Chantal Julien est une pionnière. Sa carrière d’arbitre l’a amené à vaincre le sexisme et à officier au plus échelon mondial. Elle est aujourd’hui la responsable des arbitres français de haut niveau et aussi superviseur à la Fédération Internationale.
Une interview sans langue de bois pour faire découvrir l’arbitre qu’elle fut et nous emmener dans les arcanes de l’arbitrage français et européen.
A mettre entre les mains de toutes les jeunes femmes pour savoir que tout est possible !
Voici la deuxième partie de l’interview.
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A l’époque de Pascal Dorizon, les arbitres étaient évalués sept fois par saison. C’est toujours le cas ?
C’est un peu différent. On a instauré des commissaires-observateurs. C’est-à-dire que les commissaires qui sont à la table observent également les arbitres. Ils sont douze cette année. En plus, on fait des observations vidéo sur tous les matches télé. De là sort une note et à la fin de la saison, il y a un classement de tous les arbitres de Pro A. Les meilleurs font les playoffs et les moins bons descendent en Pro B. Le nombre dépend des années et des besoins. Comme on est passé à trois en Pro B, on a eu besoin de plus d’arbitres cette année. Mais il y a forcément des descentes car on part du principe que celui qui est en difficulté dans une division doit descendre. En Pro B, il faut qu’ils aient au minimum 6-7 observations, il n’y a pas d’observation vidéo puisqu’il n’y a pas de matches TV, et c’est pareil, à l’issue de la saison, il y a un classement. Les meilleurs montent en Pro A et les moins bons descendent en NM1.
Les observateurs sont d’anciens arbitres comme Philippe Manassero ?
En Pro A, pour être commissaire-observateur, il faut obligatoirement qu’ils aient officié eux-mêmes dans la division. On a pris je crois l’année dernière Philippe Manassero en commissaire-observateur, il a arbitré en Pro A et été international. C’est aussi en fonction des régions. On évite qu’ils se déplacent de trop. Par exemple dans le sud-est, on n’avait personne et Philippe Manassero peut couvrir Toulon, Monaco et Antibes. Je suis moi-même amenée à me déplacer n’importe où.
Il y a quelques années, vous avez déclaré qu’en Euroleague, dès qu’un arbitre fait des erreurs, il est mis de côté mais que c’est impossible en France car il n’y en a pas assez. C’est une observation encore valable ?
Non. Par contre, en France, il y a un problème juridique. Une fois qu’un arbitre a eu une désignation pour le lui enlever, il faut qu’il y ait un dossier disciplinaire d’ouvert et c’est très compliqué. Sinon, on n’a pas le droit de le faire. Donc comme on fait des désignations trois semaines avant, si demain il y a un incident sur un match, on ne peut pas lui retirer ses matches. Sauf donc s’il y a un gros dossier discipline auquel cas on est à même de le suspendre. Sinon on est obligé d’attendre les trois semaines de délai pour ne plus le désigner. Souvenez-vous de l’arbitre de foot qui a fait un croche-pied…
On n’a jamais vu ça dans le basket !
La fédération de foot l’a suspendu immédiatement en ouvrant un dossier disciplinaire et c’est plus compliqué. Je ne donnerai pas d’exemple mais c’est arrivé l’année dernière. Ça aurait été bien que cette arbitre-là prenne un match et on n’a pas pu, il était désigné. C’est ce que les coaches parfois nous reprochent : « lui, il fait une erreur et il est encore sur le terrain alors que nous, on joue notre place sur des matches où l’arbitre effectivement influe sur le résultat. »
Finalement, y a-t-il souvent des erreurs d’arbitrage, des erreurs significatives ?
Pas tant que cela si ce n’est qu’à la fin des matches, siffler une faute là où il y en a pas, c’est quand même une grosse erreur. Par contre quand il n’y a pas de coup de sifflet lorsque la faute n’est pas évidente en live, on ne peut pas dire que c’est une erreur. C’est du jugement et le jugement c’est humain.
Cette saison, plusieurs coaches ont lancé des piques vis-à-vis de l’arbitrage. C’est un phénomène qui avait diminué les années précédentes. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
C’est vrai. Je ne sais pas s’il y a plus de pression sur les coaches parce qu’il n’y a pas eu plus d’erreurs d’arbitrage cette année que les autres années. Les coaches ont parfois tendance à se replier sur des erreurs d’arbitrage qui ne sont pas toujours avérées. Quand je les ai, je leur dis que déjà ils ne connaissent pas la règle, qu’ils ont des a priori sur les arbitres et que c’est parfois très malvenu de faire ces commentaires sous prétexte qu’ils ont perdu le match. Parfois ce n’est pas fondé et c’est bien d’en discuter. Par contre, il y a des entraîneurs qui m’appellent et qui me disent, « je n’ai rien dit en conférence de presse mais on va échanger tranquillement. » Je reconnais parfois des erreurs et parfois c’est le coach qui se trompe car par exemple, il ne connaît pas la règle. On échange en off. Par contre quand c’est au vu de tout le monde lors d’une conférence de presse, ce n’est pas bien. Je suis prêt à aller sur un plateau de TV pour m’expliquer. Les gens pensent souvent que c’est de la faute des arbitres, qu’ils ne sont pas professionnels, qu’ils s’en foutent d’un match à l’autre, qu’ils ne font rien.
Joseph Bissang
« Eddie Viator est aujourd’hui FIBA donc il peut faire des Jeux Olympiques, des Coupes du monde, des Coupes d’Europe alors que Joseph Bissang et Mehdi Difallah sont rayés de la FIBA »
A ce propos, quand un arbitre officie sur un match, ça lui prend combien de temps ?
Il y a beaucoup d’exigence au niveau des arbitres de haut niveau aujourd’hui. Ils doivent préparer leurs matches, scouter les équipes qu’ils arbitrent. Ils préparent un briefing qu’ils font à l’hôtel avant chacun des matches et ils exposent le scouting vis-à-vis du match qu’ils vont arbitrer. Ils connaissent les joueurs clés, les coaches en présence, etc. Après le match, ils ont toute la vidéo à revoir, les clips dont on a parlé à envoyer, un débriefing d’autoévaluation à m’envoyer également. C’est un gros travail sachant qu’ils ne sont pas professionnels. Ils font ça en plus de leur travail.
Il n’y a qu’une petite minorité qui travaillent à la Fédération ?
Ils sont cinq mais ils ne sont pas non plus professionnels pour arbitrer. L’arbitrage fait partie de leur mission mais ce n’est pas énorme dans leur temps de travail. Ils sont davantage professionnels dans la formation des jeunes arbitres dans leur zone géographique.
Les autres ont des activités professionnelles variées ?
Il y en a de tous les mondes. Il y a des gens du public comme du privé. Des ingénieurs, il y en a un qui est pompier, ils arbitrent sur leurs jours de repos, quelques fonctionnaires, pas mal de profs, des gens embauchés dans les municipalités et les conseils régionaux, ce qui fait qu’ils ont des aménagements d’horaire.
Combien ont le statut d’arbitres internationaux ?
On distingue aujourd’hui la FIBA et l’Euroleague. Un arbitre n’a pas le droit de faire les deux. Les arbitres français ont la chance d’avoir la Fédération qui les autorise à officier en France qu’ils soient Euroleague ou FIBA alors qu’il y a des fédérations où s’ils vont en Euroleague, ils sont interdits de championnat national.
Et donc un arbitre d’Euroleague n’a pas le droit de faire des matches d’équipes nationales ?
Aujourd’hui, un arbitre d’Euroleague est rayé de la FIBA.
Combien d’arbitres français en Euroleague ?
Deux. Joseph Bissang et Mehdi Difallah.
C’est l’Euroleague qui a décidé de les prendre ?
Oui, c’est l’Euroleague qui choisit ses arbitres sachant que des arbitres français ont été obligés de refuser du fait par exemple qu’ils sont employés à la fédération. C’est le cas de Eddie Viator qui a dû choisir. Pour aller en Euroleague, il aurait été obligé de démissionner de la Fédération. La Fédération étant complètement contre l’Euroleague, elle ne pouvait pas accepter que durant le temps de travail d’un arbitre employé à la Fédération, il aille en Euroleague. Eddie Viator est aujourd’hui FIBA donc il peut faire des Jeux Olympiques, des Coupes du monde, des Coupes d’Europe alors que Joseph Bissang et Mehdi Difallah sont rayés de la FIBA.
Combien d’arbitres français ont-ils le statut d’internationaux ?
Treize moins les deux d’Euroleague. A la FIBA, c’est un peu comme au foot, elle nous demande de valider une liste d’un nombre d’arbitres pour deux ans. La licence aujourd’hui est de 2017 à 2019. Elle nous en redemandera une en 2019. S’ils nous demandent treize arbitres, on ne leur donnera pas forcément les mêmes que cette année.
Au nombre d’arbitres, en quelle position se situe la France en Europe ?
Je ne saurai pas dire. Je sais que dans beaucoup de pays le nombre a été beaucoup réduit. Je pense qu’on est dans les 10 premiers. Les Espagnols ont beaucoup d’arbitres en Euroleague.
« Je demande deux choses aux arbitres. De parler en français et de vouvoyer les gens »
Que pensez-vous du fait que les arbitres s’expriment en anglais durant les matches télévisés ?
Je demande deux choses aux arbitres. De parler en français et de vouvoyer les gens. Et je sais que ce n’est pas facile. Certains ont l’habitude de parler en anglais au niveau de la FIBA. Ils parlent aussi en anglais car ils savent que les Américains ne vont rien comprendre s’ils parlent en français. Et ils sont amenés à officier avec les mêmes équipes. Ils appellent les joueurs ou les coaches par le prénom ou ils se tutoient, ils se connaissent et ce n’est pas bon car il faut une distance. Ils m’ont plusieurs fois fait le retour en me disant que c’est difficile, qu’ils les connaissent. Et aussi, on l’entend à la télé, le coach appelle aussi parfois l’arbitre par son prénom.
Ça peut effectivement donner l’impression d’une connivence avec certains alors qu’avec d’autres, parce qu’ils sont nouveaux dans le milieu ou étrangers, il y a plus de distance ?
C’est pourquoi il faut que ce soit pareil pour tout le monde. Après, je comprends que lorsque vous connaissez un coach depuis quinze ans, ce n’est pas facile de l’appeler par exemple, « M. Legname ». Quand certains n’y arrivent pas, ils l’appellent « Coach ». Mais ça doit être « Coach, vous ». Il y en a un qui fait ça pas mal, c’est Nicolas Maestre, qui a un temps de recul, qui arrive à parler aux gens calmement et qui vouvoie. D’autres n’y arrivent pas, ils ne le font qu’en anglais. Même les coaches entre-eux ne sont pas d’accord. Certains disent que c’est bien quand ils se tutoient et d’autres estiment qu’il faut vouvoyer pour avoir assez de distance. Il y a aussi des arbitres qui vouvoient le coach uniquement quand ça ne se passe pas bien. Et là, le coach il comprend tout de suite que ce n’est pas bon (sourire). Mais je suis d’accord dans le championnat français, on devrait parler en français et quand ils arbitrent en FIBA, ils parlent en anglais. J’ai des retours de coaches qui me disent qu’il faut que je demande à mes arbitres de parler en français ou qu’ils arrêtent de tutoyer. Il ne faut surtout pas montrer des signes d’affinités. Ce n’est pas toujours évident. J’avais des coaches qui parfois venaient me faire la bise et, non, il ne faut pas le faire sur le terrain. Dans le couloir, quand personne nous voit, pourquoi pas. J’avais même des coaches qui me disaient « là, je peux, je ne peux pas ? » (sourire). Les autres coaches le voient. Christian Monschau, qui n’est plus en Ligue, je peux le nommer, m’avait dit « j’ai bien vu que tu as fait la bise à mon collègue. » Même des joueurs venaient me faire la bise. Non, aujourd’hui sur le terrain, on tend la main.
Avant, seul le capitaine pouvait s’adresser aux arbitres. Quelle est la règle aujourd’hui ?
Ça, c’est fini. C’est plus lorsqu’il y a une information a donné ou une réprimande à l’ensemble de l’équipe que l’arbitre peut être à même d’appeler le capitaine. Ce n’est pas obligé et souvent maintenant on donne l’information aux joueurs concernés ou aux coaches. Pour tout ce qui est flopping, simulation, il y a un protocole bien spécifique. On fait un geste et on va avertir le joueur concerné, pas le capitaine, et le coach.
« Des arbitres se sont mis dans la tête que toute faute sur transition est antisportive alors qu’il faut analyser la position du défenseur. Est-ce que le joueur joue la balle, cherche-t-il à défendre ? »
Justement, le flopping, c’est très difficile à juger ? Ce sont des pros, alors les joueurs savent très bien simuler ?
C’est l’un des thèmes que j’aborde souvent avec les coaches en leur disant « comment voulez-vous que l’arbitre s’y retrouve quand votre joueur exagère et que la fois d’après, il y a une vraie faute ? » Les arbitres ne savent plus et souvent ils se trompent. J’ai parlé récemment avec un coach de Pro A qui a dans son équipe un floppeur qui est l’un des pires de Pro A. L’année dernière, il était dans une autre équipe. Là, il me dit qu’il en a marre qu’on sanctionne son joueur de flop alors que l’année dernière, il se plaignait qu’on ne le sanctionne pas assez car il était contre lui.
C’est le profil de Klemen Prepelic !
Par exemple (rires). Prepelic, il est horrible. Sur des vidéos, on le voit balancer sa tête en arrière avant qu’il y ait un contact.
Des réputations doivent justement se faire auprès des arbitres ?
Forcément. Pareil pour un coach qui conteste tout le temps. Ça fait partie du scouting. Les arbitres regardent les situations de la semaine précédente et après se disent « celui-ci, on va l’avoir à l’œil. » Parfois trop. Je leur dis que le scouting n’est pas fait pour cibler des gens, pour avoir un a priori et sanctionner trop vite, mais pour prévenir des choses et être prêt. Certains disent que Mitrovic (NDLR : Zvezdan, coach de Monaco) est ciblé. Pas du tout. Les coaches sont ciblés quand ils vont au-delà et qu’ils ne respectent pas l’arbitre. Mitrovic comme un autre.
Lui est très sanguin ?
Sanguin, oui, mais il s’adresse aux arbitres comme à des chiens. Que ce soit un Mitrovic, un Choulet (NDLR : Jean-Denys, coach de Chalon) ou un autre, quand ils s’adressent à un arbitre comme ça… Il y a un respect à avoir. J’insiste sur la cohérence, que ce soit Mitrovic, Choulet, Legname (NDLR : Laurent, coach de Dijon) ou un autre, on doit les sanctionner de la même façon si besoin. Il n’y a rien de pire qu’un coach qui se voit sanctionner et que l’autre ne prend rien s’il a le même comportement. La cohérence, c’est très important. Mais il n’y a pas du tout de coach ciblé.
On est dans un sport qui change régulièrement ses règles. Les joueurs et les coaches professionnels les connaissent-ils parfaitement ?
C’est bien pour ça qu’en début de saison, j’ai fait beaucoup de rappels et de documents notamment avec des vidéos à l’appui sur les trois règles qui avaient été changées, le marché, la faute antisportive sur transition et tout ce qui était notion de simulation et d’avertissements. J’ai envoyé tout ça également aux coaches qui m’ont d’ailleurs remercié car la plupart la règle, ils ne la connaissent pas.
On a l’impression que la nouvelle règle du marché est passée comme une lettre à la poste ?
Ça a clarifié des choses notamment sur tout ce qui est situation de reverse, les spin moves que faisaient d’ailleurs régulièrement Tony Parker. L’arbitre n’a pu à se poser de question, ce n’est jamais marché. Donc en fait ça réduit le nombre de marché. Je pense même que maintenant il y a des marchés qui ne sont pas sifflés. Par exemple, un joueur pivote sur un pied, le gauche par exemple, il l’engage pour aller au panier. Ça, c’est marché. Et une fois sur deux, l’arbitre ne siffle pas. Alors que c’est une ancienne règle toujours valable pas une nouvelle.
En ce qui concerne la faute antisportive, n’est-on pas passé d’un extrême à l’autre : trop de permissivité à parfois trop de sévérité ?
C’est très difficile au début. Des arbitres se sont mis dans la tête que toute faute sur transition est antisportive alors qu’il faut analyser la position du défenseur. Est-ce que le joueur joue la balle, cherche-t-il à défendre ? Si c’est le cas, ça ne peut pas être une faute antisportive. Il y a eu beaucoup d’erreurs là-dessus.
Y a t-il la notion de « dernier défenseur » ?
C’est un autre critère de la faute antisportive qui existait déjà avant. Si un joueur est dernier défenseur et qu’il commet un contact sur le côté vis-à-vis d’un joueur qui va au panier, c’est une faute antisportive. Je dis aux arbitres qu’il faut analyser la situation et s’il n’y a pas d’incidence, on ne siffle pas, le jeu se déroule. En tant qu’ancienne joueuse, j’ai bien conscience de cette situation. « No call », c’est beaucoup plus simple. Evidemment, vous allez avoir le coach qui vous tombe dessus en disant « c’était la quatrième faute du joueur ou la cinquième ». Je peux entendre. Mais je pense que siffler le moins possible, c’est mieux…
« Je préférais laisser jouer que siffler quelque chose qui cassait le jeu. Et aussi plutôt que de mettre une faute technique, je préférais parler avec le joueur ou le coach pour arranger le truc »
C’est clair que les grands arbitres n’abusent pas du sifflet ?
C’est ce que j’allais dire : celui qui siffle beaucoup, c’est rarement un bon arbitre. Par contre, celui qui arrive à manager, à contrôler sa rencontre sans siffler, à siffler les évidences et à arriver à avoir la confiance des acteurs, là c’est un très bon arbitre. Je sais qu’au début je n’avais pas la confiance des gens car ils ne me connaissaient pas et après je l’ai ressenti de plus en plus. Les coaches me le disent encore, « quand on te voyait arriver, on savait comment tu fonctionnais. » C’est vrai que je laissais beaucoup jouer, j’étais plus dans l’esprit que dans la règle. Et même parfois j’ai fait des erreurs au niveau de la règle car c’était tellement logique que personne ne disait rien. Je préférais laisser jouer que siffler quelque chose qui cassait le jeu. Et aussi plutôt que de mettre une faute technique, je préférais parler avec le joueur ou le coach pour arranger le truc. Il faut sentir le jeu et il n’y a pas de mystère, ceux qui n’ont jamais joué au basket ont du mal. Ceux qui connaissent les règles par cœur, en général, ils ont du mal aussi. On peut très bien contrôler un match en sifflant très peu. Il faut arriver à se dire, « on ne va pas siffler trois secondes à trois » mais à quatre ou cinq. Sur la remise en jeu, on va rarement siffler à cinq secondes, plutôt à six. On va laisser l’opportunité au joueur de sortir de la raquette ou de lâcher la balle. Mais il y en a pour qui « trois secondes », c’est « un, deux, trois, je siffle ». Moi, je n’ai jamais sifflé trois secondes à trois mais à quatre ou cinq. En tant que formateur, je ne peux pas dire ça aux arbitres (sourire). On a deux types d’action qui exigent carrément un trois secondes, c’est quand il y a un drive vers le panier et quand il y a un tir.
Il y a des grands comme Youssoupha Fall et ses 2,21m qui doivent être difficiles à arbitrer ?
Oui. Ils ont ce que l’on appelle des cylindres, largeur des épaules et des bras qui sont longs, et on a tendance à parfois les sanctionner trop vite et à l’inverse pas sur des choses évidentes. (Gheorghe) Muresan, c’était pareil, très difficile à arbitrer.
C’est pour ça qu’ils préfèrent jouer en Euroleague contre des pivots du même gabarit que face à des joueurs de deux mètres ?
Oui. C’est pour ça que dans les vidéos, je mets parfois des situations avec des grands. Il faut leur laisser la possibilité de s’exprimer dans leur espace. Et ils ont un grand espace. C’est comme ça. On ne va pas les pénaliser pour ça. Mais ce n’est pas évident.
Le recours à la vidéo semble être entré dans les mœurs ? Y recourir permet-il d’éviter les erreurs à 100% ? Est-ce que ça dépend des angles de la ou des caméras ?
Le problème, c’est que l’on a beaucoup de points en vidéo que l’on peut aller voir en FIBA. Ce n’est pas applicable en LNB qui a justement estimé qu’elle n’a pas les moyens techniques, les caméras suffisantes. Aujourd’hui, on a trois points en Pro A et Pro B pour lesquels on peut aller voir la vidéo. C’est tout ce qui est tir au buzzer, savoir s’il faut valider ou pas, fin de quart-temps, de savoir si le panier était à deux ou trois points, et les bagarres.
Lorsque les matches ne sont pas télévisés, il n’y a que K-Motion pour revoir les séquences de jeu. C’est très limité ?
La vidéo, c’est pour aider l’arbitre à prendre une décision. On demande toujours à l’arbitre d’avoir son opinion avant d’aller voir la vidéo. La vidéo confirme ou pas la première décision prise. Donc si ce sont les images K-Motion et que l’on ne voit pas, c’est la première décision prise par l’arbitre qui doit être validée. Dans les sorties de balles en touche, quand c’est la FIBA on peut aller voir la vidéo quand ça se passe au cours des deux dernières minutes. Au niveau de la Pro A, on ne peut pas. Même si c’est un matché télé, on ne peut pas pour ne pas faire de différence. Je ne sais pas si c’est possible pour les playoffs quand tous les matches sont diffusés, pour les sorties de balle et aussi quand il y a des problèmes de temps, quand des secondes se sont écoulées par erreur.
Même quand le match est télévisé avec plusieurs caméras et même avec le ralenti, parfois c’est très difficile de prendre une décision. Vous, arbitres, avec votre œil, généralement c’est tranché ?
En général, oui. Le tir au buzzer, ça se voit bien. Deux ou trois points, ça se voit. Les bagarres aussi. Une touche ce n’est pas toujours évident. En Euroleague, ils ont encore d’autres points pour l’arbitrage vidéo. S’ils ont un doute, ils peuvent aller voir si la faute est antisportive ou pas.
Ne faut-il pas aussi limiter le nombre d’interventions ?
La LNB avait peur de ça, que les arbitres arrêtent sans cesse le jeu. J’avais demandé que l’on puisse recourir à la vidéo pour tout ce qui est problème de temps, de tireur de lancer-franc pour aller l’identifier si on n’est pas sûr, lorsque aussi le signal des 24 secondes sonne et qu’une faute est sifflée, à savoir si cette faute intervient avant ou après les 24 secondes. On ne peut pas aller le voir en France mais en FIBA on le peut. On espère avoir de plus en plus de moyens techniques pour avoir de plus en plus de points pour l’arbitrage vidéo.
Peut-on imaginer qu’il y ait un quatrième arbitre qui soit en permanence avec un écran ?
Ça serait bien. On le fait déjà un peu en FIBA dans les grandes compétitions. On l’a fait aussi pour la Leaders Cup. Là, l’arbitre voit tout de suite. Pas besoin d’un arbitre mais d’un observateur qui puisse regarder la situation à l’écran et la faire corriger. Les arbitres ont déjà l’oreillette. Pour des situations bien spécifiques et importantes pour le jeu évidemment. Il faut cibler sinon l’arbitre n’arbitre plus. Mais parfois en vidéo, les arbitres se disent « comment j’ai pu me faire avoir ? » alors qu’en live ce n’est pas facile. Une balle qui descend, qui est touchée, un joueur qui floppe, un joueur qui accroche que l’on ne voit pas. L’arbitre a une fraction de seconde pour décider. Ce que je leur inculque, c’est la position à avoir pour être le mieux placé pour prendre la meilleure décision. Ne pas juger en courant. Il faut s’arrêter et juger, c’est plus facile d’avoir une bonne décision.
L’intelligence artificielle permettra-t-elle un jour de remplacer les arbitres ou du moins dans un premier temps de les accompagner ?
Dans un futur lointain !
Vous avez été également la première femme à être superviseur d’un Eurobasket en 2017, en Turquie. Vous avez le sentiment d’être une pionnière ?
J’étais arbitre au milieu de tous ces hommes. Je le vis en tant que responsable technique à la fédération au milieu de tous ses hommes qui sont très majoritaires. Et en Europe, c’est pareil. Parmi les instructeurs au niveau mondial, on est douze appelés à faire les grandes compétitions, on est deux femmes, une Canadienne et moi. Je suis régulièrement sur des matches de BCL comme instructeur. Les arbitres m’acceptent très bien parce qu’ils me connaissent. Avec beaucoup de respect, plus qu’en France parfois, tout ce que je leur montre et leur conseille pour progresser. C’est plus de l’observation que de la sanction. On est là pour aider les arbitres. Je pensais rester sur du féminin comme tout le temps, donc quand j’étais été nommée au championnat d’Europe masculin, c’était une surprise. Je me suis dit qu’il allait falloir que je prouve encore, mais ça s’est très bien passé. Mine de rien, j’ai de la concurrence de la part des instructeurs masculins, « pourquoi elle fait partie des douze et pas moi ?! »
C’est ce que vivent parait-il toutes les femmes qui ont des postes à haute responsabilité ?
Oui. C’est marrant parce que je pense avoir la personnalité assez forte pour tenir tout ça, je l’avais quand j’étais arbitre, je le suis aujourd’hui et il faudra que je le sois encore demain pour remplir cette fonction d’instructeur mondial. Mais c’est valorisant pour moi car j’ai une reconnaissance de mes compétences. Mais je sais que j’ai encore besoin de progresser sur plein de choses pour être dans le top ! Ce n’est pas facile, je n’ai pas tous les jours des moments très roses mais j’essaye de manager pour que tout le monde progresse.
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A l’époque de Pascal Dorizon, les arbitres étaient évalués sept fois par saison. C’est toujours le cas ?
C’est un peu différent. On a instauré des commissaires-observateurs. C’est-à-dire que les commissaires qui sont à la table observent également les arbitres. Ils sont douze cette année. En plus, on fait des observations vidéo sur tous les matches télé. De là sort une note et à la fin de la saison, il y a un classement de tous les arbitres de Pro A. Les meilleurs font les playoffs et les moins bons descendent en Pro B. Le nombre dépend des années et des besoins. Comme on est passé à trois en Pro B, on a eu besoin de plus d’arbitres cette année. Mais il y a forcément des descentes car on part du principe que celui qui est en difficulté dans une division doit descendre. En Pro B, il faut qu’ils aient au minimum 6-7 observations, il n’y a pas d’observation vidéo puisqu’il n’y a pas de matches TV, et c’est pareil, à l’issue de la saison, il y a un classement. Les meilleurs montent en Pro A et les moins bons descendent en NM1.
Les observateurs sont d’anciens arbitres comme Philippe Manassero ?
En Pro A, pour être commissaire-observateur, il faut obligatoirement qu’ils aient officié eux-mêmes dans la division. On a pris je crois l’année dernière Philippe Manassero en commissaire-observateur, il a arbitré en Pro A et été international. C’est aussi en fonction des régions. On évite qu’ils se déplacent de trop. Par exemple dans le sud-est, on n’avait personne et Philippe Manassero peut couvrir Toulon, Monaco et Antibes. Je suis moi-même amenée à me déplacer n’importe où.
Il y a quelques années, vous avez déclaré qu’en Euroleague, dès qu’un arbitre fait des erreurs, il est mis de côté mais que c’est impossible en France car il n’y en a pas assez. C’est une observation encore valable ?
Non. Par contre, en France, il y a un problème juridique. Une fois qu’un arbitre a eu une désignation pour le lui enlever, il faut qu’il y ait un dossier disciplinaire d’ouvert et c’est très compliqué. Sinon, on n’a pas le droit de le faire. Donc comme on fait des désignations trois semaines avant, si demain il y a un incident sur un match, on ne peut pas lui retirer ses matches. Sauf donc s’il y a un gros dossier discipline auquel cas on est à même de le suspendre. Sinon on est obligé d’attendre les trois semaines de délai pour ne plus le désigner. Souvenez-vous de l’arbitre de foot qui a fait un croche-pied…
On n’a jamais vu ça dans le basket !
La fédération de foot l’a suspendu immédiatement en ouvrant un dossier disciplinaire et c’est plus compliqué. Je ne donnerai pas d’exemple mais c’est arrivé l’année dernière. Ça aurait été bien que cette arbitre-là prenne un match et on n’a pas pu, il était désigné. C’est ce que les coaches parfois nous reprochent : « lui, il fait une erreur et il est encore sur le terrain alors que nous, on joue notre place sur des matches où l’arbitre effectivement influe sur le résultat. »
Finalement, y a-t-il souvent des erreurs d’arbitrage, des erreurs significatives ?
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Photo: FFBB