Jamais club ne domina l’échiquier européen comme le Varese des années soixante-dix.
Avec les yeux d’un lecteur du XXIe siècle, cela paraît irréel. Le palmarès du club du Pallacanestro Varese indique une présence continue en finale de la coupe des Champions – l’actuelle Euroleague – tout au long des années soixante-dix avec la moitié convertie en titres européens : 1970, 72, 73, 75 et 76. Le tout complété de titres nationaux, intercontinentaux, coupes des coupes, Korac…
Varese n’est ni Madrid, ni Moscou ou Tel-Aviv. Juste la 64e ville d’Italie par sa population, 82 000 habitants. Mais cette cité de Lombardie, nichée à une soixantaine de kilomètres de Milan et à une cinquantaine de Cantu, était d’une taille suffisamment grande pour attirer des industries et 3 500 fidèles en moyenne dans son Palazetto.
L’Ignis Varese. Une appellation magique pour tout fan de basket européen des seventies. Giovanni Borghi était le patron d’un empire qui avait prospéré dans l’électroménager. C’était, disait-on, le mécène le plus généreux du sport italien.[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]Il s’était intéressé à la boxe, aux chevaux, au foot et avait accolé, à partir de 1956, le nom de son entreprise, Ignis, au club de basket-ball. Malade, Giovanni transmit le témoin à son fils Guido avant qu’Ignis ne passe sous la coupe de la multinationale néerlandaise Philips qui, très vite, lâchera le basket. Peu importe. Des études montraient déjà que le basket était un support de com’ d’excellence. « Ici, ce n’est pas le basket qui court après la publicité ; c’est la publicité qui court après le basket », disait alors le coach Sandro Gamba. Alors, Ignis se transforma en Mobilgirgi – une fabrique de meubles dont le siège était implanté chez les rivaux de Cantu – toujours avec la même réussite, avant de prendre d’autres noms, Cagiva, Star, pour s’appeler aujourd’hui Cimberio.
Le budget de l’Ignis Varese était estimé à 200 millions de Lires, somme, disait-on, relativement modeste. C’est surtout son fonctionnement qui apparaissait avant-gardiste, à une époque où le basket français se complaisait dans le bricolage et l’amateurisme marron. Nos clubs se contentaient d’un président et de dirigeants bénévoles, d’un coach, et en prime d’un « accompagnateur » lorsqu’ils partaient à la conquête de l’Europe. L’Ignis possédait déjà un general manager, Gincarlo Gualco, un ancien joueur du club dont le propre fils portait les couleurs jaune et bleu. Il était assisté de six « conseillers » et le staff comprenait un coach, son adjoint, deux préparateurs physiques, deux médecins et deux kinés. Tous professionnels. Comme les joueurs. De quoi rendre verts de jalousie les clubs français d’Euroleague quarante ans plus tard !
Bob Morse, 6 fois top-scoreur de Lega
L’Ignis décolla en Europe avec comme coach Aleksandar Nikolic, surnommé « le père du basket-ball yougoslave ». Pas besoin de faire un dessin sur la valeur du bonhomme. « Il accordait une très grande importance à la condition physique. J’avais à peine posé le pied sur le sol italien que nous sommes partis effectuer un stage de douze jours en altitude. Au programme, quinze kilomètres de footing le matin, musculation et exercices de rapidité l’après-midi. Pas une seule fois, nous n’avons touché la balle au cours de ce stage. Je me suis demandé ce que je faisais là, si je n’étais pas en train de me préparer pour une saison de 400 m ou de demi-fond. Aux USA, il est impensable de s’entraîner sans ballon », nous dira bien plus tard l’Américain Bob Morse, ajoutant de la méthode en preuve d’efficacité : « la première année, nous avons remporté le championnat et la coupe d’Italie, la coupe des Champions et la coupe Intercontinentale. C’était un bon début ! ».
Sorti major en biologie de l’Université de Pennsylvania, Morse est devenu une véritable légende du palacanestro. Il s’est imposé six fois en neuf saisons comme le top-scoreur de la ligue. Son intelligence de jeu n’avait d’égal que l’utilisation parfaite que faisait de lui l’équipe lombarde. « Je jouais pour l’équipe et l’équipe jouait pour moi. Mes équipiers me faisaient des écrans pour me donner de bonnes positions de shoots et je leur rendais la pareille. Je ne suis pas un spécialiste du un-contre-un. J’ai besoin d’un collectif pour m’exprimer ».
Le recrutement des Varésans ne se faisait pas à l’aveuglette. Sandro Gamba n’avait pas besoin d’intermédiaire et était en relation étroite avec un agent américain. Il se déplaçait à l’occasion. Avec Bob Morse et le Mexicain Manuel Raga, réputé pour son tir en suspension, Charlie Yelverton fut le 3e étranger d’anthologie de Varese. Ce Noir new-yorkais, drafté au 2e tour par la NBA en 1971, victime de problèmes raciaux, s’était converti en chauffeur de taxi avant que l’Ignis ne lui offre une seconde chance.
Super Dino
Jamais l’Ignis ne serait devenu hégémonique s’il n’avait enfanté il monumento nazionale. C’est de Dino Meneghin dont il s’agit. Un monstre physique de 2,04 m, amoureux de la castagne, né dans un petit village proche de Venise. Lorsqu’il avait six ans, sa famille et lui déménagèrent à Varese, où il fut initié au basket à treize ans. Merci la Providence. Deux ans plus tard, Dino gagnait sa place en équipe 1, laquelle dans la foulée grimpait en Serie A. « Je n’avais pas d’expérience, pas de technique, rien. Mais je m’entraînais dur chaque jour et j’avais de bons professeurs. On avait Toby Kimball comme Américain – un ancien journeyman de NBA – et c’était un super joueur. J’ai commencé à apprendre beaucoup de choses, comment me déplacer, comment shooter. Tout en fait ». Super Dino était ce que l’on appelle un leader. « Il donnait de la voix », précise Morse. « Ce n’était pas toujours agréable » « Bouge tes fesses, fais ci, fais ça… ». Vous pouviez constater qu’à 22 ans, il avait le feeling du jeu. Et l’esprit de compétition. C’était un guerrier, c’est le mot exact. « Tout ce qu’il avait à faire, il le faisait », complète Dan Peterson, un Américain qui fut longtemps coach et commentateur TV dans la Péninsule. « Il était comme une locomotive. Ecoutez, aux Etats-Unis, on dit qu’un gars est un winner. En Italie, nous employons le mot de campione. « C’est un campione ». C’est Dino ».
Dans son livre « Il Basket d’Italia », Jim Patton recueille le commentaire d’un barman, qui d’un trait résume parfaitement Dino Meneghin. « Une équipe n’était pas la même sans lui. Lorsqu’il était à Varese, l’équipe était championne. Il est passé à Milan et l’équipe est devenue championne. Peut-être n’était-ce pas dû entièrement à Dino, mais il est au palmarès. Lorsque son équipe connaissait des moments difficiles, il bandait ses muscles et grognait « Grrrrrrrrr, Dino est là ! » ».
Marty Blake était general manager des Atlanta Hawks lorsqu’il drafta l’Italien, en 1970. Très loin… Au 11e tour. Il monumento nazionale est enregistré dans l’encyclopédie de la NBA sous le patronyme de « Deno Mengham ». Cela en dit long sur la considération que les Etats-Unis portaient alors aux Européens. « C’était un super rebondeur, un super défenseur. Tous ceux qui racontent qu’il n’aurait pas été un super power forward en NBA ne savent pas de quoi ils parlent », commente Marty Blake qui fut ensuite le responsable du scouting pour toute la ligue. « C’est dommage de ne pas avoir essayé », dira l’intéressé. « La NBA est comme un rêve ici. Mais vous ne pouvez pas tout avoir dans la vie. Alors peut-être que dans la prochaine vie, j’essayerai ».
Il faut savoir que s’il avait été signé par la NBA, Dino aurait été alors proprement disqualifié des compétitions FIBA. Et puis, il était pieds et poings liés avec l’Ignis. A l’époque, un jeune joueur en signant sa licence, devenait la propriété du club. Pas moyen de s’évader. Un système moyenâgeux qui réduisait les transferts, les surenchères. Un système qui fit la fortune de Varèse.
Article paru dans BasketNews en 2009
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