La nouvelle a fait grand bruit cette semaine. Tony Parker, actionnaire majoritaire de l’ASVEL depuis 2014 veut céder ses parts. Et dans une interview à L’Equipe, il explique que la valorisation actuelle du club se situe à 40 milllions. Voilà pourquoi c’est non.
Tony Parker, 40 ans, président de l’ASVEL, et finaliste pour la promotion 2023 du Hall of Fame, veut céder 62% de l’ASVEL. Il avait déjà dit en juin 2022 qu’il était prêt à vendre à John Textor quand le milliardaire américain s’apprêtait à racheter l’OL – également actionnaire de l’ASVEL à hauteur de 33,3%. Cette fois, il souhaite céder ses parts à la société Smart Good Things dont il est par ailleurs actionnaire, en échange de parts de Smart Good Things justement, dont l’action entrée en bourse en septembre 2022 à 96 euros pointe aujourd’hui à 245. L’Equipe explique tout cela très bien.
Dans l’interview du 17 février hier, Parker qui a racheté le club pour 2 millions d’euros en 2014 explique la chose suivante. « Aujourd'hui, la valeur du club est de 40 millions d'euros ! Je veux que mes actionnaires continuent à me faire confiance. J'espère que l'Euroligue sera fermée un jour. Dans trois ans, avec l'Euroligue fermée, le club peut valoir entre 100 et 120 millions d'euros ! »
L’ASVEL a fait du très bon boulot ces dernières années. Tony Parker a réussi gagner les trois derniers titres, à faire grandir le club, à attirer des sponsors importants comme LDLC ou Smart Good Things, établir un partenariat d’envergure avec l’OL et à mener au bout le projet d’une nouvelle Arena sur la Métropole. Grâce à son aura, son flair, son travail, son équipe. Bravo à lui.
Aujourd’hui, le club annonce 9,7 millions d’euros de revenus pour 2021-22 et projette d’en rentrer 12,6 pour 2022-23. Ce qui le place sur le terrain français à un niveau jamais atteint. Fin octobre 2022, le président délégué du club Gaëtan Muller annonce 8 millions de sponsoring cumulés. D’après lui, ce total place le club numéro 1 dans le basket, évidemment, mais aussi dans le Top 3 des clubs du Top 14 de rugby et le Top 10 des clubs de foot. La différence sur le budget de ces entités se faisant évidemment sur les droits télés énormes générés par le foot et le rugby.
Tout ça pour dire quoi ? Que l’ASVEL bosse très bien. Et qu’elle est aujourd’hui au plafond de ce que propose le basket français. Pour grandir, le chemin, c’est celui de l’Europe. Et de l’Euroleague. Et voilà où s’arrête le rêve.
Même avec une grande salle, aucun club en Euroleague ne génère suffisamment de revenus pour combler son budget. Le grand Real Madrid ? Moins de 15 millions de revenus annuels et 30 millions de déficit environ chaque année pour arriver à 45 millions de budget annuels. Barcelone ? Moins de 8 millions de chiffres d’affaires en 2020 et presque 30 millions de déficit également. Le 9 juin 2020, le président du Panathinaikos, le sulfureux Dimitris Giannakopoulos annonce mettre son club en vente pour 25 millions d’euros. Il dit que le club en vaut 100. Mais il explique aussi que sa famille a comblé les déficits du club depuis 1972 à hauteur de 450 millions ! Au final, pas de vente.
Une nouvelle salle pour l’ASVEL permet d’espérer quelques millions annuels supplémentaires (au-delà de trois, ce sera miraculeux) mais cela ne permettra en aucun cas de doubler le budget, contrairement à ce qu’on spontanément penser.
L’Equipe donnait ainsi la parole au président du CSKA Moscou Andrei Vatoutine qui rappelait le business model de l’Euroleague. « Avec tout le respect que je dois aux stars du basket européen, leurs salaires ne dépendent pas des revenus des clubs et des ligues comme en NBA mais d'une compétition entre les ambitions des propriétaires. »
Et Parker de rappeler récemment qu’il n’est pas milliardaire et donc qu’il ne pourra pas avoir d’ambitions en Euroleague tant qu’il ne sera pas prêt à perdre 20 millions par an. Ce que personne ne lui reproche. Les revenus de l’Euroleague progressent certes, mais très lentement et les clubs se plaignent de ne pas en voir la couleur. C’est la raison principale pour laquelle ils ont chassé Jordi Bertomeu après 20 ans à la tête de l’Euroleague. Et puis, ces rentrées sont tellement faibles par rapport aux dépenses des clubs qu’il faudrait une augmentation de 1000% de revenus de l’Euroleague pour entrevoir une rentabilité.
Aujourd’hui, où en est l’Euroleague ? Nulle part. Depuis la fin de règne de Bertomeu à l’été dernier, la direction actuelle assurée par Dejan Bodiroga et Marshall Glickman navigue à vue. Pour une raison simple. Les clubs détenteurs d’une licence A sont les vrais patrons mais n’ont pas de direction commune claire. Quelques exemples. Les négociations avec la FIBA sont au point mort faute d’interlocuteurs. La gestion récente du dossier Facundo Campazzo ou l’invitation lancée à Monaco, puis regrettée par Glickman sans aucune base réglementaire pour la saison prochaine montre le flottement qui règne à Barcelone.
Enfin, Parker parle de modèle fermée et d’une valeur de l’ASVEL qui pourrait monter à plus de 100 millions d’euros. Il tente de faire rêver, technique de vendeur. Mais il s’agit d’un fantasme. Fermer la ligue est ce qu’a pratiquement déjà fait l’Euroleague et les revenus n’ont pas suivi. Pourquoi ? L’économiste Pierre Rondeau spécialiste de ces questions, l’explique très bien. Une ligue fermée est un modèle économique très profitable, à condition d’être la ligue leader au niveau mondiale. Donc dans un monde où la NBA n’existerait pas, Tony Parker aurait raison. Et d’ailleurs, l’objectif ultime de ce dernier est de devenir propriétaire d’une franchise NBA, où le revenus et la valeur des franchises suivent des courbes exponentielles.
Ce qui nous mène à la dernière question. Pourquoi Parker souhaite vendre maintenant ? Jusqu’à présent, il a attiré des partenaires grâce au marché français. S’associer à Parker et l’ASVEL, c’était la certitude de soulever des trophées et de côtoyer un des sportifs les plus charismatiques et accomplis des vingt dernières années. Le tout sur un marché relativement abordable, celui du basket français. TP a offert à Aulas son rêve de club omnisport à une époque où gagner le moindre trophée en foot n’est plus payable.
Après trois titres, avec la licence A en Euroleague, l’arrivée de la nouvelle salle, l’ASVEL est au top de son image. Au niveau personnel, l’image et l’aura de Parker vont également commencer à s’estomper, doucement. Un mouvement logique à mesure que les exploits de sa carrière s’éloignent. Dernier élément, sans doute décisif celui-là.
La montée en puissance de Monaco avec un mécène avec un portefeuille sans fond (10 millions de masse salariale cette saison), si elle se confirme dans la durée indique que la domination sans partage de l’ASVEL est terminée. L’argent ne fait pas tout mais l’ASVEL n’est plus favorite du tout.
Parker est intelligent. Il a compris tout cela et voilà pourquoi il souhaite vendre maintenant.
Alors, le club vaut-il 40 millions ? Une vente se fait toujours de gré à gré donc le juste prix est le prix qu’est prêt à y mettre un acheteur. Et dans le sport, les choses ne sont pas toujours rationnelles. Mais d’un strict point de vue business, la valorisation de l’ASVEL devrait se faire en rapport avec ses revenus. Et la promesse du développement à l’échelle européenne ne tient pas.
Photo : Tony Parker (Léo Morillon/LNB)