Suite de l’interview de Jean-François Reymond, le directeur du Syndicat National des Basketteurs (SNB).
Le grand ménage dans les championnats fédéraux?
« Il existe une économie dans les championnats de N2, N3, et des gens très connus dans le basket ont fait carrière dans les championnats amateurs en gagnant bien leur vie et en ayant même une formation à côté. On ne peut pas empêcher un joueur de travailler et si le club lui propose un contrat, aussi je ne vois pas comment un règlement de la fédé peut s’opposer à la loi. Dans les faits que l’on ne veuille pas de contrats en N3 et en Pré-Nationale, je peux comprendre. Seulement pour moi on n’a pas abordé le problème de la meilleure des façons. Aujourd’hui il n’existe pas véritablement de contrôle de gestion de la fédé dans ces clubs là. Souvent on a à faire à des dirigeants amateurs qui n’y connaissent rien, qui se retrouvent à payer des salaires, des URSSAF, qui sont des chefs d’entreprise dans leur club alors qu’ils ne le sont pas forcément dans leur boulot de tous les jours. Il y a une constance : c’est le niveau insuffisant des dirigeants dans le sport français et le basket n’échappe pas à la règle ! C’est souvent dans le sport amateur qu’il y a des accidents industriels, que ce soit à Luçon et Châteauroux, à Brest qui a redéposé le bilan, ou à Aix l’année dernière. On ne tire pas les leçons du passé. Le président qui était à Saint-Etienne quand le club s’est cassé la gueule, il est allé à Annecy et on lui a redonné un club et il a refait un contrat ! Si je suis joueur et qu’on me propose 3 ou 4 000 euros par mois, je vais y aller ! Il y a un besoin de formation des dirigeants, de renforcer les contrôles de gestion.
C’est facile aujourd’hui de détourner le système fédéral. Je pense que le président de la fédération a raison de vouloir réguler mais OK on fait signer aux joueurs des attestations sur l’honneur où ils s’engagent à ne plus toucher d’argent mais si je suis président d’un club que fais-je ? J’ouvre une autre association qui ne dépend pas de la FFBB, je fais payer mes sponsors là-bas et j’y salarie mes joueurs. Comme ça ils continuent d’être payés sans que ça pose problème puisque ça n’apparaît plus dans les comptes. Et aussi, on a stigmatisé les joueurs mais personne ne dit rien à propos des entraîneurs qui gagnent de l’argent dans les championnats fédéraux. C’est bien aussi que les joueurs qui vont dans ces championnats fassent de la formation, ils ont du temps, le problème, c’est qu’elle n’est payée que si on est salarié. Beaucoup de points mériteraient d’être creusés avant de faire évoluer la réglementation. On a même vu un président de club de NM2 qui a reçu le courrier de la fédération, qui l’a mal compris, et qui a licencié son joueur en lui disant que la fédé ne l’autorisait plus à faire de contrat alors que c’est toujours autorisé à ce niveau. Il va se retrouver avec un Prud’homme et l’obligation de payer son joueur jusqu’à la fin de son contrat.
« Charles Kahudi ne pourra pas faire toute sa vie 90 matches par saison »
L’équation insoluble des calendriers européens
Dans les grandes ligues européennes, chacun cherche à protéger sa formation locale en essayant de ne pas aller contre les règlements de l’Union Européenne. Depuis que Jorge Garbajosa a été élu à la fédé espagnole il essaye de voir comment il peut préserver la qualité de son équipe nationale. Vincent Collet doit se demander avec quels joueurs il va pouvoir jouer puisque pour les matches de qualification à la Coupe du Monde 2019, il n’aura pas les joueurs NBA ni de l’Euroleague et seulement ceux du championnat de France. Certains joueurs de Pro A vont passer du statut d’anonymes à joueurs majeurs pour qualifier une équipe qui vient de faire cinq médailles en huit ans, les meilleurs résultats de l’histoire du basket français. Comment va-t-on faire ? Soit Collet est un magicien, soit on va avoir de vrais soucis.
Il faut comprendre que pour établir les calendriers, il faut d’abord poser les compétitions internationales, puis les européennes et enfin les nationales. Ainsi l’Euroleague imposait de jouer le mercredi puis le jeudi et ensuite le vendredi. Maintenant c’est la FIBA qui met des compétitions pour les équipes nationales durant l’année. On ne prend pas en compte les accords collectifs qui sont conclu dans les pays et c’est un vrai problème. Notre convention collective prévoit que les joueurs doivent avoir des repos à Noël pour respecter leur intégrité physique et ce n’est pas le cas. Charles Kahudi ne pourra pas faire toute sa vie 90 matches par saison. C’est ce qui s’est passé l’année dernière puisque l’ASVEL est allée en finale des playoffs, de la Coupe de France, plus la Coupe d’Europe, la LeadersCup, le championnat et l’équipe de France. En Europe contrairement à la NBA ils ne font pas des entraînements de récup. Tous les clubs n’ont pas des kinés et des ostéos qui peuvent s’occuper des joueurs à temps complet. L’ancien joueur Florent Eleleara qui est ostéo était en contact avec Strasbourg, ils ne l’ont pas pris, et finalement il a été embauché par le centre de formation de foot de Monaco. Et celui qui l’a engagé lui a demandé comment avec son cursus de basketteur et sa formation personne ne lui a donné un travail dans le basket. Pour revenir à Charles, qui est notre joueur majeur et que l’on voulait mettre sur toutes les affiches de LNB, il est arrêté trois mois pour une cheville qu’il n’a pas pu soigner car il a enchaîné les matches. On en arrive à la problématique du rugby où les mecs calculent presque le nombre de jours d’arrêt maladie car ils savent que c’est pratiquement les seuls moments où ils pourront se reposer.
On comprend que la FIBA et l’Euroleague veuillent générer des sous mais à un moment donné il faut respecter les gens qui sont sur le terrain. Si les meilleurs joueurs ne sont pas sur le terrain la valeur des compétitions intrinsèquement diminue. Mais autant la FIBA que l’Euroleague en n’ont rien à faire des associations de joueurs et des joueurs eux-mêmes. Aujourd’hui la commission des athlètes à la FIBA est dirigée par Vlade Divac, un grand joueur, sauf qu’il est aujourd’hui directeur général des Sacramento Kings. Si on prend tous les membres de cette commission, il n’y en a pas un qui est un joueur en activité. Hanno Mottola est entraîneur, Ilona Korstine est DG de la VTB League. Ça fait deux ans qu’on a demandé un rendez-vous à Vlade Divac, il ne nous a pas répondu, ça prouve bien le manque de respect. A un moment donné, l’Euroleague faisait venir des joueurs deux jours à Barcelone en plein été mais les sujets de fond n’étaient pas du tout traités. On demandait aux joueurs de signer un contrat de vingt pages dans lequel il y avait plein de choses interdites, des clauses de buyout s’ils signaient en NBA, des droits à l’image, le club pouvait sanctionner financièrement le joueur s’il prenait du poids pendant la saison. C’est contraire au droit du travail européen. Ça prouve un manque de respect, de concertation avec les joueurs. On essaye de mobiliser les forces au niveau européen afin que tout le monde se serre les coudes. On a fait une réunion en juin avec tous les syndicats à Amsterdam pour essayer d’articuler tout ça. J’en ai beaucoup parlé avec Nando De Colo en lui disant qu’au CSKA Moscou ils ont une responsabilité car l’Euroleague ne peut pas marcher sans eux.
« On peut aimer ou pas le style de M. Bertomeu (Ndlr : le directeur de l’Euroleague), malgré tout il a monté une belle machine de guerre »
La frustration de ne pas jouer l’Euroleague
Evidemment que les meilleurs joueurs de Pro A sont frustrés de ne pas avoir la possibilité de jouer l’Euroleague car c’est là qu’il y a les meilleurs salaires. Tout le monde sait que Charles Kahudi a envie d’avoir une expérience à l’étranger et l’Euroleague serait une possibilité de visibilité énorme. Et là il va jouer une compétition européenne –la Basketball Champions League- dont il ne connaît pas la moitié des équipes. Les joueurs ont envie d’aller jouer dans la meilleure compétition et ça explique le départ de plusieurs joueurs emblématiques (Ndlr : Andrew Albicy, Rodrigue Beaubois, Ali Traoré, Léo Westermann…). En une saison la BCL ne va pas atteindre le niveau de jeu et d’organisation de l’Euroleague. On peut aimer ou pas le style de M. Bertomeu (Ndlr : le directeur de l’Euroleague), malgré tout il a monté une belle machine de guerre qui est capable de mettre la FIBA en difficulté qui a été obligée de changer complètement sa gouvernance car elle avait perdu le contrôle de certaines régions. C’est la structuration mondiale du sport qui est challengé. Le système tel qu’il existait jusqu’à maintenant a, je pense, atteint ses limites. Des modèles économiques avec des ligues fermées avec de la place pour les employeurs et les employés, qui fixent eux-mêmes les règles de participation à une compétition, c’est beaucoup plus bénéfique pour le business des entreprises et pour les joueurs car le produit est meilleur. Si demain un organisateur est capable de réunir les meilleurs athlètes et que cette compétition fait de l’ombre aux Jeux Olympiques, si je suis athlète, je sais où je vais. »