À 68 ans, Alain Thinet est le doyen des coaches professionnels français, mais il n’a rien perdu de son enthousiasme. Et Saint-Chamond, qui va disposer d’une nouvelle Arena à la prochaine rentrée, réalise une saison de Pro B épatante. L’interview est en deux parties.
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Quand on regarde votre trajectoire de joueur et de coach, on s’aperçoit – sinon Cholet – qu’il a été circonscrit à votre périmètre régional et à l’est de la France. C’est un choix ou le hasard ?
C’est complètement le hasard. J’ai eu des propositions d’autres clubs que je n’ai pas acceptées à l’époque, par exemple Nantes et Lille. C’est surprenant, mais c’est vrai que mes clubs étaient dans ou proche de la Région Rhône-Alpes-Auvergne. Il y a eu Chalôns, Besançon et la Suisse, mais ce n’est pas très éloigné de ma ville d’origine.
Comme joueur, à Roanne et Vichy, c’était essentiellement de la Nationale 2, la Pro B de l’époque ?
Je suis originaire de Montbrison et j’ai commencé à avoir un rôle important en 1973 jusqu’en 78. Quand j’en suis parti, on était montés en N2, ce qui correspond à la Pro B. Après, avec la JA Vichy, on est montés en Pro A la première année où je suis arrivé. J’y ai joué jusqu’en 1988. J’ai eu un contrat de deux ans à Roanne, qui s’est transformé à l’issue de la deuxième année en contrat de coach. C’est ce qui a lancé ma carrière.
Vous imaginez-vous jouer dans la Pro B d’aujourd’hui ?
Non. C’est clair que ce n’est pas le même sport que j’ai pratiqué, même si j’ai joué cinq ou six ans en première division avec Vichy. Je n’étais pas professionnel, j’avais un travail à côté, ce n’était pas le même monde. Les qualités athlétiques, physiques, le nombre d’entraînements, n’étaient pas du tout les mêmes. J’ai vu les différences au fur et à mesure de ma carrière. Les jeunes qui arrivent aujourd’hui ont un niveau impressionnant, des qualités physiques au-dessus de la moyenne. La qualité des entraînements a complètement évolué. Je n’aurais jamais pu évoluer à ce niveau-là à l’époque où j’ai joué.
Etiez-vous un coach professionnel à vos débuts ?
J’ai été coach à la Chorale de Roanne de 1988 à 1993. J’ai même été élu coach de l’année (NDLR : en 1992). J’avais un travail à côté comme éducateur sportif à Vichy, où j’habitais, et je faisais le voyage tous les jours (NDLR : 73 km). C’était des années compliquées pour mener de front à la fois le basket, la vie familiale, et le travail. C’est aussi la preuve que c’était une autre époque où pas mal de coaches étaient dans cette situation, en étant profs de gym. Je pense, par exemple, à Francis Charneux.
Comment vit-on le fait de devoir coacher en Nationale 2 quand on a connu le plus haut niveau, comme ce fut le cas à Saint-Chamond ?
Je suis arrivé à Saint-Chamond en troisième division, en N1, et la première année où je suis arrivé, j’ai réussi la gageure de les faire descendre en N2. Je n’étais pas fier d’être le responsable de la descente, et heureusement, cela a été un mal pour un bien puisque l’on a été champion de France de N2, on a gagné la Coupe de France, et ça nous a relancé pour la suite. On a gravi la N1, la Pro B dans les années qui ont suivi. C’est vrai que lorsque l’on a goûté au plus haut niveau, on a envie d’y retourner, et que lorsque l’on est avec une équipe de N2, qui n’est pas complètement professionnelle, ça change. Mais le basket reste le basket, et diriger une équipe pro à n’importe quel niveau, c’est toujours intéressant de la faire progresser, de la faire gagner. J’ai pris autant de plaisir à coacher Saint-Chamond en Nationale 2 que Roanne dans les années 90 quand je n’étais pas pro à 100% en première division. Chaque niveau a son intérêt, ça reste du basket, un métier passionnant.
Il n’y a pas trop de doutes quand on est descendu en N2 sur un plan social et financier ? Des coaches qui ont eu la lumière du haut niveau peuvent redescendre dans les divisions inférieures et on les perd complètement de vue ?
Je pense que c’est une question d’humilité. Ce n’est jamais acquis d’avance. On n’est pas champion du monde quand on est champion de France, on peut redescendre très vite. Il y a des coaches qui ont connu des périodes fastes, qui actuellement n’ont plus de travail ou ont arrêté, soit à cause de l’âge ou soit parce qu’ils n’ont plus de job. Il faut avoir confiance dans ce que l’on fait, dans ses moyens, dans ce que l’on propose, mais il faut avoir de l’humilité dans ce métier-là, avoir conscience que l’on est dépendant des résultats, des circonstances que l’on ne maîtrise pas toujours. Il y a un facteur chance qui rentre aussi en ligne, et puis il faut aussi accepter des projets qui, au départ, ne sont peut-être pas très glorifiants. C’est pour cela que je suis encore là, j’ai toujours préféré avoir des histoires de groupes, plutôt que de gérer des égos même si c’est à un niveau au-dessus. C’est un choix que j’ai plus ou moins fait dans ma carrière.
« Ce qui est bien, c’est que Borovnjak a un CV autre que celui de Mathieu Boyer, mais il accepte son rôle, la concurrence, que le jeune lui passe devant »
Le secret de la réussite de votre équipe cette année, c’est l’état d’esprit et le fait d’avoir des joueurs complémentaires alors qu’il y a 7 nouveaux dont 4 étrangers ?
Je pense que l’on a un collectif qui est bien en place. J’ai toujours prôné ça, créer une alchimie avec des joueurs venant peut-être d’horizons différents. Avec une complémentarité sur et en dehors du terrain, technique et mentale, cette année, la mayonnaise a pris très vite. Je ne pense pas que l’on ait le meilleur roster de la Pro B, mais on a surpris au départ, le groupe a pris confiance. Pour moi, ce qui compte, c’est le partage du ballon, le partage des efforts en défense. Je n’ai jamais trop aimé avoir un leader scoreur, un leader rebondeur, avec des joueurs qui soient là pour faire les tâches ingrates et que certains brillent par leur talent individuel. Je préfère le collectif aux talents individuels.
Mathieu Boyer vient de N1 et il tourne à 14,1 points et 5,9 rebonds. C’est le point fort de votre recrutement ?
C’est un joueur qui a beaucoup joué dans la région, en Nationale 2 avec Feurs, que l’on connaissait un petit peu, qui n’a pas brûlé les étapes. Il est passé à travers les radars, il arrive de N1, et il fait le job. Ce n’est peut-être pas le leader, mais finisseur, scoreur, oui, qui a trouvé avec Mathieu Guichard un passeur hors pair. Il profite de l’équilibre de l’équipe, avec à la fois l’adresse de nos extérieurs et de la création du meneur, et lui a des mains qui font la différence. C’est un tout. Mathieu dans une autre équipe n’aurait peut-être pas aussi bien réussi. Là, il avait tous les paramètres pour passer un cap et montrer qu’il avait le niveau de la Pro B. Ce n’est pas un leader vocal, mais au niveau statistiques, c’est notre meilleure évaluation aujourd’hui. Quand je l’ai signé, j’ai fait un ouf de soulagement car je savais qu’en ayant son accord, ça me garantissait le maintien pour cette saison car ça allait m’amener un point de fixation intérieur qui n’était pas là suffisamment l’année passée.
Est-ce plus facile ou non de scouter des joueurs de Nationale 1 que de Betclic Elite, d’Europe, ou des Etats-Unis ?
C’est un peu plus délicat car avec mon assistant, on ne travaille pratiquement qu’à deux sur le recrutement. On n’a pas de cellule de recrutement, un GM, un directeur sportif qui fait ça. C’est à partir d’avril-mai que l’on commence à se pencher sur les profils, à regarder en-dessous car il y a toujours des bons coups à faire. C’est aussi par rapport à notre budget que l’on doit aller en-dessous pour récupérer un joueur intéressant. Ce n’est pas le plus simple, parfois on ne fait pas les bons choix. On est aussi tellement dépendant du caractère du joueur, de l’intégration dans le nouveau groupe que l’on n’est jamais totalement sûr, même aussi si on travaille sur des joueurs étrangers ou de la Betclic Elite. Il y a aussi un facteur chance pour trouver le bon élément.
Y a-t-il à disposition la même somme d’informations sur un joueur de N1 ?
Maintenant, oui. On a les stats, on arrive à voir beaucoup de matches, on a des renseignements par les coaches que l’on peut appeler directement. Il n’y a pas beaucoup de différences pour le recrutement, même avec les espoirs. On a tous les matches, aussi on se fait une idée assez facile du joueur que l’on veut recruter. La N2, c’est plus difficile. Passer de la N2 à la Pro B, la marche est plus haute.
C’est une évolution formidable depuis qu’il y a internet ?
Dans les années 90, c’était des K7, des magnétos. Grosso-modo, il y avait cinq agents français, et on dépendait de ce qu’ils voulaient bien nous proposer. C’était un autre monde. On parlait du physique au niveau des basketteurs et aussi, les moyens pour travailler, les stats, tout ça a évolué. Je me rappelle des montages qui se faisaient avec des magnétos, alors que maintenant on a du matériel qui fait gagner du temps, on est beaucoup plus compétents. On retrouve cette différence partout, que ce soit dans le recrutement, la préparation des matches, staff médical, préparateur physique, tout évolue à vitesse Grand V. Depuis trois ans, on a un préparateur physique. Jamais je ne voudrais revenir en arrière, c’est une personne indispensable dans la bonne marche d’une équipe. Avant, on faisait tout, la préparation physique, la vidéo, car l’assistant était à la fois coach des espoirs et n’était pas à 100% avec nous. Il y a longtemps que j’aurais arrêté si ça n’avait pas évolué dans ce sens-là car aujourd’hui on a beaucoup plus d’aides aussi bien technique qu’humaine. C’est un autre monde.
Vous avez dans votre équipe un naturalisé portugais, Sasa Borovnjak, qui a été bon contre la France lors des qualifications à la Coupe du monde, alors qu’il n’est pas dans le cinq majeur de votre équipe. Vous avez été surpris par ses deux matches ?
Le premier surpris, c’est moi. Je l’avais repéré à Porto, il y a cinq ans, c’était un joueur vraiment intéressant et quand on me l’a proposé, je me suis dit « OK, ça va le faire. » Je pensais que j’aurai Borovnjak et en rotation Mathieu Boyer. Le déroulement de la saison a fait que Mathieu Boyer est passé devant au niveau rendement. La complémentarité des deux est intéressante car il y en a un qui est encore jeune, un peu fou-fou, et Borovnjak amène un peu de métier, d’assurance, et j’arrive maintenant à les faire jouer ensemble, surtout que j’ai Momo Queta qui est blessé. Ce qui est bien, c’est que Borovnjak a un CV autre que celui de Mathieu Boyer, mais il accepte son rôle, la concurrence, que le jeune lui passe devant. Je ne dis pas qu’il saute au plafond de jouer moins, de sortir du rang, mais il accepte son rôle. C’est ce qui est bien dans cette équipe, cette complémentarité, cette acceptation des rôles. C’est bien pour un coach.
A suivre mardi.
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Quand on regarde votre trajectoire de joueur et de coach, on s’aperçoit – sinon Cholet – qu’il a été circonscrit à votre périmètre régional et à l’est de la France. C’est un choix ou le hasard ?
C’est complètement le hasard. J’ai eu des propositions d’autres clubs que je n’ai pas acceptées à l’époque, par exemple Nantes et Lille. C’est surprenant, mais c’est vrai que mes clubs étaient dans ou proche de la Région Rhône-Alpes-Auvergne. Il y a eu Chalôns, Besançon et la Suisse, mais ce n’est pas très éloigné de ma ville d’origine.
Comme joueur, à Roanne et Vichy, c’était essentiellement de la Nationale 2, la Pro B de l’époque ?
Je suis originaire de Montbrison et j’ai commencé à avoir un rôle important en 1973 jusqu’en 78. Quand j’en suis parti, on était monté en N2, ce qui correspond à la Pro B. Après, avec la JA Vichy, on est monté en Pro A la première année où je suis arrivé. J’y ai joué jusqu’en 1988. J’ai eu un contrat de deux ans à Roanne, qui s’est transformé à l’issue de la deuxième année en contrat de coach. C’est ce qui a lancé ma carrière.
Vous imaginez-vous jouer dans la Pro B d’aujourd’hui ?
Non. C’est clair que ce n’est pas le même sport que j’ai pratiqué, même si j’ai joué cinq ou six ans en première division avec Vichy. Je n’étais pas professionnel, j’avais un travail à côté, ce n’était pas le même monde. Les qualités athlétiques, physiques, le nombre d’entraînements, n’étaient pas du tout les mêmes. J’ai vu les différences au fur et à mesure de ma carrière. Les jeunes qui arrivent aujourd’hui ont un niveau impressionnant, des qualités physiques au-dessus de la moyenne. La qualité des entraînements a complètement évolué. Je n’aurais jamais pu évoluer à ce niveau-là à l’époque…
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Photo : SCVBG