Bob Cousy a aujourd’hui 93 ans. Il est le premier grand meneur de jeu de l’histoire de la NBA, MVP en 1957 et 6 fois champion avec les Boston Celtics. En 2015, nous avions mené une enquête pour BasketHebdo et obtenu son témoignage oral afin de démontrer que Robert Joseph Cousy s’il est né à New York possède de solides racines françaises et qu’il en est fier. S’il avait demandé le passeport français étant donné que son père et sa mère l’étaient, il l’aurait obtenu sans difficulté. Nous reproduisons en trois épisodes notre enquête mais avec une version enrichie. Vous le constaterez, c’est une découverte étonnante et c’est aussi incroyable que le basket français n’ait jamais su tisser de vrais liens avec celui qui deviendra ensuite coach en NBA et en NCCA, commissioner d’une ligue de soccer (football) puis consultant à la télévision. Une immense légende du basket américain… et français.
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Ce mardi 1er mai 1962, un homme au physique de M. Tout-le-Monde, juste un peu plus grand que la moyenne avec son 1,85m, atterrit à Paris-Orly. Il est en provenance de Rome où il a été reçu par le pape Jean XXIII et il est accompagné de sa femme Missie et de ses deux fillettes, Marie Colette et Mary Pat. « Excusez moi, mais il me faudra deux ou trois jours pour retrouver mon vocabulaire français », dit-il avec une pointe d’accent américain au journaliste de L’Equipe Louis Lapeyre, qui va écrire pour le lendemain un article d’exactement soixante-cinq lignes. Pas une de plus. Une première démonstration est programmée le soir même à la salle Franklin.
L’homme s’appelle Robert Joseph « Bob » Cousy. C’est un monstre de la National Basketball Association. Six fois champion avec les Boston Celtics, MVP de la ligue en 1957, deux fois MVP du All-Star Game en treize participations. Le meneur de jeu numéro 1 de sa génération. Il est surnommé Cooz et aussi le Houdini des parquets en référence à un prestidigitateur américain du début du XXe siècle car il est capable de passes dans le dos, en aveugle, d’inspirations géniales, son dribble et son bras roulé mystifient ses adversaires et il s’est entraîné tout un été à ce qui est alors considéré comme une extraordinaire prouesse : il fait passer la balle dans son dos en pleine course avant de conclure d’un layup ou de délivrer une offrande à un équipier. Bob Cousy comprend le jeu mieux et plus vite que tout le monde et c’est une anti-star d’une incroyable simplicité.
Cet Américain né à New York est aussi français. Enfin, c’est tout comme.
Parfaitement bilingue
Depuis un siècle, un demi millier de gens porte en France le nom de Cousy, principalement dans l’Aveyron, la Gironde et le Haut-Rhin. Le père de Bob Cousy, Joseph, a vu le jour à Belfort, le territoire étant resté français alors que l’Alsace et la Lorraine ont été annexées par l’empire allemand suite à la débâcle de 1870. Joseph, homme de petite taille, est fils de fermiers et passionné d’automobile, au point de participer à une célèbre course locale, le « Ballon d’Alsace ». Il est ensuite mobilisé pour la première guerre mondiale, fait prisonnier, et quand il revient sur ses terres, il ne trouve qu’un champ de ruines et, pour gagner sa croûte, il répare des automobiles et sert de chauffeur à de riches familles qui veulent se balader en Europe.
La mère de Bob, Juliette Corlet, est née aux Etats-Unis, son père étant alors le propriétaire du Touraine hôtel à Boston. Une signe prémonitoire. Les Corlet reviennent en France et s’installent à Dijon lorsque Juliette a cinq ans, puis elle sert de préceptrice à des gosses de bonne famille. Juliette Corlet est une femme grande, énergique, bonne joueuse de tennis, et son fils devait hériter de ses dons physiques alors que sur les terrains, refoulant ses ardeurs, Bob sera calme et réfléchi comme son paternel.
Les Cousy émigrent à New York et Bob nait un mois après leur arrivée, le 9 août 1928, ce qui lui fera dire qu’il a été conçu en France. Joseph Cousy est chauffeur de taxi et travaille la nuit afin de gagner davantage d’argent. A la maison, les Cousy parle exclusivement français et Bob n’est initié à l’anglais qu’à partir de l’âge de cinq ans quand il va à l’école primaire. A une vingtaine d’années, il apprend de son père cachotier qu’il a une demi-sœur née d’un précédent mariage, Blanche, de seize ans son aînée et qui vit à Nice.
Par ses ascendants, Robert Cousy aurait pu facilement bénéficié d’un passeport français s’il en avait fait la demande. A l’inverse, son parcours basket est évidemment entièrement américain. Elevé dans un univers multiculturel, Cousy se signale également par son humanisme à une époque où la ségrégation raciale sévit encore intensément aux Etats-Unis. Il partage un temps un appartement avec Chuck Cooper, l’un des premiers Noirs à jouer en NBA.
Avec l’équipe de France
Dès les années cinquante, Bob Cousy retourne en Europe. Avec son coach Red Auerbach et celui de Kentucky, Adolph Rupp, deux sommités, il est invité par le général Garland du SHAPE à diriger un clinic à Landsberg, en Allemagne. L’auditoire est constitué de militaires américains et aussi de représentants de sept fédérations européennes de basket. Cousy fait son exposé en anglais et se prête au jeu des questions-réponses aussi bien en français.
En juin 1957, Bob Cousy, toujours accompagné de Red Auerbach, dirige un autre clinic dans la salle du palais du Midi à Bruxelles. L’as des Celtics est alors au fait de son art puisqu’il vient d’être élu MVP d’une ligue qui, même si ses franchises sont encore absentes de l’Ouest du pays, commence à faire sa place au soleil américain, des matches étant désormais télévisés en direct le samedi. Mais qui connaît Bob Cousy en Belgique ? Sa démonstration ne rencontre pas un éclatant succès si l’on en croit la lecture du quotidien francophone La Dernière Heure : « alors que pour la conférence donnée par Robert Busnel (Ndlr : l’homme tout puissant du basket français) la foule était accourue en nombre imposant, la démonstration de Red Auerbach et de Bob Cousy ne fut suivi que par un nombre restreint d’auditeurs. » En fait, les Belges préfèrent la faconde du Français au sérieux et à l’érudition des deux Américains ! Dans la foulée, du 11 au 14, le duo des Boston Celtics est invité dans la discrétion à l’Institut National du Sport –l’ancienne INSEP- au stage de l’équipe de France en préparation pour le championnat d’Europe à Sofia.
Le 18 novembre 1958, le président fédéral informe son bureau directeur que les Services Culturels de l’ambassade américaine l’ont prévenu de la nouvelle visite, en mai, d’Auerbach et Cousy en France, et celui-ci donne son accord pour que les deux Américains participent de nouveau au stage préparatoire de l’équipe de France pour l’Euro prévu à Istanbul. Christian Baltzer, l’un des internationaux, s’en souvient : « j’ai joué à l’INS avec l’équipe de France contre lui et une équipe de Boulangers, les Boston Bakers ! Physiquement il ne payait pas de mine. Un très grand technicien, une grande vision du jeu. Un très bon dribbleur, un très bon passeur, il faisait ce qu’il voulait avec la balle. »
A cette époque, ce n’est pas un fossé, c’est le Grand Canyon qui sépare le niveau de jeu des meilleurs Américains avec celui de nos internationaux pourtant parmi les plus performants en Europe. Même des universitaires âgés de moins de vingt-deux ans, parfois de deuxième ou troisième catégorie, des joueurs corpos, leur imposent la loi aux Jeux Olympiques et aux championnats du Monde. Alors, des joueurs NBA… NBA ? En fait, personne –ou alors une poignée d’initiés – ne connaît ce sigle en France. D’ailleurs, la référence, ce sont les Harlem Globe Trotters qui, comme leur nom l’indique, prêchent la bonne parole partout dans le monde. Lorsque Wilt Chamberlain effectue une tournée estivale durant l’été 1960, il n’est jamais fait mention de son statut de MVP de la National Basketball Association. Cette année-là, Jean-Claude Lefèbvre (2,18m) est le premier Européen drafté par une franchise NBA, les Los Angeles Lakers, mais le public français n’en sera informé que par un article du mensuel Maxi-Basket paru en 1989. Non, à cette époque, l’information ne circule pas à la vitesse de la lumière !
14 villes de province visitées
Donc, en ce jour de fête du travail de 1962, Bob Cousy revient dans le pays de ses ancêtres. Son programme est beaucoup plus copieux que les fois précédentes. Un cocktail et une conférence de presse sont organisés sur les Champs-Elysées. En fait, c’est le centre sportif Gillette dont la maison mère est située à Boston et ses bureaux en France à Annecy qui a organisé sa venue. Le Haut Commissariat à la Jeunesse et au Sport et la FFBB se sont chargés de mettre au point une tournée qui prévoit la visite de quatorze villes de province du 2 au 29 mai ! Un vrai tour de France puisqu’il emmène les Cousy à l’ouest (Rennes), au sud (Toulouse et Nice), à l’est (Mulhouse) et au nord (Lille). Dans le fascicule de présentation, il est fait ce commentaire : « aussi calme dans la vie quotidienne qu’il est déchaîné sur le terrain. Distraction préférée : un fauteuil profond, une paire de pantoufles, et un bon bouquin. C’est peut-être le secret de son extraordinaire vitalité sportive. »
En attendant, Bob passe par l’INS où l’attend une équipe de la Radio Télévision Française. Le meneur des Celtics porte un survêtement où il est écrit « Bob Cousy Gillette France ». Il fait une démonstration de dribbles et de shoots, notamment de son célèbre bras roulé, dehors sur un panneau en bois. Un journaliste l’interroge sur les jeunes basketteurs français. « Je pense qu’ils sont un peu retardés dans leur avancement physique. Ils ne font pas leurs mouvements naturellement », explique-t-il. « Les raisons sont simples. On dit que les entraîneurs les ont une seule fois par semaine. En comparaison, en Amérique, les jeunes jouent deux heures par jour, six jours par semaine. L’autre raison, c’est qu’ils commencent beaucoup plus tard qu’en Amérique. Je travaille avec les jeunes l’été dès l’âge de 8 ans. Ici, comme vous savez, c’est beaucoup plus tard que ça, 14, 15, 16 ans. » Puis, Robert Busnel lui demande s’il est d’accord pour revenir préparer l’été suivant l’équipe de France dans la perspective des Jeux de Tokyo. « Comme vous le savez, je suis toujours très heureux de venir en France. Si je peux travailler avec l’équipe nationale, ça serait un plaisir », répond Cooz. L’équipe de France ne sait pas encore qu’elle s’apprête à faire une chute vertigineuse dans la hiérarchie mondiale ; elle ne se qualifiera pas pour les JO de 1964. Le basket français ne se servira jamais de la compétence et de l’entregent de Bob Cousy. Pire qu’une erreur, une faute.
Le Mans est sa première destination. Dans les deux journaux locaux, sa venue ne fait pas les gros titres, loin de là. Et encore une fois, si l’on parle de lui comme du « meilleur joueur mondial » -ce qui n’est plus vrai-, les trois lettres aujourd’hui magiques « NBA » ne sont jamais notifiées. Bob Cousy fait une démonstration en fin d’après-midi à la salle Gouloumès, siège du SCM Le Mans, qui vient de gagner son ticket pour la première division. Il fait des 2 contre 2 et joue même un petit match avec des jeunes de différentes équipes mancelles, puis il est pris en photo par Ouest France sur les marches de la salle en compagnie de l’inévitable Robert Busnel et de l’entraîneur Justy Specker. En soirée, une projection est organisée à la salle du Chanoine Hubert de Saint-Pavin, sur les Boston Celtics, le centre sportif Gillette ainsi que sur l’entraînement de l’équipe de France.
Qui savait réellement au Mans qui était Bob Cousy ? Qui se souvient un demi-siècle plus de tard de son apparition ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, les internationaux Christian Baltzer et Jean-Pierre Goisbault, qui portaient à cette époque-là le maillot du SCM Le Mans, n’ont JAMAIS été au courant de la venue du phénomène de la NBA avant qu’on leur fasse nous-même savoir.
Tout aussi cruel : les images tournées par la station Rhône-Alpes lors de son étape à la Maison des Sports de Villeurbanne montrent des banquettes garnies de seulement quelques dizaines de personnes.
En revanche, cette fois, la revue fédérale, Basket-ball, relate dans son édition de novembre à grand renfort de photos, d’explicatifs et de superlatifs la tournée du plus Français des joueurs américains. « Et les quelques jours passés en sa compagnie ont été sensationnels dans notre vie de basketteur », écrit Robert Busnel en parlant de lui-même à la première personne du pluriel. « Car, après vingt ans de voyage au service du basket, après avoir, semble t-il, épuisé toutes les connaissances actuelles, nous nous nous trouvons brusquement enrichis de connaissances supplémentaires. »
Un autre témoignage relaté dans le livre de Michel Scaringella, « Les yeux qui brillent » démontre que le passage en France de Bob Cousy a laissé des étoiles plein les yeux à quelques uns de nos basketteurs y compris celui qui fut couronné comme le numéro 1 du XXe siècle : Alain Gilles, qui avait alors 17 ans. La rencontre avec l’extraterrestre eut lieu à Saint-Etienne et Gilles était accompagné d’un autre international, Gérard Sturla.
« Nous avons fait un 2 contre 2 avec Bob Cousy. Il était avec Gérard Sturla, j’étais avec (Michel) Rouveix. Nous avons fait le maximum du maximum. Et portant, nous avons pris un paquet de fois la balle dans la figure avec des passes imprévisibles, qu’on ne voyait pas partir, qu’on ne voyait pas arriver mais qu’on recevait… dans la figure ! Quant à la qualité de son dribble… Incroyable ! »
Alain Gilles raconta par la suite que cette rencontre avec la superstar de la NBA lui a fait prendre conscience de tout le travail qui lui restait à accomplir pour atteindre le meilleur de lui-même. « Etre toujours prêt à recevoir une passe, surtout lorsqu’on ne s’y attend pas. »
Bigre ! Bob Cousy ne se sera pas déplacé pour rien.
Bob Cousy Digest
Né le 9 août 1928 à Manhattan, New York.
1,85m et 79kg.
Holy Cross’50.
3e choix de la draft en 1950.
6 fois champion NBA (1957, 1959-63).
1 fois MVP NBA (1957).
2 fois MVP du All-Star Game NBA (1954, 57).
10 fois NBA First Team (1952-61).
2 fois NBA Second Team (1962-63).
8 fois Meilleur Passeur de NBA (1953-60).
18,4 pts, 7,4 pds et 5,2 rbds en 924 matches NBA.
1 fois champion NCAA (1947).
Coach en NCAA au Boston College (1963-69).
Coach en NBA à Cincinnati (1969-72) et Kansas-City (1972-74).
Commissioner de l’American Soccer League (1974-79)
Consultant sur différentes chaînes de TV (1974-2008).
Surnommé Cooz, The Houdini of Hardwood et Mr. Basketball.
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Ce mardi 1er mai 1962, un homme au physique de M. Tout-le-Monde, juste un peu plus grand que la moyenne avec son 1,85m, atterrit à Paris-Orly. Il est en provenance de Rome où il a été reçu par le pape Jean XXIII et il est accompagné de sa femme Missie et de ses deux fillettes, Marie Colette et Mary Pat. « Excusez moi, mais il me faudra deux ou trois jours pour retrouver mon vocabulaire français », dit-il avec une pointe d’accent américain au journaliste de L’Equipe Louis Lapeyre, qui va écrire pour le lendemain un article d’exactement soixante-cinq lignes. Pas une de plus. Une première démonstration est programmée le soir même à la salle Franklin.
L’homme s’appelle Robert Joseph « Bob » Cousy. C’est un monstre de la National Basketball Association. Six fois champion avec les Boston Celtics, MVP de la ligue en 1957, deux fois MVP du All-Star Game en treize participations. Le meneur de jeu numéro 1 de sa génération. Il est surnommé Cooz et aussi le Houdini des parquets en référence à un prestidigitateur américain du début du XXe siècle car il est capable de passes dans le dos, en aveugle, d’inspirations géniales, son dribble et son bras roulé mystifient ses adversaires et il s’est entraîné tout un été à ce qui est alors considéré comme une extraordinaire prouesse : il fait passer la balle dans son dos en pleine course avant de conclure d’un layup ou de délivrer une offrande à un équipier. Bob Cousy comprend le jeu mieux et plus vite que tout le monde et c’est une anti-star d’une incroyable simplicité.
Cet Américain né à New York est aussi français. Enfin, c’est tout comme.
Parfaitement bilingue
Depuis un siècle, un demi millier de gens porte en France le nom de Cousy, principalement dans l’Aveyron, la Gironde et le Haut-Rhin. Le père de Bob Cousy, Joseph, a vu le jour à Belfort, le territoire étant resté français alors que l’Alsace et la Lorraine ont été annexées par l’empire allemand suite à la débâcle de 1870. Joseph, homme de petite taille, est fils de fermiers et passionné d’automobile, au point de participer à une célèbre course locale, le « Ballon d’Alsace ». Il est ensuite mobilisé pour la première guerre mondiale, fait prisonnier, et quand il revient sur ses terres, il ne trouve qu’un champ de ruines et, pour gagner sa croûte, il répare des automobiles et sert
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A suivre