Vendredi, un match de la saison régulière de NBA se tiendra à Paris-Bercy: Charlotte Hornets vs Milwaukee Bucks. Une grande première. Il y a trois décennies, en octobre 1991, la capitale française accueillait pour la première fois une équipe de la ligue américaine, les prestigieux Los Angeles Lakers de Magic Johnson dans le cadre de l’Open McDonald’s. Le Limoges CSP et la Joventut Badalona avaient été invités à leur donner la réplique. Un tournoi pour l’Histoire.
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Les témoins oculaires situés au ras du parquet sont formels et la vidéo corrobore leurs affirmations. C’est pourtant aux Lakers que l’arbitre américain, Ed Rush, donna la remise en jeu soulevant la colère légitime des Catalans. Une décision qui a peut-être fait basculer le sort du match car les Lakers, bousculés, fébriles, ne menaient que de 2 points. 2 points, c’est un avantage infime, surtout depuis l’invention du panier à trois-points. Cette balle valait des millions de dollars. Elle aurait pu donner la victoire à Badalone, et surtout lyncher un mythe, celui des Lakers de Magic Johnson, et ébranler la NBA qui fait de ce McDonald’s Open un formidable outil de promotion. L’onde de choc négative se serait propagée jusqu’en Chine et aurait terni une ligue symbole de la perfection et de l’invincibilité. Comment faire admettre alors que les Lakers, champions de la décennie 80, avaient été vaincus par la Montigala Joventut Badalona, une formation d’Espagne sans véritable titre de gloire en Europe et que les profanes ont même tendance à confondre avec son voisin et rival du FC Barcelone?
Cette dernière balle, les Lakers allaient la conserver précieusement entre leurs mains, jouant à la «passe à dix». Et voir Magic lever le bras au coup de trompe final était la meilleure preuve qu’ils étaient, tous, tout heureux de s’en sortir indemnes. Indemnes? Oui, au palmarès. Une équipe de la NBA n’a toujours pas été mis au tapis par une escouade étrangère. Mais il faut se rendre néanmoins à l’évidence: les Lakers, pas plus que les Nuggets ou les Knicks ne sont des extra-terrestres capables de raser les meilleures équipes européennes d’un simple battement de cil. Personne ne remet en cause leur suprématie planétaire, même après cette date historique du 19 octobre 91. La NBA est toujours la number one, un modèle irremplaçable. Il faut néanmoins, tout autant, mettre en exergue les formidables progrès du basket-ball européen, qui n’a plus à nourrir de complexes. «Si j’avais pu briser ce mythe, j’en serais heureux. Mais c’est déjà un résultat qui démontre que l’écart se rétrécit, que la qualité des joueurs européens augmente sans cesse et que nous avons un bel avenir», commenta l’international de la Joventut, Jordi Villacampa. « Avant, ce Tournoi Open était une simple exhibition. Je peux vous certifier que c’est devenu une véritable compétition», ajouta James Worthy… qui n’en était peut-être pas persuadé quelques heures auparavant.
MAGIC, LES LAKERS GIRLS, JABBAR, DOCTOR J…
Les 14 133 spectateurs de Paris-Bercy (record absolu en France) avaient été d’entrée conditionnés et placés sous le charme. La NBA avait mis en branle son incomparable logistique. Le POPB, c’était son chapiteau. Elle avait poussé son professionnalisme -sa démesure?- jusqu’à emmener dans ses bagages son propre parquet, qu’elle allait d’ailleurs revendre à la ville du Touquet pour 60 000 dollars.
Le public avait pu apprécier ses multiples attractions: les Dare Devils et leurs bonds sur trampoline, Tanya Crevier, une petite bonne femme qui jongle avec les ballons avec une maestria incomparable. Pour cette 5ème édition de l’Open McDonald, la NBA avait même tiré un véritable feu d’artifice à Paris. Elle avait exporté pour la première fois en Europe deux de ses mascottes, deux des plus célèbres, «Le Gorille» des Phoenix Suns et «Le Frelon» des Charlotte Hornets, et surtout les Lakers Girls, qui firent frétiller de plaisir le public – les joueurs et les journalistes…- français. Dans les gradins, on avait pu croiser les silhouettes de Mike Fratello, Stu Jackson, Jack Ramsay, et surtout de trois monstres sacrés de l’Histoire de la ligue: Jerry West, le General Manager des Lakers, Julius Erving, le «Doctor J», qui fut un Michael Jordan avant même Michael Jordan, et Kareem Abdul-Jabbar, aussi discret que le peuvent lui permettre ses 2.18m, une autre légende vivante, venu encourager ses Lakers et revoir une ville qu’il apprécie tant.
Tout était parfaitement ordonnancé. On avait simplement regretté que le prix des places ainsi que le nombre considérable de billets réservés à des sponsors, aient laissé à la rue la majorité de ces jeunes ados français devenus, depuis quelques mois, complètement dingues (on dit crazy?) du basket américain et qui avaient réservé un triomphe romain à Charles Barkley, David Robinson et Scottie Pippen il y a un mois. C’était chaud, mais moins brûlant, moins délirant, que lors de la soirée Nike. On avait également hurlé de dépit en constatant le peu d’écho réservé à cet événement sans précédent dans plusieurs quotidiens nationaux (pas une ligne dans Libération du vendredi et du samedi !) qui ovalisaient sur des pages entières. Décidément, le décalage est considérable entre la nouvelle génération avide de friandises américaines et certaines Rédactions conservatrices.
Les premiers à rêver éveillés en voyant Magic pénétrer dans la salle à la tête de ses troupes, ce furent nos Limougeauds qui savourèrent goutte à goutte cet honneur, ce bonheur qu’ils feront partager un jour à leurs petits-enfants. « On était tout excité de les rencontrer. Ce sont nos idoles. Nous, Limougeauds, on a eu la chance de réaliser ce rêve. Beaucoup de joueurs, des dinosaures, qui ont fait une carrière importante en Europe, n’ont jamais eu cette chance», avait lâché, encore ému, Stéphane Ostrowski, heureux comme un gosse de se faire photographier avec Magic.
Des souvenirs, ils en ont accumulé pour toute une vie nos Français. N’est-ce pas Frédéric Forté, qui piqua une balle à ce même Magic ? N’est-ce pas Richard Dacoury, qui jumpa plus haut que jamais, contrant Campbell, pénétrant dans la défense des jaunes, scorant à trois points, le tout en une demi minute ? N’est-ce pas Olivier Veyrat, qui s’était fendu d’un costard et d’une cravate pour l’occasion ? N’est-ce pas Franck Mériguet, qui passa 8 minutes et 34 secondes sur le parquet et mis son petit panier, le plus important des 18 premières années de sa vie ?
Les Limougeauds nous avaient fait plaisir. Ils s’étaient bien battus. A l’image d’un Michael Brooks, qui fit l’accolade à Magic lors du premier entre-deux, et qui rappela aux observateurs de la NBA, qu’il fut, il y a bientôt dix ans, l’égal de ces gens-là au cas où ils l’auraient oublié. Dommage que Kelly Tripucka, cloué au lit par une mauvaise grippe, ait dû remettre ses premiers dribbles sous la bannière verte au lendemain, et tout aussi regrettable que le pigiste du CSP, Tony Costner, ait été franchement médiocre, car sinon la fête aurait été complète.
Les Limougeauds auront tenu tête une petite mi-temps, avant qu’un pressing infernal des guards des Lakers leur fasse perdre les pédales. L’écart monta, monta… Et puis, comme on s’y attendait, Mike Dunleavy, envoya au front l’ensemble de ses rookies, de Farmer à Calip en passant par Owens, ce qui figea la différence finale à une hauteur acceptable (-31). C’était bien, sympa, même si la fantaisie latine ne s’accomode pas toujours de la rigidité anglo-saxonne. On aurait aimé, par exemple, que le coach accède à la demande du public, qui réclama en vain «Magic… Magic…, » durant le dernier quart-temps. Trop soucieux de respecter son planning en testant ses jeunes joueurs, Mike Dunleavy ne broncha pas et Magic demeura sur le banc, se contentant, très humblement, de se lever et de remercier ses admirateurs.
… BADALONE, VILLACAMPA, LE BASKET EUROPEEN
Bercé par le gigantisme de l’organisation made-in-NBA et par ses joueurs mythiques, on n’avait pas du tout prévu ce qui allait se passer lors de la seconde soirée. On craignait même que Badalone souffre terriblement de l’absence de Ferran Martinez, et de la -supposée- petite forme de Carlos Ruf et Juan Antonio Morales, qui relevaient de blessures. Les Espagnols s’étaient débarrassés aisément de Split, mais d’un Split décapité par la guerre civile, où, seul du cinq majeur champion d’Europe, Velimir Perasovic était encore sur le pont, et qui avait dû engager à la hâte deux mercenaires US (Andre Goode et Tim Dillon) et faire appel à trois Croates de Sibenik et Tuzla pour présenter un effectif décent. Pathétique… Surtout quand les joueurs, à la fin du match, déroulèrent une immense banderole où on pouvait lire ces mots: «Stop The War in Croatia». Le public, debout, ému, leur fit une ovation monstre.
Alors, comment expliquer l’inexplicable, que les Los Angeles Lakers n’aient pas avalé d’une seule bouchée ce met espagnol qu’on leur proposait. Essayons d’analyser:
1- L’argument qui revient à chaque McDonald’s Open: les Lakers étaient en phase de préparation. Ils avaient simplement joué deux matches (face aux Celtics) avant de débarquer à Paris. Ils ont une longue, une très longue saison devant eux, qui ne démarre que le 1er novembre, qui leur demande de doser leur dépense d’énergie. Seize joueurs s’étaient déplacés à Paris, et Mike Dunleavy avait comme mission de procéder à un tri afin d’en écarter quatre. Il est évident que les stars, à commencer par Magic, ne sont pas au top de leur forme en octobre, alors que Badalone avait déjà trouvé son rythme de croisière dans son championnat national.
2- Les règles du McDo ne sont pas tout à fait celles du championnat NBA. On peut y pratiquer la zone et la ligne à trois points est plus proche du panier (6.70m). Les Catalans ont abondamment profité de ce bonus: 10 sur 17, soit 59% de réussite, contre… 1 sur 11 aux Lakers! On se serait crû à Séoul, en 88, lors de la demi-finale USA-URSS.
Voilà pourtant qui n’est guère convaincant. Allons plus en profondeur.
3- La motivation. Les Lakers étaient les ambassadeurs de la NBA, conscients de leur rôle, de leur réputation, mais pour eux ce McDo n’a pas le prestige, l’importance, d’un match de playoffs. Très loin même… Il faut savoir, par exemple, qu’ils ont été énormément sollicités durant ce séjour parisien, par les médias, leurs sponsors, leurs œuvres humanitaires. Ils ont multiplié les interviews, se sont rendus à Villejuif, et le midi même du match Magic a dû serrer 300 mains lors d’un déjeuner organisé sur une péniche.
Les équipes européennes ne sont pas sur la même longueur d’onde lors d’un McDonald. Elles jouent sur la FM. Ce Tournoi est pour elles une occasion unique de se mesurer à la NBA et elles sont hyper concentrées et motivées. A commencer par leurs Américains, qui veulent prouver aux responsables de la ligue qu’ils ont eu tort de les délaisser. Corny Thompson, Harold Pressley et le naturalisé Michael Smith ont cumulé à eux trois 38,5% des points et 57% des rebonds de Badalone face aux Lakers. Preuve de leur rôle indispensable. Or, ils sont loin, très loin d’avoir l’envergure de leurs compatriotes aux maillots jaunes et violets. Magic, Worthy ou Perkins sont LA NBA alors que Thompson n’y a joué que 44 matches (Dallas en 83), Pressley davantage (4 ans aux Sacramento Kings) mais sans véritables éclats (9,0 pts et 4,5 rbds), alors que Smith n’y a jamais mis les baskets!
4- C’est aussi la valeur de ses joueurs espagnols qui a permis à Badalone de faire tourner en bourrique les Lakers, de leur faire perdre de leur superbe, au point de les rendre un brin agressifs (Byron Scott, à notre sens le meilleur du lot sur l’ensemble du tournoi, s’est bêtement énervé sur le pauvre Villacampa et hérita d’une «technique»). Ce sont des fondamentaux de plus en plus proches de la perfection… américaine, qui permet à un Rafael Jofresa de supporter la pression défensive d’un Magic ou d’un Threatt, à un Carlos Ruf (2,10m) d’envoyer des bombes à trois points, à un Jordi Villacampa de tenir Magic en défense tout en empilant davantage de points (23) que n’importe qui sur le terrain. Quel beau joueur que celui-ci…
Les Espagnols payèrent chèrement, en 84, le privilège d’affronter les Etats-Unis de Bobby Knight en finale des JO de Los Angeles: 65-96 ! Ce soir-là, leurs actions offensives s’étaient arrêtées plusieurs fois à hauteur de la ligne médiane. Un scénario identique à celui du 1er Open, en 1987 à Milwaukee, où l’URSS de Sarunas Marculionis avait craqué face à la pression physique et mentale des Bucks.
Nos voisins ont bien digéré cette claque mémorable. Leur organisation sportive, leur fierté ancestrale, leur a permis de tirer les leçons de cet échec. Ils ont bossé, durement. Les participations du Real Madrid (88) et du FC Barcelone (89 et 90) aux éditions suivantes du McDo ont été profitables à l’ensemble de leurs clubs. Ils ont démythifié les pros américains, à défaut de les démystifiés. Ils ont acquis une maîtrise technique et mentale qui se rapproche de plus en plus de celle des Yougos, et qui leur a permis de ronger un retard de 19 points face aux Lakers (!). Ils ont fait davantage de progrès sur les dix dernières années que lors du demi-siècle précédent et viennent de prouver que le basket-ball européen n’est pas un vulgaire «sous-produit» de la NBA.
«Magic… Magic…», criait le public de Bercy. Les flashes scintillaient de tous les coins des tribunes quand «Buck» (c’est le surnom que lui ont donné les joueurs des Lakers) tirait des lancers francs. Un hommage légitime au plus grand joueur des années 80. Magic est toujours magique. Les Lakers toujours les Lakers. La NBA toujours la NBA. James Worthy a raison quand il dit: «jouer deux fois par semaine, c’est facile… Le vrai test, c’est de jouer 4 nuits sur 5, 82 matches dans la saison plus les playoffs.» Ce à quoi Magic ajoutait: « c’est un programme complètement dément. Il est plus facile pour une équipe US de venir jouer en Europe que l’inverse.» Badalone serait toujours battu aujourd’hui par le Miami Heat ou les New Jersey Nets motivés (si, si…). Mais dans 2-5 ans, ça ne sera plus forcément le cas. Un jour un «Magic» sera européen. Et peut-être même français, si nous suivons la ligne de conduite espagnole ou yougoslave. En attendant, le basket-ball à prouvé, si besoin était, qu’il est un sport tout en nuances, qu’il n’y a pas d’un côté les «bons» et de l’autre les «mauvais».
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Les témoins oculaires situés au ras du parquet sont formels et la vidéo corrobore leurs affirmations. C’est pourtant aux Lakers que l’arbitre américain, Ed Rush, donna la remise en jeu soulevant la colère légitime des Catalans. Une décision qui a peut-être fait basculer le sort du match car les Lakers, bousculés, fébriles, ne menaient que de 2 points. 2 points, c’est un avantage infime, surtout depuis l’invention du panier à trois-points. Cette balle valait des millions de dollars. Elle aurait pu donner la victoire à Badalone, et surtout lyncher un mythe, celui des Lakers de Magic Johnson, et ébranler la NBA qui fait de ce McDonald’s Open un formidable outil de promotion. L’onde de choc négative se serait propagée jusqu’en Chine et aurait terni une ligue symbole de la perfection et de l’invincibilité. Comment faire admettre alors que les Lakers, champions de la décennie 80, avaient été vaincus par la Montigala Joventut de Badalona, une formation d’Espagne sans véritable titre de gloire en Europe et que les profanes ont même tendance à confondre avec son voisin et rival du FC Barcelone?
Cette dernière balle, les Lakers allaient la conserver précieusement entre leurs mains, jouant à la «passe à dix». Et voir Magic lever le bras au coup de trompe final était la meilleure preuve qu’ils étaient, tous, tout heureux de s’en sortir indemnes. Indemnes? Oui, au palmarès. Une équipe de la NBA n’a toujours pas été mis au tapis par une escouade étrangère. Mais il faut se rendre néanmoins à l’évidence: les Lakers, pas plus que les Nuggets ou les Knicks ne sont des extra-terrestres capables de raser les meilleures équipes européennes d’un simple battement de cil. Personne ne remet en cause leur suprématie planétaire, même après cette date historique du 19 octobre 91. La NBA est toujours la number one, un modèle irremplaçable. Il faut néanmoins, tout autant, mettre en exergue les formidables progrès du basket-ball européen, qui n’a plus à nourrir de complexes. «Si j’avais pu briser ce mythe, j’en serais heureux. Mais c’est déjà un résultat qui démontre que l’écart se rétrécit, que la qualité des joueurs européens augmente sans cesse et que nous avons un bel avenir», commenta l’international de la Joventut, Jordi Villacampa. « Avant, ce Tournoi Open était une simple exhibition. Je peux vous certifier que c’est devenu une véritable compétition», ajouta James Worthy… qui n’en était peut-être pas persuadé quelques heures auparavant.
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Article paru dans Maxi-Basket en novembre 1991
Demain: Magic Johnson et le SIDA