La Lettonie, pays balte de moins de deux millions d’habitants a donné trois cimes au basket mondial. Kristaps Porzingis et ses 221cm des Dallas Mavericks est notre contemporain. Ouliana Semenova et ses 220cm ont fait régner leur loi dans les années soixante-dix. Jānis Krūmiņš, généralement listé à 2,18m, fut dans les années cinquante, le premier géant européen.
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Sa taille lui a été très utile dans son premier métier : collecteur de résine d’arbre, car il pouvait atteindre des hauteurs inaccessibles au commun des mortels et tendre ses gobelets. Jānis Krūmiņš, né en 1930, a dû travailler dès ses 13 ans suite au décès de son père. Son métier lui plaisait au point que lorsqu’il fut solicité pour devenir basketteur, il répondit avec candeur :
“Pourquoi ai-je besoin de ça ? Je gagne bien ma vie, je me suis habitué à la forêt et je me sens bien ici.”
Sa taille fantasmagorique pour l’époque fut rapportée de manière variable suivant les chroniqueurs. Il faisait paraît-il deux mètres à 14 ans et entre 2,18m et 2,23m à l’âge adulte. Ses points forts étaient son équilibre mental et sa fiabilité. Ses faiblesses ? Sa timidité, sa gentillesse, sa patience excessive. La plupart des défenseurs n’hésitaient pas à lui marcher sur les orteils, à le pousser, à le frapper. Lui, conscient de sa force, répondait que s’il ripostait, il risquait de tuer son adversaire. Le public clermontois fut odieux avec Ouliana Semenova la conspuant quand elle affrontait les joueuses du CUC. Krūmiņš a eu droit aussi à son tombereau de moquerie en raison de son immense carcasse. Journaliste à l’époque de Krūmiņš, y compris de basket, avant de devenir verbicruciste et animateur de jeux télévisés, Max Favalelli n’hésita pas à traiter le Letton d’Homme de Cromagnon. Il nous habitua ensuite à davantage de finesse.
En tant que géant bien bâti, Krūmiņš a attiré l’attention de nombreux entraîneurs, de lutte, de boxe et d’athlétisme mais toutes les tentatives échouèrent en raison de son manque de motivation. C’est sa rencontre avec Alexandre Iakovlevitch Gomelski, qui va changer la destinée du colosse, de l’ASK Riga et de l’équipe nationale d’URSS, pays qui avait absorbé sans vergogne les trois pays baltes en 1940.
Alexandre Gomelski le rencontre lors de l’une de ses sorties en vélo
Alors qu’il était sorti diplômé de l’Institut Militaire de Culture Physique de Léningrad et qu’il entraînait l’ASK Riga, le club militaire de la Lettonie, Gomelski croisa la route de Krūmiņš, qui était sur un vélo et ne pouvait passer inaperçu. Le géant avait déjà 23 ans et n’avait jamais pratiqué le basket. Il fallut à Alexandre Gomelki utiliser des trésors de diplomatie pour le convaincre de tâter de la balle orange et beaucoup de patience pout qu’il y soit efficace. Jusque-là, Gomelski n’avait travaillé qu’avec des joueurs déjà formés alors qu’avec « Garais Jan » -son surnom en Lettonie qui signifie « Grand Jan »- il a dû commencer par A pour finir à Z. Dans ses mémoires, celui qui fut plus tard colonel de l’Armée Rouge a raconté le long apprentissage du géant :
« Sec, fort, sans un gramme de poids excessif (même s’il pesait 140 kg), le dos large, puissant (peut-être même plus puissant que Vladimir Tkachenko (NDLR : un pivot de 2,20m que Gomelski eut également sous ses ordres dans les années soixante-dix), il était très correctement coordonné, bien que lent. Lui apprendre à courir et à sauter sans ballon n’était pas particulièrement difficile. Mais en ce qui concerne le côté technique, attraper le ballon, passer, tirer, c’était très difficile pour Jan. Nous avons dépensé beaucoup de nerfs et de force. Parfois, Jānis se lassait de tout et essayait même d’arrêter le basket: « Pourquoi ai-je besoin de tout cela ? Pourquoi suis-je si tourmenté ?… ‘L’incroyable qualité de Krūmiņš, à l’instar de tout autre athlète de grand talent, résidait dans sa réceptivité. Parmi les pivots de sa classe, peut-être un Arvidas Sabonis s’est-il démarqué par la suite. Ian n’avait pas besoin de répéter la tâche deux fois, trois fois, pour montrer qu’il avait compris. Il se souvenait instantanément de tout et essayait de le refaire le plus possible. Par conséquent, il a progressé, peut-être lentement mais sûrement. »
C’est à partir du milieu des années cinquante que Jānis Krūmiņš devint le pivot titulaire de l’ASK Riga où il fut apprécié de tous grâce à son sérieux, son humour subtil, son caractère combattif et son désir de ne jamais offenser ni blesser quiconque. Le géant letton fut la figure principale du basket soviétique pendant une décennie et Gomelski est catégorique quant à son apport :
« Sans Krūmiņš, il n’y aurait pas eu de médailles aux trois Jeux olympiques, l’or lors de trois championnats d’Europe, la plus haute récompense remportée par l’équipe de l’armée de Riga aux championnats nationaux et lors de trois finales de Coupe d’Europe. Dans tous ces tournois, le rôle de Jānis fut très important. Sans lui, je ne peux pas imaginer le basket-ball mondial des années 50-60. Et bien qu’à cette époque, tant dans notre pays qu’à l’étranger, de véritables stars brillaient, Krūmiņš était l’une des plus brillantes. C’était un athlète intransigeant avec le caractère d’un vrai compétiteur, endurant vis-à-vis de toutes les difficultés. Il ne s’est jamais disputé avec les arbitres, n’a pas fait la grimace, n’a pas démontré à quel point c’était douloureux, mais a tout simplement fait son travail correctement et honnêtement. »
Si le nom de l’ASK Riga brille tout en haut du palmarès de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, qui deviendra plus tard l’Euroleague, en 1958, 59 et 60, c’est pour beaucoup grâce à Jānis Krūmiņš. Lors des deux premières finales contre l’Academic Sofia, l’ASK Riga remporta aussi bien le match aller que le retour malgré les 16 000 personnes rassemblées la première fois dans un stade découvert de la capitale bulgare et les 20 000 l’année suivante. D’après les observateurs, s’il était lent dans ses mouvements, peu explosif, Krūmiņš était comme le soulignait Gomelski parfaitement coordonné et disposait aussi d’une grande vision du jeu. En 1960, lors de la troisième édition de la finale de la Coupe d’Europe, face au Dinamo Tbilissi, une autre équipe soviétique, de Georgie, il planta 26 points à l’aller et 28 au retour sur respectivement 61 et 69 points !
La France privée de finale olympique en 1956 par sa faute
Le voir évoluer sur des images d’archives de l’INA et de la Gaumont, c’est la plongée dans un autre monde. Comme lors de ce France-URSS de février 1956 lorsque la France fit tomber pour la première fois l’équipe soviétique à Paris, 61-55, avec 19 points de Robert Monclar. On y voit Krūmiņš prendre un rebond offensif sur la tête de tout et le monde et réaliser une magnifique… brique ! Et aussi effectuer un tir en crochet et remonter le terrain à petites foulées. Sinon Jean-Paul Beugnot et ses 2,03m, aucun international français n’appartenait à la catégorie des double-mètres.
Plus étonnant encore, ce match entre Lettonie et Lituanie aux Spartakiades d’été de 1956 ; la seule fois où l’on peut voir des sélections des pays baltes jouer du temps de l’URSS. Le qualificatif de big man a dû être inventé pour lui et c’est bien dommage que l’on ne comptabilisait pas les rebonds à l’époque car il en faisait visiblement une razzia.
On peut voir Jānis Krūmiņš à partir de la 27 ème minute avec la sélection de la Lettonie face à la lituanie lors des spartakiades d’été de 1956.
Autre intérêt de consulter les archives, c’est de connaître la perception qu’en avait les Français. Voici ce qui était écrit sur Krūmiņš dans la revue fédérale Basket-ballaprès son séjour parisien en 1956 :
« Je parlais de « curiosité », la taille, le poids, la pointure de Jānis Krūmiņš impressionnaient fort -et surtout avant le match- le public toujours un peu badaud, excité à l’idée de le voir en action le phénomène annoncé à l’extérieur (…) La confrontation de deux types d’hommes aussi différents que l’éléphantesque Krūmiņš et le jeune (Gérard) Sturla avait quelque chose de paradoxal et même d’un peu comique. »
Quelques mois plus tard, l’équipe de France, qui fut considérée par les spécialistes comme la meilleure de tous les temps avant l’avènement de la génération Tony Parker, réalisa un superbe tournoi olympique à Melbourne. Ce ne fut pas le moindre de ses exploits de faire chuter l’URSS en poule, 76-67, avec quatre joueurs en double figure comme on dit aujourd’hui : Roger Antoine (15 points), Robert Monclar (14), Jean-Paul Beugnot (12) et Henri Grange (10). Seulement, six jours plus tard, les Français retrouvèrent les Soviets et ce ne fut pas la même limonade. L’URSS s’imposa 56-49. Témoin du match, le journaliste Marcel Hansenne de L’Equipe, fut formel :
« Malheureusement, le deuxième match fut très différent du premier. La haute taille de Jānis Krūmiņš, qui joua cette fois le match entier, constitua pour les Tricolores un problème absolument insoluble. Ses grands pieds posés juste en dehors de la raquette, Jānis Krūmiņš , qui avait fait quelques progrès depuis ses débuts mémorables à Paris, se retournait pour marquer avec une adresse certaine, ou bien relançait aussitôt le ballon à un partenaire mieux placé, exactement comme s’il s’était trouvé à l’entraînement. On peut dire que Jānis Krūmiņš à lui seul empêcha en 1956 la France de retrouver les Etats-Unis en finale olympique. »
Jānis Krūmiņš tourna à 10,4 points durant le tournoi olympique mais en finale, il tomba sur plus fort que lui : Bill Russell, 2,08m, alors âgé de 22 ans et qui différa son entrée en NBA avec les Boston Celtics pour participer aux Jeux Olympiques. La détente de Russell était telle qu’il avait envisagé un temps de candidater à l’équipe olympique américaine de saut en hauteur.
« Il me semblait depuis toujours que Jānis avait suffisamment de talent pour affronter Russell. Mais la réalité s’est avérée décourageante. Les Américains ont gagné exactement de 30 points (NDLR : 85-55), et Russell n’a tout simplement pas permis à quiconque de tirer sous le cercle. Il a sauté si haut qu’il a facilement arrêté tous les transferts vers Krūmiņš. Janis est resté presque tout le match coupé de ses partenaires, ils ne pouvaient pas le nourrir en ballons, car ils étaient eux-mêmes pris au piège d’une forte pression. La défaite était sans conditions, » reconnu plus tard Gomelski.
Lequel Alexandre Gomelski certifie que son meilleur match, son géant l’effectua lors du championnat du monde au Chili en 1959 face aux Américains, qui présentaient une équipe de troisième zone formée par des militaires de l’armée de l’air (!). Il était paraît-il comme possédé.
« En battant les Chiliens dans la poule finale, 75-49, et encore les Brésiliens, 66-63, nous avons vécu dans l’attente d’un match contre les Américains. La bagarre a eu lieu au stade national de Santiago, où Pinochet a ensuite installé un camp de concentration pour ses adversaires politiques. 25 000 spectateurs étaient rassemblés dans les gradins. Il était important de savoir qui ils soutiendraient. Il s’est avéré que ce fut nous. Tout au long de la rencontre, l’arène a été éclairée de : «Viva Sovetiko ! Viva Russie ! Viva Jānis Krūmiņš ! » Jānis s’est surpassé. Il était l’âme du match, l’âme de l’équipe. Je ne l’avais jamais vu aussi excité, imprudent. Il a crié sur les gars, a exigé le ballon, s’est précipité (c’est vraiment difficile à croire) sur tout le terrain et a même réussi à contre-attaquer. On avait l’impression qu’il jouait le match le plus important de la finale. On a gagné 62-37. »
Seulement pour des raisons politiques, les Soviétiques refusèrent de rencontrer Formose/Taiwan et ont été déclarés forfait général. Mais Jānis Krūmiņš apparaît tout de même dans le Cinq all-Stars du tournoi.
La concurrence a essayé des antidotes
La domination de Jānis Krūmiņš amena la concurrence en Union Soviétique a tenté de sortir du chapeau des big men, à chercher l’antidote. C’est ainsi que Lezhava (2,09m) est apparu au Dynamo Tbilissi, Okipnyak (2,10m) et Sushak (2,13m) à Kiev, Andreev (2,15m) à Alma-Ata, Eglitis (2,08m) et Draka (2,05m) au VEF Riga, Petrov (2,11m) à Bakou, Balabanov (2,07m) au Dynamo Moscou. Au Brésil, le super géant Mohamed El Ali Rashid (2,26m) fut placé sur orbite mais s’est vite écrasé. Et en France, le coach Robert Busnel bichonna Jean-Claude Lefèbvre (2,18m) qui partit en formation à l’université de Gonzaga, fut le premier Européen drafté par une franchise NBA, les Los Angeles Lakers en 1960, mais dont le bilan final fut, disons-le, très mitigé.
« Tous les pivots étaient spécialement préparés à la rivalité avec Krūmiņš, qui, dans le basketball amateur (NDLR : rappelons qu’à l’époque les « professionnels » de la NBA était interdit de compétitions internationales), était bien entendu le centre le plus puissant du monde », commenta Gomelski. « La médaille d’argent olympique, la gloire d’un joueur cool et le battage publicitaire qui y étaient associé, ne l’a pas du tout affecté, au contraire ça l’a toujours rebuté et il a essayé de se cacher des autres. Dans le jeu, il est également resté le même partenaire généreux et délicat, et avec une grande volonté, il donnait le ballon pour un tir décisif à un camarade. J’ai dû insister pour que mes joueurs jouent davantage sur lui. »
Dans la vie de tous les jours, Jānis Krūmiņš était de fait une véritable star. Il était invariablement reconnu par les gens dans la rue -et pour cause-, acclamé et… palpé, ce qui le mettait mal à l’aise. Il fut le premier à Riga à s’acheter une Moskvich aux vitres fumées afin d’échapper aux regards indiscrets. Un autre problème quotidien était pour lui de s’habiller. C’est le maréchal soviétique Hovhannes Bagramyan, lui-même de haute taille, qui lui commanda un lit de trois mètres de long, ainsi que des chaussures et des vêtements fabriqués sur mesure. Le géant était également timide avec les femmes et il a rencontré la sienne, Inessa, alors qu’elle travaillait comme sculptrice et qu’on lui demanda de faire un buste du joueur. Et à sa retraite de joueur, Krūmiņš se convertit à son tour en sculpteur sur métaux à partir de croquis réalisés par sa femme.
« Inessa a découvert ce mec merveilleux qu’il a toujours été. Maintenant qu’ils ont deux fils et une fille, Jan aime toujours la vie privée dans son atelier du sous-sol et le réconfort de la famille au foyer. Quand je viens à Riga, j’essaie toujours de parler avec lui, même s’il est très difficile de le faire sortir du cercle familial. Il a laissé pousser une barbe, qui est devenu complètement grise, mais il est toujours aussi costaud. Il apparaît à l’occasion en public, mais seulement lorsque d’importants tournois de basket-ball ont lieu à Riga, » écrivit Gomelski.
Jānis Krūmiņš est décédé en 1994 mais il est encore présent dans la mémoire des fans des Républiques de l’ancienne URSS. Il y a quelques années, un sondage auprès des lecteurs de Sport Express l’a placé en troisième position des pivots de l’histoire derrière Arvidas Sabonis et Vladimir Tkachenko. Ses héritiers.
PS : Jānis Krūmiņš est l’écriture original de son nom en letton. En français, on écrit généralement Janis Krouminch.
PS (2) : Nos remerciements à Hugues Blondeau pour ses indications toujours précieuses.
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Sa taille lui a été très utile dans son premier métier : collecteur de résine d’arbre, car il pouvait atteindre des hauteurs inaccessibles au commun des mortels et tendre ses gobelets. Jānis Krūmiņš, né en 1930, a dû travailler dès ses 13 ans suite au décès de son père. Son métier lui plaisait au point que lorsqu’il fut solicité pour devenir basketteur, il répondit avec candeur :
“Pourquoi ai-je besoin de ça ? Je gagne bien ma vie, je me suis habitué à la forêt et je me sens bien ici.”
Sa taille fantasmagorique pour l’époque fut rapportée de manière variable suivant les chroniqueurs. Il faisait paraît-il deux mètres à 14 ans et entre 2,18m et 2,23m à l’âge adulte. Ses points forts étaient son équilibre mental et sa fiabilité. Ses faiblesses ? Sa timidité, sa gentillesse, sa patience excessive. La plupart des défenseurs n’hésitaient pas à lui marcher sur les orteils, à le pousser, à le frapper. Lui, conscient de sa force, répondait que s’il ripostait, il risquait de tuer son adversaire. Le public clermontois fut odieux avec Ouliana Semenova la conspuant quand elle affrontait les joueuses du CUC. Krūmiņš a eu droit aussi à son tombereau de moquerie en raison de son immense carcasse. Journaliste à l’époque de Krūmiņš, y compris de basket, avant de devenir verbicruciste et animateur de jeux télévisés, Max Favalelli n’hésita pas à traiter le Letton d’Homme de Cromagnon. Il nous habitua ensuite à davantage de finesse.
En tant que géant bien bâti, Krūmiņš a attiré l’attention de nombreux entraîneurs, de lutte, de boxe et d’athlétisme mais toutes les tentatives échouèrent en raison de son manque de motivation. C’est sa rencontre avec Alexandre Iakovlevitch Gomelski, qui va changer la destinée du colosse, de l’ASK Riga et de l’équipe nationale d’URSS, pays qui avait absorbé sans vergogne les trois pays baltes en 1940.
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