A la suite de notre volumineux dossier sur les équipes nationales de jeunes en Europe, nous avons sollicité Jacky Commères, Directeur de la Performance et des équipes nationales à la FFBB, et par voie de conséquence farouche défenseur de la formation à la française. Il met l’accent sur le danger concurrentiel de la NCAA.
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A la Fédération, vous paraissez très inquiet par le nombre de joueurs et de joueuses qui échappent désormais au système français ?
Tout ce qui est détection et formation dans le système fédéral a deux objectifs. Former en bout de chaîne pour les équipes nationales, jeunes et séniors et assurer aussi le renouvellement de l’élite du basket français à travers pôle espoirs, pôle France, INSEP, centres de formation. La particularité du sport français c’est aussi d’utiliser des fonds publics pour tout son système de formation. Quand on a des joueurs ou des joueuses qui sont en équipes nationales ou dans les clubs français, c’est tout bon. La chose la plus problématique, c’est quand ils et elles partent sous d’autres cieux et que l’on ne peut pas les retrouver dans les équipes nationales ni dans les clubs français. D’autant plus que se rajoutent à ça des problèmes de niveaux. Par exemple, chez les jeunes filles, jouer en Ligue Féminine pour un projet 2024, c’est beaucoup plus cohérent en termes de performances que d’aller dans une université américaine où le niveau général est plus faible.
Dans le groupe des U20 féminines, il y avait cet été un nombre important de joueuses qui sont en NCAA ?
Je suis les équipes de France jeunes tout l’été et c’est un phénomène que je vois de façon très forte. Il y a beaucoup de scouts qui sont intéressés par les joueurs et les joueuses français pour quatre raisons qui reviennent toujours. Un, ce sont des joueurs et des joueuses qui se tiennent bien, qui peuvent être coachés, on est connu pour avoir de bons comportements, l’esprit d’équipe. Ils intéressent beaucoup par rapport à ce qu’ils savent faire techniquement car on a de très bons résultats. Troisièmement, leur valeur athlétique tranche par rapport au niveau moyen européen et on se rapproche de ce qu’ils veulent. Ils sont aussi très intéressés pour aller chercher des joueurs et des joueuses hors Etats-Unis et ils interviennent très tôt auprès des jeunes et de leurs familles. Et comme leur système permet d’avoir des bourses pour aussi une formation universitaire avec la possibilité d’apprendre l’anglais, ça intéresse beaucoup les familles. Sauf que pour nous ce n’est pas du tout la meilleure solution sur le plan de la performance. On assiste à un phénomène qui correspond à celui du football, à savoir que les meilleurs du territoire sont connus partout très tôt. Dès le premier championnat d’Europe U16 chez les garçons comme chez les filles, ils sont là. Même chez les garçons, être dans une université ne garantit pas le fait de faire une grande carrière.
Toutes les universités ne se valent pas ?
Elles ne se valent pas… En plus, on a des problèmes de disponibilité avec les universités. Elles leur font faire l’été des activités liées aux études en pleine collision avec les compétitions internationales. En plus, on a développé le Team France Basket avec plus de 40 joueurs avec le système des fenêtres internationales et l’idée d’avoir des partenaires d’entraînement. Or, les joueurs qui partent aux Etats-Unis ne sont pas du tout disponibles pour ces fenêtres internationales. On peut les perdre de vue. Et donc, j’y suis allé, sur des performances à l’université de niveau extrêmement inégal et parfois nettement inférieur, ne parlons pas de la Jeep Elite, mais de la Pro B et même parfois de la Nationale 1. Il y a une autre chose de très inquiétant par rapport aux Etats-Unis c’est le recrutement avant l’université, pour aller en high school. Ce ne sont pas forcément des scouts mais tout un tas d’intermédiaires plus ou moins cachés qui en sont à l’origine. Il y a des parcours de joueurs qui démontrent qu’ils auraient été beaucoup mieux dans notre système, que ce soit le pôle France ou les centres de formation des clubs professionnels structurés avec la possibilité de jouer de vraies compétitions (NDLR: voir ici le bilan 2018-19 des Français en NCAA et ici la liste des Européens en NCAA pour la saison en cours).
Au pôle France, vous avez des joueurs et des joueuses qui partent ou qui ne viennent pas pour aller aux Etats-Unis ?
Ce qui nous a vraiment inquiété, c’est de voir des joueuses en particulier, à la sortie du pôle France, qui ont préféré le parcours universitaire aux sollicitations de clubs de Ligue Féminine, pour certaines se retrouver ensuite redshirts, c’est-à-dire ne pas pouvoir jouer, etc.
Chez les garçons, il existe un fantasme américain avec la perspective plus ou moins concrète d’atteindre un jour la NBA. Il existe aussi chez les filles ?
Là où je suis en opposition aux recruteurs américains, c’est le niveau de la performance. C’est indéniable. Ce qui pose problème pour nous c’est ce qui relève de l’attractivité : le système américain, le sport, les études et toutes les facilités autour de ça. Le système universitaire avec les études est organisé avec le sport. Mais il ne faut pas penser que ça se passe sans problème. Des joueuses ont changé d’université parce que le projet sportif ne leur convenait pas. Chez les garçons, il existe une deuxième concurrence. J’en parlais avec mes homologues espagnols, ils forment de très bons jeunes Espagnols, qui cumulent les médailles, mais les grands clubs espagnols n’ont de cesse même chez les jeunes de mettre dans leurs rosters des joueurs qui viennent de toute l’Europe. On a vraiment en France une qualité de formation avec le parcours fédéral, les pôles espoirs, le pôle France, les clubs avec les centres de formation, on a développé à la Fédération la notion de double licences, on a mis en place entre la Fédération et la Ligue un système pour la valorisation financière pour les clubs qui font jouer des jeunes identifiés par la DTNB à travers leur présence dans les équipes de France. Aujourd’hui la réussite se fait à travers les jeunes qui performent en équipes nationales et dans les championnats de club. Ce n’est pas plus mal que d’aller se perdre à 18 ans dans des grands clubs européens ou dans des universités américaines. On voit que l’on peut réussir en NBA sans avoir un parcours américain.
« On a une visualisation de l’ensemble du calendrier jusqu’en 2024. S’ils vont dans un système où c’est très difficile de se rendre disponible pour les équipes nationales, d’autres le seront, disponibles »
Kilian Hayes a été suspendu six semaines pour ne pas avoir respecté le protocole fédéral afin d’être exempté de l’équipe de France U20. Y a-t-il beaucoup de cas de ce type ?
Non. Ça fait partie de mon travail de piloter les entraîneurs de toutes les équipes de France sur deux grands axes. Un, la coordination technique, c’est-à-dire travailler sur une même base de jeu, à la fois de l’expression défensive et offensive, etc. Deux, travailler au niveau des effectifs. On regarde bien sûr tous ensemble quels sont les futurs joueurs pour être pré-sélectionnés et sélectionnés. Et après on échange avec les clubs. Par exemple, avec Aimé Toupane depuis des années avec les U20, on a fait des préparations qui tenaient un peu compte au début du professionnalisme de ces joueurs, des impératifs de club, des impératifs de camps qu’ils veulent faire pour s’exposer. On arrive à avoir cette intelligence relationnelle qui fait que l’on s’adapte. Mais quand il y a des refus de sélection sans avoir de justificatifs, on est obligé de sanctionner. On n’ouvre pas souvent de dossiers disciplinaires comme ça. Par contre, quand il y a des absences, il faut qu’elles soient justifiées. Certaines sont dues à des blessures donc justifiées médicalement, parfois à cause de contraintes d’études, on en a eu aux Etats-Unis mais on a des documents justificatifs.
Des joueurs comme Sekou Doumbouya et William Howard qui appartiennent à des franchises NBA même s’ils jouent en G-League sont susceptibles de rejoindre l’équipe de France ?
Bien sûr. Tous les joueurs qui sont à l’étranger sont susceptibles de revenir en équipe de France. Ce qui pose problème vis-à-vis de certains joueurs et surtout certaines joueuses qui partent, c’est la possibilité de se rendre disponibles. S’ils ne le sont pas pour les fenêtres de novembre et février pour être dans la pré-sélection ou être partenaires d’entraînement, le train passe… On a de forts joueurs et de fortes joueuses qui arrivent, notre pays en forme, et quand on n’est pas là, un autre ou une autre prend la place. Mon boulot de directeur de perf c’est de travailler pour les JO de 2020 et aussi de 2024. On a une visualisation de l’ensemble du calendrier jusqu’en 2024. S’ils vont dans un système où c’est très difficile de se rendre disponible pour les équipes nationales, d’autres le seront, disponibles. Il ne s’agira pas de se réveiller en 2023 et de dire « moi, j’existe ! » sans avoir jamais mis les pieds en équipe de France.
C’est pour ça que je prenais le cas de Sekou Doumbouya qui n’a jamais reporté le maillot de l’équipe de France depuis le titre de champion d’Europe U18 en décembre 2016 ?
Contrairement à ce qui a été rapporté parfois, l’année d’après il a été blessé, à une cheville, je crois. Lui, il est parti très, très tôt en NBA et c’est sûr qu’il y a ce problème de disponibilité des joueurs. Mais pour moi, la chose à laquelle il faut que les joueuses et les joueurs fassent attention, c’est dans quelle voie ils se mettent quand ils disent « je veux performer, je veux jouer au plus haut niveau ». A une joueuse qui veut aller dans une université américaine qui n’est pas l’une des premières aux Etats-Unis sans être disponible pour les équipes nationales, je leur dis qu’il vaut mieux aller dans un club de la Ligue Féminine. A travers le pôle France et les centres de formation des clubs, on a un parcours tout aussi performant sinon plus et ensuite on peut jouer en Pro B ou avoir des minutes en Jeep Elite. Et donc ce n’est pas forcément par la voie américaine qu’ils auront plus de facilités pour entrer en NBA. Les franchises NBA voient les matches du monde entier, la Nationale 1, la Pro B, tous les championnats européens, les compétitions internationales de jeune.
Pour un Euro de jeune, il y a un nombre très important de scouts ?
Ça se voit d’autant plus que dans certains pays, il y a très peu de public. Ils sont très intéressés.
Viennent-ils discuter avec les coaches ?
Non. Mais ce qui ne se sait pas, c’est que l’année dernière avec Jean-Pierre Siutat et Boris Diaw, on est allé discuter aux Etats-Unis avec les gens des universités américaines. On leur demande ce qu’ils font quand on a besoin des joueurs par rapport aux équipes nationales et parfois il y a des cycles d’études qui se chevauchent avec les périodes de celles-ci.
Vous êtes aussi parti cinq jours en Australie pour y rencontrer les gens de la Fédération ?
Pas moi, je n’ai pas pu y aller. Ce que l’on fait chaque année c’est aller aux Etats-Unis pour voir les franchises NBA et des jeunes dans les universités. En Australie, ils ont une structure un peu équivalente avec le pôle France à l’INSEP (NDLR: l’Australian Institute of Sport). Ils sont aussi venus nous visiter. Dans les systèmes étrangers, il y a des choses parfois difficilement transposables mais parfois ça nous permet d’élever le niveau d’excellence et aussi donner l’envie aux jeunes de s’inscrire dans des projets ici. L’attractivité c’est très important. Les Australiens sont très performants sur tout ce qui est données, accompagnement des athlètes avec des aspects assez scientifiques autour de la performance. Pour performer dans les équipes de jeunes, il faut réunir très souvent les entraîneurs, se poser les questions sur les effectifs, qui peut-on faire jouer en catégorie supérieure, comment travailler avec untel, quels liens peut-on avoir avec un club, comment regrouper les meilleurs potentiels. Israël est par exemple deux fois champion d’Europe U20 et le sera peut-être une troisième fois. A l’échelle de leur pays, ce qui est peut-être plus facile car c’est beaucoup plus petit, ils arrivent à regrouper les joueurs très souvent dans la saison pour des aspects basket dont ils ont convenu.
Photo d’ouverture: Joel Ayayi, élu dans le 5 Majeur de l’Euro U18 puis de la Coupe du monde U19, est en formation à l’université de Gonzaga où ses stats ont doublé d’une saison sur l’autre (FIBA).
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A la Fédération, vous paraissez très inquiet par le nombre de joueurs et de joueuses qui échappent désormais au système français ?
Tout ce qui est détection et formation dans le système fédéral a deux objectifs. Former en bout de chaîne pour les équipes nationales, jeunes et séniors et assurer aussi le renouvellement de l’élite du basket français à travers pôle espoirs, pôle France, INSEP, centres de formation. La particularité du sport français c’est aussi d’utiliser des fonds publics pour tout son système de formation. Quand on a des joueurs ou des joueuses qui sont en équipes nationales ou dans les clubs français, c’est tout bon. La chose la plus problématique c’est quand ils et elles partent sous d’autres cieux et que l’on ne peut pas les retrouver dans les équipes nationales ni dans les clubs français. D’autant plus que se rajoutent à ça des problèmes de niveaux. Par exemple chez les jeunes filles, jouer en Ligue Féminine pour un projet 2024 c’est beaucoup plus cohérent en termes de performances que d’aller dans une université américaine où le niveau général est plus faible.
Dans le groupe des U20 féminines, il y avait cet été un nombre important de joueuses qui sont en NCAA ?
Je suis les équipes de France jeunes tout l’été et c’est un phénomène que je vois de façon très forte. Il y a beaucoup de scouts qui sont intéressés par les joueurs et les joueuses français pour quatre raisons qui reviennent toujours. Un, ce sont des joueurs et des joueuses qui se tiennent bien, qui peuvent être coachés, on est connu pour avoir de bons comportements, l’esprit d’équipe. Ils intéressent beaucoup par rapport à ce qu’ils savent faire techniquement car on a de très bons résultats. Troisièmement, leur valeur athlétique tranche par rapport au niveau moyen européen et on se rapproche de ce qu’ils veulent. Ils sont aussi très intéressés pour aller chercher des joueurs et des joueuses hors Etats-Unis et ils interviennent très tôt auprès des jeunes et de leurs familles. Et comme leur système permet d’avoir des bourses pour aussi une formation universitaire avec la possibilité d’apprendre l’anglais, ça intéresse beaucoup les familles. Sauf que pour nous ce n’est pas du tout la meilleure solution sur le plan de la performance. On assiste à un phénomène qui correspond à celui du football, à savoir que les meilleurs du territoire sont connus partout très tôt. Dès le premier championnat d’Europe U16 chez les garçons comme chez les filles, ils sont là. Même chez les garçons, être dans une université ne garantit pas le fait de faire une grande carrière.
Toutes les universités ne se valent pas ?
Elles ne se valent pas… En plus, on a des problèmes de disponibilité avec les universités. Elles leur font faire l’été des activités liées aux études en pleine collision avec les compétitions internationales.
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