Ivano Ballarini est le directeur sportif de l’équipe de France féminine. L’homme de l’ombre nous fait pénétrer dans les coulisses des Bleues et dans cette deuxième partie de l’interview, il nous parle des mentalités chez les garçons et chez les filles, du réservoir des jeunes et encore de la fragilité des corps due à la sédentarité.
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Depuis vingt ans, les mentalités ont-elles changé dans le basket féminin de haut niveau ?
Je pense qu’au plus haut niveau, filles et garçons ne se différencient pas sur le plan des relations. J’ai vu par le passé, par exemple, deux filles qui ne se parlaient pas pendant deux mois et demi, trois mois, alors que sur le terrain ça ne se voyait absolument pas car elles jouaient ensemble, elles se faisaient des passes, elles se tapaient dans la main. Hors du terrain, silence radio. J’ai vécu ça aussi avec les garçons. Tu peux jouer avec un gars que tu considères comme le dernier des cons mais s’il est efficace au rebond, s’il t’envoie des balles, etc., très bien. Plus tu descends dans le niveau de pratique et plus il y a, je pense, des différences. Là, un groupe de filles ne fonctionne pas pareil qu’un groupe de garçons. De la même façon que je vois peu de différences entre un chef d’entreprise femme et un chef d’entreprise garçon. Ils ont les mêmes compétences et les mêmes façons d’attaquer les problèmes. Sans doute que lorsque l’on descend dans la hiérarchie professionnelle, il y a des différences entre un ouvrier et une ouvrière, je n’en sais rien. Il y a une époque, on disait « les mecs, c’est plus franc, si ça ne va pas, ils se mettent deux ou trois pains et ça va mieux ». Oui, mais j’ai aussi vu des filles qui ont fait la même chose, qui se sont mis des tartes (rires). Plus on va vers le haut et plus les différences sont individuelles et il y a autant de différences entre deux filles ou deux garçons qu’entre un garçon et une fille.
Voyez-vous des différences de comportement vis-à-vis d’il y a vingt ans ?
Finalement, pas tellement. Peut-être y avait-il une plus grande autonomie il y a vingt ans. Maintenant, elles sont tellement encadrées par l’agent, le préparateur physique individuel, le nutritionniste individuel. Encore une fois c’est un phénomène qui touche tout le haut niveau. Aujourd’hui, un joueur NBA a quelqu’un qui va s’occuper individuellement de lui sur un plan mental, physique, du tir, de la nutrition. Ça n’existait pas il y a quinze ou vingt ans et maintenant tout le monde a ça. Chez les filles, ça vient petit à petit. Sabine Juras (NDLR: la préparatrice physique de l’équipe de France qui fut celle de Valenciennes et de ekaterinbourg) était la préparatrice individuelle de Candace Parker, il y a cinq ou six ans. Elle allait pendant les vacances à Los Angeles lui faire un programme et la suivre pendant quelques semaines. Ça se généralise. A partir du moment où la sphère économique a une telle importance, je peux me payer, moi fille, telle ou telle aide sans problème.
Avez-vous à gérer ça en équipe de France ?
Non. En équipe de France, on a à gérer un groupe pendant trois, cinq, six semaines, et on n’a pas le temps de gérer ça. Je sais que des filles ont des préparateurs physiques personnalisés mais ils n’interviennent pas durant la période de l’équipe de France. Je sais toutefois que Sabine est en contact avec untel et untel pour savoir ce que les joueuses ont fait durant la période avril, mai. Elle se renseigne pour par exemple continuer un travail qui a déjà été fait. Dès que l’argent va être plus présent, ça va se généraliser.
De toute façon, le basket masculin français suit la trace de la NBA et les filles suivent les garçons ?
Bien sûr. Avec un bémol quand même. Sauf si le foot féminin va créer une brèche nouvelle, malgré tout, la puissance économique des garçons est encore incomparable avec celle des filles. Mais de toute façon, ça va venir. Aux Etats-Unis c’est déjà le cas pour les grandes stars et ça va se populariser.
« Le réservoir des filles aujourd’hui est nettement inférieur à celui des garçons en France »
La grande nouveauté en vingt ans, c’est l’accumulation de médailles pour les équipes de France jeune. C’est la preuve que le réservoir est important ?
Que ce soit en garçons et en filles, si l’on compare les médailles entre 1975 et 1995 et celles entre 1995 et 2015, on passe de 2-3 dans la première période à quarante dans la deuxième. Tout simplement en raison des pôles, du pôle France où l’on a regroupé les meilleurs, on les a entraînés et les équipes de France jeunes aussi. Il y a eu des médailles à partir de 1992 et Jean-Pierre De Vincenzi (NDLR : l’or à l’Euro juniors avec Laurent Sciarra en figure de proue). Ça a été un déclencheur et il y a eu des médailles à foison, or, argent, bronze, et ça a bénéficié aux garçons comme aux filles. Mais le réservoir des filles aujourd’hui est nettement inférieur à celui des garçons en France. Des garçons de 16, 18, 20 ans, il y en a énormément de bonne qualité alors que des filles des mêmes tranches d’âge, il y en a quelques-unes mais de toute façon moins que chez les garçons.
Ce n’est donc que dans la super élite, dans les équipes de France jeune, qu’elles sont vraiment performantes ?
Exactement. Toutes ces joueuses qui ont eu des médailles durant ces années-là jouent en première et deuxième division mais très peu arrivent en équipe de France A. Iliona Rupert et Marine Fauthoux sont les deux dernières arrivées si tôt en équipe de France, à 17-18 ans. En tous les cas, en volume, c’est incomparable avec les garçons.
Quel a été votre moment de joie le plus fort au cours de ces vingt ans ?
Tout le monde dit, « c’est au moment des podiums ! » Je ne suis pas trop là-dedans. J’aime les moments que personne ne voit. Parfois ce sont des réunions improbables dans une salle ou ailleurs, des moments d’échanges que personne ne sait. Ce sont des moments super forts. Il y en a eu avec Alain Jardel, avec Valérie, avec les joueuses entre elles. On va me dire « 2001, c’était super, le premier titre… » Oui, mais les gens ne voient que la photo du podium avec les paillettes qui tombent. Il n’empêche que pour y arriver, il y a eu plein de moments super sympas dont je me souviens plus que celui du podium. Finalement, il y a plus de moments où tu es déçu que de moments où tu as gagné (sourire). En vingt ans, il n’y a pas eu tellement de titres que ça, il y a eu beaucoup de finales perdues, qui ne sont pas forcément des moments tristes mais là où il y a de l’émotion où tu vois la vraie personnalité des gens.
Justement, les moments les plus durs, c’est quoi ? Une défaite ? Une joueuse qui se blesse ? Une joueuse qui apprend qu’elle n’est pas sélectionnée ?
Pour moi, une joueuse qui n’est pas sélectionnée, ce n’est pas un moment dur. Je sais que Valérie a beaucoup de mal, comme Alain Jardel d’ailleurs, a annoncé à quelqu’un qu’il n’est pas sélectionné mais tout le monde est au courant de la règle. Quand tu rentres dans le groupe France, il y a 16, 17, 18 joueuses et tu sais qu’il va y avoir un cut et que peut-être ça sera toi. De la même façon que dans une équipe de foot, si tu as les quatre meilleurs gardiens du monde et que tu dois en choisir deux, ce sont les deux autres qui pourraient jouer dans n’importe quelle équipe que tu vires. C’est comme ça, la règle veut que… Là, c’est pareil, si tu as cinq meneuses et que tu n’en gardes que trois, il faut en couper deux (NDLR : Ce fut le cas durant la préparation puisque Ingrid Tanqueray puis Romane Bernies ont été retirées du groupe, l’une après les matches à Mont-de-Marsan et l’autre après ceux à Rennes). C’est un moment dur pour la joueuse mais pas pour moi. En revanche, la blessure ou ce qui t’arrive sans que tu sois prévenu, ça c’est un moment dur. Par exemple lorsque Diandra (Tchatchouang) s’est blessée en équipe de France -20, ça c’était dur. C’est arrivé dans le rond central, en Lettonie. Je m’en souviens encore. On loupe un peu les matches suivant, évidemment.
Et il a fallu l’accompagner ensuite moralement…
Oui. L’hôpital… C’est tout le reste. Le moral qui descend.
En vingt ans, le nombre de blessures n’a fait qu’augmenter, les genoux, les tendons d’Achille ?
Et autres choses aussi. C’est le cheval de bataille de Sabine (Juras). On a augmenté le volume d’entraînement et le gamin de 16 ans s’entraîne 3, 4, 5 fois plus qu’il y a vingt ans. Sauf qu’aujourd’hui on a une population majoritairement sédentaire qui ne fait plus que des jeux vidéo. Une population qui en 50 ans est passée de 80% rurale à 80% urbaine ou péri-urbaine. Ce qui veut dire que l’on ne fait plus de vélo, on ne va plus dans les arbres, on ne joue plus dans la rue. Ce sont des sédentaires avec qui on ne fait qu’une activité. T’es grand, t’es bon, du basket, du basket, du basket. Ce qui fait que les usures et les blessures qu’elle constatait chez les pros à 25-35 ans, elle le constate aujourd’hui sur des gamins de 16-17 ans. Des usures de cartilages. Elle dit, « je n’ai jamais vu ça ». En plus, on a des grands qui grandissent à des vitesses extrêmes et on leur applique des volumes de travail sur des corps qui ne sont pas prêts à le subir. Et donc, blessures. A l’Insep et dans tous les pôles, ils font face à ces problèmes-là tous les jours. Pour ne pas être sédentaire, il faudrait faire entre 10 et 15 000 pas par jour. Soit environ une demi-heure de marche ou de course. Personne ne fait ça même les gamins qui sont censés s’entraîner tous les jours. Alors qu’il y a trente ans, quand tu habitais à la campagne, tu allais à l’école à vélo. Tu faisais du foot dans les champs, tu allais dans les arbres, tu faisais des cabanes. Tu faisais des expériences motrices différentes. Même moi qui étais un urbain étant gamin, on faisait plein d’activités. C’est ce que Sabine conseille de faire maintenant. Je la convoque souvent dans des stages d’entraîneurs pour porter la bonne parole. Elle leur dit « arrêtez de ne faire faire aux gamins que du basket ! Variez les activités, faites du foot, du tennis, emmenez-les à la piscine, faites-les courir en sous-bois. » Ce sont ces facteurs qui font que les blessures sont plus que fréquentes, c’est du quotidien alors qu’il y a vingt ans, ça n’existait pas. S’entraîner une heure ou une heure et demie par jour, ce n’est pas extrême si ton corps est capable de le supporter, ça passe tout seul. Sauf que l’on fait ça aujourd’hui sur un corps en train de grandir avec des gamins qui à 15 ans font deux mètres, qui sont encore plus fragiles, et qui ne sont pas prêts à encaisser ça. Le foot a fait pas mal d’études là-dessus et ils ont décidé que dès que le pic de croissance arrive chez un gamin, ils divisent la charge de travail par cinq ou six ! Et après, tu vas faire de la natation ou autre chose. Certains jeunes prennent trente centimètres en six mois et ils ne peuvent pas subir la même dose de travail que d’autres.
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Depuis vingt ans, les mentalités ont-elles changé dans le basket féminin de haut niveau ?
Je pense qu’au plus haut niveau, filles et garçons ne se différencient pas sur le plan des relations. J’ai vu par le passé, par exemple, deux filles qui ne se parlaient pas pendant deux mois et demi, trois mois, alors que sur le terrain ça ne se voyait absolument pas car elles jouaient ensemble, elles se faisaient des passes, elles se tapaient dans la main. Hors du terrain, silence radio. J’ai vécu ça aussi avec les garçons. Tu peux jouer avec un gars que tu considères comme le dernier des cons mais s’il est efficace au rebond, s’il t’envoie des balles, etc., très bien. Plus tu descends dans le niveau de pratique et plus il y a, je pense, des différences. Là, un groupe de filles ne fonctionne pas pareil qu’un groupe de garçons. De la même façon que je vois peu de différences entre un chef d’entreprise femme et un chef d’entreprise garçon. Ils ont les mêmes compétences et les mêmes façons d’attaquer les problèmes. Sans doute que lorsque l’on descend dans la hiérarchie professionnelle, il y a des différences entre un ouvrier et une ouvrière, je n’en sais rien. Il y a une époque, on disait « les mecs, c’est plus franc, si ça ne va pas, ils se mettent deux ou trois pains et ça va mieux ». Oui, mais j’ai aussi vu des filles qui ont fait la même chose, qui se sont mis des tartes (rires). Plus on va vers le haut et plus les différences sont individuelles et il y a autant de différences entre deux filles ou deux garçons qu’entre un garçon et une fille.
Voyez-vous des différences de comportement vis-à-vis d’il y a vingt ans ?
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Photo ouverture: Alexia Chartereau (Hervé Bellenger, FFBB)