Michael Ruzgis a connu une destinée incroyable. Américain d’origine lituanienne, il a été champion d’Europe en 1939 et en avec la Lituanie et fut élu MVP de la compétition. Après la Seconde Guerre mondiale, il fut sinon le premier du moins l’un des premiers joueurs américains du championnat de France, puis entraîneur de l’équipe de France, le seul étranger à ce poste, révolutionnant par ses méthodes la technique et la tactique alors très primaires, puis celui de l’équipe d’Espagne. Il eut plusieurs enfants, en Lituanie et en France, et un jour s’échappa sans jamais revenir…
L’enquête est en quatre parties. La première partie est ICI, la deuxième ICI, la troisième ICI, et la quatrième ICI.
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Dans la capitale française, Mike Ruzgis est tombé amoureux d’Andrée Maloigne, une très belle Parisienne. Ils se sont rencontrés par le biais des Boussard, des commerçants, et Jacques était un peintre réputé. À cette époque, les Américains étaient admirés dans une France reconnaissante car ils avaient largement contribué à libérer le pays du joug nazi et on aimait les inviter à sa table. Andrée et Mike ont fréquenté les brasseries de Saint-Germain des Prés et les cafés de Montparnasse où des musiciens américains jouaient du jazz. Les sportifs se mélangeaient aux artistes, aux journalistes, aux écrivains. Ils se sont mis en couple et installés rue de Seine dans le VIe arrondissement. Michael s’est imprégné de culture française. Il se baladait dans les jardins de Versailles et la forêt de Fontainebleau, il fut ébloui par la beauté de la cathédrale de Rouen. Il aimait lire des auteurs comme Maupassant, Stendhal, André Maurois, Julien Green ou Antoine de Saint-Exupéry dans leur traduction anglaise. Il y avait quantité de vinyles à la maison et Ruzgis écoutait Jean Sibelius, Bedrich Smetana, Franz Liszt et Edvard Grieg. Sa fiancée et lui fréquentaient l’opéra et la salle Pleyel. Il avait lui-même une belle voix de baryton.
Mike et Andrée ne se sont jamais mariés mais ils ont eu quatre enfants. Nathalia, qui a 73 ans aujourd’hui, est née à Neuilly. Michel, un an de moins, à la clinique américaine de Monte-Carlo, et en référence à ses origines américaines, on l’appelle encore aujourd’hui Mike dans sa famille. Felipe est né à Madrid et la petite dernière, Ana, est native d’El Ferrol dans le nord-ouest de la péninsule ibérique.
Car après Monaco, Michael Ruzgis s’en est allé en Espagne.
Au premier Championnat du monde en Argentine
Après sa finale de l’EuroBasket en 1935, l’équipe nationale espagnole est demeurée dans un état comateux, ne disputant que six matches, tous amicaux, entre 1936 et 1945, une période qui inclut la guerre civile. Aussi, elle se présenta sans guère d’expérience à Nice, au tournoi de qualification à la première édition du championnat du monde. Elle parvint à s’imposer malgré tout face à la Finlande, l’Autriche et la Belgique et buta deux fois contre l’Italie. C’est grâce à sa victoire d’un point au détriment de la Belgique et un panier un peu miraculeux de Joan Ferrando quasiment au buzzer qu’elle gagna son laisser-passer pour Buenos Aires.
À cette époque, les institutions sportives dans le pays étaient encadrées par les militaires et les activités physiques étaient considérées d’une importance capitale dans l’armée pour la bonne santé physique et morale des Espagnols. Un sport collectif avait l’avantage de renforcer la cohésion de groupe et l’obéissance au chef.
C’est le général Jesus Querejeta qui choisit Raimundo Saporta comme président de la fédération de basket-ball. Saporta était né à Constantinople au sein d’une famille de juifs séfarades, qui s’installa à Paris et à l’arrivée des Allemands en France, l’Espagne l’accueillit à bras ouverts et lui accorda sa nationalité. Raimundo Saporta parlait couramment français et c’est lui qui découvrit Michael Ruzgis au Vélodrome d’Hiver de Paris et qui le fit venir en Espagne avec sa famille et régla les formalités administratives. Comme en France, Ruzgis fut le premier entraîneur étranger de l’équipe nationale espagnole, le second étant l’Italien Sergio Scariolo actuellement en poste.
Il apparaît que Michael Ruzgis a été incité à rejoindre l’Espagne afin de prouver la bonne volonté des occidentaux envers le régime franquiste. Le général Franco était devenu un personnage-clé du bon équilibre de l’Occident face à la menace soviétique. Une opération de séduction à laquelle participaient nombre d’Américains et aussi des Français et des Anglais. Ainsi l’écrivain Ernest Hemingway, qui avait pourtant combattu les nationalistes à côté d’André Malraux, traitant le général Franco d’assassin, s’offrait des vacances dans les meilleurs hôtels de Madrid, s’affichant dans des endroits fréquentés par d’anciens fascistes.
Michael Ruzgis s’occupa de l’équipe nationale en 1950 et 51, combinant ce travail avec celui d’entraîneur de l’UD Huesca. Dans des publications espagnoles, on raconte qu’il appréciait le vin local et qu’il prit la décision d’interdire aux… joueurs de porter une moustache. Il eut en Espagne la même mission initiatique qu’en France puisqu’il participa, en août 1949, au premier stage de formation d’entraîneurs où régna, parait-il, une discipline toute militaire.
L’Américain donna de ses nouvelles à l’Amicale des entraîneurs de basket-ball français dans une lettre qui mélangeait le français, l’anglais et l’espagnol et apporta quelques critiques au bulletin de la dite amicale, lui reprochant son format trop grand et le manque de publicité !
En février 1950, l’équipe de France se rendit à Madrid pour un match amical. L’entraîneur Robert Busnel déclara avant le départ : « Cette fois, même contre les rapides et fougueux espagnols, nous pouvons envisager une victoire, tout en reconnaissant que les progrès réalisés par nos adversaires grâce à Ruzgis m’inquiètent. Mais je ne veux pas le dire à mes joueurs ! » Est-ce les effets néfastes du voyage de 26 heures en train ? En tous les cas, les Français mordirent la poussière, 46-31, après avoir déjà compté 16 points de retard à la mi-temps. Louangeur, le journal L’Aube commenta : « Sous la direction de Ruzgis, leur entraîneur, les basketteurs espagnols ont accompli d’énormes progrès dans le domaine de la tactique tout en conservant leurs belles qualités techniques. Ruzgis leur a appris en particulier à tempérer leur ardeur et à pratiquer aussi bien la défense de zone que la défense individuelle. »
L’Espagne se rendit à Buenos Aires avec une équipe qui comprenait Eduardo Kucharski, qui plus tard fut entraîneur de la Virtus Bologne et du FC Barcelone, et Alvaro Salvadores, qui gamin fut kidnappé par un tzigane, commença sa carrière de basketteur au Chili, et y retourna pour disputer avec l’équipe nationale les JO d’Helsinki et y être ensuite ambassadeur en Colombie. Salvadores fut le meilleur marqueur de ce championnat du monde (13,8 points) et élu dans le 5 idéal du tournoi. Seulement, l’Espagne ne remporta qu’un seul de ses cinq matches, par forfait face à la Yougoslavie… qui refusa de l’affronter pour raisons politiques. Il faut dire que les Espagnols – tout comme les Français – étaient arrivés la veille du match d’ouverture complètement lessivés à Buenos Aires après 36 heures de voyage en avion à hélices quadrimoteur, des escales à Lisbonne, Dakar, Natal et Rio de Janeiro, et plusieurs orages en vol.
En 1956, il laisse sa famille en Espagne
L’expérience de Michael Ruzgis à la tête de la selección fut de courte durée. Il fut amené à prendre en mains Bazan, une équipe d’El Ferrol, une ville portuaire de la province de la Corogne, tout en continuant à jouer alors qu’il était largement entré dans la trentaine. L’équipe était assez bonne pour évoluer dans la deuxième division et il se dit que le chantier naval de la ville refusa une place dans la première pour des raisons financières. Le 1er juin 1953, Bazan remporta la Coupe de la Fédération des Régions à Valladolid et le quotidien sportif Mundo Deportivo salua sa vitesse d’exécution et désigna Ruzghise (sic) comme son meilleur joueur. La saison suivante fut encore plus glorieuse avec une victoire sur l’équipe nationale, 69-57 ! Bazan fut aussi extrêmement performant dans la Copa del Generalisimo, l’actuelle Copa del Rey, où elle battit notamment Estudiantes Madrid avant de tomber sur la superpuissance que constituait déjà le Real Madrid, futur vainqueur de l’édition, 37-67. Un article dans le quotidien La Voz de Galicia du 9 juin 1954 résumait ainsi l’extraordinaire saison : « Nos applaudissements sans réserve pour Ruzgis et ces sportifs qu’il entraîne si habilement. »
Michael Ruzgis a incité le club à construire une vraie salle de basket munie d’un plancher en bois. Andrée Maloigne donnait des cours de français aux officiers de marine en prévision de futures manœuvres conjointes avec l’escadre française.
El Ferrol del Caudillo, comme elle était appelée à l’époque, était la ville de naissance de Francisco Franco, qui dirigea de 1936 à 1975 un régime dictatorial. C’était un port stratégique géré par des militaires fidèles triés sur le volet, fervents catholiques, patriotes nationalistes, qui étaient farouchement contre la présence d’Américains dans leurs fortifications. Ils estimaient qu’en excluant l’Espagne du plan Marshall, les Etats-Unis réduisaient le pays à la misère économique et à l’isolement culturel. À cet égard, la présence de Ruzgis pouvait être un point de départ à une stratégie de séduction comme possible alternative à celles de la domination et de démonstration de force. Le basket-ball représentait une fenêtre ouverte vers la liberté sans avoir besoin de faire de concession, d’un côté comme de l’autre. La carrière sportive de Ruzgis, qui emménagea dans un bâtiment moderne du centre-ville, semble ainsi avoir été téléguidée par les intérêts du gouvernement américain.
L’année fatidique fut 1956. Dans l’arsenal, si certains appréciaient la présence de l’Américain, considérant qu’un accord avec les Etats-Unis pour la construction d’une base militaire ne pouvait que profiter à l’économie et à la coopération entre les deux pays, d’autres avaient un avis complètement divergent. On reprocha à Michael Ruzgis des accointances avec des communistes ou supposés tel, et de ne pas s’impliquer suffisamment dans le projet de faire d’El Ferrol un port de l’OTAN, préférant s’occuper de son équipe de basket. Il avait aussi la nostalgie de sa vie en Lituanie alors que Andrée Maloigne, mal à l’aise dans ce nouvel environnement, n’avait qu’une envie : rentrer en France et retrouver le raffinement de Paris. Les scènes de couple devenaient de plus en plus fréquentes. L’état psychologique de Michael Ruzgis s’était aggravé, il fit une dépression et séjourna un temps dans une clinique.
Un jour, l’Américain a embrassé ses enfants, leur annonçant qu’il devait retourner aux Etats-Unis. Il leur a promis de réunir bientôt toute la famille et de commencer ensemble une nouvelle vie. Le lendemain, les autorités de la ville d’El Ferrol ont commandé un taxi pour conduire Andrée et ses enfants à Saint-Jacques de Compostelle, à une centaine de kilomètres au sud. Un lieu sûr. La mère y trouva un emploi de professeur de français dans une école.
Jusqu’en 1960, Michael Ruzgis a envoyé à ses enfants des lettres pour Noël et les anniversaires avec toujours cette volonté affichée que la famille soit reconstituée en Amérique. Un an plus tard, sa sœur Helen contacta Andrée lui demandant de lui faire parvenir un certificat de mariage ainsi que les actes de naissances afin d’effectuer les démarches administratives nécessaires pour le voyage.
Et puis, le silence.
Décès à Chicago en 1986
Les archives américaines montrent que Michael Ruzgis a quitté l’Espagne le 1er décembre 1956 et qu’il est arrivé à Miami deux semaines plus tard. Il est retourné à Chicago, son port d’attache. Quelques renseignements sur la dernière partie de sa vie ont été rassemblés par le journaliste de LRT.
Ruzgis a retrouvé à Chicago des équipiers Américano-Lituaniens et des matches d’anciens combattants ont été organisés, notamment pour célébrer, en 1959, le 20e anniversaire du titre de champion d’Europe de l’équipe de Lituanie. Bien plus tard, en 1974, il a participé à la mise en place d’une équipe, qui a disputé des matchs en dehors des Etats-Unis. On sait qu’il a écrit plusieurs lettres à sa femme lituanienne Danute Vitartaitė-Ruzgienė. C’est tout.
Personne n’a été mis au courant en Europe de son décès le 15 décembre 1986, au point qu’on le croyait centenaire. Sinon l’ancien président de la République de Lituanie, Valdas Adamkus, très actif dans la communauté sportive de la diaspora, qui assista à ses funérailles.
Son petit-fils lituanien a été basketteur professionnel
Danuta Vitartaitė-Ruzgienė est devenue professeur d’anglais et d’éducation physique, et fut un temps déportée en Sibérie. Sa sœur Laimute, toujours vivante, âgée de 89 ans, témoigne : « Danute avait complètement perdu la tête à cause de Michael. Ils ont correspondu pendant un certain temps, mais leurs lettres ont cessé à cause des Russes. Elle gémissait de chagrin à chaque fois qu’elle recevait une lettre de Michael. » Selon sa sœur, c’est sous la pression des Soviétiques que Danutė a dû renoncer à son nom d’épouse américaine, au risque de ne pas trouver d’emploi. Mais la femme, qui n’a pas cherché à se remarier avant sa mort et dont la flamme du premier amour a continué à brûler dans son cœur, a toujours signé Ruzgienė dans tous les documents. En 1997, elle a donné une interview à Lietuvos žinios. « Michael est parti. Je suis resté seule avec ma fille dans mes bras. L’homme a écrit des lettres m’invitant à venir en Amérique, mais personne n’allait nous laisser partir. J’étais constamment persécutée par les services de sécurité soviétiques. La petite Lidija s’est accidentellement cognée violemment la tête et elle est devenue sourde et muette. Nous n’osions pas l’opérer. C’est tout ce qu’on peut en dire. La relation avec mon mari a été rompue. Je ne sais pas ce qu’il fait, s’il est toujours en vie. J’ai entendu d’une oreille dire qu’il était dans l’armée américaine pendant la guerre et qu’il a combattu en France, puis qu’il a entraîné des basketteurs. Nous avons vécu ensemble pendant un an seulement. »
Lidija est devenu une sportive accomplie à son tour et elle a remporté des médailles d’or et de bronze en athlétisme aux Jeux réservés aux sourds et muets en 1957, à Milan. Elle a toujours été impliquée dans le ski, le patinage de vitesse, le basket-ball et la course d’orientation jusqu’à la fin de sa vie. Grâce à son ascendance, elle a obtenu la nationalité américaine en 1996 mais sans jamais aller aux Etats-Unis.
Le petit-fils de Michael Ruzgis, Tomas Preišagalavičius, est lui-même devenu basketteur, jouant en LKL, la ligue majeure lituanienne, pendant quatre saisons, puis à l’étranger. Tomas, 45 ans, ignore à peu près tout de son grand-père. « Quand j’avais 16 ans, j’ai visité les États-Unis et j’ai cherché la tombe de mon grand-père à Chicago, mais je n’ai pas pu la trouver. Ni ma mère Lidija ni la femme de M. Ruzgis – ma grand-mère Danutė – ne connaissaient la date de la mort de mon grand-père. »
Danute Vitartaitė-Ruzgienė est décédée en 2005 à l’âge de 86 ans. Andrée Maloigne en 2010 à près de 90 ans. Et Lidija il y a deux ans, à 79 ans. Les quatre enfants Maloigne-Ruzgis sont toujours vivants.
Il n’y a jamais eu de lien entre les deux familles.
Dans chaque humain, il y a une part de mystère. Celle de Michael Ruzgis n’était pas la moindre.
A suivre.
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Dans la capitale française, Mike Ruzgis est tombé amoureux d’Andrée Maloigne, une très belle Parisienne. Ils se sont rencontrés par le biais des Bouchard, des commerçants, et Jacques était un peintre réputé. À cette époque, les Américains étaient admirés dans une France reconnaissante car ils avaient largement contribué à libérer le pays du joug nazi et on aimait les inviter à sa table. Andrée et Mike ont fréquenté les brasseries de Saint-Germain des Prés et les cafés de Montparnasse où des musiciens américains jouaient du jazz. Les sportifs se mélangeaient aux artistes, aux journalistes, aux écrivains. Ils se sont mis en couple et installés Rue de Seine dans le VIe arrondissement. Michael s’est imprégné de culture française. Il se baladait dans les jardins de Versailles et la forêt de Fontainebleau, il fut ébloui par la beauté de la cathédrale de Rouen. Il aimait lire des auteurs comme Maupassant, Stendhal, André Maurois, Julien Green ou Antoine de Saint-Exupéry dans leur traduction anglaise. Il y avait quantité de vinyles à la maison et Ruzgis écoutait Jean Sibelius, Bedrich Smetana, Franz Liszt et Edvard Grieg. Sa fiancée et lui fréquentaient l’opéra et la salle Pleyel. Il avait lui-même une belle voix de baryton.
Mike et Andrée ne se sont jamais mariés mais ils ont eu quatre enfants. Nathalia, qui a 73 ans aujourd’hui, est née à Neuilly. Michel, un an de moins, à la clinique américaine de Monte-Carlo, et en référence à ses origines américaines, on l’appelle encore aujourd’hui Mike dans sa famille. A Madrid est né Filipe et la petite dernière, Ana, est native d’El Ferrol dans le nord-ouest de la péninsule ibérique.
Car après Monaco, Michael Ruzgis s’en est allé en Espagne.
Au premier Championnat du monde en Argentine
Après sa finale de l’EuroBasket en 1935, l’équipe nationale espagnole est demeurée dans un état comateux, ne disputant que six matches, tous amicaux, entre 1936 et 1945, une période qui inclus la guerre civile. Aussi, elle se présenta sans guère d’expérience, à Nice, au tournoi de qualification à la première édition du championnat du monde. Elle parvint à s’imposer malgré tout face à la
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