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Rediff - Monaco, les dessous de la médiatisation d’un club au potentiel illimité (accès gratuit)

Portée par ses stars et son rayonnement à l’international, l’AS Monaco a ramené cette année le basket français à un niveau jamais atteint sur la scène européenne depuis plus de deux décennies. Un succès sportif fabuleux qui ne doit pas faire oublier que le club a encore beaucoup à faire pour séduire.

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Vingt-six ans après Villeurbanne, trente ans après l'exploit de Limoges, l’AS Monaco a réussi la prouesse de ramener le basket français au Final Four de l’Euroleague. Une belle aventure mettant définitivement un terme à la longue traversée du désert liée à la baisse de compétitivité des équipes françaises du début des années 2000 jusqu’au retour de l’ASVEL en Euroleague en 2019, et donc à la percée princière. « On a vécu bien trop d’années de vaches maigres pour négliger les excellents résultats de Monaco, voire les coups villeurbannais de ces trois dernières années. C’est une petite renaissance des clubs français en Euroleague qui fait plaisir à tous », explique Arnaud Lecomte, journaliste basket du journal L’Equipe depuis 1992.

Et c’est tout un écosystème qui pourrait profiter au basket français si la Roca Team parvient à aller encore plus loin. Pour le moment, l’impact de sa médiatisation reste incomparable avec l’épopée du CSP en 1993 sur la scène française. « Le titre européen de Limoges avait largement dépassé le cadre du basket et était devenu un événement national pendant quelques jours. Cela a eu un vrai impact. On n’en est pas encore là pour Monaco », poursuit Arnaud Lecomte, qui souligne que le format actuel de l’Euroleague, introduit en 2016, avec des saisons régulières à rallonge, n’aide pas à une explosion de l’intérêt auprès du grand public sportif français. « Monaco, ce n’est pas l’ASVEL dans l’esprit du grand public. On voit que le club n’est pas encore totalement rentré dans le logiciel. La Roca Team intéresse moins de monde à l’échelle franco-française, mais ça s’explique. Le club est tout nouveau, il n’est pas encore entré dans le patrimoine du sport français. Et il a même une possibilité d’être champion d’Europe avant d’être champion de France, ce qui serait une première à l’échelle européenne », ajoute le spécialiste.

Des retombées exponentielles à l'international

Les dirigeants monégasques en sont eux-mêmes conscients. « L’Equipe dit de nous que nous sommes un nourrisson qui marche à la vitesse d’un ado, cela résume très bien ce que nous sommes », estime Geneviève Berti, directrice de la communication du gouvernement princier et membre du conseil d’administration de la Roca Team. Cette ancienne basketteuse, fille d’Edgar Berti, joueur de l’AS Monaco dans les années 1970, sait que son club de coeur a encore à prouver pour s’implanter comme un poids lourd du basket français.

Les dirigeants monégasques, Geneviève Berti troisième en partant de la droite © Manuel Vitali / AS Monaco

Pour autant, le club de la Principauté rayonne à l’international. Nielsen Sports, cabinet indépendant qui mesure chaque année l’impact des clubs d’Euroleague à la fois dans la compétition reine européenne et dans le championnat domestique, a montré dans son étude de la saison 2021-2022 que Monaco était le cinquième club d’Euroleague en termes d’audience sur tous les marchés confondus, et la troisième équipe la plus regardée en deuxième choix après l’équipe locale. « En Europe, et un peu en Asie, c’est incroyable. On a littéralement explosé, cela va bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer. Les retombées sont exponentielles », note la membre du conseil d’administration de la Roca Team. « Ce sont des chiffres très prometteurs mais on ne va pas non plus claironner, on garde les pieds sur terre. On reste un bébé face à des mastodontes à l’échelle européenne. Si on prend l’exemple de notre adversaire en quart de finale d’Euroleague, le Maccabi Tel-Aviv, leur audience est démentielle. Cela demande du temps pour arriver à hauteur de nos concurrents, y compris en termes structurels. On est encore loin des grosses écuries qui nous entourent, qui ont une tradition et un palmarès qui font trois fois la taille de notre chaussure. »

« Comme ce que vise Paris ou l’ASVEL à terme, Monaco a une vraie vision internationale. Pour l’instant, je crois que le club s’en contente. Les autres clubs du championnat de France n’ont cette vision-là. Par exemple, Cholet a un vrai tissu local et régional, au-delà de la ville, d’Angers à Nantes notamment, mais je ne crois pas que le club vise à être connu à Athènes ou à Istanbul » - Arnaud Lecomte (L'Equipe)

« Nous avons déjà montré que nous pouvons ajouter de la valeur à l’Euroleague. Même si nous n’en sommes qu’aux prémices de notre processus de développement, le potentiel est illimité. Ce n’est pas un petit marché, c’est un énorme marché qui est attiré par Monaco, par sa singularité et son luxe », ajoute le manager général du club, Oleksiy Yefimov. Reste désormais à l’ASM d’obtenir une licence permanente en Euroleague afin de pérenniser le projet. « Obtenir une licence A est un objectif prioritaire. Quel est l’intérêt de faire tout ça si c’est pour le faire deux ans ? », questionne Geneviève Berti. « Si vous voulez faire partie de l’Euroleague, vous avez des droits et des devoirs. Si vous remplissez vos devoirs, alors vous faites partie du cercle. Avec les moyens que l’on met, le succès sportif que l’on a et la position que l’on a pris, je pense que l’Euroleague comprend notre vision et apprécie notre philosophie. C’est du win-win », analyse la directrice de la communication du gouvernement princier, ravie des excellents rapports entretenus avec l’organisation européenne, et qui voit aussi en ce développement une opportunité supplémentaire pour la Principauté d’élargir son influence. Le soft power.

Monaco, vainqueur de la Coupe de France 2023 © FFBB

« Le sport permet parfois d’ouvrir des portes que la politique n’ouvre pas », résume-t-elle, alors que la Roca Team est aujourd’hui le quatrième événement sportif pour lequel on connait Monaco, derrière le Grand Prix de Formule 1, le tournoi de tennis et l’équipe de football : « On est encore en-dessous, on est le benjamin de la classe. Mais ce ne sont pas des locomotives qui nous empêchent d’avancer, au contraire, c’est plutôt moteur. L’un n’est jamais au détriment de l’autre ». Ne négligeons pas l’histoire, cela n’a rien d’anormal : le tournoi de tennis de Monte-Carlo existe depuis 1897, le Grand Prix de Formule 1 depuis 1929, la section football de l’AS Monaco a été championne de France à toutes les décennies depuis les années 1960, et même vice-championne d’Europe en 2004. À titre de comparaison, l’équipe de basket a bien connu plusieurs moments de gloire, notamment dans les années 1970-80, mais aucun titre majeur durant la période, seulement une finale de Coupe nationale en 1983 - sous l’appellation Coupe de la Fédération - avant trois Leaders Cup (2016, 2017, 2018), une Eurocup (2021) et enfin les deux premier titre majeurs sur la scène hexagonale, la Coupe de France, acquise ce 22 avril 2023, suivie de la Betclic Elite, en juin dernier.

550 000 personnes devant le match 4 contre l’Olympiakos l’an dernier

Ce boom à international se répercute à moindre échelle en France. Il faut souligner que, toujours selon Nielsen Sports, dans son étude de 2021, l’intérêt des Français pour l’Euroleague a augmenté de 60 % depuis 2018 - ce qui coïncide surtout avec le retour de l’ASVEL - et que cette progression, qui sera mesurée à nouveau dans le prochain rapport, devrait encore tendre dans le positif. En attestent les 350 000 personnes en moyenne devant La Chaîne L’Equipe lors du match 4 en quarts de finale d’Euroleague entre Monaco et l’Olympiakos le 29 avril 2022, et même un pic à 550 000 personnes. Les audiences du Final Four ainsi que de la série de quarts de finale contre le Maccabi devraient tendre vers ces chiffres. « Ce qui a fait beaucoup dans leur médiatisation, c’est cette série de playoffs contre l'Olympiakos retransmise en clair, expose Yann Casseville, rédacteur-en-chef de Basket Le Mag. En France, ça faisait longtemps qu’on n’avait pas autant suivi une série de playoffs d’Euroleague tout simplement parce que les clubs français en étaient exclus ces dernières années. Je crois qu’on n’avait pas vu ça depuis Antenne 2 dans les années 1990 (qui rassemblait régulièrement 2 millions de téléspectateurs le samedi après-midi). Au-delà de leurs performances, Monaco s’est placé au centre de l’attention médiatique. Le club a aussi besoin de la médiatisation pour continuer à se faire un nom, se faire accepter et obtenir cette licence A en Euroleague. C’est important pour eux de montrer ce qu’ils peuvent apporter au basket européen, et notamment au niveau de la médiatisation, via Skweek. Ils cherchent aussi à progresser sur leur image. »

Cette saison, la mise en valeur du gratin européen se poursuit sur Skweek, entreprise monégasque créée à l’été 2022 par Fedcom Media, dont le patron est aussi le propriétaire de la Roca Team Aleksej Fedoricsev, et ayant récupéré les droits de diffusion de l’Euroleague jusqu’en 2026. Un « axe de développement supplémentaire et utile pour la visibilité du basket », selon Geneviève Berti. La société privée, dont le traitement éditorial est « du jamais vu » selon le commentateur phare de la chaîne David Cozette, collabore d’ailleurs avec La Chaîne L’Equipe pour une co-diffusion de 30 matches d’Euroleague par saison en clair. Et qui va récupérer les droits TV de la Betclic Elite pour les sept prochaines années. « En France, on reste limités par l’absence de diffuseur mais on a énormément progressé sur les réseaux sociaux (plus forte progression en France en 2021-22, +24,9 %, devant Paris, +19,4 %, et l’ASVEL, +12,0 %), avec un fort engagement de la communauté. L’arrivée de Mike James a été l’élément déclencheur, celle d’Elie Okobo a maintenu la tendance à l’échelle française », ajoute la membre du conseil d’administration de la Roca Team. « Le fait que Monaco investisse sur des superstars du basket européen aide au développement médiatique du basket en France. Et plus largement sur la position, la crédibilité de la France en Europe », complète Cyril Méjane, directeur éditorial de Skweek, satisfait de la première année de lancement au regard de sa création récente.

https://www.basketeurope.com/livenews-fr/663692/itw-cyril-mejane-directeur-editorial-de-skweek-on-avance-etape-par-etape/


Coup de projecteur sur le basket français dans la presse écrite

La présence de deux clubs français en Euroleague, et de Monaco en playoffs, est aussi un booster pour la rubrique basket de L’Equipe, qui bénéficie par ailleurs du nouveau format de la compétition reine européenne depuis 2016 avec 34 matches de saison régulière contre 14 auparavant. « Comme nombre de médias de basket en France, la rubrique basket de L’Equipe a morflé pendant une bonne quinzaine d’années. On a eu quelques coups dans les coupes d’Europe secondaires mais rien ne remplace l’Euroleague pour L’Equipe », considère Arnaud Lecomte, enthousiasmé de pouvoir redonner de la visibilité à la balle orange en milieu de semaine, où sont concentrés les moyens humains du quotidien sportif numéro un en France. « À partir du moment où on traite le feuilleton chaque semaine, on a plus de sujets consacrés au basket français, dans le journal comme sur le web, c’est mécanique. »

Le constat est identique dans la presse locale, alors que l’ASM partait de très loin. « Quand ils (Monaco) sont montés en Pro A (2014-2015), ils avaient à peine un site web, pas de réseaux sociaux : ils sortaient de nulle part en fait », expose François Paturle, journaliste à Nice-Matin depuis 1992, qui a débuté à Antibes et qui est revenu vers le basket il y a une dizaine d’années, après un intermède pour suivre l’OGC Nice. « Dès la montée en Pro A, on a pratiquement consacré une page entière à chaque match à domicile de la Roca Team. Aujourd’hui, le club a une belle exposition, quasiment au niveau d’un club de foot. On peut monter jusqu’à 90 matches par saison, ce qui est démentiel, et bien plus que l’OGC Nice (club historique majeur de la zone d’édition). Grâce à l’Euroleague, le club est entré dans une autre dimension et l’exposition a quasiment doublé ».

La Une de Monaco-Matin, le 23 avril 2023, au lendemain du titre de Coupe de France.

On retrouve un phénomène comparable dans la presse spécialisée, comme l’explique le rédacteur-en-chef de Basket Le Mag, Yann Casseville : « L’ASVEL et Monaco en Euroleague, ça a permis de rassembler tout le monde, de dire qu’on est représentés en Europe et en plus qu’on peut avoir des résultats. On a senti qu’il se passait quelque chose à ce moment-là. Quand l’AS Monaco est passée de la Nationale 2 à la Pro B, ça restait un sujet de spécialiste. On sentait que quelque chose se construisait mais ça restait très loin du grand public. Il y avait aussi le côté propriétaire ukrainien - GM ukrainien qui n’aidait pas clairement à identifier le projet. Il n’y a pas eu de médiatisation folle. Le vrai changement, c’est quand ils montent en Pro A. D’un seul coup, on a commencé à se poser la question : « jusqu’où ils peuvent aller ? » Ils ont fait venir des joueurs très identifiés dans le championnat de France comme Amara Sy et Jamal Shuler. C’était une stratégie assez discrète parce que le président Dyadechko ne donnait pas d’interview, parce le GM Oleksiy Yefimov ne cherchait pas à se mettre en avant. Je pense que Monaco cherchait d’abord à se faire accepter des autres clubs français avant d’exposer sa stratégie. S’il n’y a pas eu de médiatisation folle au début, c’est que le club ne l’a pas vraiment recherchée. »

En ce qui concerne L’Equipe, la mise en valeur de l’Euroleague, sans être liée à l’impact de La Chaîne L’Equipe comme diffuseur, n’a en revanche pas pas eu de réel effet d’entraînement en Betclic Elite. « Ou pas forcément toujours à la hauteur de mes attentes », répond Arnaud Lecomte. « On a eu un petit coup de mou au niveau du traitement du championnat de France il y a trois-quatre ans parce qu’on tournait un peu en rond. Il y a eu un regain d’intérêt pour le basket mais ce n’est pas seulement lié à Monaco, c’est aussi grâce à l’ASVEL, au nouveau projet parisien et bien sûr à l’effet Wembanyama, qui pèse très lourd. Aucun joueur français n'a jamais autant intéressé le grand public sportif depuis que je suis à L’Equipe... ».


Si la Roca Team gagne de la place dans la sphère médiatique, elle a encore un public à conquérir. À commencer par le sien, à Gaston-Médecin, une salle historique – Team USA y avait disputé un match d’entraînement mythique avant les Jeux Olympiques 1992 de Barcelone – dont la capacité a été portée l’été dernier à 5 000 places après un chantier express. Son taux de remplissage était de 54 % sur la première partie de saison 2022-2023 de Betclic Elite, soit 2 443 spectateurs en moyenne (plus faible de la ligue malgré sa position de leader) contre 86 % sur l’ensemble de la saison d’Euroleague, soit 4 299 spectateurs en moyenne.

Doit-on considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein ? « Aux yeux des suiveurs du basket français, l’AS Monaco reste un club qui a augmenté la capacité de sa salle mais qui ne la remplit pas encore. Il y a de l’engouement, une communauté de fans s’est créée, c’est vrai, mais on ne peut pas aller à l’encontre des chiffres : Monaco ne remplit pas encore sa salle. C’est un frein », considère Yann Casseville, rédacteur-en-chef de Basket Le Mag. « Ça joue sur le côté négatif de leur image. L’engouement populaire reste limité. Le fan a tendance à voir d’abord le côté équipe construite à coups de millions d’euros, ce qui est aussi une réalité, et le fait d’avoir un propriétaire étranger. Proportionnellement, l’équipe est aussi brillante que la ferveur en termes de quantité est faible. Pour le moment, je pense que c’est le plus grand delta en Europe. »

« Le public est tellement servi en caviar la semaine en Euroleague que l’on peut comprendre qu’il y ait moins de monde le dimanche en Betclic Elite », note par ailleurs le journaliste de L’Equipe, Arnaud Lecomte. Malgré tout, la progression reste remarquable au regard du passé récent du club. « On n’est pas à Belgrade ou à Athènes mais quand on se souvient des matches à 200 personnes dans une salle non rénovée en 2015, c’est le jour et la nuit », accorde François Paturle, de Nice-Matin. « Cette saison, et c’est la première année que je le constate : il n’y a pas mieux sur la Côte d’Azur, tous sports confondus, au niveau de la qualité du spectacle. La Roca Team, c’est showtime, ça envoie », ajoute-t-il.

« C’est une ferveur différente de Limoges ou de Pau mais il n’y a pas à rougir par rapport aux ambiances parisiennes »

Au-delà du Prince, LA personnalité la plus importante en Principauté, il n’est pas rare de croiser Novak Djokovic, Charles Leclerc, Alexander Zverev ou David Trézéguet en tribunes, et pourquoi pas bientôt LeBron James, venu deux fois sur le Rocher l’an dernier. La plupart de ces célébrités ont des atomes crochus avec d’autres stars, celles du terrain, comme Mike James qui avait fait venir Kevin Durant lors des playoffs 2022. « Évidemment, on est toujours flattés de voir que des personnalités qui représentent le meilleur de leur monde nous choisissent », reprend Geneviève Berti, membre du conseil d’administration de la Roca Team, qui pose aussi un paradoxe. « Ces personnalités de renommée internationale, qui résident à Monaco ou y séjournent pour des vacances, viennent à Gaston-Médecin en toute discrétion. Ils jouissent d’une tranquillité qu’ils n’ont pas ailleurs ». Même si… « il y aura toujours des gens qui viendront explicitement pour voir un Novak Djokovic ou un Charles Leclerc », comme l’explique le directeur éditorial de Skweek, Cyril Méjane. « C’est un public qui veut des stars et qui a des stars ».

Novak Djokovic

S’il n’y a pas d’ultras tels qu’on les connait en Europe, force est de constater qu’il y a de plus en plus d’ambiance à Gaston-Médecin. « C’est une ferveur différente de Limoges ou de Pau, bien sûr, mais il n’y a pas à rougir par rapport aux ambiances parisiennes par exemple », estime Cyril Méjane. « On dit souvent qu’il n’y a pas beaucoup de monde en tribunes à Monaco, comme au foot. Mais, à chaque fois que j’y vais, on est loin du cliché qu’il n’y a pas d’ambiance. Le speaker est très bon, il y a de l’entertainement avec les Roca Girls, le public est à fond derrière son équipe ». Arnaud Lecomte partage cet avis. « Quand le club a commencé à affirmer ses ambitions européennes, on était tous dubitatifs sur leur capacité à gagner l’Eurocup aussi vite, d’arriver en Euroleague puis de s’y maintenir avec une salle de cette dimension-là. On ne l’aurait jamais imaginé. Les gens de Limoges diront que ce n’est pas une ambiance populaire mais, honnêtement, je suis agréablement surpris par l’ambiance qu’il y a en Euroleague, du moins sur les matches que j’ai pu voir. Monaco a quand même réussi à créer un engouement autour de cette équipe malgré son peu d’histoire récente. »

Il faut se rappeler que Monaco est un territoire minuscule, avec une population très cosmopolite de moins de 40 000 habitants. C’est moins qu’à Cholet, Chalon-Sur-Saône ou Bourg-en-Bresse. Et ce avec une population pour laquelle « voir un match ne basket ne doit pas être une priorité comme dans les villes moyennes où c’est parfois l’événement du weekend », nous indique l’un des journalistes interrogés, tandis que 60 % des spectateurs qui viennent à Gaston-Médecin vivent à Monaco ou dans le tout petit bassin alentour. Le reste étant brassé à l’ouest jusqu’à la région antiboise, à moins d’une heure de route, à l’ouest et à l’est jusqu’à l’Italie. « Il y a eu un élargissement du candidat-spectateur au fil des années. En Euroleague, Monaco est régulièrement obligé de refuser du monde », indique François Paturle. « Il y a une tradition du bon basket dans notre région géographique : ils y a eu les Sharks d’Antibes, le Cavigal Nice, et nous aujourd’hui. Il y a le potentiel pour accroître le potentiel de spectateurs », ajoute Geneviève Berti.

Le projet de nouvelle Arena
Où en est le projet de nouvelle Arena à Monaco ? « On y réfléchit, c’est le sens de l’étude qu’on est en train de mener. Ce qui est sûr, c’est que si on construit une salle, on la construira à Monaco, pas ailleurs. En revanche, on ne pourra pas faire des miracles au vu de la densité du territoire. Le calendrier sera forcément contraint car il faudra détruire un endroit où on choisira de construire. Ça prendra forcément plus de temps que si on achetait un bout de terrain quelque part et qu’on construisait une salle à zéro », précise Geneviève Berti, la directrice de la communication du gouvernement princier, sans donner de délai. Le club va tenter entre temps d’augmenter son budget avec davantage de revenus issus du sponsoring et au niveau administratif. Et l’argent supplémentaire n’ira pas dans les contrats des joueurs la saison prochaine.

« Nous sommes un club monégasque qui représente fièrement le basket français »

On peut aussi mesurer l’impact de la Roca Team par l’audience de LNB TV depuis le début de la saison – 14 000 spectateurs en moyenne, deuxième score derrière… les Metropolitans 92 de Wemby et ses 15 100 viewers lors du premier rapport de la LNB en novembre dernier – mais aussi par l’affluence… à l’extérieur. « Partout où on va, les salles sont pleines contre nous. J’ai le sentiment que nous avons gagné le respect populaire en France », poursuit Geneviève Berti, qui estime que l’ASM est un club monégasque qui représente fièrement le basket français. « Le milieu français du basket est composé de puristes. Ce sont des gens qui aiment le basket et ils ont toujours cette honnêteté de reconnaître quand le basket est bien pratiqué. Tout le monde nous reconnait ça. Mais, comme en Euroleague, on reste un bébé qui doit grandir structurellement. On gagne le respect sur le terrain mais sur le plan administratif, culturel et institutionnel, il faut encore travailler la confiance. »

Cela dit, ces signes ne garantissent pas forcément d’une cote de popularité, qui est aujourd’hui difficile à chiffrer. « Pour l’instant, l’AS Monaco n’est pas un club qui a emporté avec lui l’amour du public sportif français même s’il existe un intérêt », analyse Arnaud Lecomte. « Je pense qu’il y a une partie visible où il n’y a pas de rejet mais une force d’indifférence. On lit des commentaires qui fustigent le côté riche, un peu privilégié sur le plan fiscal, avec les conséquences que ça a eu au niveau politique/institutionnel ces dernières semaines (l’instauration d’une luxury tax). Mais je suis persuadé qu’il existe aussi une partie invisible qui n’est pas mécontente d’avoir un club avec un ADN français, qui a malgré tout une identité française autour d’Elie Okobo, avec de grands noms et avec des dirigeants certes étrangers mais qui se positionnent pour développer l’identité française du club – c’est en cela qu’ils sont allés chercher Elie Okobo, Matthew Strazel, Yoan Makoundou et même Adrien Moerman, même si ça s’est mal terminé pour lui. Il y a quand même un petit attrait de voir ce club rivaliser avec les grands d’Europe et une forme de respect et d’admiration par rapport au chemin parcouru, qui est quand même prodigieux. On parle d’un club en position de se qualifier pour le Final Four alors que ça fait 26 ans qu’on attend ça. »

Continuer à développer l’identité française

Que cela plaise ou non, la locomotive monégasque est bien lancée, en route pour faire grandir le basket français. Et où s’arrêtera-t-elle ? « Aujourd’hui, la Roca Team est en quart de finale de l’Euroleague et je crois que tout le monde se sent concerné, même si ça reste Monaco et que ce n’est pas la France. Ce club est arrivé à un tel niveau que, si on est un vrai amateur de basket français, on s’y intéresse. Je crois que même ceux qui étaient réticents au début ont aujourd’hui envie de voir ça. Si Monaco arrive à s’implanter définitivement en Euroleague, cet intérêt ne pourra pas décroitre », résume Yann Casseville.

Elie Okobo, entouré de Yoan Makoundou et Yakuba Ouattara © Euroleague

Monaco tente désormais de rattraper son retard sur l’ASVEL, qui a bâti sa réputation de French Team. En continuant à aller chercher d’autres stars françaises, nul doute que l’intérêt continuera de grandir. Les internationaux Terry Tarpey et Mam Jaiteh vont investir le Rocher cet été. L’été dernier, on sait que Nando De Colo, Amath M’Baye, Adam Mokoka, Fabien Causeur, Isaïa Cordinier, Louis Labeyrie ou encore Olivier Sarr avaient tous été pistés, avec plus ou moins d’insistance. Pour Cyril Méjane, directeur éditorial de Skweek, l’AS Monaco est un peu le Paris Saint-Germain du basket, et ce n’est pas une mauvaise nouvelle : « Au football, on voit que c’est important d’avoir un club comme le PSG qui tire les autres vers le haut. Pour exister en Euroleague, il faut de l’argent, c’est juste la vérité. Que ce soit Monaco, l’ASVEL, Paris ou d’autres clubs en France, ne négligeons pas les investisseurs, du moment qu’ils sont crédibles… Il ne faut pas être jaloux de ça : le basket a besoin de se développer et, pour avoir les meilleurs joueurs en France, que les meilleurs joueurs français restent en France, il faut plus d’argent. »

Paris en Euroleague, le prochain virage dans la médiatisation du basket français ?

À l’instar de Monaco et de l’ASVEL, un seul club français est régulièrement cité par l’Euroleague dans le but d’une future expansion : le Paris Basketball. Pour l’ensemble des journalistes interrogés, la présence d’un club dans la capitale est… capitale pour la médiatisation du basket français. « C’est une obligation qu’un club parisien soit en Euroleague », soutient Cyril Méjane. Fondé en 2018 et porté par l’ambition de l’Américain David Kahn, le futur locataire de l’Arena Porte de la Chapelle avance à une vitesse éclair. Après avoir connu sa deuxième saison en première division et sa première campagne européenne (défaite en quart de finale d’Eurocup contre Gran Canaria, qui disputera mercredi soir la finale à domicile), le club se structure sereinement. « On peut penser ce qu’on veut du club du Paris Basketball. Mais force est de constater que rien qu’avec le nom Paris et la promesse d’un show, ils ont déjà fait trois fois 10 000 spectateurs ou plus cette saison, avec des délocalisations à Bercy et à Roland-Garros. Ça prouve bien le potentiel complètement fou que peut avoir un club dans la capitale », considère par ailleurs Yann Casseville, de Basket Le Mag.

« Le modèle de Monaco avec des stars, c’est ce qu’il faut aussi à Paris. Ce n’est pas avec des no names que le club remplira l’Arena de la Porte de la Chapelle » – Arnaud Lecomte (L’Equipe)

Si le potentiel de Monaco est « illimité », celui de Paris l’est tout autant. Ce n’est pas pour rien que la NBA a choisi la capitale pour la délocalisation de ses dernières affiches en Europe et que l’Euroleague vise, à l’exception du cas particulier de l’Italie, Londres et Paris, les deux dernières capitales européennes à conquérir, pour étendre son marché. « La présence de Paris en Euroleague est évidemment souhaitable pour la médiatisation du basket français. À l’exception du buzz autour de Victor Wembanyama, la médiatisation la plus forte du championnat de France ces dernières saisons, c’est le titre de Nanterre en 2013. L’histoire du petit poucet était exceptionnelle mais c’était aussi dû au fait que tous les médias étaient à Paris. C’est une basique mais c’est une réalité », développe Yann Casseville. « Je suis persuadé qu’une chaîne de télévision sera intéressée par retransmettre Paris en Euroleague. C’est évident que ce serait un coup de boost énorme pour la médiatisation du basket. Et je n’invente rien, Charles Biétry (directeur des sports de Canal + de 1984 à 1998 puis président du PSG) le disait déjà dans la fin des années 1990 quand Paris était champion. C’était l’un des premiers à affirmer qu’il fallait un club dans la capitale pour que ça devienne quelque chose d’énorme. Il ne manquait que la salle. Maintenant que la salle va arriver en 2024, c’est peut-être un tournant très important pour la médiatisation à grande échelle du basket français. Il y a évidemment besoin des clubs des villes-moyennes mais on a aussi besoin de locomotives, et, comme Monaco, Paris peut en être une, simplement parce que c’est Paris ». Malgré des problématiques différentes, Monaco et Paris partagent le même combat : celui de s’implanter en Europe pour gagner le coeur des Français.


Photo d'ouverture : AS Monaco

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