Le Palois D.J. Cooper tourne à 11,5 passes en moyenne avec une pointe à 18 face au Portel. Remarquable pour la Pro A… mais si loin encore de Pierre Bressant lors des années 1988 et 89. Le Franco-Américain envoya valser tous les records, au point que certains se demandèrent s’il y avait un trucage.
Cela saute aux yeux d’un myope : le nom de Pierre Bressant apparaît dix fois dans le Top 12 du plus grand nombre de passes décisives sur un match. Tout ces exploits ont été réalisés entre le 12 mars 1988 et le 23 mars 1989, soit exactement en un an. Extraordinaire. S’agit-il de statistiques frelatées, à l’instar du quadruple double plus que douteux de l’Américain de Reims Derrick Lewis ? Pas de raison de retenir cette hypothèse. Pour accomplir une telle série, unique dans les annales du basket français, il aura fallu en définitive que Pierre Bressant bénéficie d’un chapelet de circonstances favorables. Et aussi, c’est l’essentiel, d’une faculté particulière d’offrir des ballons en or à ses équipiers.
Revenons à la source, américaine. Malade, Pierre Bressant n’eut pas la possibilité de décrocher une bourse sportive et c’est comme simple étudiant qu’il entra à l’université d’Arizona State. « J’ai travaillé mon basket dix fois plus que les autres. Et puis j’étais sans doute un mec sympa. Je faisais jouer les autres, et ça ils aimaient bien aussi. La deuxième année, je l’ai eu ma bourse », nous raconta ce meneur de jeu de 1,79m au physique passe-partout. Pierre fut par ailleurs un étudiant modèle et il décrocha à la fin du cursus un diplôme d’ingénieur. « Sur mes quatre années de séjour à Arizona State, j’ai vu défiler une quinzaine de joueurs dans l’équipe de basket, et nous n’avons été que deux à décrocher l’examen final. » D’ailleurs, bien plus tard, il reprendra ses études pour effectuer une formation de managérat des clubs sportifs professionnels au Centre de droit et d’économie du sport, à Limoges.
« Je me suis dit : le niveau en France doit être bien moins élevé. C’est à mon tour de dominer les autres ! »
A la fac avec des stars
Ses équipiers aux Suns Devils s’appelaient Alton Lister, Byron Scott, Lafayette Lever et Sam Williams. Des pointures. Pierre Bressant n’était que le douzième homme de l’équipe, la cheerleader, comme il le disait lui même. « Celui qui excitait les copains et le public. » Seulement un tel environnement vous donnait à l’époque un légitime complexe de supériorité lorsque vous traversiez l’Atlantique. « Tous les autres joueurs d’Arizona State sont devenus pros. Ça faisait quatre ans que je m’entraînais avec ces gars-là. Je me suis dit : le niveau en France doit être bien moins élevé. C’est à mon tour de dominer les autres ! »
Pierre Bressant atterrit à Mulhouse et crut pouvoir obtenir le passeport français en prouvant sa double nationalité. Il est né à Fontainebleau et a vécu en France jusqu’à l’âge de trois ans. Ses grands-parents étaient de la Martinique et c’est son père qui émigra aux Etats-Unis, pris la nationalité du pays, se maria avec une Américaine, et devint colonel dans l’armée US. Un miroir aux alouettes. « Nick Galis avait des parents grecs », rappelait-il, à propos de ce natif du New Jersey, qui sema la terreur dans les défenses européennes grâce à ses origines helléniques. « Moi, c’était mes grands-parents qui étaient français. Une génération de trop. » Bressant estima s’être fait mener en bateau par le président mulhousien, Jean-Claude Hessel. Il joua un seul match au MBC. Comme Américain. D’ailleurs, auparavant, le Limoges CSP avait étudié de près son dossier et abandonné la piste estimant qu’il était impossible de prouver sa nationalité française.
Que fit alors Pierre Bressant ? Il s’engagea pour cinq ans avec Antibes, se maria en mai 1982 et fut naturalisé le même mois. C’était une mode répandue à l’époque sachant que les autorités françaises étaient peu regardantes. « C’est vrai que c’est une solution de facilité pour nous », avoua t-il. Mais il ne faut pas s’y tromper : c’est un mariage d’amour qui lia l’Antibois d’alors avec son nouveau pays. « J’y suis pour longtemps, peut-être pour toujours, » déclara t-il, prémonitoire.
« Quand un grand commence à dribbler dos au panier, je m’amène par derrière, et hop ! C’est excitant. »
14,5 passes en moyenne
1987 est une belle année. Pierre Bressant dispute le premier all-star game français, à Limoges, et avec un autre meneur de poche, Robert Smith, de par leurs fantaisies, ils donnent du sel au spectacle. Surtout, il est sélectionné en équipe, au Tournoi de Noël, où on le voit la tête dans le short de sa majesté Drazen Petrovic, et agiter avec frénésie une serviette pour dynamiser la foule, puis pour le championnat d’Europe à Athènes. Seize sélections en tout. « Ce que j’ai fait au Tournoi de Noël, ce que je viens de vivre en Grèce, même si je n’ai pas joué beaucoup à cause de ma blessure à la cheville, personne ne me l’enlèvera. Cela restera dans ma tête, dans mon cœur. »
Curieusement, davantage encore qu’un passeur, Bressant a une réputation de kleptomane due à sa faculté à chiper la balle dans les mains de ses rivaux. « C’est la revanche du petit sur le grand. Quand un grand commence à dribbler dos au panier, je m’amène par derrière, et hop ! C’est excitant. Les gars se demandent toujours : mais où il est Pierre ? » C’est que le petit Pierre en question, à l’air inoffensif est en fait vif et musculeux, et il à l’oeil.
Et les passes ? Pierre Bressant est forcément déjà un spécialiste. Il tourne à 8,0 assists de moyenne lors de son ultime saison à Antibes. Il monte alors à Paris et fait un peu mieux avec le Racing : 8,7 passes en seulement 18 matches, à cause de douleurs dorsales. Surtout, il bat une première fois le record sur un match contre Tours avec 21 offrandes. On n’a encore rien vu. La machine s’emballe lors de cette fameuse saison 1988-89 et Pierre établit des marques, sinon pour l’éternité, du moins qui n’ont pas été approchées depuis : un total de 434 passes, soit une moyenne de 14,5 par match –près de deux fois plus que son dauphin, Valéry Demory-, et un record de 28 sur une seule rencontre. Complètement fou ! Et encore, il n’est pas tenu compte au palmarès de ses 25 passes en playoffs contre Montpellier.
« Il faut savoir servir le bon joueur, le bon jour. Par exemple, pour Dub, la passe à la seconde près, ça détermine tout dans son basket. »
Deux perfs à l’extérieur
Dans le milieu, on dit que c’est trop beau pour être vrai, et la suspicion va tomber sur les statisticiens qui officient à Coubertin. Ne favorisent-ils pas exagérément leur héros ? Accusation gratuite. L’équipe qui officie au Racing est fiable. De plus, depuis la création de la ligue, un an plutôt, et grâce à un accord négocié avec IBM, les préposés sont dotés d’un ordinateur ce qui facilite la récolte des infos. Et surtout, argument choc : deux perfs ont été établies à l’extérieur, l’une à Gravelines et l’autre à Tours. A l’époque, Maxi-Basket enquête et démontre que si le nombre de passes décisives de Pierre Bressant est inférieur à l’extérieur, c’est que le Racing score tout simplement moins hors de ses bases.
L’explication de ces statistiques apparemment surnaturelles est ailleurs. Déjà, il est dans l’air du temps d’attaquer à outrance et de défendre a minima. Le Racing Paris aime les grandes envolées et possède la deuxième force offensive du championnat avec une moyenne de 96,6 points/match. Hervé Dubuisson (22,8 pts) et encore plus l’Américain Michael Kennedy (25,5 pts), roi du dunk, sont de sacrés pistoléros. Et Lee Johnson (20,7 pts) ne donne pas sa part aux chiens. Pierre, lui, ne shoote que contraint et forcé : 1 tir toutes les 12 minutes. Il joue beaucoup (34 minutes par match) et… il quasiment le seul à rendre la balle. Dubuisson fait moins de deux passes par match, et Kennedy deux fois moins. Tout le monde court, Pierre régale et les autres shootent souvent avec bonheur. C’est aussi simple que ça.
Le soir de ses 28 passes, Pierre Bressant ne prend que deux tirs alors que le Racing score 113 points. Dubuisson est étrangement aphone (2/4), mais Eric Occansey (12/19), Lee Johnson (11/19) et Michael Kennedy (12/20) se goinfrent. Pour l’anecdote, Rudy Bourgarel, père de Rudy Gobert, profite également du banquet (3/7).
Pierre Bressant possède la vision périphérique, le timing, un solide QI basket, le sens du partage. Il estime qu’il y a toujours autour de lui quelqu’un plus apte à scorer que sa petite personne. Dans son genre, c’est un artiste, sans tapage. « La passe au bon moment, au bon endroit, que ce soit pour un shoot lointain ou sous le panneau, c’est primordial. Il faut savoir servir le bon joueur, le bon jour. Par exemple, pour Dub, la passe à la seconde près, ça détermine tout dans son basket. »
Hervé Dubuisson ne dira pas le contraire, comparant les passes de Pierre Bressant à celles sèches et ajustées de l’Américain Loyd King, son ancien équipier au Mans. « Pierre a une bonne qualité de passe. Ni trop molle, ni trop puissante. Avec un bon timing. Et il est très fort quand l’équipe joue vite. Sur un jeu rapide, avec des passes à risques qui peuvent expliquer qu’il est aussi le troisième aux balles perdues, il est à l’aise. C’est un joueur spectaculaire. Et ça, tu l’as ou pas dans le sang. »
La saison suivante, Pierre Bressant mute à Monaco mais n’y dispute que neuf matches. Il n’est plus qu’à 10,3 passes/matches. Et beaucoup moins encore la saison suivante. La météo n’est plus favorable, la déferlante est passée.
Records de passes décisives sur un match*
1 Pierre Bressant Racing Paris Caen 11/3/1989 28
2 Pierre Bressant Racing Paris Gravelines 18/2/1989 25
3 Pierre Bressant Racing Paris Lorient 4/10/1988 23
4 Laurent Sciarra PSG Racing Le Mans 13/1/1996 22
5 Pierre Bressant Racing Paris Tours 12/3/1988 21
– Pierre Bressant Racing Paris Limoges 1/10/1988 21
– Pierre Bressant Racing Paris Gravelines 5/11/1988 21
8 Pierre Bressant Racing Paris Nantes 23/3/1989 20
– Matt Walsh ASVEL Vichy 11/3/2011 20
10 Pierre Bressant Racing Paris Avignon 17/12/1988 19
– Pierre Bressant Racing Paris Mulhouse 11/02/1989 19
– Pierre Bressant Racing Paris Tours 4/3/1989 19
* Etablis par la LNB
Records de passes décisives par saison
1 Pierre Bressant Racing Paris 1987-88 14,5
2 Laurent Sciarra Paris 2003-04 9,7
3 Laurent Sciarra Paris SG 1994-95 9,5
4 Laurent Sciarra Paris 2002-03 9,5
5 Laurent Sciarra Paris SG 1995-96 9,3
Paru dans Basket Hebdo en mars 2015.