Nicola Alberani vit sa deuxième saison pleine en tant que directeur sportif de la SIG Strasbourg. Cet Italien de 45 ans, méconnu du grand public français, a pourtant plus d’une corde à son arc, et nombre anecdotes à raconter, y compris sur les différences culturelles entre France et Italie.
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Il a débuté sa carrière à seulement 22 ans à Forli en Italie, en tant que directeur sportif et responsable du scouting. Après la vente des droits du club à Sassari, Nicola Alberani a repris ses études avant de retourner dans le front office de clubs de basket, d’abord dans l’autre équipe de la ville de Forli, puis à la Virtus Roma et enfin à Avellino. Libre de tout contrat début 2020 suite aux problèmes financiers du club italien, il a accepté le challenge que lui a proposé le directoire de la SIG, pour en être le directeur sportif. A 45 ans, l’Italien est aujourd’hui au coeur de la réussite multiculturelle strasbourgeoise, et s’est confié – dans un français presque parfait – à Basket Europe sur ses expériences passées, les différences entre Italie et France, ses ambitions à Strasbourg ou encore de la gestion du cas Jarell Eddie, parti début janvier à Burgos.
Comment avez-vous découvert le milieu du basket ?
« J’ai commencé très jeune dans le milieu du basket à Forli, une vraie ville de basket, on peut dire un petit Limoges. C’est une ville où il n’y a pas de foot, seulement du basket, et c’est très rare en Italie. J’ai grandi en regardant les équipes gérées et composées par Maurizio Gherardini (NDLR : l’actuel directeur général de Fenerbahçe). Il m’a donné l’inspiration. À 22 ans, je suis devenu directeur sportif en deuxième division italienne. Après trois ans à ce poste, j’ai pensé que, pour être un bon general manager, il me fallait quelque chose en plus. Donc j’ai fait un degree d’économie internationale puis un master en hôtellerie avec deux ans à l’école hôtelière de Lausanne pour être plus complet. C’est ensuite que je suis retourné au basket, après avoir travaillé en Suisse, aux Etats-Unis. Le premier joueur que j’ai signé quand j’avais 22 ans est devenu coach et m’a dit « on a besoin de ton aide ». C’est comme ça que je suis retourné au basket, dans l’équipe de ma ville. Ça a bien matché. »
Et comment avez-vous atterri à Strasbourg ?
« Après Forli, j’ai reçu un appel de la Virtus Roma en 2012. Quand tu reçois un appel de Rome, c’est comme recevoir un appel de Paris en France, il faut y aller. C’était une très bonne expérience, nous avons joué l’Eurocup, nous avons joué la finale du championnat avec Gigi Datome, nous avons lancé d’excellents rookies, notamment Jordan Taylor (NDLR : passé par Limoges et l’ASVEL) que vous connaissez bien en France, Melvin Ejim, Jordan Morgan, Trevor Mbakwe. Après, j’ai reçu un appel d’Avellino. Là-bas, c’était fantastique. On a eu des grandes équipes, on a manqué trois finales, mais c’était une période magnifique. On a lancé James Nunnally, Keifer Sykes, Jason Rich a terminé MVP. On a bien travaillé mais la propriétaire a eu des problèmes financiers. J’étais en contact avec Strasbourg. J’étais très proche de Jérôme Rosenstiehl (NDLR : le directeur des opérations à l’époque), qui m’a conseillé de venir faire un entretien après le cycle de Vincent Collet. Il voulait changer la structure et prendre un directeur sportif. C’était pour moi une opportunité fantastique. Franchement, c’est la plus belle ville dans laquelle j’ai vécu avec Rome. C’était une surprise pour moi et ma famille, on aime bien ça. »
Vous êtes devenu directeur sportif à 22 ans à Forli, vous aviez comme joueur Michael « Sugar » Ray Richardson, 44 ans, passé par la France, qui avait le double de votre âge. Une expérience fantastique, non ?
« C’est évident. C’est comme avoir un master d’avoir un joueur comme lui à gérer à 22 ans. Cette expérience, c’est presque l’université du basket. On a même eu la NBC qui était venue faire un documentaire sur lui cette année-là, Whatever Happened to Michael Ray ? (NDLR : en Français, qu’est-il arrivé à Michael Ray ?). Pour moi, c’était vraiment une leçon, de savoir comment ça se passait dans la tête d’un champion, comment gérer son égo, voir son éthique de travail. Sugar, c’était l’obsession de gagner, le feu dans l’ombre. Pour l’anecdote, on a fait un match de présaison important contre le grand Panathinaïkos, récent vainqueur de l’Euroleague, et Sugar affrontait Fragiskos Alvertis au poste 3. Ils commençaient à se chauffer dans le match, les deux ont fini par se faire disqualifier du match, on était proche de la catastrophe. En sortant, Sugar lui a dit « Je viens te prendre ». A la fin du match, tout le monde va à l’hôtel, le match se termine. Et le lendemain matin, je reçois un coup de fil de l’hôtel qui me dit : « Sugar est à la réception ». Il cherchait Alvertis. Et nous on cherchait Alvertis pour lui dire « dépêche-toi, c’est le bordel total à l’hôtel » (rires). Ça, c’était Sugar, et son obsession de gagner. »
Vous êtes aussi passé par Lausanne, New York, vous fait de l’économie, de l’hôtellerie, vous êtes revenus au basket où vous avez été élu dirigeant de l’année en 2016 en Italie. Vous avez déjà eu plusieurs vies, en fait…
« Oui, je pensais vraiment qu’il fallait étudier pour être capable d’être un bon manager. Il faut savoir lire le balance sheet (bilan), il faut connaître le droit privé parce qu’on rédige tout le temps des contrats. En fait, c’est bizarre parce que je ne suis pas un coach mais je fais un boulot très technique. Mais je travaille aux côtés du coach, et je n’en suis pas un. Comme dirait mon collègue du Bayern Daniele Baiesi, on fait toujours du crisis management, en espérant qu’il y ait le moins possible de « crises » à gérer. »
« En Italie, le jeu est plus lent, plus tactique, et plus dirty. En France, on joue plus vite, c’est plus instinctif et plus athlétique. »
Parliez-vous le français avant d’arriver à Strasbourg ? Et connaissiez-vous le basket français ?
« J’ai commencé à parler français quand j’étais à l’école en Suisse, pas beaucoup mais assez pour vivre. Concernant le basket, je le connaissais mais pas autant que quand j’ai commencé à parler avec Strasbourg. Une fois les premières discussions entamées, j’ai regardé beaucoup de matches, j’essayais de comprendre les caractéristiques de la ligue. Je pense que chaque championnat a ses règles. Il ne faut pas penser que ce qui est bon en Italie est bon en France, et vice-versa. Chaque ligue a ses particularités. J’espère avoir bien compris les spécificités de chacune. »
Quels sont les points communs et les différences entre le basket des deux pays ?
« En Italie, le jeu est plus lent, plus tactique, et plus… « sale ». On joue « dirty » en Italie. En France, on joue plus vite, c’est plus instinctif et plus athlétique. Certains joueurs italiens ne pourraient jamais jouer en France, et vice-versa. Les caractéristiques typiques du joueur italien sont vraiment différentes du basketteur français. Pourtant, l’athlétisme ici, c’est une autre vitesse. Je dirais que le jeu en Italie est moins athlétique, mais plus physique, c’est ça la différence pour moi. »
Les infrastructures sont meilleures en France ou en Italie ?
« On ne peut pas mettre les deux en comparaison… La France est dix fois meilleure que l’Italie si on parle uniquement d’infrastructures. En Italie, les salles sont très vieilles, pas forcément bien gérées et entretenues. En France, même dans les petites villes, et avec le plus profond respect que j’ai pour Boulazac par exemple, ils ont une superbe Arena. Je pense que 90 % des clubs italiens rêveraient d’avoir cette salle. Et ce n’est que pour Boulazac, je ne parle même pas des autres équipes. On peut comparer, bien sûr, mais ce ne serait pas très flatteur pour l’Italie. »
Comment vous l’expliquez ?
« La France est une nation beaucoup plus riche, plus organisée, plus structurée que l’Italie. En Italie, c’est interdit que la Ville ou la Région puisse donner de l’argent dans le secteur sportif. Nous ne pouvons pas car il n’y a pas d’argent. Si la mairie prête sa salle gratuitement, le maire va être dans la galère (rires). En France, ça arrive très souvent. Comme d’autres secteurs, comme la santé par exemple, la France est beaucoup mieux organisée. Je ne pensais pas qu’il y aurait une différence si marquée. »
Et à propos des salaires, quelles sont les différences ?
« En France, les salaires se sont vraiment développés dans les 4-5 dernières années. On a deux équipes d’Euroleague désormais, il y a Bourg, Dijon, deux équipes très ambitieuses à Paris et une nouvelle qui émerge bien. En Italie, ça n’existe pas une équipe qui monte en première division et qui recrute un joueur comme Kyle O’Quinn, de calibre NBA. En France, les revenus par les abonnés sont des vrais revenus. En Italie, à la fin, c’est souvent le propriétaire qui est le vrai marketing manager. Et il faut bien dire que les salaires français sont versés beaucoup plus ponctuellement. »
« Strasbourg, c’est une ville-capitale européenne. Nous exprimons l’esprit européen de la ville »
Y-a-t-il eu des aides de la part de l’Etat dans les clubs en Italie pour réduire l’impact de la crise économique due à la pandémie, par exemple pour la réduction du nombre de spectateurs ?
« Absolument pas. Mais en fait, quand tu as un propriétaire fort, tu n’as pas vraiment besoin d’aides. En Italie, on a des propriétaires… Pour eux, c’est quoi un million de plus ou de moins ? Ici, ce serait presque impossible de gérer les clubs sans aides de l’Etat. Souvent, les propriétaires en Italie n’ont pas peur. »
Comment est vu le basket français en Italie ?
« Il est vu comme en grand développement. Le championnat est très respecté. On sent qu’il y a de très grands compétiteurs. Les clubs français peuvent signer les joueurs pour moins d’argent qu’en Italie, les salaires sont garantis, il n’y a pas de contrat d’image. Aujourd’hui, sur le plan basket, on peut dire que l’Italie a peur de la France. »
À la SIG, il y a donc un directeur sportif italien, des joueurs français, américains, même tchèque et un coach finlandais. Que pensez-vous du mélange des cultures ?
« Strasbourg, c’est une ville-capitale européenne. Nous exprimons l’esprit européen de la ville. La ville comme le directoire et le président Bellon sont prêts pour avoir un coach finlandais, un dirigeant italien. Je pense que c’est très bien. Le plus important reste toujours de donner de la stabilité à l’effectif, même avec les joueurs étrangers, par exemple DeAndre Lansdowne, Ike Udanoh qui sont sous contrat jusqu’à la saison prochaine. »
Vous avez aussi recruté des joueurs qui ont des parcours atypiques, qui ont du s’éloigner du basket pour gagner leur vie, je pense notamment à DeAndre Lansdowne, qui était un temps électricien, d’autres qui ont joué dans des championnats européens sous-cotés. C’est ça aussi la nouvelle marque de fabrique de la SIG ?
« La nouvelle marque de la SIG, c’est d’avoir des gens qui ont le feu, l’envie de s’améliorer et de travailler très dur. Le basket, je pense qu’il vient après. Je ne suis pas un grand technicien, il y en a beaucoup qui sont meilleurs que moi, je pense. Donc on essaie de trouver les joueurs les plus motivés, les plus agressifs sur le terrain. »
Vous avez prolongé votre staff de deux années avant même le début de saison jusqu’en 2023, vous avez cinq joueurs qui sont déjà sous contrat la saison prochaine (Cavalière, Lansdowne, Morin, Maille, Udanoh). Vous aimez planifier à l’avance, non ?
« Oui. Ici, c’est toujours possible car on a de la stabilité et on a cette volonté de planifier. On a la confiance, le feu vert du président Bellon, du directoire. Je travaille toujours sur la saison suivante. »
« Si on paie moins un joueur qui a les capacités d’exploser, c’est comme donner de l’argent au club »
En début d’interview, vous mentionniez le lancement de joueurs en Italie. C’est votre stratégie ici aussi ?
« La stratégie, c’est la nécessité de « battre le marché ». Le calcul est simple : c’est comment avoir plus de budget. Si on paie moins un joueur qui a les capacités d’exploser, c’est comme donner de l’argent au club. C’est un rôle de scout : je cherche toujours des joueurs à haut potentiel. Tu ne peux pas juste avoir des actions Tesla ou Amazon, il faut un peu de Pfizer, de Vinci, quelque chose de plus calme. »
Jarell Eddie vous a quitté en cours de route. Que pensez-vous du fait qu’il soit parti en pleine saison pour un club espagnol de bas de tableau (actuel 17e) ?
« Quand on fait ce genre de négociations, le classement du club n’importe pas tellement. Le plus important, c’est le budget. Et celui de Burgos, c’est un budget de haut de tableau, je peux vous dire (rires). Plus sérieusement, j’ai discuté avec Jarell, c’est mon travail. On est tombés d’accord, pour que ça soit bénéfique des deux côtés. Et après décision ensemble, Burgos est venu très fort sur le joueur. Les négociations ont été très correctes, ils ont fait les choses bien. Maintenant, c’est à nous de trouver une solution pour essayer d’améliorer l’équipe. J’essaie toujours de voir l’opportunité, et pas le problème. Parce que c’est sûr que ça reste un problème puisque nous allons jouer des matches avec une rotation de moins. Mais avec Lassi, nous allons trouver la bonne opportunité. »
Et avez-vous trouvé cette opportunité ?
« (Rires) Non, not even close (NDLR : l’entretien a été réalisé en début de semaine). Mais on est patients, nous ne jouons pas la BCL cette semaine, nous avons quelques jours pour réfléchir encore. On a pris des risques, on jouera avec cet effectif à Boulogne-Levallois (ce samedi soir à 20h30), et on verra après. »
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Il a débuté sa carrière à seulement 22 ans à Forli en Italie, en tant que directeur sportif et responsable du scouting. Après la vente des droits du club à Sassari, Nicola Alberani a repris ses études avant de retourner dans le front office de clubs de basket, d’abord dans l’autre équipe de la ville de Forli, puis à la Virtus Roma et enfin à Avellino. Libre de tout contrat début 2020 suite aux problèmes financiers du club italien, il a accepté le challenge que lui a proposé le directoire de la SIG, pour en être le directeur sportif. A 45 ans, l’Italien est aujourd’hui au coeur de la réussite multiculturelle strasbourgeoise, et s’est confié – dans un français presque parfait – à Basket Europe sur ses expériences passées, les différences entre Italie et France, ses ambitions à Strasbourg ou encore de la gestion du cas Jarell Eddie, parti début janvier à Burgos.
Comment avez-vous découvert le milieu du basket ?
« J’ai commencé très jeune dans le milieu du basket à Forli, une vraie ville de basket, on peut dire un petit Limoges. C’est une ville où il n’y a pas de foot, seulement du basket, et c’est très rare en Italie. J’ai grandi en regardant les équipes gérées et composées par Maurizio Gherardini (NDLR : l’actuel directeur général de Fenerbahçe). Il m’a donné l’inspiration. À 22 ans, je suis devenu directeur sportif en deuxième division italienne. Après trois ans à ce poste, j’ai pensé que, pour être un bon general manager, il me fallait quelque chose en plus. Donc j’ai fait un degree d’économie internationale puis un master en hôtellerie pour être plus complet. C’est après que je suis retourné au basket, après avoir travaillé en Suisse, aux Etats-Unis. »
Vous êtes devenu directeur sportif à 22 ans à Forli, vous aviez comme joueur Michael « Sugar » Ray Richardson, 44 ans, passé par la France, qui avait le double de votre âge. Une expérience fantastique, non ?
« C’est évident. Cette expérience, c’est presque l’université du basket. Je me souviens…
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Photo : Lassi Tuovi / Strasbourg (FIBA)