Septembre 1981. Ce fut la première fois qu’une équipe de joueurs NBA en activité posa ses baskets en France jouant contre le Caen BC et le Stade Français Paris, à Caen. Un moment historique passé inaperçu. George Eddy était sur le terrain et nous en tribune de presse.
Durant l'été, nous vous proposons une sélection d'articles premium en rediffusion (celui-ci offert en intégralité). Pour y avoir accès et ne rien manquer à la rentrée, à commencer dès le mois d'août par des dossiers exclusifs sur la Coupe du monde ainsi que nos traditionnels guides de début de saison, abonnez-vous !
Les Terroclythes, un groupe style Nouvelle-Orléans, essayaient de chauffer le palais des sports bien rempli mais pas comble avec trois milliers de spectateurs. Les pros américains se pointèrent dix minutes avant le premier entre-deux, dépenaillés, l’œil hagard, visiblement pas très concernés avec des maillots prêtés par le Caen BC.
On leur offrait deux adversaires pour la soirée, le Caen BC et le Stade Français. A Caen, on trouvait les deux joueurs américains de service, Peter Bubko, un ancien de North Carolina, et Lionel « Big Train » Billingy, vu auparavant à Berck, aux côtés de Didier Dobbels, Sylvain Grzanka, Christian Brun, le père de Stephen, Abdou Ndiaye, qui eut ensuite une belle carrière de coach, Yvon Léo et George Eddy. Celui-ci avait alors la barbe brune, n’était connu que des spécialistes, mais son profil de Franco-Américain en faisait un interlocuteur privilégié et aujourd’hui un témoin indispensable. « Ça se mélange un peu dans ma tête, mais ce dont je me souviens, c’est qu’ils sont arrivés sans équipements et sans chaussures. Il avait fallu courir partout dans la ville pour trouver des chaussures de grande taille. Eux s’imaginaient comme aux Etats-Unis où on prépare les affaires avant le match », se remémore-t-il.
La NBA, c’est quoi ça ?
La NBA vue de France au début des années 80 ? La Nébuleuse d’Orion vers qui très rares étaient les Français qui avaient braqué leurs télescopes. Antenne 2 avait diffusé auparavant deux ou trois matches des finales, en catimini, en plein été, donc en différé de plusieurs semaines, mais il n’existait plus de revues spécialisées puisque le mensuel Maxi-Basket ne sera créé qu’un an plus tard, et les commentaires avisés de George Eddy ne se feront entendre sur Canal + qu’en mars 1985.
Autant dire que la culture sur la NBA était dans la population basket extrêmement faible pour ne pas dire inexistante et que des mots comme draft, back door, clutch player et autre fade away jumper étaient aussi indéchiffrables que les hiéroglyphes égyptiens avant Champollion. Il faut souligner que les instances, FIBA ou FFBB, n’avaient alors aucun rapport avec la ligue américaine. L’ignorance amène souvent au mépris. George Eddy résume bien leur état d’esprit quand on leur parlait de ces gens-là : « Ces salauds de professionnels qui touchaient de l’argent pour jouer au basket alors qu’en réalité on était tous dans le même cas ! », se marre t-il.
Le hasard veut que Caen ait été dans les années soixante-dix le cadre à un scandale national. La fédération avait découvert que Bob Riley avait joué en NBA avant son arrivée en Normandie. De quoi lui valoir une tentative d’excommunication même s’il totalisait en fait sept matches en tout et pour tout aux Atlanta Hawks et que Bill Stricker l’avait précédé au club alors que lui avait passé… deux minutes et vingt secondes sur le terrain lors d’un match Portland-Cleveland. Et de ça personne n’était au courant dans les sphères fédérales. Autre temps, autre mœurs que les moins de cinquante ans gavés depuis l’enfance aux informations made-in-USA ont beaucoup de mal aujourd’hui à comprendre. Le Caen BC eut également le bonheur de compter dans ses rangs lors de la saison 1970-71 Willie Norwood, qui réalisa ensuite une riche carrière de 430 matches dans la ligue américaine.
Micheal Ray Richardson, cet inconnu
Donc les professionnels de la NBA était en ville. Mais pas de Julius Erving, Moses Malone, Darryl Dawkins, Nate Archibald ou Marvin Webster comme le promoteur américain l'avait laissé entendre. Qui était là ?
Si on prend leur compteur à la fin de leur carrière, on s’aperçoit que deux d’entre eux furent juste de passage dans la grande ligue : 93 matches pour Hollis Copeland sur deux saisons, mais en 1981, il sortait d’Espagne, et 49 matches pour DeWayne Scales dont 41 la saison précédente. Luther Rackley, 36 ans, en dénombrait 278 mais sa dernière saison remontait… à 1973-74. Quant à John Williamson, 516 matchs de 1973 à 1981, son surnom de « Super » s’était transformé à la fin en Supper (soupe) ! Au final, il y avait deux as en pleine force de l’âge, le meneur de Cleveland, Geoff Huston, 496 matches de 1979 à 1987, et surtout Micheal Ray Richardson.
Micheal Ray Richardson, on le verra sept ans plus tard, en Europe, à la Virtus Bologne, après avoir été banni à vie pour avoir violé à trois reprises le règlement anti-drogue, puis à Antibes, Cholet et même Golfe-Juan où il termina sa carrière à 47 ans. Mais en septembre 1981, Sugar a 26 ans et il est au zénith. C’est un All-Star, expert en passes décisives et interceptions, deux fois élu dans le Cinq défensif de la ligue et qui a tourné à 16,4 points de moyenne avec les New York Knicks. Le Magic Johnson de la côte Est.
Le public caennais avait-il conscience d’avoir sous les yeux un tel phénomène ? La réponse est non ! Et George Eddy confirme que même les joueurs français de son équipe ignoraient le pedigree de l’Américain. « En France, on avait aucune notion de ce qu’était la NBA. Le seul contact, c’était les anciens joueurs NBA qui sont venus jouer en France. Dan Sadlier et Willie Norwood étaient de super vedettes dans la ville. Les Français ne connaissaient absolument rien à la NBA sauf ceux qui venaient chez moi regarder des K7 que mes potes américains m’envoyaient et que je mettais dans mon Beta NTSC que j’avais ramené des Etats-Unis. »
Alors qu’en 2023, la France est le pays européen le plus connecté avec la NBA, quarante ans auparavant, elle était complètement à la ramasse vis-à-vis de l’Italie, l’Espagne ou encore Israël. Et c’est l’une des raisons majeures pour lesquelles son équipe nationale et ses clubs sont dépassés par ceux de ces trois pays méditerranéens là. D’ailleurs, la troupe américaine de Caen est allée jouer ensuite à Tel-Aviv où il y avait 10 000 spectateurs pour les applaudir et 13 000 à Milan où elle avait reçu le renfort de… Julius « Doctor J » Erving, à qui fut offert une prime de participation pour un match de 50 000 dollars - le contrat annuel d’un bon joueur américain d’Europe - et Moses Malone. Ils ont tous sorti le grand jeu au point que la presse sportive italienne titra « Dottore e’ un dio », soit « Le Docteur est un Dieu ». Et le Billy Milan ramassa 20 points (118-98) dans la musette. A Tel-Aviv, déjà habitué au lustre de la NBA (voir plus bas), Nate Archibald fut également de la partie et Julius Erving joua une mi-temps de chaque côté pour faire plaisir à tout le monde.
Une exhibition… à la Harlem
Revenons à Caen. George Eddy nous livre un scoop car l’information avait échappé aux spectateurs et aux… journalistes présents : « Je ne me souviens plus qui a organisé ce match, mais je me rappelle que le coach était John Thompson car au dîner j’ai servi de traducteur avec les gens du club. » Le massif John Thompson était alors, et depuis une petite dizaine d’années, le coach de Georgetown, et il sera champion NCCA trois ans plus tard. Mais si la NBA était une nébuleuse pour les Français, c’était pire encore du championnat universitaire. Mea culpa.
Que reste-t-il comme souvenirs du match à l’auteur de ces lignes ? Rien sinon deux ou trois paniers à longue distance - la ligne à trois-points n’est apparue en FIBA qu’en 1984 -… après rebond sur le plexiglass de Micheal Ray Richardson, qui était pourtant lesté de quelques kilos superflus. Epoustouflant. Laissons à l’édition de Ouest-France du lendemain le soin de nous décrire les impressions vécues : « Très vite d’ailleurs, on pardonne ces manques à l’appel quand la bande de la NBA s’en alla sous l’un des panneaux faire voltiger quelques ballons et mener par des smashes la vie dure au cercle. Alors le désenchantement s’en est allé… En quelques tours de main, de magie serait-on tenté de dire, les professionnels américains avaient conquis une foule du palais des sports de Caen, fervente de basket, qui méritait bien que les Richardson (étonnant de vivacité malgré sa « bedaine »), Williamson et Scales lui donnent (à défaut que les grosses vedettes le fassent) le tournis par des interceptions, des dribbles, des passes presque surnaturelles ! Ils semblaient venir d’une autre planète et leur basket avait quelque chose d’envoûtant et de déroutant. On demandait, on attendait du spectacle. Il y en a eu et c’est bien là l’essentiel. » Dans un autre article de Ouest-France, on note cette phrase : « Des actions qui d’ailleurs rappelèrent parfois les exhibitions des Harlem Globe Trotters. » Les Harlem, comme on disait, étaient encore alors la référence suprême en matière de basket américain. Plus pour longtemps.
Lloyd King, le coach américain de Caen, fit participer tout le monde à ce match de prestige. George Eddy marqua 12 points et Pete Bubko se fit remarquer par un tir déclenché de sa propre ligne de lancer-franc qui fit mouche. Ce fut l’action la plus applaudie de la soirée. « Mettre 12 points contre des joueurs NBA, c’est un grand souvenir, moi qui n’arrivais même pas à faire partie de mon équipe au lycée. C’était une belle revanche contre ma petite carrière. Même si mon meilleur pote (Sam Pietkiewicz) a joué en NBA et m’a fait rencontrer Swen Nater et Eddie Johnson, donc en réalité j’avais eu pas mal de contact avec de vrais joueurs NBA quand j’étais gamin, mais je n’avais jamais joué un match d’exhibition contre des pros de la NBA dans une salle pleine, ça avait davantage de reliefs. Ce match m’a énormément marqué comme le match de Coupe d’Europe que j’ai fait avec Caen contre le Partizan Belgrade de (Dragan) Kicanovic et (Zeljko) Obradovic », se souvient George Eddy.
Les « Américains de la NBA », qui venaient probablement de sortir de leur avion, sans entraînement et avec le décalage horaire dans la tête, remportèrent le match 80-74. Ils furent impliqués aussi dans un autre face à face avec le Stade Français Paris. George Eddy se demande d’ailleurs si cette soirée de gala ne fut pas organisée en quart-temps de 12 minutes sachant que le Betar Tel-Aviv était aussi de la partie. On sait juste que les Américains menaient 38-36 contre le Stade à la mi-temps.
Tout le reste a été englouti dans les oubliettes. Et pourtant c’était une grande première avant un déferlement de la NBA en Europe au cours des décennies suivantes que personne alors ne pouvait imaginer.
*Nos remerciements à Laurent Hommet qui a retrouvé l’édition de Ouest-France du Calvados du 9 septembre 1981.
Quand le Maccabi Tel-Aviv a battu le champion NBA
La première rencontre entre une équipe européenne - dans la définition du basket puisqu’Israël est au Moyen-Orient - et une équipe NBA eu lieu le 7 septembre 1978 à Tel-Aviv et ce fut un moment prestigieux puisque le Maccabi fut opposé aux Washington Bullets, champions en titre.
Pour récompenser son équipe, le propriétaire des Bullets, Abe Pollin, un juif, paya aux joueurs, à leurs épouses et au staff un voyage en Israël, le tout étant organisé par Alan Sherman, vice-président de Maccabi USA. Les Bullets ont fait beaucoup de tourisme. Ils ont visité la Vieille Ville de Jérusalem, rencontré le président israélien, Yitzhak Navon, et assisté à une réception spéciale à l'ambassade américaine. Le match contre le Maccabi n'était pas leur priorité. D’ailleurs, les Américains n'avaient pas eu une seule séance d'entraînement entre le dernier match de la finale contre les Seattle Supersonics et leur arrivée en Israël, tandis que le Maccabi avait commencé à s'entraîner deux semaines auparavant. Pourtant, leur entraîneur, Dick Motta, en regardant la veille l'entraînement du Maccabi déclara que ce serait pour son équipe une simple formalité. Il n’effectua pas davantage de scouting et c’est l'entraîneur du Maccabi, Ralph Klein, qui le mit au parfum de la différence entre les règles de la NBA et de la FIBA.
La Yad Eliyahu Arena de Tel-Aviv était bondée de 10 000 fans pour cet évènement incroyable pour l’époque. Pas en forme et peu motivés, les Bullets furent également surpris par la défense de zone du Maccabi, illégale en NBA, et prirent tout de suite un retard qu’ils ne rattrapèrent jamais complètement pour s’incliner 98-97. Un crime de lèse-majesté. Au Maccabi, Miki Berkovich (26 points), Aulcie Perry (17) et Jim Boatwright (16) furent les meilleurs marqueurs. Le premier avait été formé à l’université de UNLV, les deux autres étaient des Américains naturalisés israéliens. Aux Bullets ce furent Kevin Grevey (33) et Mitch Kupchak (21 points et 11 rebonds) qui s’illustrèrent le plus. Chacun convint que tout ça ne reflétait pas la réalité du niveau entre les deux équipes… mais c’est bien par une défaite que les équipes NBA ont démarré l’histoire des confrontations avec les équipes internationales.
Un an plus tard, les Washington Bullets se rendirent cette fois en Chine et s’imposèrent à Pékin aux Bayi Rockets, 96-82.
Photo d'ouverture : Micheal Ray Richardson