Après avoir gagné la Coupe Korac (C3) en 1984, l’Elan Béarnais Orthez a réalisé trois ans plus tard un exploit encore plus extraordinaire: finir à la 3e place de la Coupe des Champions, l’ancêtre de l’Euroleague.
[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]
Il s’agit sans contradiction possible, du plus bel exploit d’un club français et aussi européen au rapport population/performance. Orthez, commune rurale des Pyrénées-Atlantique, à quarante kilomètres de Pau, recensait alors tout juste un peu plus de dix mille habitants, et grimpa à la troisième place de la Coupe des Champions 1987. Une compétition qui n’était pas hypertrophiée comme l’Euroleague de 2021, mais qui regroupait l’essentiel des meilleures équipes continentales. Et si à l’issue d’une poule finale à six clubs, l’Elan Béarnais laissa s’échapper, pour une seule victoire, une place en finale au Tracer Milan et au Maccabi Tel-Aviv, il mit derrière lui le KK Zadar, le Zalgiris Kaunas d’Arvydas Sabonis et le Real Madrid. Peut-être à l’époque n’avait-on pas exactement conscience de l’immensité de la tâche accomplie. Avec le recul, cela parait juste extraordinaire.
Le symbole de cette épopée, c’est ce triomphe à Madrid. Comme un coup de tonnerre. Les Béarnais ne sont que des gueux et la Coupe Korac gagnée en 1984 ne pèse pas lourd face à la salle des trophées du Real que le Président Pierre Seillant et son coach George Fisher s’empressent de visiter lors du déplacement en terre madrilène. « Je suis davantage fasciné par le Real et Barcelone que par tout le foot français », expliqua alors Seillant.
Freddy Hufnagel, le rocker
Cette année-là, l’Elan possède en son sein un véritable prodige. un joueur old school, éduqué par Alain Larrouquis, Mathieu Bisseni, Jean-Noël Perpère et les vieux briscards, qui porte un tee-shirt des Rolling Stones quand il fait son marché à La Moutète, un mec naturel, adorable, pote avec chaque villageois, qui possède un goût affiché pour la fête, à Pampelune ou ailleurs, et aussi un besoin physique de s’entrainer comme un GI. Le toréador Freedy Hufnagel va ensorceler le meneur au crâne dégarni Juan-Antonio Corbalan, finaliste olympique à Los Angeles, l’ensemble de ses équipiers du Real et leurs 12 000 aficionados. Huffy plante neuf paniers à trois-points dans le flanc du taureau espagnol qui tombe à terre ensanglanté.
Au retour à La Moutète, les Béarnais sont de nouveau en lévitation, Hufnagel martyrise encore Corbalan et le score est de 44-21 à la 13ème minutes. Insensé. Vexés, courroucés, les Madrilènes reviendront à la charge mais ils s’inclineront tout de même de deux points, 82-84. « Ce soir, nous avons réussi un doublé historique. Battre le Real Madrid deux fois en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, c’est vraiment le signe qu’Orthez est une très grande équipe », s’enthousiasma Pierre Seillant. « Notre première mi-temps est digne, je crois, de rentrer dans l’anthologie du basket. Nous avons joué dans un rêve, c’était magnifique, c’était fabuleux. »
Pierre Seillant, le chef de meute
L’Elan Béarnais, c’est son chef d’œuvre à Pierre Seillant, lui le fils du créateur du club en 1908. Comme fédérateur, motivateur, innovateur, Seillant était le meilleur d’entre tous. Un bourreau de travail, capable d’être en activité seize à dix-sept heures chaque jour pour diriger le cabinet d’assurances qu’il possédait dans le village, et accompagner ses joueurs, qui avaient besoin d’être surveillés pour ne pas dégoupiller lors d’interminables voyages ferroviaires jusqu’à Joeuf et Antibes, et que l’on retrouvait trinquant une dernière fois au petit matin. Un chef de meute.
Aucun autre président n’a jamais su magnifier avec autant de talent une aventure que ce Gascon dont la faconde n’avait d’égale que la volonté de promouvoir nationalement un club, un village, une façon de vivre. Il trouva aussi en Gérard Bouscarel, journaliste à La République des Pyrénées, puis directeur sportif de l’Elan, le hiérographe pour rapporter la parole présidentielle pour les générations futures. Jouer sur une moquette – remplacée ensuite par du parquet – et dans un marché couvert, la légendaire Moutète, non chauffé, était un phénomène unique à ce niveau, à la limite du tolérable quand même. L’Elan Béarnais y faucha ses cinq adversaires de la poule finale de la Coupe des Champions. Bouscarel raconta que lors de la séance d’entraînement du Zalgiris Kaunas ce 20 janvier 1987, il faisait moins 7°C à l’intérieur de la salle et que les joueurs se réchauffèrent en se servant de l’autre comme d’un punching ball !
« La Moutète a contribué à la légende, Seillant s’en est très bien servi », témoigna Freddy Hufnagel. « Mais je peux dire que s’ils avaient construit un palais des sports comme à Pau on l’aurait pris de suite. Il ne faut pas oublier que les zozos qui s’y entraînaient, c’était nous. Au mois de janvier, quand il n’y avait pas les gradins, que les portes étaient ouvertes et qu’il y avait des courants d’air qui passent… Tu t’entraînais avec le K-way. Tu ne disais pas : « Tiens, je vais me mettre en tee-shirt pour montrer que je suis un dur ». Tu avais la sueur qui gelait sous les bras. Après, ça conserve, apparemment ! J’imagine la tête de Bob McAdoo (Américain du Tracer Milan, une fois MVP de la NBA et trois fois son meilleur marqueur) quand il est rentré dans les vestiaires et que ça puait la merde de canard. Seillant disait que c’était un anachronisme, c’était tout à fait ça. Orthez était une ville de 10 000 habitants et n’avait pas les moyens, une enceinte, pour recevoir 5 000 personnes dans de meilleures conditions. Tu jouais devant un public de folie parce que le truc avait été bien monté : le petit poucet contre les grosses structures. »
La Moutète était au cœur d’Orthez, accessible au joueurs suivant leur envie. A trois cent mètres, il y avait « Moulia », la cantine des joueurs dont les murs résonnent encore des fiestas mémorables qui ont salué les exploits de l’équipe. Il n’y avait aucune distance entre les joueurs et le public. « Il ne faut pas croire qu’on faisait les fous tous les soirs. » nuanca Freddy. Parfois tu te faisais vraiment chier. Tu n’avais qu’une chose à faire, aller t’entraîner. Mais je n’étais pas malheureux, c’est un contexte qui favorisait l’entraînement. Tu avais la campagne magnifique autour de toi… »
George Fisher, le professionnel
Dans la construction de cette équipe de légende, l’Elan piocha un as : Howard Carter, un shooting guard, qui passa un peu plus d’une saison en NBA et dont la vie et donc la carrière fut tourmentée par l’absorption de drogues délétères. Cette saison-là, Carter tourna à 19,5 points en moyenne en Coupe des Champions. « On a eu beaucoup de chance déjà avec Paul Henderson », estima Hufnagel. « Paul a mis la tête là où je ne mettrais même pas les pieds ! il a apporté beaucoup d’énergie. Celui qui pour moi est le détonateur, c’est Howard Carter. Il a fait de grosses conneries aux Etats-Unis, mail il faut se rendre compte à quel niveau il était là-bas. C’est un mec qui avait été drafté tout en haut (15ème choix en 1983). On a eu de la chance de le récupérer. Daniel Haquet, on aimait ou pas son style, mais c’était un joueur d’équipe. Ben Kaba était doué. Mais Carter, ça a été le bienfait du Béarn. On ne s’en rendait pas compte. C’était un mec cool, tranquille, effacé, timide. »
Le coach George Fisher sut apporter sa science américaine et aussi gérer des personnalités fortes. Il succédait à Jean Luent, qui était davantage impliqué dans la vie orthézienne. « Avec Jean, on a fait mille coups ensemble. On était comme deux copains d’enfance. Pas avec George, George, c’est un professionnel. Il part du principe, il a raison, qu’il faut qu’il conserve une certaine distance avec les joueurs, et il pense que je suis le président, qu’il faut que chacun reste à sa place », nous disait alors Pierre Seillant. L’Elan Béarnais fut deux fois champion de France, en 1986 et 87, une coupure dans l’hégémonie de son meilleur ennemi limougeaud. Pierre Seillant savait qu’il vivait dans un moment à la fois unique et fugace. « Les gens de Milan m’ont dit que nous étions une anomalie, j’ai même envie de dire que nous sommes une incongruité », confia-t-il au mensuel Maxi-Basket en 1987. « De par nos moyens, nos structures, notre taille, nous arrivons comme un cheveu sur la soupe. Orthez est la première mais aussi la dernière ville de cette importance à réussir ce que l’on réussit. On disparaîtra dans deux, trois, quatre, cinq ans, alors que le Real sera là dans cent ans encore. Parce que derrière, il y a tout, et nous, nous n’avons rien sinon une équipe. Mais une équipe par essence, ça disparaît. »
Quatre ans plus tard, Pierre Seillant emmenait son équipe et tout son club à Pau qui venait de s’offrir un palais des sports géant, pour survivre et même pour mieux vivre, se développer, continuer à amasser les trophées. Mais la terre de légende, elle est là au fin fond du Béarn, à Orthez.
x
[armelse]
Il s’agit sans contradiction possible, du plus bel exploit d’un club français et aussi européen au rapport population/performance. Orthez, commune rurale des Pyrénées-Atlantique, à quarante kilomètres de Pau, recensait alors tout juste un peu plus de dix mille habitants, et grimpa à la troisième place de la Coupe des Champions 1987. Une compétition qui n’était pas hypertrophiée comme l’Euroleague de 2021, mais qui regroupait l’essentiel des meilleures équipes continentales. Et si à l’issue d’une poule finale à six clubs, l’Elan Béarnais laissa s’échapper, pour une seule victoire, une place en finale au Tracer Milan et au Maccabi Tel-Aviv, il mit derrière lui le KK Zadar, le Zalgiris Kaunas d’Arvydas Sabonis et le Real Madrid. Peut-être à l’époque n’avait-on pas exactement conscience de l’immensité de la tâche accomplie. Avec le recul, cela parait juste extraordinaire.
Le symbole de cette épopée, c’est ce triomphe à Madrid. Comme un coup de tonnerre. Les Béarnais ne sont que des gueux et la Coupe Korac gagnée en 1984 ne pèse pas lourd face à la salle des trophées du Real que le Président Pierre Seillant et son coach George Fisher s’empressent de visiter lors du déplacement en terre madrilène. « Je suis davantage fasciné par le Real et Barcelone que par tout le foot français », expliqua alors Seillant.
Freddy Hufnagel, le rocker
Cette année-là, l’Elan possède en son sein un véritable prodige. un joueur old school, éduqué par Alain Larrouquis, Mathieu Bisseni, Jean-Noël Perpère et les vieux briscards, qui porte un tee-shirt des Rolling Stones quand il fait son marché à La Moutète, un mec naturel, adorable, pote avec chaque villageois, qui possède un goût affiché pour la fête, à Pampelune ou ailleurs, et aussi un besoin physique de s’entrainer comme un GI. Le toréador Freedy Hufnagel va ensorceler le meneur au crâne dégarni Juan-Antonio Corbalan, finaliste olympique à Los Angeles, l’ensemble de ses équipiers du Real et leurs 12 000 aficionados. Huffy plante neuf paniers à trois-points dans le flanc du taureau espagnol qui tombe à terre ensanglanté.
Au retour à La Moutète, les Béarnais sont de nouveau en lévitation, Hufnagel
[/arm_restrict_content]
[arm_restrict_content plan= »unregistered, » type= »show »][arm_setup id= »2″ hide_title= »true »][/arm_restrict_content]
Paru dans un Hors-Série de Basket Hebdo en 2014.
Photo d’ouverture: Maxi-Basket