Pour ceux qui l’ont connu alors qu’il disposait de toute son intégrité physique, Arvidas Sabonis (2,20m, né en 1964) est le plus grand joueur européen de tous les temps. Et avec une hygiène de vie appropriée, le Lituanien aurait fait des ravages en NBA.
Cet article date de ses débuts aux Portland Trailblazers quand les Américains découvrirent ce phénomène de la race humaine.
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Populaire en Lituanie, Sabonis ? Les preuves sont multiples. Depuis des années déjà, la bouteille de vodka d’un litre a pris son nom. Le 3 mai dernier, jour de la naissance du troisième fils d’Arvidas à Portland, les trois grands quotidiens nationaux ont offert leur une à « Saboninkas ».
Sabas a été élu 5 fois (en 84, 85, 86, 94 et 95) sportif numéro 1 de l’année par le journal Sportas et, en 1990, il a été consacré rien moins que plus grand sportif du pays des 50 dernières années. « Sabonis a davantage apporté à la Lituanie que le Seimas (le parlement lituanien) et le gouvernement réunis », a déclaré en avril, à la télévision, Kazimieras Moticka, le vice-président du parlement en question.
Grâce à la popularité de Sabas, pivot rookie de NBA à 31 ans, un nouveau commerce prospère en Lituanie depuis le dernier hiver : les circuits touristiques organisés autour de Portland et des matches des Blazers. Les nouveaux riches Lituaniens ne regardent pas à la dépense (4 à 7 000 dollars la semaine, une fortune dans ce pays tout juste sorti des griffes de l’ours soviétique) pour aller admirer sur place le prodige national. Ce sont des veinards : en Lituanie, on se plaint de n’avoir vu que trois matches de Portland sur Baltijos TV, la chaîne privée qui a acheté les droits pour la diffusion des programmes de la NBA. La ligue américaine expédie à travers le monde le même package et les Blazers n’ont jamais été considérés comme un produit de grande consommation.
Arvidas Sabonis est un héros national. Les millions de dollars engrangés en Espagne puis grâce à son contrat signé avec Portland (12 millions de $ sur 5 ans) et enfin avec Nike en font également un homme très riche. Un géant. Dans tous les sens du terme. Sabas a acheté une villa à Malaga, une maison à Portland, des appartements pour ses beaux-parents à Vilnius et il est co-propriétaire d’une scierie. Il a également largement investi dans le basket lituanien. Durant l’hiver 1994, Zalgiris Kaunas, son club chéri, était au bord de la faillite. Arvidas a participé, à hauteur de 20%, au financement d’une nouvelle société dont les autres actionnaires sont deux hommes d’affaires, l’un de Moscou et l’autre des États-Unis, tous les deux d’origine lituanienne. Zalgiris est depuis en pleine forme. Il avait également créé, au cours de l’été 1992, une école de basket ouverte à plus de 400 enfants. Ce sont 3 millions de dollars supplémentaires que Sabas a l’intention d’apporter à cette école qui va bientôt avoir pour cadre un bâtiment moderne de trois étages.
La légende cultivée à l’époque soviétique veut que Sabonis soit un type secret, introverti, voir irascible. Mais ceux qui ont pu l’approcher et su obtenir sa confiance affirment que ce dingue de pêche a un extraordinaire sens de l’humour et surtout qu’il ne supporte pas l’injustice. Déjà, du temps où il jouait en Espagne, il avait acheté du matériel pour un club d’handicapés de Kaunas. Mais, au contraire de Sarunas Marciulionis ajoute-on, il déteste faire la publicité de ses œuvres caritatives.
Sublime, forcément sublime
Sabonis et les États-Unis : la success-story a débuté au retour du Championnat du monde de Cali, à la fin de 1982. L’URSS avait affronté plusieurs universités américaines avec en son centre son prodige de 17 ans. « J’estimais qu’il était le plus grand espoir que je n’avais jamais vu », rappelle Bob Knight, coach d’Indiana. « Il était plus costaud que Bill Walton. Un immense et rare talent ».
Très haut perché (2,20m) épais (125kg sur la bascule), d’une force mythologique, Sabonis est également « un artiste » pour reprendre le qualificatif de son coach d’alors en sélection d’URSS, Alexandre Gomelski. A vingt ans, il court comme un cabri, shoote de près comme de loin, et s’amuse à faire des passes dans le dos, en aveugle. « J’ai fait du foot. Et j’aimais aussi regarder des matches de foot, comme de tennis et de hockey. Mais tous mes meilleurs souvenirs de gosse sont de basket », disait Sabas récemment dans une interview à The Oregonian. « Avant d’être grand, j’ai joué à tous les postes et j’ai appris à faire de bonnes passes et même des passes audacieuses. Je n’ai rien appris d’autre que le basket. Aussi, aujourd’hui encore, le basket n’est pas seulement un job, c’est ma vie. C’est un amour. »
« S’il était entré en NBA à cette époque, il aurait eu la même carrière que Olajuwon ou Ewing ,» commente le Croate des Celtics, Dino Radja. Et, pourquoi pas même, ne serait-il pas devenu le meilleur joueur de tous les temps. Crise de lèse-majesté à l’égard de Michael Jordan ? Seuls ceux qui n’ont jamais vu le Lituanien dans son prime peuvent le croire. Arvidas Sabonis était sublime, forcément sublime.
A l’époque, Portland était en train de bâtir une solide équipe autour de Clyde Drexler. Mais il manquait une pièce hyperimportante dans le puzzle : le pivot. Le general manager Bucky Buckwalter insista auprès du proprio Larry Weinberg pour que les Blazers choisissent Sabonis en 24ème position de la draft 1986, même si la citoyenneté du pivot en question rendait sa venue dans l’Oregon on ne peut plus incertaine. « J’étais en Lituanie et j’ai reçu un magazine espagnol qui disait que j’étais n°24. Je ne savais pas exactement ce que cela voulait dire, être drafté. Je n’avais aucun sentiment de joie ou de bonheur, car c’était impossible, pour des raisons politiques, de jouer en NBA ».
De fait : des sénateurs, des membres du congrès et même deux secrétaires d’Etat prirent contact, à Moscou, avec Michael Gorbachev pour qu’il laisse son joyau sortir de son écrin rouge. En pure perte.
Par ailleurs, la rumeur commença à courir tout autour du globe que Sabonis picolait, prenait du poids, perdait de sa motivation. Son équipier d’alors Alexandre Volkov – qui lui a servi d’interprète au dernier All Star Game de San Antonio – affirme que ces histoires étaient exagérées.
Ce n’était pas le pire : en 1987, il est victime d’une douleur persistante au tendon d’Achille de la jambe gauche. Et c’est la rupture du tendon… droit. Il est opéré avec l’aide de chirurgiens finlandais. Il part en convalescence. Trois mois plus tard, un soir, il enlève son plâtre pour aller passer un coup de fil et il se prend le pied dans le lino. Son talon cède de nouveau. Au comble de désespoir, il s’enferme dans sa chambre et n’appelle les médecins que le lendemain. Un talon est brisé. Un rêve aussi.
Le docteur Cook de Portland redonnera vie à l’animal magnifique qui, à peine debout, portera l’URSS vers la médaille d’or olympique à Séoul, au détriment des États-Unis de David Robinson, Sabonis a conservé sa force, ses mains magiques, son incroyable science du basket, mais ce miraculé du sport ne sera plus jamais l’athlète hors normes qu’il fut. Il passera, repassera encore, sur le billard. Son dernier séjour à l’hôpital date de la mi-mai pour nettoyer le ménisque d’un genou. Sabonis ne dévale plus le terrain à toute vapeur. Sa détente est désormais si faible qu’il est à peine capable de sauter par-dessus un paquet de cigarettes. Il porte non seulement une épaisse protection au talon, mais il doit aussi, après chaque match, plonger ses pieds enflés et noirâtres dans des seaux de glace. « Si un jour je n’ai plus mal, je penserai que je suis mort », dit-il avec dérision. Sabonis est un infirme. Un infirme qui a pourtant chahuté cette saison les grands de ce monde.
Jeux de Séoul en 1988 avec David Robinson.
Mini-temps de jeu, maxi stats
La saison 95-96 – sa sixième en Espagne – fut une apothéose personnelle : champions d’Europe des clubs avec le Real Madrid, finaliste du Championnat d’Europe des nations avec la Lituanie, il est élu tout naturellement Joueur de l’Année par le magazine FIBA Basketball. C’était aussi une impasse.
Qu’avait-il encore à prouver ? Et, alors que l’on n’y croyait plus, Sabonis est parti à Portland. « J’ai décidé que c’était maintenant ou jamais pour la NBA. A 30 ans, je savais que c’était probablement mon dernier contrat et je ne voulais pas avoir de regrets ». C’est ainsi que Sabonis bouda une offre mirobolante du Panathinaikos Athènes. « Il proposait bien davantage que les Trail Blazers , » dit son agent Herb Rudoy, « mais il n’y a pas songé une seconde. Il est réellement très, très heureux d’être là ».
OK, la NBA. Mais pour quoi faire ? Pour être au mieux un Mark Eaton ou au pire un géant dans une chaise roulante ? Prudence, se dit le coach P.J. Carlesimo. Sabonis le divin se voit reléguer sur le banc au bénéfice de Chris Dudley, solide rebondeur-défenseur, mais qui n’a jamais rien su faire de bon avec une balle dans les pognes. Pourtant, on le devine plus affuté que jamais. Durant l’été, il s’est échappé à Tallinn, Estonie, chez un ami préparateur physique et il s’est délesté des kilos superflus. Il va gagner peu à peu la confiance du coach, de ses équipiers, et du temps de jeu. A ceux qui disent que la répétition des matches risque de le laisser sur le flanc, il répond : « Non, ce n’est pas dur. Nous jouions parfois trois ou quatre matches d’affilée dans les tournois européens ».
L’investiture de Sabonis au statut de superstar de la NBA est intervenue du 25 au 31 mars quand il a été élu Joueur de la Semaine. A partir de là, le pivot lituanien a envoyé régulièrement quelques giboulées sur la tête de ses adversaires. Il rentabilise un maximum de son temps de jeu comme lorsqu’il accumule 21 points et 15 rebonds en 23 minutes contre les Dallas Mavericks le 11 avril. Mieux : plus il joue, meilleur il est. La mécanique tient bon. Et, au premier tour des playoffs, les Utahs Jazz tremblent devant les assauts du géant de la Baltique. Les compliments pleuvent. « Si nous l’avions eu il y a trois ou quatre ans, peut-être bien que j’aurais une paire de bagues aux doigts, » dit ainsi Buck Williams. « Même si physiquement, il n’est plus ce qu’il était, à mon avis il se situe au niveau des Bill Walton et Larry Bird dans sa capacité à voir le jeu, » ajoute Jim Paxson, assistant general manager du club.
Deux accessits sont venus récompenser ses prestations ; Arvidas a été classé second aussi bien à l’élection du Meilleur 6ème homme (derrière Toni Kukoc) qu’à celui de Rookie of the Year (derrière Damon Stoudamire).
Un tel phénomène ne pouvait que plaire au public de Portland. Sabas est déjà le joueur le plus populaire de l’équipe. La vie nocturne et le soleil espagnols lui manquent un peu, mais il a confié aux journalistes de son pays qu’il appréciait pouvoir se balader en ville, peinard en famille, contrairement à l’Espagne où les supporters sont un peu fous et où il devait se cacher. « Bien sûr, il bruine souvent ici, mais je passe beaucoup de mon temps en avion… » Sabonis, qui parle déjà lituanien, russe et espagnol, est sensé prendre des cours d’anglais avec un professeur, mais le rythme des journées NBA est si soutenu qu’il n’est pas toujours assidu. Il préfère pour l’instant répondre à la presse américaine par le truchement d’un interprète.
« On ne veut pas du cadavre de Sabonis »
Arvidas Sabonis forme avec Sarunas Marciulionis la plus formidable one two punch (doublette) jamais vue dans une équipe européenne. Ils ont propulsé la Lituanie sur les podiums de Barcelone (bronze) et d’Athènes (argent). A Atlanta, assurent les spécialistes lituaniens, la sélection sera encore plus forte. Sabonis est en pleine forme et il sera épaulé par deux jeunes centres de 2,18m, Eurelijus Zukauskas (n°57 de la draft 95) et Zydrunas Ilgauskas. Si le genou de Marciulionis tient le choc, c’est tout bon.
Sabonis franchira alors probablement la ligne d’arrivée. En février dernier, à l’occasion du match éliminatoire de l’Euro 97, Lituanie Suisse, le coach Vladas Garastas a annoncé, pour la première fois officiellement, que Sabas prendra probablement sa retraite internationale à l’issue des jeux Olympiques. « J’ai parlé avec lui (Sabonis) de ce sujet l’été passé. Il m’a demandé : combien de temps allez-vous encore me torturer ? Sabonis a donné tellement au basket de la Lituanie que demander plus n’est pas correct. Nous ne voulons pas du cadavre de Sabonis. On veut le garder sain et sauf ! »
Mais, juste avant de quitter Portland, à la fin mai, Sabas a déclaré que la porte n’est pas définitivement fermée. « Je pendrai une décision sur la poursuite ou non de ma carrière internationale après Atlanta ».
(avec Giedrius Janonis à Veldas, Lituanie)
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Populaire en Lituanie, Sabonis ? Les preuves sont multiples. Depuis des années déjà, la bouteille de vodka d’un litre a pris son nom. Le 3 mai dernier, jour de la naissance du troisième fils d’Arvidas à Portland, les trois grands quotidiens nationaux ont offert leur une à « Saboninkas ».
Sabas a été élu 5 fois (en 84, 85, 86, 94 et 95) sportif numéro 1 de l’année par le journal Sportas et, en 1990, il a été consacré rien moins que plus grand sportif du pays des 50 dernières années. « Sabonis a davantage apporté à la Lituanie que le Seimas (le parlement lituanien) et le gouvernement réunis », a déclaré en avril, à la télévision, Kazimieras Moticka, le vice-président du parlement en question.
Grâce à la popularité de Sabas, pivot rookie de NBA à 31 ans, un nouveau commerce prospère en Lituanie depuis le dernier hiver : les circuits touristiques organisés autour de Portland et des matches des Blazers. Les nouveaux riches Lituaniens ne regardent pas à la dépense (4 à 7 000 dollars la semaine, une fortune dans ce pays tout juste sorti des griffes de l’ours soviétique) pour aller admirer sur place le prodige national. Ce sont des veinards : en Lituanie, on se plaint de n’avoir vu que trois matches de Portland sur Baltijos TV, la chaîne privée qui a acheté les droits pour la diffusion des programmes de la NBA. La ligue américaine expédie à travers le monde le même package et les Blazers n’ont jamais été considérés comme un produit de grande consommation.
Arvidas Sabonis est un héros national. Les millions de dollars engrangés en Espagne puis grâce à son contrat signé avec Portland (12 millions de $ sur 5 ans) et enfin avec Nike en font également un homme très riche. Un géant. Dans tous les sens du terme. Sabas a acheté une villa à Malaga, une maison à Portland, des appartements pour ses beaux-parents à Vilnius et il est co-propriétaire d’une scierie. Il a également largement investi dans le basket lituanien.
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Article paru dans MaxiBasket en 1996