Nous avions contacté Ed Murphy pour l’avertir qu’il avait été élu Joueur Etranger du championnat de France pour le XXe siècle. « Ohhhhhh. C’est vrai? » avait demandé l’ancienne gâchette du Limoges CSP. « Alors, c’est un énorme honneur pour moi. Comment imaginer? ». Voici l’interview.
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Peux-tu nous remémorer le début de ta carrière professionnelle après Merrimack College? Comment le meilleur marqueur de NCAA Division 2 peut se retrouver sans aucune proposition et obligé de bosser à La Poste?
Terminer top-scoreur ne veut rien dire. J’ai bien tenté ma chance au camp des Atlanta Hawks, en vain. Ne pas avoir d’agent et arriver d’une petite université étaient des obstacles trop importants. Mon unique envie était de jouer. L’argent, le lieu, le championnat n’avaient aucune importance pour moi. Et du coup, lorsque l’on m’a appelé pour un job en Hollande, j’ai sauté sur l’occasion sans trop savoir ce que j’allais y vivre. Le seul plaisir de continuer le basket me suffisait largement.
Tu arrives donc en 78-79 aux Pays-Bas, à Rotterdam, puis tu passes deux ans en Belgique, à Malines. Quelles ont alors été tes premières impressions de l’Europe? En débarquant du Massachusetts, t’attendais-tu à autre chose?
Cela remonte à tellement loin… C’était mon premier voyage, ma première valise… La Hollande, la Belgique aussi, était sans doute la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Les gens étaient tellement gentils, mon basket leur plaisait, rien de mauvais ne semblait pouvoir m’arriver. Finalement, j’ai pensé que c’était vraiment facile de quitter mon pays pour vivre là-bas. Sans doute aussi parce que je n’avais aucune idée préconçue de ce qu’était l’Europe.
Aux Pays-Bas et en Belgique, tu as terminé meilleur scoreur du championnat. Pour ta première saison en France, même résultat. Tu ne t’es pas dit alors que tu passais peut-être à côté d’une très grande carrière, que l’Europe en fait était bien trop étroite pour ton talent?
Oui. Je me suis posé la question. Au fond de moi, j’ai toujours été convaincu que j’aurais mérité que l’on me donne ma chance en NBA. Mon problème, c’est que les scouts n’étaient pas dans toutes les salles du monde comme aujourd’hui. Et comme l’été je ne participais à aucune summer league, il m’était bien difficile de me faire connaître. J’avais beau progresser en Europe, m’affirmer comme un gros marqueur, cela ne suffisait pas. Cela reste un gros regret dans ma carrière.
Pendant tes quatre années au CSP, tu termineras à chaque fois MVP et top-scoreur du championnat de France, le tout avec un physique à la monsieur-tout-le-monde. Comment était-ce possible? Et crois-tu que le challenge serait aujourd’hui encore réalisable compte tenu de la dimension physique prise par le basket?
Je veux que les gens sachent que, pour moi, terminer top scoreur n’était pas ma motivation première ni même ma fierté. Par contre, réussir à l’être avec un fort pourcentage d’adresse, et surtout dans une équipe qui gagne, ça oui, c’était plus glorieux. Ensuite, concernant mon physique, je ne vois pas trop en quoi cela m’aurait handicapé. Je pesais presque 90kg, et mes jambes étaient plus fortes que le haut de mon corps ne pouvait le laisser supposer. Surtout, je voulais tellement gagner que, être petit ou grand, costaud ou pas, importait peu. Regarde ma carrière. Partout où je suis passé, j’ai gagné. Ma haine de perdre compensait tout le reste. Je crois aussi que, sans gros physique, avec des défenseurs qui me harcelaient de la première à la dernière seconde, j’ai utilisé ma tête, suis devenu plus intelligent, cherchant souvent à provoquer des fautes. Aujourd’hui encore, agir de la sorte est possible.
Quels meilleurs moments gardes-tu de ton passage à Limoges?
Plein. J’ai gagné tellement de matches avec eux (rires). S’il fallait en garder un, ce serait la saison où l’on a gagné le championnat, la coupe, la première Korac de l’histoire du basket français. Personne n’imaginait qu’il était possible de tout gagner.
Que s’est-il passé pour que tu ne restes pas au club?
Mon départ de Limoges est un problème de communication entre Jean- Claude Biojout et moi-même. Cet été là, le club était en tournée en Espagne et tenait absolument à ce que je les rejoigne pour jouer. Moi, blessé au tendon d’Achille et toujours sans contrat me liant à eux, j’ai refusé. C’était la première fois en quatre ans que je manquais le moindre match. J’y suis quand même allé. Un médecin m’a ausculté. Il me fallait du repos. Monsieur Biojout est alors venu en Espagne, a insisté, m’a menacé de ne pas me signer, et moi, je lui ai dit o.k. C’était fini. Jusqu’au jour où, fin août ou début septembre – je ne me rappelle plus – Biojout m’a rappelé en me demandant de revenir à Limoges. Alors sans contrat, je lui ai donné mon accord par téléphone. J’attends toujours sa confirmation… (un rien désabusé). C’est vraiment ce qui s’est passé.
Et pourquoi le choix de la Suisse, cinq années durant, alors que toute l’Europe connaissait tes exploits?
Mes enfants grandissaient et comme Genève avait une école internationale, et qu’en plus le club me proposait un très bon contrat, je me suis dit, pourquoi pas? Cela a d’abord été un choix pour ma famille.
As-tu gardé des contacts à Limoges en particulier et en France en général? Et en Europe?
Pas vraiment. Pas du tout même. J’ai seulement eu du plaisir à revoir Richard Dacoury, Greg Beugnot ou Appolo Faye, mes meilleurs amis, lors du jubilé de Richard.
Justement, as-tu été surpris d’avoir été contacté à cette occasion? Et de l’accueil du public?
Enormément. Voir tous ces gens m’applaudir est peut-être le plus grand honneur que l’on ne m’ait jamais rendu. Ça, je ne l’oublierai jamais. C’était la première fois que je revenais en Europe depuis dix ans.
As-tu continué à jouer après ta carrière européenne? Et aujourd’hui?
J’ai tout arrêté. Je reprends la balle seulement, de temps en temps, avec ma plus grande fille qui a remporté deux titres de l’Etat au lycée. Et elle joue! Et comme j’ai horreur de perdre, j’évite de la rencontrer (rires). C’est trop dur.
Que fait Ed Murphy aujourd’hui?
Je bosse comme superviseur chez Agsbro, une entreprise qui conçoit des jouets, entre autres le Monopoly.
Connais-tu Delaney Rudd et Michael Young qui te suivent au palmarès du titre de MVP du siècle?
Le premier, non. Young, il a un peu fait ce que j’ai accompli avant lui à Limoges. J’ai eu la chance de le rencontrer au jubilé et il m’a donné l’impression d’être un chouette type.
Qu’est-ce qui te ferait le plus plaisir à Limoges ? Le nom d’une rue, une statue à l’entrée de Beaublanc ou le souvenir perpétuel du plus grand Américain de l’histoire du club?
(Il réfléchit). La troisième option. Je ne sais pas si je le mérite, mais j’avoue que s’imaginer dans l’esprit des gens comme le plus grand, cela aurait de quoi me rendre des plus heureux.
Parles-tu français?
(En français) Un petit peu (puis reprenant en anglais). Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir fait plus d’efforts à l’époque.
Quelques mots… en anglais?
Si je pouvais dire quelque chose, cela serait destiné à mes anciens coéquipiers. J’aimerais que les gens sachent que je n’aurai jamais été le joueur que je suis devenu sans eux, le plus grand joueur du siècle, sans leurs écrans pour me libérer, sans les ballons qui m’arrivaient parfaitement, sans leur défense. Merci à eux tous du fond du coeur.
Propos recueillis par Vincent LORIOT
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Peux-tu nous remémorer le début de ta carrière professionnelle après Merrimack College? Comment le meilleur marqueur de NCAA Division 2 peut se retrouver sans aucune proposition et obligé de bosser à La Poste?
Terminer top-scoreur ne veut rien dire. J’ai bien tenté ma chance au camp des Atlanta Hawks, en vain. Ne pas avoir d’agent et arriver d’une petite université étaient des obstacles trop importants. Mon unique envie était de jouer. L’argent, le lieu, le championnat n’avaient aucune importance pour moi. Et du coup, lorsque l’on m’a appelé pour un job en Hollande, j’ai sauté sur l’occasion sans trop savoir ce que j’allais y vivre. Le seul plaisir de continuer le basket me suffisait largement.
Tu arrives donc en 78-79 aux Pays-Bas, à Rotterdam, puis tu passes deux ans en Belgique, à Malines. Quelles ont alors été tes premières impressions de l’Europe? En débarquant du Massachusetts, t’attendais-tu à autre chose?
Cela remonte à tellement loin… C’était mon premier voyage, ma première valise… La Hollande, la Belgique aussi, était sans doute la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Les gens étaient tellement gentils, mon basket leur plaisait, rien de mauvais ne semblait pouvoir m’arriver. Finalement, j’ai pensé que c’était vraiment facile de quitter mon pays pour vivre là-bas. Sans doute aussi parce que je n’avais aucune idée préconçue de ce qu’était l’Europe.
Aux Pays-Bas et en Belgique, tu as terminé meilleur scoreur du championnat. Pour ta première saison en France, même résultat. Tu ne t’es pas dit alors que tu passais peut-être à côté d’une très grande carrière, que l’Europe en fait était bien trop étroite pour ton talent?
Oui. Je me suis posé la question. Au fond de moi, j’ai toujours été convaincu que j’aurais mérité que l’on me donne ma chance en NBA. Mon problème, c’est que les scouts n’étaient pas dans toutes les salles du monde comme aujourd’hui. Et comme l’été je ne participais à aucune summer league, il m’était bien difficile de me faire connaître. J’avais beau progresser en Europe, m’affirmer comme un gros marqueur, cela ne suffisait pas. Cela reste un gros regret dans ma carrière.
Pendant tes quatre années au CSP, tu termineras à chaque fois MVP et top-scoreur du championnat de France, le tout avec un physique à la monsieur-tout-le-monde. Comment était-ce possible? Et crois-tu que le challenge serait aujourd’hui encore réalisable compte tenu de la dimension physique prise par le basket?
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Interview paru dans Maxi-Basket en janvier 2000