Directeur sportif du Limoges CSP depuis mai 2019 et la reprise du club par Céline Forte, Crawford Palmer a annoncé fin décembre son départ de Limoges à l’issue de la saison. Dans une interview accordée à Basket Europe, le « Boulanger » revient sur les raisons de son départ, son bilan sportif à Limoges, ses plus beaux recrutements, le coup Massimo Cancellieri ou encore son avenir personnel et celui de son fils Noah, espoir à Bourg en début de saison, qui a décidé d’arrêter le basket pour se consacrer à ses études. Entretien.
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Quel bilan dressez-vous en tant que directeur sportif du CSP ?
« Ce serait difficile de donner un bilan définitif avant la fin de saison. Même si nous sommes dans le top 8 à la mi-saison, ou presque, c’est un bon indicateur. En connaissant nos difficultés à l’intérieur depuis la reprise du club par Céline Forte, je suis malgré tout satisfait. Il fallait vraiment qu’on se bagarre. Ce n’était pas évident au niveau administratif, juridique, financier. Il y a eu énormément de boulot. Sur le plan sportif, ça a été très compliqué. C’est impossible de ne pas faire d’erreurs mais je pense qu’on a réussi à se remettre à l’endroit dans une situation difficile. Tout ceci avec le Covid au milieu, et les incertitudes autour. D’être là où on en est… on peut regarder vers l’avant. C’est la première saison où, si on a des ajustements à faire, il nous reste une petite marge pour le faire. Par le passé, le budget encadré et constant ne le permettait pas. Il fallait tout prévoir, ça demandait énormément d’ajustements. De ce côté-là, si on n’est pas à l’intérieur, je ne suis pas sûr qu’on puisse le comprendre. Mais on a quand même trouvé des joueurs intéressants, mis en place des équipes au seuil de jeu affirmé, avec un coach atypique qui colle bien à la ville de Limoges, à ses fans, à Beaublanc. De ce côté-là, c’est le reste de la saison qui dira si les performances suivent. Mais, déjà, créer une identité, une âme dans cette équipe, c’était le plus important. Cette année, je pense vraiment qu’on est dans une évolution vers quelque chose de stable. »
En début de saison, les observateurs du championnat ont pu se montrer plutôt réservés voire prudents concernant le recrutement du CSP avec un entraîneur que peu de monde connaissait, un Américain qui sortait d’une année blanche, des étrangers quasi inconnus. Finalement, vous êtes dans le top 8 à la mi-saison. Comment vous l’expliquez ?
« C’est le travail du staff. L’été a été compliqué avec notamment le décalage du calendrier des NBA Summer League au mois d’août, les contrats G-League, avec de nouveaux horizons pour les contrats de joueurs par rapport à d’habitude. On a démarré la saison tardivement avec les trois derniers joueurs qui venaient d’arriver. Certains joueurs n’avaient jamais joué à ce niveau comme Horace Spencer, Demonte Harper n’avait pas joué depuis un an, tout ceci avec un nouveau coach et de nouvelles méthodes… On savait que ça allait prendre du temps. Et maintenant on voit qu’il y a quelque chose. Ça aurait pu aller dans un autre sens mais je crois qu’on a vu juste, que c’était cohérent. De ce point de vue-là, je suis plutôt satisfait. On a au moins montré que cette évolution était possible. Je ne vais pas dire qu’on l’avait prévu, mais on l’a espéré. »
« Massimo (Cancellieri) avait donné sa parole à un autre club italien. Puis il s’est rendu compte que le président avait signé des joueurs sans lui demander son accord ni lui en parler. Donc il est revenu sur sa décision, son agent m’a rappelé pour me dire qu’il restait sur le marché. A partir de là, on a creusé, il était dans notre shortlist. »
Comment s’est fait le recrutement du coach Massimo Cancellieri ?
« Je ne vais pas donner tous les détails mais, à partir du moment où la décision était prise de ne pas conserver Mehdy Mary, qui avait à la base un contrat pour une année de plus, on voulait éviter une transition tardive dans le marché. On a étudié beaucoup de profils différents. Au départ, on s’était renseignés sur plusieurs coachs italiens. En Italie, l’information que nous étions ouverts à un coach étranger a circulé, puis l’agent de Massimo nous a contactés. Ça a failli ne pas se faire car, quelques jours après, son agent m’a appelé pour me dire qu’il avait donné sa parole à un autre club italien. J’allais passer à autre chose, puis il s’est avéré que 24h après, il s’est rendu compte que le président avait signé des joueurs sans lui demander son accord ni lui en parler. Donc il est revenu sur sa décision, son agent m’a rappelé pour me dire qu’il restait sur le marché. A partir de là, on a creusé, il était dans notre shortlist. On l’a rencontré pour un entretien sur Paris, avec un coach français et un coach belge. Et c’est lui qui m’a le plus marqué. Son expérience en Euroleague avec Milan a compté, celle d’entraîneur-en-chef également. Il avait aussi passé 6 ans aux côtés de coachs de très haut niveau à Milan, dont on a eu de très bons échos. On m’avait mis au courant de son caractère mais on m’avait aussi dit qu’il était en maîtrise totale de son basket, au niveau technique, et de lui-même. On peut avoir l’impression qu’il sort de ses gonds, mais il est très lucide. Ce qui m’impressionne chez lui, c’est sa capacité d’adaptation. Il a imposé un gros volume de travail au staff, qui s’avère payant. Malgré ses méthodes qui peuvent être très dures, très directes, c’est toujours lié au basket. Si quelqu’un se trompe, tout le monde prend, c’est collectif et équilibré. Il y a une hiérarchie naturelle mais il n’y a pas de favoritisme. Et l’équipe suit son coach. »
Ludovic Beyhurst vient de partir, direction Nancy. Avec la blessure de Gerry Blakes, on imagine que vous accélérez la recherche d’un nouveau joueur ?
« On étudie le marché. Les dirigeants ne souhaitaient pas forcément remplacer Gerry Blakes, qui était le 5e joueur extra communautaire, ce qui permettait de faire quelques économies, et d’avoir un peu de marge en fin de saison. Ce n’était pas bête. Mais avec le départ de Ludo, je crois qu’on a besoin de le remplacer, ou du moins d’avoir un arrière en plus, c’est ce qu’on s’apprête à faire. »
« L’essentiel, ce que le recrutement (de mon futur remplaçant) ne vienne pas perturber le travail de l’équipe en place. Je ne veux pas que ce choix soit fait dans mon dos, pour ne pas perturber notre recherche de résultats sur la fin de saison. »
Quelles sont les raisons de votre départ de Limoges ?
« Les propriétaires pensent qu’on arrive à la fin d’un cycle. Il y a une volonté de travailler différemment. L’une des raisons de mon départ, c’est que je pense qu’en tant que directeur sportif, c’est à moi de prendre des décisions sportives avec le coach pour monter la meilleure équipe possible avec le budget qu’on me donne tout en justifiant mes choix. Ça a toujours été le cas, à une exception près, j’ai toujours eu assez de marge pour faire ce que je voulais faire. Et je pense que cette saison, certains choix n’ont pas été compris. Ce que je peux comprendre bien sûr. Je sais que beaucoup de monde a critiqué la construction de l’équipe au départ, ce n’était pas clinquant, et c’est vrai qu’on s’est ajustés en fonction du marché et des changements de notre budget pendant l’été. Mais, en tout cas, quand on m’a dit qu’on souhaitait travailler différemment, j’étais tout de suite d’accord pour me mettre en retrait, il n’y a pas eu de problème. Si je n’ai plus la confiance de mes propriétaires pour garder mon autonomie et faire mes choix, c’est mieux que quelqu’un d’autre prenne ma place. Il y avait plusieurs options : soit je partais tout de suite, soit je restais jusqu’à la fin de la saison. On a choisi cette option car j’aime vraiment cette équipe, je pense qu’il y a moyen d’aller faire quelque chose, et je veux terminer mon travail. Après, j’espère travailler en bonne intelligence avec mon remplaçant pour faciliter la transition vers la construction de l’équipe de l’année prochaine. »
Ce n’est pas difficile de garder la motivation quand on sait qu’on va partir ?
« Aucunement. On est à Limoges, on a une équipe qui bosse dur. J’ai très envie de voir cette équipe aller au bout. On sait qu’on a des responsabilités envers les fans, envers le club. Je suis très reconnaissant de l’opportunité que j’ai pu avoir en venant ici, j’ai toujours fait de mon mieux. La réussite n’a pas toujours été au rendez-vous mais je crois qu’on a plutôt bien bossé étant donné les conditions dans lesquelles on était. Venir chaque matin à Beaublanc et bosser avec ce staff reste un plaisir. »
Savez-vous qui vous remplacera à votre poste ?
« Ce sera la décision des dirigeants. Le recrutement d’Alain Cloux (NDLR : actuel DG adjoint de l’ASVEL) au poste de directeur général montre qu’ils ont les idées claires. C’est un très bon recrutement à ce poste-là. Je pense et j’espère qu’ils feront un choix aussi clinquant, tranchant, sur le poste de directeur sportif. Limoges mérite un front office et un staff qui fonctionne. Je ne me fais pas de soucis là-dessus. L’essentiel, ce que ce recrutement ne vienne pas perturber le travail de l’équipe en place. Je ne veux pas que ce choix soit fait dans mon dos, pour ne pas perturber notre recherche de résultats sur la fin de saison. »
« Avoir signé Nicolas Lang quand il était encore blessé, quand on ne savait pas encore quand il allait revenir, et quand il fait la meilleure saison de sa carrière derrière… C’est une belle satisfaction »
Quel est le recrutement dont vous êtes le plus fier depuis votre arrivée en tant que directeur sportif ?
« Il y en a eu quelques uns. Je ne vais pas parler de cette année, parce que c’est encore frais. Mais quelque part, le fait d’avoir signé Nicolas Lang quand il était encore blessé, quand on ne savait pas encore quand il allait revenir, et quand il fait la meilleure saison de sa carrière derrière… C’est une belle satisfaction. Je pense aussi à Semaj Christon. C’était vraiment un gros joueur, avec énormément d’expérience. On aurait adoré le conserver. Je pense forcément à Phil Scrubb, et cette année à C.J. Massinburg. Faire venir Bruno Caboclo après la NBA, c’était également un coup intéressant. Même si ça n’a pas tourné comme on le souhaitait collectivement. J’en laisse quelques uns en route. Mais dans la façon de travailler, c’est toujours le travail de l’ensemble du staff, avec des gens autour. Pour monter des équipes, ce n’est pas toujours la peine de coller les joueurs au style de jeu qu’on pourrait avoir, derrière il faut travailler pour que ça marche. »
Est-ce plus stressant d’être directeur sportif à Limoges qu’à Chalon ?
« Je ne dirais pas ça. Chalon aussi, c’est un club avec des obligations de résultats. C’est un club qui travaille un peu différemment mais très bien aussi. Il y a des clubs où l’on peut être un peu plus serein, Limoges n’en fait pas partie, mais on le sait avant d’arriver. Je suis aucunement surpris, il faut avoir un certain recul quand on arrive ici. Mais c’est aussi pour ça qu’on aime le basket, ça nous procure des émotions. Si c’était fade, on ferait autre chose. »
Les clubs n’ont pas tous un directeur sportif aujourd’hui. Est-ce une fonction qui est devenue indispensable en Betclic Elite selon vous ?
« Avant le Covid, la Ligue avait donné comme idée directrice que c’était obligatoire. Après, il y a plusieurs façons de concevoir le poste de directeur sportif. Pour moi, c’est indispensable. C’est important d’avoir quelqu’un qui peut avoir un peu de recul sur le recrutement. Les coaches ont souvent la tête dans le guidon, avec généralement un à trois matches par semaine. Avoir quelqu’un avec un oeil plus stratégique sur ce qui doit se passer au niveau du groupe pro, de la formation, de l’identité, qui met toute son énergie dans le projet et qui réfléchit sur le moyen et long terme, ça me parait essentiel. D’avoir quelqu’un qui peut accompagner le coach, qui est un rôle avec beaucoup de pression, pour gérer la dynamique du groupe, c’est important. »
« Il y a deux mois, Noah (son fils, né en 2003) a décidé d’arrêter le basket. Il a décidé de faire autre chose. Je le soutiens complètement dans son choix. Il va rentrer à l’université de Strasbourg en histoire à l’automne. Et je ne l’ai jamais vu aussi heureux. Le basket, c’est l’une de ses passions. Mais ce n’est pas toujours simple. Il va partir dans une autre direction. Je crois qu’il a fait le bon choix. »
Quels seront vos projets après cette saison ?
« Honnêtement, si des opportunités arrivent d’ici la fin de la saison, je les écouterai, ce serait normal. Après, ça fait un peu plus de quatre ans que je n’ai pas pris plus de quelques jours de vacances. Je pense que c’est comme tous mes collègues à ce poste, c’est très difficile de couper l’été, c’est là où on bosse le plus. Derrière, les saisons sont longues. Je ne serais pas contre avoir un peu de temps en famille. Je n’ai pas encore tranché. J’ai tout de suite enchainé après ma carrière, que ce soit à la fédé, à Chalon ou à Limoges. A chaque occasion, on est venu me chercher. Je pense que ça continuera d’être le cas, j’ai montré que je connaissais mon travail. Si une occasion se présente, je serai à l’écoute. D’ici là, ça ne me ferait pas de mal de couper un petit peu après la saison. »
Votre fils Noah était en espoirs à Bourg, mais il n’a plus joué depuis le 6 novembre dernier. Quelles sont ses ambitions ?
« Noah, j’étais tenté de l’emmener ici avec moi à Limoges comme je l’avais fait à Chalon. Finalement, il est allé à Bourg. Il y a un ou deux mois, Noah a décidé d’arrêter le basket. Il a décidé de faire autre chose. Je le soutiens complètement dans son choix. Il va rentrer à l’université de Strasbourg en histoire à l’automne. Et je ne l’ai jamais vu aussi heureux. Le basket, c’est l’une de ses passions. Mais le basket, ce n’est pas toujours simple. Il va partir dans une autre direction. Je crois qu’il a fait le bon choix. »
Que devient votre fille Manon, qui avait fait The Voice ?
« (Rires) C’est vrai, elle a fait The Voice ! Elle est en dernière année de licence de neurosciences à l’université de Montréal. Elle devrait rester dans ce milieu-là. Elle fait toujours un peu de musique, elle garde ça dans un coin de la tête, mais elle est vraiment repartie dans les études. »
22 ans après les Jeux de Sydney, que vous reste-t-il comme souvenirs de la médaille d’argent ? Avez-vous encore beaucoup de contacts avec les autres joueurs ?
« Avec certains, oui. On a pu se réunir presque tous ensemble pour le match France – Espagne cet été. On a vécu quelque chose de remarquable ensemble, ça fait toujours plaisir de se retrouver. Je suis très heureux d’avoir eu ma place là-dedans il y a 22 ans. Mais bon, le temps passe, vous savez, on est tous passés à autre chose. Je suis content de voir la médaille d’argent gagnée par les Bleus cet été, de voir que maintenant, ça semble normal de concurrencer Team USA. Quand on l’a fait, c’était une surprise. C’est une bonne nouvelle pour le basket français. »
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Quel bilan dressez-vous en tant que directeur sportif du CSP ?
« Ce serait difficile de donner un bilan définitif avant la fin de saison. Même si nous sommes dans le top 8 à la mi-saison, ou presque, c’est un bon indicateur. En connaissant nos difficultés à l’intérieur depuis la reprise du club par Céline Forte, je suis malgré tout satisfait. Il fallait vraiment qu’on se bagarre. Ce n’était pas évident au niveau administratif, juridique, financier. Il y a eu énormément de boulot. Sur le plan sportif, ça a été très compliqué. C’est impossible de ne pas faire d’erreurs mais je pense qu’on a réussi à se remettre à l’endroit dans une situation difficile. Tout ceci avec le Covid au milieu, et les incertitudes autour. D’être là où on en est… on peut regarder vers l’avant. C’est la première saison où, si on a des ajustements à faire, il nous reste une petite marge pour le faire. Par le passé, le budget encadré et constant ne le permettait pas. Il fallait tout prévoir, ça demandait énormément d’ajustements. De ce côté-là, si on n’est pas à l’intérieur, je ne suis pas sûr qu’on puisse le comprendre. Mais on a quand même trouvé des joueurs intéressants, mis en place des équipes au seul de jeu affirmé, avec un coach atypique qui colle bien à la ville de Limoges, à ses fans, à Beaublanc. De ce côté-là, c’est le reste de la saison qui dira si les performances suivent. Mais, déjà, créer une identité, une âme dans cette équipe, c’était le plus important. Cette année, je pense vraiment qu’on est dans une évolution vers quelque chose de stable. »
Comment s’est fait le recrutement du coach Massimo Cancellieri ?
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Photo : Crawford Palmer (Stéphane Laurencin)