Les Américains ont perdu davantage de matches en deux semaines à Athènes qu’en 68 ans de Jeux Olympiques. Et le monde entier n’a pas caché son plaisir de les voir tomber à terre.
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Ce n’étaient finalement pas des mauvais bougres. Rien à voir avec les vaincus de Munich, qui en colère, refusèrent de recevoir leurs médailles d’argent. Ou avec ceux de Montréal qui entamèrent en plein match une danse de Sioux pour célébrer leur victoire sur la Yougoslavie. Ni même avec les blagues à deux balles de Charles Barkley, à propos des Angolais, à Barcelone. Pas de frime, si peu de gestes de mauvaise humeur. L’assurance verbale de Carmelo Anthony, qui dès le premier rassemblement en Floride, promettait l’or ? Juste une fanfaronnade. Que son coach Larry Brown ravala aussitôt au rayon des gamineries. Les poussées d’adrénaline de Tim Duncan vis-à-vis de l’arbitrage ? Avouons que ce n’est pas si facile de s’habituer en quelques semaines à des règles et des jugements différents. Et comment ne pas mettre en exergue le comportement exemplaire d’Allen Iverson, qui possède autant de hiéroglyphes sur le corps que l’obélisque de la place de la Concorde, et au passé de quasi délinquant ? « C’est un honneur de venir ici pour représenter son pays, » dira-t-il lors d’une conférence de presse suite au match perdu contre l’Argentine, une casquette de New York trop grande sur la tête. Et de poursuivre la leçon de civisme à l’égard des sourds et des malentendants de la NBA : « C’est quelque chose que vous chérirez pour le reste de votre vie, et honnêtement, c’est quelque chose que je chérirai sans avoir gagné la médaille d’or. » Shaq, T-Mac et Kevin Garnett avaient-ils leur poste de TV allumés à ce moment-là ?
« Je suis très fier de ces jeunes Américains, » dira David Stern, le commissionner de la NBA, responsable de la création du concept de la Dream Team et de tout ce qui a suivi.
Caricatural
Et pourtant, le public d’Athènes, y compris la tribune de presse, et même, semble-t-il, pas mal d’Américains (1), tout le monde s’est levé, et a applaudi, quand la statue de commandeur des Etats-Unis est tombée. Pas forcément pour les mêmes raisons.
Les Américains craignaient pour leur sécurité, c’est sur le terrain qu’ils ont été victimes d’attentats à répétition. La première déflagration a été étendue aux quatre coins de la planète. Une défaite par 19 points de marge (73-92) contre Porto-Rico, sans vraies références internationales, qui faisait appel à un quadragénaire comme intérieur titulaire, José Ortiz, et à un môme de 19 ans pour le remplacer, Peter John Ramos, C’était la première défaite des pros de la NBA aux Jeux, et quel carnage ! La plus grosse trempe reçue par les Américains, qui ne s’étaient inclinés jusque-là que deux fois, de peu, à Munich (1972) et Séoul (1988), face à l’URSS, autant dire, à l’époque des dinosaures.
Manque de cohésion, apathie, équipe trop jeune et insouciante, méconnaissance des subtilités du jeu international, pas de shooteur, pas de vrai meneur, incapacité à servir correctement, à attaquer la zone, à construire un jeu offensif décent, à défendre avec ses tripes et ses méninges, des athlètes, pas des basketteurs… Leurs oreilles ont sifflé pendant des jours et des lunes.
Un manque de tête et plus curieusement de jambes. Les Américains ont loupé ce jour-là de simples double-pas. Ils ont multiplié les air-balls à quatre mètres, quand ce n’était pas la tranche du panneau qui renvoyait la balle. Presque comique. On a vu Lamar Odom effectuer un passage en force carrément grossier sur Daniel Santiago en ligne de fond. Leur jeu paraissait se résumer à prendre appel à un ou deux pieds, à s’élever le plus haut possible en l’air, et… à improviser. Un seul geste parvenait à faire lever leur propre banc : le dunk surpuissant. Caricatural.
On s’est vite aperçu que les Américains n’avaient pas emmené dans leurs malles un shooteur longue distance décent et qu’ils allaient le payer cash. Trois paniers primés sur vingt-quatre essais pour ces quarante premières minutes de tournoi olympique. 1 sur 10 pour Iverson, 0 sur 6 pour Jefferson…
Suprême frustration, l’Amérique découvrait en face des joueurs qu’ils avaient eux-mêmes enfantés, ses propres créatures, pour donner une leçon magistrale. A commencer par ce Carlos Arroyo, point guard titulaire des Utah Jazz, qui contrôlait le jeu avec son maniement de la balle, ses passes et ses shoots. Et son cerveau. Le choc.
Les absents ont eu tort
Les grêlons ont commencé à tomber sur les absents, les déserteurs. Shaquille O’Neal, Tracy McGrady, Kevin Garnett, Jason Kidd… Et puis Vince Carter, Mike Bibby, Jermaine O’Neal, Ray Allen et Kenyon Martin, qui avaient constitué une armada redoutable pour qualifier les USA au Tournoi des Amériques. Les raisons invoquées, fatigue, la peur des attentats, un mariage, n’avaient convaincu personne. Ces milliardaires n’avaient surtout pas envie de sacrifier leurs vacances ! « Kenyon Martin, en fait, est trop occupé à négocier son contrat de 92,5 millions de dollars, » écrira, ironique, un journaliste américain.
Ces défections sans motifs valables ont aussi vexé la communauté internationale. Elles ont été reçues comme de l’arrogance, de la suffisance. L’équipe présente à Athènes a servi de bouc émissaire. Il faut peu de choses pour que des gestes funs deviennent de la provocation, que des paroles pleines d’assurance soient prises pour du mépris. « Ce sont juste des détails, des petites choses qu’ils font. Cela dérange des gens, » commenta l’Espagnol Pau Gasol forcément un peu les fesses entre les deux chaises puisque les Memphis Grizzlies sont son employeur.
Mario Pesquera, le coach espagnol, se fâcha tout rouge quand Larry Brown demanda un temps-fort inutile alors que son équipe avait déjà gagné le match. Leurs assistants durent les séparer. Provocation, estima l’Espagnol. Pesquara ajouta que Iverson marche à chaque fois qu’il dribble et que son équipe avait été flouée par un arbitrage pro-NBA. Forcément excessif, mais tellement symptomatique. « En 92, chacun voulait que la Dream Team gagne, y compris les équipes qui jouaient contre elle, » jugea lucidement Lamar Odom. « Chacun ici veut que nous soyons humbles. Il y a une sacrée tension. » « Tout le monde souhaite qu’ils soient virés du tournoi ,» ajouta crûment Gasol.
Auparavant, leurs adversaires respectaient exagérément les Dream Teams et cela paralysait leurs membres et leurs ambitions. Aujourd’hui, les équipes européennes et américaines sont transcendées par l’enjeu et la perspective de faire tomber le géant. Grande leçon de Jeux : la capacité de concentration de ces équipes pendant deux semaines, leur amour du maillot national (Portoricains, Néo-Zélandais…), le don de soi. Pas de starlettes. On perd un jour, on se rebiffe le lendemain. L’esprit olympique en somme.
« A ceux qui sont surpris, je dis : vous vivez dans une cabine téléphonique depuis dix ans, vous êtes enfermé dans une prison ou vous ne regardez pas les matches de basket à la télé ? Il y a beaucoup de bonnes équipes, de grands coaches et de bons enseignements de fondamentaux en Europe. Et je pense que c’est super pour le basket car il y a beaucoup d’équipes différentes qui peuvent gagner, » dira Gregg Popovich, coach des Spurs et assistant de Larry Brown.
La revanche
Même si jamais ils ne le diront officiellement, certains joueurs écartés de la NBA ont vu en ces Jeux de l’occasion idéale de prendre une superbe revanche. Pepe Sanchez, formé à Temple, a été snobé par trois équipes de la grande Ligue. C’est lui qui a emmené l’Argentine à un triomphe contre les USA en demi-finale. « Les Américains disent toujours qu’ils sont les meilleurs. Ils ne le prouvent pas sur le terrain. » In your face, guy !
Pour Jasikevicius, la victoire en poule face aux USA fut aussi une revanche sur l’establishment du basket-ball américain. Passé discrètement par Maryland, le Lituanien est devenu depuis le basketteur numéro 1… hors NBA.
« J’étais free agent en Europe, et je n’ai jamais vu venir aucune offre. Ils ont parlé de l’intérêt qu’ils me portaient mais sans rien me proposer. » Et Jasikevicius d’ajouter : « Aussi, je ne suis tout simplement pas un joueur NBA parce que ces gens savent ce qu’ils font. Si trente équipes pensent que je ne peux pas jouer, je ne peux pas. C’est la plus grande ligue du monde et apparemment, je ne suis pas assez bon pour y jouer. »
Qui peut croire à ça après avoir vu le Lituanien inscrire trois paniers à 3-points décisifs dans le money time ? Et ce qu’il a fait avec le Maccabi en Euroleague ? Et avec la Lituanie à l’Euro suédois, où il fut jugé plus performant encore que le Français Tony Parker pourtant tout juste sacré champion NBA avec les Spurs ? Trop old school, Jasikevicius ? Qui peut croire que les 29 meneurs titulaires de la ligue US sont meilleurs que le Lituanien, qui sait jouer à la fois avec ses méninges et son instinct ?
Qui ?
Larry Brown. « Non, il ne peut pas. C’est un grand joueur international, mais beaucoup de choses qui se font dans le basket international ne se feront jamais dans notre ligue. »
Ok. Si Dwayne Wade est le prototype du meneur NBA, alors, coach Brown, effectivement, Jasikevicius n’a pas sa place là-bas…
Nombrilisme.
Et pourtant, confirmons, ces douze-là n’étaient pas des chenapans comme Payton and Co à Sydney qui s’étaient enlisés dans leur stupidité, ni des loosers comme ceux d’Indianapolis qui s’étaient embourbés dans leur médiocrité.
Ils ont su réagir. Face à l’Espagne, ils ont montré leurs muscles, et aussi prouvé qu’ils avaient trouvé des parades aux défenses en zone que l’on érigerait à tout bout de champ. Stephon Marbury, jusque là tout proche du zéro absolu, avait la bonne ligne de mire : 6 sur 9 à 3-pts pour un total de 31 points. 3 sur 8 pour Iverson et encore 2 sur 3 pour Jefferson. Les Espagnols au superbe jeu collectif, mais totalement dépendant de Pau Gasol, lequel était cuit à la fin de ses 40 minutes de jeu, n’ont pas des shooteurs fiables comme les Lituaniens. Ils ont craqué… « Nous avons de la fierté. Nous sommes sur le plus grand théâtre du monde. Nous voulons gagner, » assura Carlos Boozer, qui comme Shawn Marion ou Richard Jefferson donnait son meilleur pour cacher… ses considérables faiblesses.
Les historiens jugeront avec le recul nécessaire, mais ce tournoi olympique fut très probablement la compétition la plus élevée jamais jouée dans le basket international. Et la demi-finale USA-Argentine en fut son joyau. Les Américains n’ont pas ménagé leurs efforts. Ils ont mis leur puissance, leur application. Ils sont retombés pour autant dans leurs travers. Le basket international est tout simplement basé sur l’adresse, surtout au-delà de 6,25 m, or les USA ont shooté 42 % en global avec un 3 sur 11 à trois-points. L’indispensable Tim Duncan, dérouté par l’arbitrage, a collectionné 5 fautes et n’a passé que 19 minutes sur le terrain. Propulsée par un Manu Ginobili (29 points, 4 sur 6 à 3-pts) plus énergique que jamais, l’Argentine n’a été menée au score que durant les six premières minutes. Elle a poussé son avantage jusqu’à 16 points et gagné le match avec 8.
« Beaucoup de fans en Amérique pensent que nous sommes encore en 1992 et que l’on peut battre chaque équipe de 40 points. Le monde a changé… ,» dira de nouveau Gregg Popovich. « Nous avions un bon plan. Nous n’étions pas effrayés de jouer les Etats-Unis. En Europe, nous savons comment jouer au basket. Nous connaissons le bon chemin, » lui répondit en écho de Pepe Sanchez.
C’est facile à comprendre : l’équipe USA présentée à Athènes n’était tout simplement pas assez forte pour gagner l’or après quelques semaines de préparation. Cela paraît impossible d’en mobiliser une plusieurs mois comme Lisa Leslie et ses copines. Alors, comment les Américains vont-ils s’y prendre pour repêcher leur trésor ?
« J’espère que tout le monde a écouté ce qu’a dit Allen, » commenta Larry Brown. « A l’avenir, nous devons avoir davantage de kids qui se disent « c’est important pour moi et je veux le faire ». Qui réalisent que c’est un honneur incroyable et une grosse responsabilité » « vous ne pouvez plus simplement vous montrer avec les « USA » à travers votre poitrine et gagner des matches de basket, » avait dit aussi Allen Iverson.
C’est exactement ça.
(1) Un sondage paru sur ESPN.com laissait entendre que 54,1 % des 20 000 votants souhaitaient voir l’équipe américaine perdre.
Photo: Emmanuel Ginobili (Argentine)
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Ce n’étaient finalement pas des mauvais bougres. Rien à voir avec les vaincus de Munich, qui en colère, refusèrent de recevoir leurs médailles d’argent. Ou avec ceux de Montréal qui entamèrent en plein match une danse de Sioux pour célébrer leur victoire sur la Yougoslavie. Ni même avec les blagues à deux balles de Charles Barkley, à propos des Angolais, à Barcelone. Pas de frime, si peu de gestes de mauvaise humeur. L’assurance verbale de Carmelo Anthony, qui dès le premier rassemblement en Floride, promettait l’or ? Juste une fanfaronnade. Que son coach Larry Brown ravala aussitôt au rayon des gamineries. Les poussées d’adrénaline de Tim Duncan vis-à-vis de l’arbitrage ? Avouons que ce n’est pas si facile de s’habituer en quelques semaines à des règles et des jugements différents. Et comment ne pas mettre en exergue le comportement exemplaire d’Allen Iverson, qui possède autant de hiéroglyphes sur le corps que l’obélisque de la place de la Concorde, et au passé de quasi délinquant ? « C’est un honneur de venir ici pour représenter son pays, » dira-t-il lors d’une conférence de presse suite au match perdu contre l’Argentine, une casquette de New York trop grande sur la tête. Et de poursuivre la leçon de civisme à l’égard des sourds et des malentendants de la NBA : « C’est quelque chose que vous chérirez pour le reste de votre vie, et honnêtement, c’est quelque chose que je chérirai sans avoir gagné la médaille d’or. » Shaq, T-Mac et Kevin Garnett avaient-ils leur poste de TV allumés à ce moment-là ?
« Je suis très fier de ces jeunes Américains, » dira David Stern, le commissionner de la NBA, responsable de la création du concept de la Dream Team et de tout ce qui a suivi.
Caricatural
Et pourtant, le public d’Athènes, y compris la tribune de presse, et même, semble-t-il, pas mal d’Américains (1), tout le monde s’est levé, et a applaudi quand la statue de commandeur des Etats-Unis est tombée. Pas forcément pour les mêmes raisons.
Les Américains craignaient pour leur sécurité, c’est sur le terrain qu’ils ont été victimes d’attentats à répétition. La première déflagration a été étendue aux quatre coins de la planète. Une défaite par 19 points de marge (73-92) contre Porto-Rico, sans vraies références internationales, qui faisait appel à un quadragénaire comme intérieur titulaire, José Ortiz, et à un môme de 19 ans pour le remplacer, Peter John Ramos, C’était la première défaite des pros de la NBA aux Jeux, et quel carnage ! La plus grosse trempe reçue par les Américains, qui ne s’étaient inclinés jusque-là que deux fois, de peu, à Munich (1972) et Séoul (1988), face à l’URSS, autant dire, à l’époque des dinosaures.
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Article paru dans Maxi-Basket en septembre 2004