Los Angeles’84. Peut-être le plus cinglant fiasco du basket français. En cause ? Un amateurisme à tous les étages. Surtout au supérieur.
En bonus de ce dossier, une interview d’époque de Jean Luent, le coach de l’équipe de France.
Au printemps, Orthez a fait main basse sur la Coupe Korac. La troisième pour la France après celles de Limoges les deux années précédentes.
Le Mans est aux abois. La moyenne de spectateurs à La Rotonde est tombée en quatre ans de 2 800 à 1 800 et le SCM, champion de France deux ans plus tôt, avoue un passif de 800 000 F. Il n’a rien trouvé de mieux que de demander à Eric Beugnot de diviser son salaire par deux. Refus catégorique et légitime de l’aîné. Son cadet, Greg, va également prendre ses cliques et ses claques.
Carl Nicks, ancien équipier de Larry Bird à Indiana State, rejoint Saint-Etienne. Norris Bell, issu de l’obscure Gardner-Webb University, signe à Villeurbanne.
Et surtout, après un Tournoi Olympique qu’elle a organisé dans un Palais Omnisports de Paris-Bercy tout neuf, tout beau, très grand, la France s’est qualifiée pour les Jeux de Los Angeles. Vingt-quatre ans que ce n’était pas arrivé.
Los Angeles, pour un basketteur, c’est un coin de paradis terrestre. Ce sont les Lakers de Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar, les playgrounds de Venice Beach. C’est le Forum d’Inglewood. C’est précisément ce temple, où les Lakers disent leur messe pendant la saison NBA, qui a été choisi pour abriter les tournois de basket-ball.
Les boys aussi ont présenté à leur public une équipe insubmersible, la plus belle de tous les temps aux Jeux Olympiques, sachant que les professionnels de la NBA sont toujours indésirables. Les Américains ont tous entre 19 (Steve Alford) et 23 ans (Sam Perkins). On ne sait pas encore que, huit ans plus tard, trois d’entre eux seront des dreamteamers : Pat Ewing, Chris Mullin et Michael Jordan, qui sort de North Carolina pour rejoindre les Chicago Bulls.
Les Américains mettent une plumée à leurs huit adversaires. La marge moyenne est de 32,1 points. Pour rééquilibrer les forces, Ramon Etchamendi, le coach des Uruguayens, propose de jouer à sept contre cinq. Il faut préciser que les Américains ont planté quinze shoots de suite contre eux ! Celui de l’Espagne, Antonio Diaz-Miguel, a demandé en riant à Bobby Knight, le coach d’Indiana qu’il connaît personnellement, de lui prêter Michael Jordan et Pat Ewing. Ce sont les Allemands qui s’en tirent le mieux (-11) et Bobby Knight, qui n’est pas un tendre, refuse que l’un de ses joueurs aille en conférence de presse. « Nous essayons de comprendre ce manque de concentration ! »
Quelques années plus tard, Jacques Monclar, meneur des Bleus, s’est souvenu de son expérience contre l’équipe américaine. « Si tu arrivais à remonter la balle au milieu du terrain sans la perdre, tu avais le cœur à 180, parce que la pression… Putain ! » Les Américains ont plongé les Bleus dans les Abysses, 120 à 62. Cinquante-huit points d’écart. Le plus gros bouillon jamais pris par l’équipe de France depuis sa naissance. [arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]
Les Beugnot et Dacoury sanctionnés
Au bout du compte, les Bleus ne reviennent de Californie qu’avec une seule victoire face à la modeste Egypte. Mais ce sont surtout les débordements hors matches qui ont poignardé dans le dos tout le basket français.
Les images du Forum qui ont franchi l’Atlantique sont rarissimes. Seulement, trente-trois ans plus tard, la rétine des téléspectateurs français est toujours imprégnée de cette bagarre générale contre les Uruguayens, provocateurs et coutumiers des castagnes. Quel pitoyable spectacle dans une enceinte olympique. On a appris aussi que Georges Vestris a refusé d’entrer en jeu face aux Chinois. Le plus grave, c’est que trois joueurs ont été sanctionnés pour avoir dérogé, avant l’ouverture du tournoi, au règlement intérieur. Richard Dacoury était arrivé tardivement à un rendez-vous à cause d’un coiffeur longuet, et les Beugnot coupables d’avoir rejoint le village olympique après le couvre-feu. Seulement, au lieu de leur infliger comme prévu une amende, le coach Jean Luent les a privés du match contre les Etats-Unis, ce qui a eu pour effet de rendre ces fautes publiques et de provoquer le scandale. « Smasher sur la gueule d’un Américain, même si c’est con, c’était mon rêve. J’aurais tenté des choses, pour leur montrer que nous aussi, on pouvait faire des trucs bien (…) C’est pour ça que j’en veux autant à Luent » commentera plus tard, toujours frustré, Richard Dacoury.
Jean Luent a fondu les plombs lors de la conférence de presse après ce match contre les Ricains. « Vous êtes comme des vautours autour d’une carcasse » a-t-il lancé aux journalistes, faisant référence à la presse française qui a, selon lui, déformé et exagéré les faits. Sauf que les médias français étaient ultra minoritaires dans l’assemblée constituée essentiellement d’Américains, qui en avait que faire de ces querelles intestines. La semaine suivante, l’hebdo Sports Illustrated rappela que Luent avait privé trois de ses joueurs du match pour avoir « bu du vin après le couvre-feu » (sic) Et a demandé, caustique : « Du rouge ou du blanc avec la carcasse ? »
D’un côté, Jean Luent a estimé que ses joueurs sont fondamentalement indisciplinés et peu professionnels. « Je pense que, pour certains, aller aux Jeux, c’était une récompense, qu’une fois le truc acquis, ils croyaient qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient » nous dira-t-il. Ou encore à d’autres médias : « C’est simple : je vis dans une anxiété perpétuelle avec eux. J’ai peur qu’il y ait trop de problèmes entre eux, peur qu’ils arrivent en retard, peur qu’ils soient nombreux à faire les cons. Auquel cas, si je les sanctionnais, je n’aurais plus personne dans l’équipe. »
Dans l’autre camp, on réfutera le manque de motivation. « Qu’on ne dise pas que j’étais venu à Los Angeles pour faire du tourisme. J’ai 29 ans, les Jeux, c’était le sommet de ma carrière. J’avais envie que l’on fasse une perf », nous commentera Eric Beugnot. « Avec cette histoire de joueurs suspendus contre les USA, on est passé pour des charlots. On aurait mieux fait de fermer sa gueule au lieu de faire des déclarations comme ça », ajoutera Hervé Dubuisson. Le contrat de confiance était rompu. Quelques joueurs doutaient fortement de la compétence technique de l’ancien coach d’Orthez. Ils nous diront notamment que Luent leur avait fait une jolie démonstration au tableau noir, oubliant que son schéma prévoyait 5 joueurs contre… 6. « Il faut remarquer que les gens qui ont critiqué l’entraîneur, ce sont ceux qui ont été punis, » répondra le coach.
A qui la faute ?
Le fiasco de Los Angeles avait plusieurs sources.
L’équipe de France n’était pas d’un très haut standing. Manque de taille, de puissance, d’énergie, de confiance, et plus généralement de consistance. Le phénomène était déjà apparu dès le tournoi pré-olympique. Après avoir assuré sa qualif, l’équipe était partie en sucette, se faisant déborder par l’Espagne (-15), la Grèce (-7) et bien sûr l’URSS (-25). Avec le recul, il est savoureux de relire le Maxi-Basket de l’époque, qui permet de constater que les temps ont bien changé : « la défense constitue donc la faiblesse de l’équipe de France – 104 points de passif en moyenne – et une dernière place de la poule finale à la clé ! Ce, en dépit de la présence de défenseurs réputés comme Eric Beugnot, Dacoury ou Monclar. Les lacunes françaises se situent au niveau de la taille, de la puissance bien sûr, de la volonté pour certains, et surtout des fondamentaux et des automatismes. » Ça ne s’était pas arrangé à Los Angeles. Surtout que la prépa fut ridiculement légère. Avec un tournoi aux Pays-Bas annulé, la liste des matches amicaux se résuma à trois rencontres à Trévise et des tests face à des « sparring-partners » américains, à Jouy-en-Josas puis sur place, à L.A. Un peu juste pour meubler deux semaines dans le village olympique. Le scouting ? Inexistant. Les Bleus découvrirent les Uruguayens au moment de l’entre-deux. Pas étonnant car le staff se résumait à un coach, un préparateur physique qui servait vaguement d’assistant, un toubib, un kiné et un délégué fédéral… qui, d’après les témoins, joua les hommes invisibles. En bonus, Robert Founs, retenu à Paris par des problèmes domestiques, fut le seul président d’une fédération française qui ne fit pas le voyage de Los Angeles. Jacques Monclar se souvient d’une réunion la veille du départ au siège de la fédé. Les joueurs demandèrent comment s’habiller pour prendre l’avion. On leur répondit qu’il n’y avait pas de consignes. Le lendemain, les basketteurs étaient en bermuda-chemise à fleurs à l’aéroport, alors que les autres délégations avaient mis le costard olympique.
« Les basketteurs sont des charlots ! » Immanquablement, c’est l’étiquette que les sportifs et les fans français ont collé au dos – des chemises à fleurs – de Jean-Michel Sénégal et sa bande. A qui la faute ? Les intéressés ne sont pas à exonérer totalement de reproches, mais incontestablement la fédération – la ligue ne sera créée que trois ans plus tard – était responsable ET coupable. D’ailleurs, Jean Luent se reprendra quelque peu ensuite : « contrairement à ce que l’on m’a fait dire, je n’en veux pas aux joueurs mais au système qui ne les rend pas suffisamment compétitifs au niveau international. Si l’on ne veut pas m’entendre, eh bien, j’arrêterai ! »
Epilogue
Juste après les JO, Hervé Dubuisson se rendra une semaine à Princeton pour connaître « l’enfer des camps » de la NBA, sous le maillot des New Jersey Nets. Une grande première pour un Français. Il partagera sa chambre avec Oscar Schmidt, le Brésilien de Caserte. « A la fin du dernier match, on nous a tous regroupés et on nous a dit : « merci d’avoir fait ce stage avec nous. Maintenant, rentrez chez vous. Si on a besoin de vous pour le veteran camp, on vous téléphonera… » Dub’ n’a jamais eu de nouvelles.
La ligne à 6,25 m apparaissait sur tous les terrains de basket-ball du monde (sauf aux Etats-Unis). Tout shoot marqué au-delà vaudra désormais trois points.
Canal +, toute jeune chaîne cryptée, retransmettra pour la première fois des matches NBA. Au micro dans les studios, le chef des sports, Charles Biétry, et un Franco-Américain barbu, George Eddy.
Eric Beugnot s’en ira à Monaco et son frère Greg à Limoges.
La situation de l’équipe nationale sera évoquée au bureau fédéral dès la fin du mois d’août. Décision majeure : le statu quo sera proclamé, Jean Luent maintenu dans ses fonctions. Finalement, on apprendra en octobre que l’équipe nationale se dote d’un coordinateur (André Buffière), d’un assistant-stagiaire (Francis Jordane) et de deux assistants qui sont quasiment… les meilleurs coaches du pays (Jean Galle et George Fisher). Un organigramme bancal qui ne tiendra que le temps d’un championnat d’Europe en Allemagne, l’année suivante.
LE GRAND TEMOIN
PATRICK CHAM
« Ce vieux fantôme nous suit encore »
« J’étais déjà allé aux Etats-Unis. En 1977, j’avais fait des camps en Caroline du Nord, à la Campbell University, avec 500 gamins, Dean Smith, le père de Pete Maravich, des pros étaient passés. Los Angeles, c’était la première fois. C’est formidable de faire les Jeux Olympiques comme basketteurs dans le pays du basket. On a joué contre les meilleurs joueurs de notre génération, y compris Michael Jordan. C’était des Jeux organisés de façon grandiose. C’était Hollywood ! Mais, il y avait très peu de produits dérivés. Il ne faut pas oublier que même Magic Johnson ne faisait pas vendre sous licence, c’est avec Michael Jordan que ça a commencé dans les années quatre-vingt-dix. Aussi ceux qui ont rapporté quelque chose, ce sont des collectors ! J’ai une bouteille de Coca-Cola à l’effigie des JO qui est numérotée, des photos très mal prises. Je n’ai même pas ramené de tee-shirts !
On avait les nageuses dans le même immeuble que nous, Sophie Kamoun, Catherine Poirot, Muriel Hermine. Donc, je suis allé à la natation, un peu à l’athlétisme et puis bien sûr au basket.
Le souvenir que j’ai du match contre les Américains, c’est que leur défense était tellement agressive qu’on avait l’impression qu’ils étaient six sur le terrain. Chaque fois que tu faisais un mouvement, il y avait prise à deux et tu ne la voyais pas arriver. Notre seul souci, c’était de faire la passe sans perdre la balle ! Lorsque Jacques Monclar ou Jean-Michel Sénégal passaient la ligne médiane avec le ballon, ils avaient déjà la langue par terre.
Bernard Père à la baille
Il a fallu un concours de circonstances pour que l’on ne puisse pas jouer dans le groupe de 1 à 8. On a perdu contre la Chine de deux points (83-85) et contre l’Uruguay après prolongations (87-91). Ce sont eux qui ont lancé cette bagarre, en fin de deuxième mi-temps, je crois. Elle est venue de nulle part. Ça nous a déstabilisés et ils sont passés devant.
Les images de cette bagarre ont été très mal interprétées en France. Comme celles qui avaient été tournées, à Los Angeles mais avant les Jeux, chez le mec qui avait organisé nos matches de préparation. C’est George Fisher (ex-coach d’Orthez) qui était en relation avec lui. Il avait une piscine, on jouait dedans, et ces images ont été ressorties hors contexte durant les Jeux pour expliquer nos défaites. Ce jour-là, on avait jeté Bernard Père (le journaliste basket à la télévision de l’époque) à l’eau. Ce n’était pas méchant, mais il a dû faire son montage avec ces images pour nous piquer un peu, pour justifier nos mauvais résultats.
Cette expérience a permis au basket français de beaucoup grandir. Il faut savoir que Jean Luent était parti avec un assistant coach, Willy Ballestro, un préparateur physique qui n’était pas un basketteur de souche, un kiné, Jean-Michel Veaudor, et un docteur, Toto Huguet, et un chef de délégation dont j’ai un souvenir flou. C’est tout. Donc, forcément, au moment où il aurait fallu nous recadrer, on est parti en live. Et puis, au lieu de laver le linge sale entre nous, Jean Luent s’est appuyé sur la presse pour justifier beaucoup de choses. C’était une faute de stratégie. Je me souviens que l’on a fait les gros titres dans France Soir au même niveau qu’une prise d’otages en Grèce ! Tout ça a fait beaucoup de torts au basket et ce vieux fantôme nous suit encore. Mais moi, je suis fier d’avoir fait les Jeux Olympiques. C’est tous les vingt ans qu’on y va ! »
Article paru dans Maxi-Basket en 2010.
Jean Luent
« Il y a eu des manquements graves »
Au retour de Los Angeles, l’entraîneur de l’équipe de France, Jean Luent, répondait à nos interrogations sur le comportement de ses joueurs lors des Jeux Olympiques.
Maxi-Basket : L’équipe de France n’a t-elle pas commise l’erreur de considérer la participation aux Jeux comme ne fin en soi ?
JEAN LUENT : Quand on fait le bilan… oui, on peut dire ça. Où sont les torts ? On était parti à Trieste, en Italie, pour travailler notre défense homme à homme durant ce tournoi. Je n’ai pas cherché à limiter les dégâts. On a pris trois fois plus de vingt points. Si c’était à refaire, je recommencerais. Il fallait bosser pour espérer réussir quelque chose aux JO. Mais, est ce que le groupe a perdu confiance en Italie ? C’est la question que je me pose. En tous les cas, c’est après ce tournoi que nous avons commencé à rouspéter après les joueurs qui ne s’entraînaient pas assez.
M.B : Tous les joueurs ?
J.L : On ne va pas faire de cas particuliers. Je ne citerai pas tel ou tel joueur. Tout le monde est fautif…
M.B : Les joueurs avaient demandé et obtenu trois semaines de vacances avant de débuter la préparation pour Los Angeles. N’était-ce pas une coupure trop importante ?
J.L : Ils étaient saturés après le Tournoi Pré-Olymbique. Ils avaient besoin de repos. Mais je me suis fait peut-être un peu pégier dans la mesure où durant ces vacances, ils n’ont peut-être pas suivi le plan de travail que nous leur avions préparé.
M.B : Si l’on considère que la période de préparation était suffisante, peut-on en dire autant du contenu de cette préparation. Un seul tournoi, celui de Trévise, c’était un peu léger avant de se rendre aux Jeux ?
J.L : C’est sûr que c’était léger… Mais il fallait tenir compte de la fatigue des joueurs. Nous étions invités en Australie, il n’était pas question de faire un voyage aussi long. D’autre part, il était difficile de prévoir quelque chose avant le Tournoi Pré-Olympique puisque nous n’étions pas certains de nous qualifier pour les JO.
M.B : Vous disiez que le groupe n’a pas fait preuve après le Tournoi Pré-Olympique du même sérieux qu’auparavant, que ce soit à l’entraînement et en dehors. Pourquoi ?
J.L : Si je le savais… Je pense simplement que pour certains, aller aux Jeux, c’était une récompense, qu’une fois le truc acquis, ils croyaient qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient.
M.B : N’aurait-il pas fallu remettre les joueurs en concurrence après le tournoi Pré-Olympique ?
J.L : J’en ai mis deux en compétition. Ils n’étaient pas dans le coup pour rejoindre le groupe. C’était impossible.
M.B : Les joueurs se sont plaints du peu d’informations que vous leur avez données sur l’Uruguay. N’a t-on pas surévalué cette équipe et créé un complexe d’infériorité chez les Français qui ne se justifiait pas ?
J.L : Moi je dis que l’Uruguay n’était pas vraiment à la portée de l’équipe de France puisqu’elle a terminé 6e et nous 11e !.
M.B : Certes, mais France-Uruguay, ça s’est joué sur un coup de dés, aux prolongations…
J.L : C’est la preuve que les informations que nous avions étaient suffisantes. L’Uruguay, c’était une bonne équipe, une équipe sérieuse qui devait nous faire peur. Il fallait que les joueurs en aient peur, car ils ne s’entraînaient pas suffisamment.
M.B : Certains joueurs vous ont également vivement critiqué sur le plan des choix tactiques, de l’entraînement. Que répondez-vous ?
J.L : Il faut remarquer que les gens qui ont critiqué l’entraîneur, ce sont ceux qui ont été punis. Ils n’avaient pas 36 solutions pour se défendre. C’était la solution de facilité, la seule qu’ils avaient, ils l’ont prise, ça les regarde. Maintenant, est-ce que ces gens-là sont aptes à juger de la valeur d’un entraîneur ? Si je ne m’étais pas senti à la hauteur, je n’aurais jamais pris ce poste.
M.B : A ce propos, était-ce la meilleure solution de punir les frères Beugnot et Richard Dacoury en les privant du match contre les USA ?
J.L : C’était prévu dans le règlement intérieur. Il y a eu des manquements graves. Je ne peux pas dire publiquement ce dont il s’agit, mais j’affirme que je devais sanctionner de la sorte… Mon ambition, c’est de permettre à l’équipe de France d’avoir des possibilités de podium à l’avenir. Pour cela, il faut de la rigueur, du sérieux. Je préfère que l’on me fiche dehors plutôt que de ne pas continuer dans cette voie.
M.B : Durant ces Jeux, vous avez dû répondre lors des conférences de presse aux feux roulants des questions des journalistes. Ne fut-ce pas une épreuve difficile ?
J.L : Ce fut difficile dans la mesure où on m’a fait dire des choses que je n’avais pas dites. Je n’ai jamais déclaré, comme l’a prétendu un journal français, qu’il fallait donner un grand coup de balai, que pas un des internationaux actuels n’avait sa place en équipe de France.
M.B : Ne vous êtes vous pas retrouvé un peu seul à Los Angeles, sans assistant-coach, sans directeur technique, des gens qui auraient pu vous aider à résoudre certains problèmes ?
J.L : Oui, même s’il y avait Willy Ballestro, le DTN, et le délégué de la Fédération, je me suis retrouvé un peu seul, c’est vrai.
M.B : Vous auriez pu vous faire adjoindre une sorte de directeur sportif non seulement pour Los Angeles, mais pour chaque match de l’équipe de France.
J.L : Lorsque j’ai pris la tête de l’équipe de France, j’ai été parachuté, je ne connaissais pas suffisamment les gens pour savoir qui prendre à mes côtés. Mais j’ai pensé à ce problème. C’est pourquoi, désormais, André Buffière sera le coordinateur des équipes de France.
M.B : Qui a choisi Buffière ?
J.L : C’est le président Founs. Lors de mon retour de Los Angeles, nous avons eu deux heures d’entretien. Nous avions tous les deux une liste de personnes susceptibles de tenir ce rôle. André Buffière figurait en tête de liste aussi bien sur ma feuille que sur celle du président. Le choix était fait.
M.B : Parlons maintenant de l’avenir immédiat. Eric Beugnot, Jean-Michel Sénégal et Richard Dacoury ont déclaré qu’ils renonçaient à l’équipe de France. Stéphane Ostrowski ne sera peut-être pas sélectionnable non plus (à l’époque de cet interview, Ostrowski envisageait de partir aux USA). Que pensez-vous de ces forfaits ?
J.L : Si les joueurs ont déclaré cela, c’est peut-être parce qu’ils ont peur qu’on ne les reprenne pas… Sénégal et Eric Beugnot avaient déjà fait part de leur désir de stopper leur carrière internationale avant les Jeux. Ils n’ont fait que confirmer. Dacoury m’avait également averti qu’il voulait se consacrer sérieusement à ses études de kiné, et qu’ainsi il serait moins disponible pour l’équipe de France. Il est évident qu’après les incidents qui sont survenus à Los Angeles, il a encore moins envie de revenir en équipe de France. En ce qui concerne Ostrowski, attendons l’évolution de sa situation.
M.B : Une équipe de France au complet, c’est à dire en incluant Freddy Hufnagel et Daniel Haquet, absents aux Jeux, est à peu près du niveau, peut-être même légèrement supérieure, à la Grèce sur terrain neutre. Si l’on y retranche 4-5 joueurs de base, la sélection à court terme n’est plus compétitive. Aucune chance de battre la Grèce chez elle et guère contre la Pologne, même en France, lors des deux matches de qualification pour le championnat du Monde prévus en novembre.
J.L : Cela reste à prouver. Avec les meilleurs joueurs français, ceux qui sont considérés comme tels, on fait 11e aux Jeux et on bat l’Egypte, c’est tout. Je dis qu’il y a beaucoup de joueurs en France capables de battre l’Egypte.
M.B : De battre l’Egypte, mais la Grèce. S’il manque 4-5 joueurs de base, ça peut être catastrophique.
J.L : Eh bien, on verra ! On ira en Grèce, avec les joueurs que je vais présenter, pour faire une bonne performance et surtout préserver le match retour. J’en ai marre d’entendre parler de joueurs de base. Il n’y a pas de stars en France, de joueurs indispensables. Ce qui est important, c’est de créer le climat d’amitié au sein de l’équipe de France. Il est quand même regrettable que certains de ces joueurs de base aient provoqué des groupes à l’intérieur de l’équipe, au point que j’ai été obligé de séparer des joueurs à l’entraînement !
M.B : Lorsque nous parlons de joueurs de base, nous entendons ceux qui sont reconnus comme étant les meilleurs de notre championnat. Si on soustrait les douze internationaux actuels, il ne reste plus beaucoup de joueurs français, sélectionnables pour l’équipe de France, qui sont titulaires du cinq dans leur club. Un joueur qui passe 6-7′ en moyenne sur le terrain par match de championnat, il ne peut pas prétendre rivaliser avec les meilleurs joueurs du monde.
J.L : Qui vous dit qu’ils ne démontreront pas en équipe de France qu’ils sont aussi bons que les autres…
M.B : Ce serait quand même paradoxal qu’un joueur fasse son trou en équipe de France avant de s’affirmer dans son club.
J.L : Vous savez que c’est très difficile de s’affirmer dans le championnat puisque l’on est envahi par les joueurs d’origine étrangère. Certaines équipes en ont jusqu’à cinq ! L’intérêt des clubs n’est pas le même pour celui de l’équipe de France. Pour les matches contre la Grèce et la Pologne, je vais devoir me passer de ces clubs, il y aura certainement en équipe de France des joueurs qui ne sont pas titulaires du cinq de leur club.
M.B : Pour former des joueurs compétitifs, la meilleure solution n’est-elle pas, à votre avis, de suivre l’exemple du Canada et de la RFA : d’envoyer nos meilleurs jeunes dans des universités américaines ?
J.L : Il faudra peut-être les envoyer, mais très jeunes. Vers 15 ans. Pour qu’ils apprennent les fondamentaux. Mais, il y a d’autres solutions. On peut les former nous-mêmes.
M.B : N’empêche que pour l’instant, il faut tirer un constat d’échec.
J.L : En France, il y a 80 CTR et CTD, des entraîneurs compétents. Il faut simplement donner aux gens les moyens de travailler.
Article paru dans Maxi-Basket en 1984
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