Son corps immense, estimé jusqu’à 2,45 m, a permis, un temps, au Soviétique Alexandre Sizonenko d’atteindre un bon niveau comme joueur, mais fut toujours pour l’homme la source de souffrances incurables.
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Alexandre Sizonenko est à ranger dans la catégorie des supergéants produits par l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, en compagnie de Janis Krumins, Uvais Akhtaev, Vladimir Tkatchenko et Arvidas Sabonis. Alexandre Sizonenko était le plus grand de tous. Il était tout simplement l’homme le plus grand de l’immense Russie. Sa taille ? A son époque de joueur, il était listé à 2,37 m pour 200 kilos et une pointure de 58. Il est même le plus grand basketteur de tous les temps derrière le Lybien Suleiman Ali Nashnush dont la carrière fut éphémère et sans grand intérêt. Mais Sizonenko a continué ensuite de grandir pour finir à une taille proche de celle de Ali Nashnush, soit 2,45 m.
D’ailleurs, l’Ukrainien ne connaissait pas lui-même sa mensuration exacte. « Quand je jouais, ils me donnaient des tailles différentes », expliqua-t-il un jour. « Ils me prenaient en photo avec quelqu’un à côté de moi puis, avec une règle, ils mesuraient notre différence de taille, et estimaient la mienne par rapport à celle de l’autre personne. En fait, je m’en fiche ! 2,40 m, 2,50 m… Dieu, donnez-moi la santé, et j’accepte de grandir davantage. Tant que tu ne ressens pas de douleurs… »
Pourquoi était-il si grand, si difforme ? Là aussi, c’était un mystère pour l’intéressé. Sa mère mesurait 1,60 m et son père et ses deux frères moins d’1,80 m. « Je ne me suis pas beaucoup démarqué dans la petite enfance. Et puis, à l’école, j’ai soudainement commencé à grandir à pas de géant, et les médecins ont découvert que j’avais un dysfonctionnement de l’hypophyse. À 14 ans, je me suis allongé pour la première fois sur une table d’opération. À l’âge scolaire, bien sûr, j’étais inquiet. Maintenant, je m’en fous, mais à cette époque… j’ai réalisé que j’étais différent des autres enfants. De plus, d’autres ont commencé à me traiter différemment. Je n’étais pas obligé de faire quoi que ce soit à la maison, j’étais moins susceptible d’être appelé au tableau noir par les profs. Qui sait ce que je serais devenu si je n’avais pas eu le sport. Le basket m’a ramené à la vie, m’a fait me sentir comme une personne à part entière. » A la fin de sa période scolaire, il avait poussé jusqu’à 2,18 m et les médecins avaient annoncé qu’il avait tout au plus devant lui vingt ans à vivre. Effrayant de connaître une telle prédiction ? « Au contraire, cela ne fait que me stimuler. » Et à la question de savoir s’il existait un moyen médical de stopper sa croissance folle, il avait répondu un jour : « Il existe différents médicaments, pilules. Mais ils ne peuvent pas arrêter complètement ma croissance. Et en plus, ils coûtent très cher. »
Compétitif avec les big men de l’URSS
Alexandre Sizonenko était originaire d’un petit village et c’est un instituteur qui l’a initié au basket. Mais à cette époque, il ne voyait pas l’intérêt de se consacrer à un sport. Son esprit était entièrement accaparé par l’allongement de sa carcasse. « Dans une tentative d’arrêter ma croissance, les médecins m’ont pratiqué deux craniotomies. Cela n’a pas aidé, j’ai continué à grandir. De plus, quelque chose a commencé à couler du nez. J’étais gêné d’en parler tout de suite aux médecins. Comme il s’est avéré plus tard, c’était du liquide céphalo-rachidien, et je pouvais en mourir… Ce cas n’est pas le seul cas. Dans ma vie, je me suis retrouvé plus d’une fois entre ce monde et l’autre. »
C’est à l’université que la pratique du basket-ball est devenu pour lui une activité sérieuse. Il a été remarqué dans un bus par l’entraîneur de Nikolaev. Et par le bouche à oreille, son nom et sa taille ont interpellé Vladimir Kondrachine, le coach de l’équipe d’URSS qui a fait chuter les Etats-Unis aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, et qui fut aussi longtemps celui du Spartak Leningrad. Le géant était visiblement doué pour la balle orange. « Lors de la première séance d’entraînement, j’ai marqué 19 lancers francs d’affilée, tout le monde est resté bouche bée. J’ai un shoot, apparemment, naturel », raconta t-il. Mais au Spartak, Sizonenko se retrouva barré par des intérieurs d’expérience, comme Alexandre Belov, le héros de Munich, avant que celui-ci décède d’une maladie cardiaque. « En 1978, après la mort de Belov, les exigences pour les athlètes ayant des problèmes de santé ont été renforcées. Une commission de Moscou est arrivée, des contrôles médicaux ont commencé… En conséquence, Kondrashine m’a conseillé de partir pour Kouïbishev. Comme ils l’ont dit plus tard, Kondrachine a regretté de devoir se séparer de moi. Non sans raison, en jouant contre le Spartak pour Stroïtel, j’ai rarement marqué moins de 30 points. »
Au Stroïtel Kouïbishev, Alexandre Sizonenko a connu une sorte de période de grâce. Il a rivalisé avec les meilleurs big men soviétiques de sa génération, Vladimir Tkatchenko, Alexander Belostenny, et même Arvidas Sabonis. En défense, c’était une sacrée muraille ! « Une fois, Volodia Tkachenko, qui a joué pour Kiev n’a marqué que 2 points dans un match contre nous. Tkachenko est un colosse et il était habitué au fait que personne ne pouvait lui faire face. Et quand il est tombé sur moi, il était confus. J’ai marqué 42 points contre Sabonis en Lituanie. Certes, ce match avec le Zalgiris était amical et s’est déroulé presque sans spectateurs. Brejnev (NDLR : Léonid Brejnev était le secrétaire-général du Parti Communiste) est mort juste avant le match. »
Nicolas Remise, alias Jean Bogey, qui était alors le correspondant en URSS pour le mensuel Maxi-Basket est l’un des très rares occidentaux à avoir vu à l’œuvre le Soviétique dans son championnat national. Son jugement était sévère : « Sizonenko est très lent. Il a une malformation du bassin qui l’oblige à tenir fesses et épaules en arrière et à marcher (pas courir vu sa taille…) en se déhanchant. Il smashe en se mettant sur la pointe des pieds ! »
D’ailleurs, les experts d’URSS estimaient que Sizonenko savait se positionner sur le terrain, qu’il maîtrisait l’art de la passe, mais qu’il n’était pas assez rapide pour être compétitif au plus haut niveau. Il a joué 12 fois pour l’équipe nationale soviétique. Le coach Alexander Gomelski croyait en ses possibilités, mais il rata un voyage à Porto Rico pour un problème de visa et le train poursuivit son chemin sans lui. A l’époque, la peinture des Reds était bien garnie. Il a reçu des propositions d’autres clubs, y compris yougoslaves, mais à Kouïbishev, il gagnait 250 roubles, ce qui était le salaire d’un chef d’une grande entreprise en URSS.
Les plus surpris par les performances sur le terrain du géant, c’était ses toubibs. « Je me souviens que lorsque ma carrière était à son apogée, j’ai rencontré à Kiev ces médecins qui ont pratiqué une fois une opération sur ma glande pituitaire. Alors, ayant appris que je jouais sérieusement au basket, ils sont presque devenus fous. ‘Ce n’est pas possible’, disaient-ils. ‘L’activité physique est généralement contre-indiquée pour quelqu’un comme vous’. Mais j’ai quand même joué. J’ai enduré à la fois la douleur et les coups de mes adversaires. »
Un calvaire
L’accalmie fut de courte durée. Sizonenko a cessé de jouer au basket en 1986, à 28 ans. Il a eu un nouveau problème hormonal et, selon ses dires, les nouveaux entraîneurs du Stroïtel ne se sont pas souciés de ses douleurs, qui sont devenues insupportables. Il fut obligé de prendre plusieurs semaines de repos, et son salaire lui fut retiré avant même la fin de sa dernière saison. Avec le recul, le géant a pris tout ça avec philosophie, et lorsqu’un journaliste lui demanda s’il fut difficile d’interrompre la pratique du basket, qui est associée à la meilleure période de sa vie, en regardant son fils de dix ans, il répondit : « La meilleure période est celle où mon fils est né. Oui, le basket m’a aidé à me réaliser, à me débarrasser des complexes. Mais le sport va et vient. Mais lui sera avec moi jusqu’à la fin. »
Les années post-basket d’Alexandre Sizonenko sont celles d’un calvaire, étape par étape. Déjà, une telle taille provoque des tracasseries quotidiennes. Comme il lui fut demandé où il s’habillait, il répondit : « juste ici au coin de la rue. Je plaisante. À l’époque soviétique, il y avait un magasin Bogatyr qui vendait des chaussettes et des jeans surdimensionnés. Mais les boutiques actuelles pour grandes personnes ne me conviennent pas. Il y a des affaires de grandes tailles, mais trop courtes. J’utilise donc du vieux stock. En 1988, à Nikolaev, ils m’ont habillé sur commande spéciale, donc ce pantalon d’il y a 16 ans est toujours sur moi. Ils respirent l’encens, mais il tient encore. C’est une bonne chose que je ne sorte pas très souvent. »
L’entreprise où il avait investi de l’argent a fait faillite. Il a déménagé à Saint-Petersbourg. Alexandre a divorcé de sa femme Svetlana. Il a appris que son fils, dont il avait à charge, avait une malformation cardiaque congénitale. Invalide, Alexandre ne pouvait plus trouver un emploi. Il vivait dans un appartement sans chauffage et eau chaude et se déplaçait à l’aide d’une canne en bois. A l’époque, il touchait 830 roubles de retraite et 300 autres roubles en tant que vétéran du sport. Soit une centaine d’euros… Suffisant ? « Heureusement, je ne mange pas beaucoup. Avec une telle croissance et mes articulations, un surplus de poids est inutile. Le matin, une petite théière avec des biscuits et du fromage, au déjeuner, une pomme. C’est mon régime. Je ne mange pas après six heures. Je bouge un peu. Je ne peux pas rester debout longtemps, même en m’appuyant sur une canne. Par conséquent, je sors toujours avec un tabouret. »
Au préalable, le Soviétique avait pu gagner un peu d’argent en interprétant le rôle d’un… géant dans le long métrage tchécoslovaque « The Brave Little Taylor ». Il ne reçut que la moitié de ses honoraires, le reste tombant dans les poches d’officiels moscovites. Il participa aussi plusieurs fois à une émission TV intitulée « Les meilleures personnes du monde » qui réunissait les représentants les plus insolites de la race humaine.
Il aurait même pu s’assurer une retraite adoucie lorsqu’à la fin des années 90, le controversé médecin allemand Günter Hagens, fondateur de la tristement célèbre exposition « 3Body of the World » lui proposa de lui donner son corps après sa mort moyennant une coquette somme d’argent. « J’ai été invité en Allemagne, semble-t-il, pour un traitement », a partagé Sizonenko dans ses souvenirs. « Mais il s’est avéré que Hagens n’avait pas besoin de moi vivant. Il voulait récupérer mon cadavre pour l’exposer dans un musée. Lors du dîner de gala, on m’a proposé de signer le contrat correspondant. J’ai répondu que j’étais croyant et que je voulais être enterré après ma mort, et non exhibé comme un épouvantail. Il rangea rapidement ses affaires et partit. » L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Au bout d’un certain temps, le médecin proposa de nouvelles conditions : 40 000 marks immédiatement et 400 marks par mois pour le reste de sa vie. Le basketteur a de nouveau refusé. « La dernière fois que l’entourage de Hagens est entré en contact, c’était en 2001. Ensuite, ils ont proposé 100 000 marks pour mon corps. Mais je n’accepterai jamais d’être un épouvantail. »
Il a tenu sa promesse. Son rapport avec l’argent s’est toujours fait avec détachement. A propos d’Arvidas Sabonis, le Lituanien qui s’est enrichi en Espagne puis en NBA, il a confié : « J’ai également entendu dire que Sabas, ayant appris ma situation, avait transféré de l’argent sur un compte. Mais je n’ai pas reçu cet argent. Sabonis a fait son travail. Bien sûr, c’est dommage que son aide ne me soit pas parvenue, mais l’essentiel est l’attention. C’est bien que Sabas se souvienne de moi. »
Après un séjour à l’hôpital, Alexandre Sizonenko a été renvoyé chez lui. Son visage était hagard, il avait vieilli prématurément. Il est tombé dans son appartement et il ne pouvait plus de déplacer seul. Une infirmière lui apportait des soins à domicile, avec de nombreuses interruptions dues à un financement défaillant. A l’été 2011, la ville lui promis un lit spécial mais il tarda à arriver à destination. Il n’a jamais recherché la pitié, mais il a été aidé par le NBAer Andrei Kirilenko, et des fonds ont été trouvés pour son traitement et quelques aménagements dans son appartement. On lui a offert un poste de télévision. Il s’est éteint dans son lit le 5 janvier 2012, à 53 ans, et il a été enterré dans un cimetière de Saint-Petersbourg aux côtés de Kondrachine, Belov et d’autres joueurs du Spartak.
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Alexandre Sizonenko est à ranger dans la catégorie des supergéants produits par l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, en compagnie de Janis Krumins, Uvais Akhtaev, Vladimir Tkatchenko et Arvidas Sabonis. Alexandre Sizonenko était le plus grand de tous. Il était tout simplement l’homme le plus grand de l’immense Russie. Sa taille ? A son époque de joueur, il était listé à 2,37 m pour 200 kilos et une pointure de 58. Il est même le plus grand basketteur de tous les temps derrière le Lybien Suleiman Ali Nashnush dont la carrière fut éphémère et sans grand intérêt. Mais Sizonenko a continué ensuite de grandir pour finir à une taille proche de celle de Ali Nashnush, soit 2,45 m.
D’ailleurs, l’Ukrainien ne connaissait pas lui-même sa mensuration exacte. « Quand je jouais, ils me donnaient des tailles différentes, » expliqua-t-il un jour. « Ils me prenaient en photo avec quelqu’un à côté de moi puis, avec une règle, ils mesuraient notre différence de taille, et estimaient la mienne par rapport à celle de l’autre personne. En fait, je m’en fiche ! 2,40 m, 2,50 m… Dieu, donnez-moi la santé, et j’accepte de grandir davantage. Tant que tu ne ressens pas de douleurs… »
Pourquoi était-il si grand ? Si difforme ? Là aussi, c’était un mystère pour l’intéressé. Sa mère mesurait 1,60 m et son père et ses deux frères moins d’1,80 m. « Je ne me suis pas beaucoup démarqué dans la petite enfance. Et puis, à l’école, j’ai soudainement commencé à grandir à pas de géant, et les médecins ont découvert que j’avais un dysfonctionnement de l’hypophyse. À 14 ans, je me suis allongé pour la première fois sur une table d’opération. À l’âge scolaire, bien sûr, j’étais inquiet. Maintenant, je m’en fous, mais à cette époque… j’ai réalisé que j’étais différent des autres enfants. De plus, d’autres ont commencé à me traiter différemment. Je n’étais pas obligé de faire quoi que ce soit à la maison, j’étais moins susceptible d’être appelé au tableau noir par les profs. Qui sait ce que je serais devenu si je n’avais pas eu le sport. Le basket m’a ramené à la vie, m’a fait me sentir comme une personne à part entière. » A la fin de sa période scolaire, il avait poussé jusqu’à 2,18 m et les médecins avaient annoncé qu’il avait tout au plus devant lui vingt ans à vivre. Effrayant de connaître une telle prédiction ? « Au contraire, cela ne fait que me stimuler. » Et à la question de savoir s’il existait un moyen médical de stopper sa croissance folle, il avait répondu un jour…
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