Ce jeudi, à Bourges, l’équipe de France féminine entre de plain pied dans le Tournoi de Qualification Olympique face au favori du groupe, l’Australie. Les Opals disposent en leur centre d’une arme létale, Liz Cambage, 2,03m de taille, 104 kilos. Un colosse. Mais qui au fond d’elle-même est une femme fragile.
[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]
Le 17 juillet 2018, Elizabeth « Liz » Cambage fait les headlines de la presse américaine. Alors qu’elle arbore le jeysey des Dallas Wings, elle assène 53 points au New York Liberty lors d’une soirée marquée par la perfection (17/22 aux tirs, 4/5 à trois-points et 15/16 aux lancers) avec en prime 10 rebonds, 5 contres, 2 passes et 1 interception. Un record WNBA.
« Je ne savais pas que c’était un record avant la fin du match », déclara t-elle. « Je ne pense pas à ce genre de choses lorsque je joue. Quand je suis sortie à la fin, Karima (Christmas-Kelly) m’a dit que je venais de battre le record de Riquna Williams. Je me suis dit, « OK, c’est cool ». J’imagine que c’est ça que j’avais à faire aujourd’hui », ajouta t-elle en riant.
A ce moment-là, l’Australienne était la leader de la WNBA au score (34,0 points), la deuxième à l’Ouest aux rebonds (10,5) et à l’adresse aux tirs (62,2%) et plus surprenant encore la septième aux passes (4,0). Une tour infernale. Seule Breanna Stewart la devancera dans l’élection au trophée de MVP de la saison.
Le même été, à la Coupe du Monde, Liz Cambage épate la galerie planétaire. En demi-finale face à l’Espagne, elle plante 34 points. Jusqu’à la finale face aux Etats-Unis, personne ne résiste à sa combinaison maléfique de taille, de puissance et de pure technique basket. Elle tourne en cinq matches à 27,2 points en moyenne. Enorme. Lauren Jackson, qui fut son ancienne équipière en équipe nationale, est alors sous le charme des Opals et de son pivot.
« Elles n’ont peur de rien. Cela couplé au fait qu’elles soient très talentueuses. Et Lizzy, pour le moment, est tout simplement inarrêtable. Elle domine. Je pense que tout le monde a su à quel point elle pouvait être bonne et voulait l’être. La voir heureuse en pratiquant ce sport est assez spéciale. De toute évidence, quand elle en profite, elle est simplement complètement sur une autre planète. »
Pris en tenaille par les intérieures américaines, Liz Cambage sera moins performante en finale capturant 14 rebonds mais ayant du mal à la finition (2/10 aux tirs pour 7 points) et les Australiennes sortiront du terrain avec un bon mal de tête (56-73).
Parfois, elle pète les plombs
« Elle croit qu’elle peut marquer sur n’importe qui », commenta à cette époque la meneuse des Wings Skylar Diggins-Smith. Et de n’importe quelle façon. A Londres en 2012, et alors qu’elle n’avait que 19 ans, elle fut la première femme à réussir un dunk lors d’un tournoi olympique. C’était aussi le premier en match de sa carrière. Six ans plus tard, elle en martela un autre à une main lors du All-Star Game. Mais ce n’est pas qu’une brutasse. Elle est tout aussi capable de faire diversion en marquant à trois-points. Ses stats lors de cet été 2018 faisaient état d’un taux de réussite à 32,4% derrière l’arc.
Mais c’est évidemment dans la peinture qu’elle provoque le plus de dégâts. Sa stature n’a pas d’équivalents dans le basket mondial. Elle est bien plus mobile que le fut la Soviétique Ouliana Semenova (2,20m), bien plus costaude que l’était la Polonaise Margo Dydek (2,17m) et encore sa contemporaine l’Américaine Brittney Griner (2,06m). Ses rivales sont généralement impuissantes à la contenir ou alors en employant des moyens illicites ou à peine convenables, ce qui a eu le don de lui faire plusieurs fois péter les plombs estimant que les arbitres étaient beaucoup trop tolérants.
Récemment, lors d’un match face au Japon lors du tournoi de pré-qualifications olympiques, elle s’est montrée frustrée que les Asiatiques limitent ses mouvements. Liz a écopé d’une première faute technique dans le deuxième quart-temps et d’une autre synonyme d’expulsion à sept minutes de la fin. Résultat : les Opals, qui n’étaient alors qu’à quatre points, ont décroché, 69-82. Surprenant ? Oui et non car il s’agissait ces dernières années, face à l’Australie, de la troisième victoire des Japonaises qu’il faudra prendre très au sérieux l’été prochain dans leur capitale olympique.
C’est pratiquement à chaque match international, de WNBA ou de WNBL -la ligue australienne- que Liz Cambage rouspète et en finale des Jeux du Commonwealth en 2018, elle avait déjà été éjectée du terrain.
« Je comprends. Je sais que c’est frustrant et ça ne changera jamais, alors elle va juste devoir s’adapter », estime Lauren Jackson, laquelle avec son 1,95m, a connu des situations identiques au cours de sa fructueuse carrière. « Les gens de grande taille, nous sommes toujours touchés. Nous sommes grands et elle est grande et c’est l’une des meilleures joueuses du monde en ce moment. Je pense que Lizzie ne doit pas se focaliser là-dessus. Elle doit juste regarder devant elle et penser à comment faire face à ce traitement des arbitres parce que ça ne va pas s’arrêter. »
Liz Cambage révèle que plusieurs arbitres de différentes compétitions lui ont confié en privé qu’ils ne savaient pas comment arbitrer une joueuse aussi grande et massive.
La grande dépression
Liz Cambage est née à Londres d’un mère australienne et d’un père nigérian absent durant son enfance si bien qu’elle a été élevée par sa mère et sa grand-mère et qu’elle était ainsi une jeune fille noire parmi les têtes blondes. Elle zappait sur les chaînes de télévision dans l’espoir de trouver des gens de sa couleur de peau mais finissait à chaque fois par éteindre la télécommande, déçue. Un temps, elle porta des lentilles de contact bleues et commença à lisser ses cheveux afin de ressembler à ses camarades de classe. Mais à cet âge, on est parfois cruel.
« On ne veut pas s’asseoir à côté de toi, tu as la peau sale », entendait-elle.
Les enfants la moquaient aussi pour sa grande taille. Du fait de son apparence masculine, elle avait du mal à se faire des copines girly. Sa mère, qu’elle honore en portant sur son bras droit un tatouage avec son prénom, Julia, lui a appris à ne pas se recroqueviller sur elle-même mais elle revenait souvent le soir à la maison en pleurant et à neuf ans évoquait déjà des envies de suicide. Le basket-ball fut finalement une thérapie mais ce ne fut pas une évidence les premiers temps. Les entraîneurs ne savaient pas si prendre avec cette jeune fille à la croissance effrénée, la traitaient de paresseuse et l’accusant de simuler des blessures alors qu’elle avait réellement des douleurs aux hanches et au dos. Encore aujourd’hui, elle est abordée plusieurs fois par jour par des inconnus qui lui demandent avec bêtise quelle est sa taille.
« Quand je suis en panne, certains jours, je ne comprends pas pourquoi on m’a donné ce vaisseau, ce corps, qui est si différent et qui a été traité si différemment toute ma vie », déclare t-elle.
Son mal-être l’a emmenée jusqu’à la dépression. C’est pour cela qu’elle a pris une saison sabbatique, en 2016-17. Des reproches qui ont suivi les JO de Rio -battues en quart-de-finale par la Serbie, les Australiennes sont revenues bredouilles du Brésil après cinq médailles olympiques consécutives- lui ont fait terriblement mal. Elle a commencé à faire la fête. A picoler. A s’auto-médicamenter. Un cercle vicieux.
Outre la WNBA, Liz Cambage a fait carrière en Chine et sa dépression s’est aggravée quand elle évoluait au Zhejiang. Elle ne pouvait pas se mêler à ses coéquipières étant donné la barrière de la langue. Elle avait l’impression qu’elle n’était qu’un corps XXXL pour des équipes qui ne se souciaient pas beaucoup de sa santé personnelle.
« Je ne veux plus vivre », lança t-elle à sa mère un jour au téléphone ajoutant sous forme de SOS. « J’ai besoin que tu viennes ici. »
Elle fut placée sous surveillance pendant deux jours par un service australien d’évaluation de crise qui lui a fourni des soins immédiats et elle consulta un psychiatre.
« J’ai dû vraiment toucher le fond. J’ai eu une crise existentielle. »
Son désespoir, Liz l’a raconté en août dernier à The Players Tribune en commençant par une allégorie.
« Vous pourriez avoir une journée ensoleillée et normale à la plage, ce n’est pas grave. Vous vous détendez, vous nagez avec vos amis. Et puis le moment suivant -sans que vous le réalisiez-, lentement mais sûrement le courant vous entraîne dans l’océan. Et maintenant l’eau devient de plus en plus profonde… et vos amis ont tous disparu… et il ne fait plus si beau… et vous ne pouvez plus bouger… et vous ne pouvez plus respirer… jusqu’à ce que tout à coup, ce soit juste toi, seul, sous ces énormes vagues sombres… Et tu te noies. »
Liz Cambage révèle qu’elle s’est saoulée certains soirs dès l’âge de 15 ans, qu’elle s’est réveillée après un week-end de débauche avec une perfusion intraveineuse dans le bras sans se souvenir de rien, et que son premier sevrage remonte à ses 18 ans. Qu’elle était pratiquement chaque soir en larmes après un match de WNBA. Qu’elle avait honte de mettre ses proches dans des situations embarrassantes. Qu’elle ne voulait plus vivre, comme lorsqu’elle était gamine.
L’Australienne confie également que son petit ami et elle se sont séparés alors que les relations pour quelqu’un qui voyage autant qu’elle et qui doit vivre huit mois de l’année en dehors de chez elle sont extrêmement importantes. Mais qu’en même temps, elles sont incroyablement difficiles à entretenir.
« Je prends des médicaments pour ma santé mentale. Je fais actuellement partie des millions de personnes dans le monde qui prennent des médicaments pour traiter la dépression et l’anxiété. Je prends ces médicaments depuis des années. Ils empêchent mes doutes de devenir hors de contrôle. Ils me permettent de me sentir stable à ces moments où mon humeur monterait en flèche ou à l’inverse chuterait. Ils m’aident à dormir. Vraiment, mes médicaments me font me sentir comme une version plus saine et plus libre de moi-même. » Elle ajoute : « Ma santé mentale a eu un impact négatif sur ma capacité à faire mon travail. Pourquoi ? Eh bien, si mes médicaments permettent à mon humeur d’être stable, ils peuvent aussi avoir un effet négatif. Je me réveille groggy le matin. Je me déplace un peu plus lentement. Je ne rêve pas – ce qui est très important pour moi. Le rêve est ma façon d’être en contact avec moi-même. C’est ma connexion avec Dieu. Et quand je passe trop de temps sans ça, ça me manque. Donc, plus tôt cette année, après que les choses se soient bien passées pendant un certain temps… j’ai arrêté de prendre mes médicaments. »
Mais parfois le mal remonte à la tête et elle est obligée d’y recourir à nouveau.
« Je voulais vous dire la vraie vérité de ce qui se passait avec moi », conclue t-elle. « Parce que ce qui se passe n’est pas un secret ou un mystère. Ce n’est pas un énorme scandale. Mais je voulais aussi que tout le monde sache que je ne me suis pas noyée. Je suis toujours là et je mène toujours cette bataille au quotidien. Et avec l’aide de ma famille, de mes amis et de mes médecins, de coéquipiers et d’entraîneurs incroyables et d’un système de soutien aux As (NDLR : elle joue désormais avec les Las Vegas Aces en WNBA), je vais continuer à me battre. »
L’autre manière pour Liz d’être bien dans sa peau, c’est la mode -elle travaille actuellement sur une ligne de vêtements pour femmes de grande taille- et la musique. D’ailleurs en 2015, les responsables de la fédération australienne avaient annoncé qu’elle était exclue temporairement des Opals pour avoir séché un camp d’entraînement afin d’assister à un festival de musique. Elle s’insurge contre cette affirmation, répondant qu’elle soignait alors une blessure au Tendon d’Achille et qu’elle n’était pas encore prête à jouer.
« Beaucoup de gens ont essayé d’atténuer ma lumière », dit-elle.
Celles qui auront ce jeudi la tâche de faire de l’ombre à Liz Cambage, ce sont les intérieures françaises. Et sur le terrain du Prado de Bourges, ce sera une mission on ne peut plus périlleuse.
Photos: FIBA
x
[armelse]
Le 17 juillet 2018, Elizabeth « Liz » Cambage fait les headlines de la presse américaine. Alors qu’elle arbore le jeysey des Dallas Wings, elle assène 53 points au New York Liberty lors d’une soirée marquée par la perfection (17/22 aux tirs, 4/5 à trois-points et 15/16 aux lancers) avec en prime 10 rebonds, 5 contres, 2 passes et 1 interception. Un record WNBA.
« Je ne savais pas que c’était un record avant la fin du match », déclara t-elle. « Je ne pense pas à ce genre de choses lorsque je joue. Quand je suis sortie à la fin, Karima (Christmas-Kelly) m’a dit que je venais de battre le record de Riquna Williams. Je me suis dit, « OK, c’est cool ». J’imagine que c’est ça que j’avais à faire aujourd’hui », ajouta t-elle en riant.
A ce moment-là, l’Australienne était la leader de la WNBA au score (34,0 points), la deuxième à l’Ouest aux rebonds (10,5) et à l’adresse aux tirs (62,2%) et plus surprenant encore la septième aux passes (4,0). Une tour infernale. Seule Breanna Stewart la devancera dans l’élection au trophée de MVP de la saison.
Le même été, à la Coupe du Monde, Liz Cambage épate la galerie planétaire. En demi-finale face à l’Espagne, elle plante 34 points. Jusqu’à la finale face aux Etats-Unis, personne ne résiste à sa combinaison maléfique de taille, de puissance et de pure technique basket. Elle tourne en cinq matches à 27,2 points en moyenne. Enorme. Lauren Jackson, qui fut son ancienne équipière en équipe nationale, est alors sous le charme des Opals et de son pivot.
« Elles n’ont peur de rien. Cela couplé au fait qu’elles soient très talentueuses. Et Lizzy, pour le moment, est tout simplement inarrêtable. Elle domine. Je pense que tout le monde a su à quel point elle pouvait être bonne et voulait l’être. La voir heureuse en pratiquant ce sport est assez spéciale. De toute évidence, quand elle en profite, elle est simplement complètement sur une autre planète. »
Pris en tenaille par les intérieures américaines, Liz Cambage
[/arm_restrict_content]
[arm_restrict_content plan= »unregistered, » type= »show »][arm_setup id= »2″ hide_title= »true »][/arm_restrict_content]