à ses joueurs pour rentrer d’Istanbul au lieu de l’avion parce qu’ils se sont fait éliminer, bah non. En Europe, il y a trop de clubs qui font ce qu’ils veulent. « Vous jouez pas bien ? Bim, amende. » Pour ça ils sont à l’heure ! Pour te prendre de l’argent, ça par contre il n’y a pas de problème et c’est quelque chose que je ne trouve pas normal. Et, dès que tu dis ça on te dit que t’es un mec qui a de l’argent, que t’es compliqué et que tu ne veux que de l’argent mais ça n’a rien à voir. Si j’avais signé pour 20 dollars sur l’année, j’aurais voulu que les 20 dollars arrivent à l’heure. Ca n’a rien à voir avec le fait de gagner des millions ou pas, ce n’est pas le problème. Si j’étais en D-League et que je gagnais 25 000 dollars par an, ça aurait été pareil. Quand ils me donnent les 2 500 dollars par mois et que c’est marqué sur le contrat que ça doit arriver le 30 et bah vous ne me les donnez pas le 11 parce que vous l’avez décidé. Sinon je viens à l’entraînement quand j’ai envie et c’est pareil. Les contrat, ça ne marche pas que dans un sens. Les deux partis doivent respecter leurs engagements.
Si on interprète ce que vous dites, vous n’êtes pas en train de dire la Pro A c’est nul et que l’ACB et l’Euroleague c’est génial?
Je trouve la Pro A très bien. Je trouve que c’est un championnat très bien organisé avec des clubs très professionnels. Pour la plupart des clubs, ils s’occupent très bien de recevoir les familles et c’est une des raisons qui font que certains Américains restent. J’ai parlé avec plusieurs Américains comme DeMarcus Nelson et ils adorent la France. Le niveau de jeu est différent entre tous les pays mais c’est aussi parce qu’ils y a des différences extra basket entre chaque pays. Les règles d’imposition en Espagne ne sont pas les mêmes qu’en France. Quand tu as une enveloppe de 500 000 euros pour un joueur, au final en France tu ne peux lui en donner que, je ne sais pas, 300 000 parce qu’il y a différentes charges ou des avantages en nature à fournir, alors qu’en Espagne ce n’est pas le cas. On ne se bat pas avec les mêmes armes. Ce sont des choses qu’on ne peut pas contrôler en France.
« C’est une fierté, je vais être le premier Français à jouer dans le championnat chinois »
En France tu devais payer tes impôts, mais en Espagne comment cela s’est passé ?
Ils te prélèvent à la source. J’ai changé de résidence fiscale, je suis maintenant résident fiscal espagnol parce que j’ai dit aux instances françaises que je travaille en Espagne donc je paye mes impôts en Espagne et aux Etats-Unis parce que j’ai la double nationalité. Je n’ai rien de déclaré là-bas mais je peux y aller. Quand je suis arrivé en Espagne, je suis devenu résident fiscal espagnol et ce que le club te donne, les impôts sont déjà passés dessus, je n’avais pas à repayer après. J’avais à payer un peu plus de 20% en Espagne, c’est beaucoup moins qu’en France. Ca fait une différence.
Vous nous parlez de votre double nationalité. En Chine vous avez été signé en tant que Français ou Américain ?
Je ne sais pas. Je voulais faire mon visa et je vais voir avec quel passeport c’est le plus simple. Pour avoir un visa en Chine, il faut donner beaucoup de papiers, vous ne devez pas avoir de casier judiciaire, il ne faut pas avoir ceci, il ne faut pas avoir cela donc il y a plusieurs trucs qui font que c’est peut-être plus facile pour moi d’y aller en tant que Français. Pour eux Français ou Américain je pense que ça n’a pas d’importance mais pour moi, pour avoir le visa, je pense que ça sera plus simple en tant que Français. Et c’est une fierté quand même, je vais être le premier Français à jouer dans le championnat chinois alors qu’il y a déjà eu beaucoup d’Américains ! (ndlr : Johan Petro en 2013 et Guerschon Yabusele en 2016-2017 ont déjà joué dans le championnat chinois)
Vous avez donc signé pour plus d’un million de dollars et y a-t-il une différence pour le système de paiement par rapport à l’Europe ?
Non, tout est pareil. Tous les 30 jours ils vont me verser ma paie sur mon compte espagnol parce que je ne vais pas me faire un compte en banque en Chine. Tout est net d’impôts, la banque en Espagne va me demander de justifier mes rentrées d’argent donc je leur ai déjà donné le contrat pour cela. C’est assez simple. C’est comme si je travaillais pour n’importe quelle entreprise et que j’étais en voyage là-bas pour le travail.
Est ce qu’il y des bonus prévu dans le contrat ?
Oui, si on réalise tout les objectifs, j’ai 150 000 dollars supplémentaires. Ce qui fait 1,350 millions au total.
Vous devez gérer la logistique, c’est-à-dire logement et véhicule ou tout est pris en charge par le club ?
C’est pris en charge, ils viennent me chercher et je suis logé dans un hôtel cinq étoiles dans une suite avec une kitchenette etc. C’est carrément un choc culturel donc je pense que c’est mieux ainsi. On ne vit pas de la même façon. Je pense que c’est une sécurité pour eux de s’assurer que les joueurs sont pris en charge plutôt que de les laisser être livrés à eux-mêmes. Stephon Marbury va entamer sa huitième saison là-bas et c’est peut-être différent, il a peut-être même une maison. C’est différent mais quand tu viens pour la première fois je pense qu’ils prennent tout en charge pour que tu sois le mieux possible et que tu ne sois concentré que sur l’aspect sportif.
« J’aime bien les belles choses, je ne m’en cache pas, j’ai pas honte de le dire et je travaille très dur pour avoir tout ce que j’ai donc j’aime me faire plaisir et faire plaisir aux gens que j’aime »
Vous savez déjà comment vous allez pouvoir faire pour vous connecter à Internet normalement étant donné qu’il y a beaucoup de censure là-bas ?
Je verrai avec les locaux directement mais peut-être que je vais vivre de la même façon qu’eux. Mais ça me va, tu viens chez eux, il faut respecter leur culture. Je vais aller dans leur pays donc je ne vais pas faire toute histoire pour faire différemment ou me prendre pour le roi du monde, je vais me plier à leurs règles.
Vous ne serez pas loin de Hong Kong et Macao, vous pensez pouvoir avoir le temps de visiter ou ça sera vraiment axé entièrement sur le basket étant donné qu’il y a beaucoup de matchs en peu de temps ?
Je pense que ça sera beaucoup basket mais si j’ai la chance d’avoir du temps libre, c’est sur que j’irai. Déjà, c’est sûr que je vais m’organiser un petit road trip en Asie, ça sera pas mal du tout.
Vous disiez dans Basket Hebdo être un peu plus dépensier que la moyenne des joueurs, savez vous déjà comment vous allez investir votre argent ou allez vous tout dépenser ?
Oui je dépense un peu plus avec mes moyens mais je ne suis pas Iverson. Déjà en Espagne, je venais aux matchs en costard avec un chapeau etc, j’aime bien ça. Il y en a qui venait avec le survêtement du club. J’aime bien dépenser un peu mon argent et vivre un peu, on ne sait pas de quoi demain sera fait. Là, je vais monter dans un avion et peut-être que je vais me crasher. Si ça arrive et bah j’aurais été bien content de profiter de mon argent et de pas m’être empêché de vivre. J’ai la chance de bien gagner ma vie, j’en profite un peu. Je mets aussi de l’argent de côté et j’espère ne pas finir dans une galère financière. J’aime bien les belles choses, je ne m’en cache pas, je n’ai pas honte de le dire et je travaille très dur pour avoir tout ce que j’ai. Donc j’aime bien me faire plaisir et faire plaisir aux gens que j’aime avec, mais tout ça avec modération. Par exemple, j’aime bien le casino mais ça fait deux ans que je n’y suis pas allé. Si j’étais à Vegas, j’y serais allé un petit peu aussi, ça fait partie des trucs à faire. Je suis allé au casino à Macao parce que je pense que, quand t’as l’opportunité de le faire, ça peut être sympa. C’est sûr que je vais gagner beaucoup d’argent parce qu’on est nourris, logés, blanchis et je vais surement me faire plaisir à la fin de l’année. Je vais surement m’acheter une belle maison, peut-être pas à un million d’euros mais une belle propriété aux Etats-Unis pour investir dans l’immobilier. Je vais peut-être aussi mettre mon père à la retraite parce que ça fait longtemps qu’il bosse. Des choses comme ça, je ne vais pas acheter un avion ou je ne sais pas quoi pour faire des dingueries, non.
Vous avez déjà pensé à prendre des parts dans un club ?
Je trouve que ce que Tony fait c’est fantastique, Nicolas s’est mis dedans et c’est fantastique aussi, mais je ne suis pas à leur niveau de revenus. Je n’ai pas encore gagné 100 millions dans ma carrière et pour moi ce n’est pas un investissement envisageable. Mais je trouve que c’est magnifique ce qu’ils font pour le basket français. Si j’avais signé dans un club de foot, oui mais le basket européen, à la fin de l’année il y a plus de clubs qui sont endettés que de clubs qui font de l’argent.[armelse][arm_setup id= »2″ hide_title= »true »][/arm_restrict_content]