Jeudi 29 décembre se tiendra le All-Star Game 2016 à l’AccorHôtel Arena de Paris.
L’événement date en France de 1987 et l’édition de 1994 est considérée comme la plus réussie de toute. Par la grâce d’Hervé Dubuisson, le public de Tours et les téléspectateurs de France 3 virent des étoiles plein les yeux.
Sport Dimanche sur France 3, ce 6 mars 1994, en direct de Tours. Le basket français est en pleine forme. Il faut y voir l’effet Dream Team conjugué à un contrat qui assure la couverture de plusieurs matches sur le service public dont ce All-Star Game. Les meilleurs joueurs français sont tous sur le territoire et la Pro A compte quelques pépites américaines, telles que le Villeurbannais Delaney Rudd, le Limougeaud Michael Young et l’Antibois David Rivers.
All-Star game ou « Gala des Etoiles » ?
Le public a été invité à élire les joueurs par le biais d’urnes disposées dans les salles, de bulletins à découper dans le journal L’Equipe et le mensuel Maxi-Basket, et en se servant d’un outil qui fait la fierté de la France, le minitel. Sur 15 932 exprimés, Michael Young a devancé Antoine Rigaudeau et Stéphane Ostrowski.
Les Brioches Pasquier et la bière sans alcool Buckler sont les parrains de la retransmission. André Garcia présente le match à l’américaine avec une casquette « Basket Pro » sur la tête, mais son compère de la chaîne, Patrick Montel, assène : « pas le droit de dire le All-Star Game, c’est le gala des étoiles. »
Chômeur l’été précédent suite à une brouille avec le Racing Paris, embauché par Sceaux coaché par un novice à ce niveau, Alain Weisz, Hervé Dubuisson, 36 ans accompli, est alors le troisième meilleur marqueur français avec un rythme de 19,4 points par match. La salle Robert-Grenon déborde de fans et Dub y a ses repères : cinq ans auparavant, il y a planté 55 points contre le TBC. Son record en carrière et pour un Français en LNB.
Qui est Hervé Dubuisson ? Le plus doué de toute une génération de basketteurs français et peut-être même de toutes les précédentes. Un shoot sorti d’un précis technique, des dons de jumpeur, d’équilibriste, d’imagination et de showman, une capacité à démultiplier les points, et encore plus avec l’apparition de la ligne à trois-points en 1984. Un type charmant, cool, simple. Ses défauts ? Une certaine nonchalance, et quand on a autant de talents, forcément, l’exigence est extrême. Formé à la dure école de Denain, Dub est ensuite allé gagner deux titres de champion de France avec Le Mans, mais ses choix de carrière sont ensuite douteux et il ne gagnera plus de trophées collectifs.
A l’inverse, Hervé Dubuisson est l’homme de tous les records individuels dans le basket français : précocité en équipe de France (16 ans et 9 mois), nombre de sélections (259), de points, sur une carrière, dans une saison, sur un match, etc.
« Les Blancs savent aussi faire le spectacle »
Précocité, longévité
Dub se retrouve en défense sur Don Collins, et prend un dunk sur la tête signé José Vargas. Mais le voilà très vite dans le rythme et il donne l’avantage au clan français sur une passe de Rigaudeau. Il ne pense pas qu’à sa pomme puisque, sur une contre-attaque, il sert admirablement Jim Bilba. Showtime.
Mais, c’est essentiellement à trois-points qu’il illumine Robert-Grenon. Le voici atteignant la cible d’un shoot à neuf mètres en déséquilibre. « Je l’adore » lâche André Garcia. « Moi aussi. Trente-sept ans » rappelle Patrick Montel, qui prophétique ajoute : « on va demander à la presse d’élire le meilleur joueur du match, je ne voudrais pas lui porter la poisse, mais Dubuisson est parfaitement parti. »
Sous bien des aspects, Dubuisson était en avance sur son temps, mais il regrette les déviances observées en ce début des années quatre-vingt-dix dues à l’intoxication télévisuelle en provenance de la NBA. « Il existe de moins en moins de shooteurs comme moi », dira t-il à la fin du match. « Les jeunes qui jouent dans la rue ne pensent que défi physique, un contre un, dunks, sans jamais penser à travailler leur tir extérieur. Ils ne comprennent pas que c’est justement en étant capables de tirer à 6 mètres qu’ils pourront pénétrer vers le panier car les tirs extérieurs permettent d’écarter les défenses. »
Boom ! Boom ! Boom ! Skeeter Henry ne voit que du feu. Ils en rigolent ensemble. Patrick Montel s’enhardit : « Je ne sais pas si Gomez, l’entraîneur de l’équipe de France, va avoir envie de rappeler Dubuisson, mais vraiment, quel marqueur ! » Attaque suivante, il plane sur la tête de David Rivers. « Ça ne se fait pas, mais j’ai déjà écris Dubuisson sur mon bulletin de vote pour le joueur du match, » avoue Montel à la cantonade.
Menée un temps 65-81, la sélection française revient à la charge. Nouveau trois-points de Dub qui défie les lois de l’apesanteur. André Garcia vient d’adhérer au fan club : « cet homme-là est génial. » Feinte de shoot, passe à Forte seul dans le coin. Trois points. Et Boum encore ! Dub frappe à neuf mètres. Le public est aux anges. « Le concept du all-star game comme on dit dans les sociétés de marketing est en train de prendre forme » analyse Montel.
Pénétration de Dubuisson, feinte de shoot, et passe décisive à Marc Mbahia. Dernière action, balle de match aux Français. Dub est isolé, joue le un-contre-un. Fingers rolls. La balle rebondit sur le cercle, touche le plexis, puis deux fois encore le cercle. Et ressort.
Personne n’en veut au héros du jour qui est naturellement élu meilleur joueur du All-Star Game après avoir convertit 8 de ses 11 shoots à trois-points pour atteindre un capital de 30 points, et qui lance : « les Blancs savent aussi faire le spectacle » et encore : « c’est vrai, j’ai pris des shoots difficiles et je les ai réussis. Mais la semaine dernière en championnat, contre Montpellier, j’ai tenté des shoots propres qui ne sont pas rentrés. C’est aussi ça, la condition de shooteur. »
« Ce match n’était pas mon jubilé et d’ailleurs je compte bien battre les records de longévité. J’arrêterai quand on m’arrêtera sur le terrain. C’est ma passion, ma vie. Je sais que tout ça s’achèvera un jour et que je ressentirai un énorme manque. Mais quand je joue comme ça, pensez-vous que je doive m’arrêter ? »
Bien sûr, Hervé Dubuisson ne s’arrêtera pas du jour au lendemain, et chipera à Alain Gilles le record de saisons en première division. Son jubilé, il le fêtera, alors qu’il était déjà coach de Montpellier, lors d’un match officiel contre Besançon pour une 25e saison et scorera 30 points ! Pas tout à fait la ligne d’arrivée. Deux ans plus tard, Dub jouera encore quatorze matches, propulsant sa marque personnelle et nationale à vingt-six saisons. On marchera sur Mars que ce record ne sera pas battu.
Interview Hervé Dubuisson
« Le plus beau trophée de ma carrière »
En 2001, un grave accident de moto a interrompu sa carrière de coach et nécessité une longue rééducation. A 56 ans, Hervé Dubuisson n’a pourtant rien perdu de sa fraîcheur. Le Nordiste réside désormais à Cagnes/Mer. Il est marié avec l’ancienne basketteuse bulgare Mladena Staneva, et il a en charge la coordination des grandes manifestations sportives organisées dans la région PACA, tout en étant « référent handicap » à la préfecture des Alpes-Maritimes.
Si on vous dit « all-star game à Tours », quels sont les souvenirs qui vous viennent à l’esprit ?
Je l’ai souvent regardé en vidéo, comme aussi ce duel -que l’on voit sur YouTube-, que je fais contre Drazen Petrovic, en 1985, au tournoi de Noël. J’ai eu beaucoup de retours comme aussi pour le petit film réalisé pour l’Académie du Basket par Nicolas De Virieu. C’est comme ça que j’ai repris contact sur facebook avec des Américains comme Brad Sellers et Harold Johnson. Ce All-Star Game à Tours était magnifique. Il faut se rappeler que j’étais chômeur en début de saison puisque Paris ne voulait pas me garder. C’est là que j’ai rencontré Alain Weisz et M. Perez, qui était le président, et que je suis allé jouer à Sceaux qui venait de Pro B. Dans ma carrière, c’est le plus beau des trophées. J’étais béni ce jour là. Et ensuite j’ai terminé meilleur marqueur français du championnat. Depuis, j’ai retrouvé aussi Skeeter Henry sur facebook. On voit sur la vidéo combien ils sont écoeurés à la fin !
Il y a eu un autre match où tout est rentré, c’est lorsque vous avez marqué 51 points à Equeurdreville contre la Grèce, le 21 novembre 1985. Une sacrée bataille avec Nick Galis ?
Mon meilleur match de toute ma carrière, c’est celui-là. 54 points à Equeurdreville ! (la fédération a officiellement retenu le chiffre de 51 alors que d’autres sources font effectivement état de 54 points). Maintenant, je prononce bien le nom alors qu’à l’époque, je l’écorchais. Je disais « Equerville » où quelque chose comme ça (rires). Après mon accident, tous les médecins qui m’ont vu lors de ma rééducation ont dit qu’heureusement, j’étais un athlète avec un gros mental, et c’est pour ça que je m’en suis sorti. J’avais perdu la mémoire immédiate, les sept années avant mon accident, par contre le reste était bien gravé. Le All-Star Game à Tours était un peu flou dans ma mémoire, mais relire les articles et voir la vidéo m’a permis de faire revenir tout ça à l’esprit. Je dois beaucoup à ma femme, Mladena, qui s’est très bien occupée de moi. Savez-vous qu’elle a plus de sélections que moi, 366 (Hervé est le recordman en France avec 259). En 1986, dans la Gazzetta dello Sport, il y avait les dix meilleurs joueurs d’Europe dont je faisais partie, et en face la liste des dix meilleures joueuses d’Europe dont elle faisait partie. Quand elle est arrivée à Aix-en-Provence, j’ai commencé à la draguer en lui envoyant des fleurs ! (Mladena nous expliquera ensuite qu’Hervé a flashé sur elle en la découvrant dans une pose glamour dans le magazine Maxi-Basket).
« Lorsque j’ai eu mon accident, il y a eu délit de fuite et il n’y a pas eu de coupable. Je culpabilisais, je ne pouvais me regarder dans la glace, je m’en voulais d’avoir fait de la moto, j’estimais que je ne servais plus à rien. »
Vous aviez un shoot esthétiquement parfait. Qui avait été votre modèle ?
Mon premier entraîneur à Thumeries (dans le Nord-Pas-de-Calais), Marcel Dessenne, qui m’a appris le 6 à l’envers. J’étais dernièrement à la finale du Pole France, et j’ai expliqué aux jeunes ce mécanisme de shoot (…) On m’avait appris à ne fouetter le poignet qu’au moment où la balle est au-dessus du cercle comme si je l’accompagnais jusqu’au bout. Le basket, c’est toute ma vie. Lorsque j’ai eu mon accident, il y a eu délit de fuite et il n’y a pas eu de coupable. Je culpabilisais, je ne pouvais me regarder dans la glace, je m’en voulais d’avoir fait de la moto, j’estimais que je ne servais plus à rien. J’ai attendu longtemps avant d’entraîner de nouveau le mercredi des gamins à Villeneuve-Loubet où j’habitais. Je leur ai enseigné mon shoot. Et le jour de mon mariage ils étaient tous là avec des ballons pour me faire la haie d’honneur. Leur rendre ce que l’on m’avait appris à Thumeries, tout ça m’a donné confiance en moi et envie de vivre.
Vous étiez aussi un extraordinaire dunkeur, capable de lancer la balle par terre, de la faire rebondir sur le panneau, et de la récupérer pour dunker arrière ?
Ils ont marqué dans L’Equipe Magazine que les Américains avaient dit que j’étais le Blanc qui sautait au-dessus des buildings (cette métaphore a été écrite dans le Street & Smith par le journaliste Giorgio Gandolfi au tout début des années quatre-vingts). J’avais comme exemple Julius Erving, Doctor J. Très important à dire, ce n’est pas par hasard que je sautais haut. J’avais des facultés, mais tout a commencé avec M. Pierre Legrain, l’entraîneur de Guy Drut à Oignies. Je faisais un peu d’athlétisme, du saut en hauteur. Ma coordination est venue de là, j’ai acquis des bases. C’est Pierre Legrain qui m’a signalé à Jacques Fiévé, l’entraîneur de Denain, qui était son copain. Il lui a dit, « j’ai un jeune qui joue à Thumeries, avec qui je fais un peu de saut en hauteur, tu devrais aller le voir. » J’avais 14 ans, j’étais tout maigre, j’avais grandi en un an de vingt centimètres suite à une jaunisse, j’éclatais tout. C’est comme ça que je suis arrivé à Denain. J’ai travaillé ensuite mes figures de dunks à l’entraînement. J’ai toujours eu un côté spectacle en moi et puis aussi, je l’avoue, d’inconscience. Quand je jouais, je tentais des choses incroyables.
Considérez-vous que vous soyez né trop tôt ? Que si vous aviez 20-30 ans aujourd’hui, vous seriez en NBA ?
Peut-être que je serais là-bas, mais je ne regrette rien… Je vis avec mon temps et je suis très fier de ce que j’ai fait. J’ai été le premier Français à faire un camp NBA, avec les New Jersey Nets, à l’université de Princeton, celle de Brooke Shields (actrice américaine), juste après les Jeux de Los Angeles. Ils étaient intéressés mais ils ne me proposaient pas un contrat garanti, or j’étais en contrat avec le Stade-Français. Je leur ai dit « je n’ai pas de garantie, je ne reste pas. » Mais c’est un bon souvenir. J’étais au stage des Nets avec le Brésilien Oscar Schmidt, on était tout le temps ensemble. Lui aussi, c’était un shooteur et un mec super cool. Je suis toujours en contact avec lui.
Quel est le record dont vous êtes le plus fier ?
Mon match contre les Grecs à Equeurdreville, et d’être allé aux Jeux de Los Angeles. C’était en France le début du basket américain à la télévision et on a joué au Forum de Los Angeles, vous vous rendez compte ! Aujourd’hui il y a des Français qui jouent là-bas mais à l’époque, c’était un autre monde. La première fois où je suis rentré dans le Forum, je n’y croyais pas. On a joué contre Michael Jordan qui n’était pas encore pro. Sauf à venir d’une université, c’était impossible à l’époque d’aller en NBA.
Vous êtes souvent allé voir des matches en NBA, à l’époque où c’était une terre inconnue ?
Oui et, après mon accident, avec mon épouse on a fait une tournée aux Etats-Unis, en 2006 je crois. Je voulais revoir le lieu où j’avais fait les Jeux Olympiques. J’y ai vu T.P. (Tony Parker) contre les Lakers et les Clippers, et aussi Rony Turiaf.
Article paru dans Basket Hebdo en 2014