Jean-Claude Lefèbvre a laissé son nom dans l’histoire du basket français et européen. Bien sûr, à cause de sa taille. 2,18m. C’était du gigantisme il y a soixante ans lorsque les double mètres en première division se comptaient sur les doigts d’une main.
Aussi parce qu’il fut, en 1960, le premier Français drafté par une franchise NBA. Les Lakers, qui déménageaient de Minneapolis à Los Angeles. Jamais il ne se rendit sur place mais son nom inscrit dans les registres de ce qui est devenu depuis une ligue mondiale en fait un personnage de légende. Nous vous expliquons comment cet fait historique fut révélé aux lecteurs près de trois décennies plus tard.
Notre géant national fut également un pionnier car il fut le premier Français à rejoindre une université américaine, un Major College. C’était Gonzaga, bien avant John Stockon, Rony Turiaf et Killian Tillie.
C’est son séjour aux Etats-Unis que nous vous racontons ici enrichi de documents photographiques tiré du Miroir des Sports du lundi 23 septembre 1957, un hebdomadaire qui fut une référence jusqu’en 1968.
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Le reportage est daté de février 1961. On voit le géant débonnaire déambuler dans Paris du côté de la place de la République. Les rues sont pavées et un flic avec un képi agite son bâton blanc pour faire la circulation. « Jean-Claude Lefèbvre, le géant du Racing, a recouvré la santé et continue de se promener dans la rue, comme vous et moi, en suscitant simplement un peu de curiosité de ci, de là » commente la voix off. Le Parisien entre dans une cabine téléphonique, forcément en se baissant. Il prend le combiné et appelle un interlocuteur imaginaire. « Ici Jean-Claude Lefèbvre, 2,18 m, 125 kilos, pointure 55… Bien voilà, vous savez tout. »
Ensuite, pendant cinq minutes, les téléspectateurs de l’ORTF eurent droit au même plan fixe : le basketteur et le journaliste assis à la table d’un restaurant. C’est incroyablement kitch. Jean-Claude répond avec un sourire imperturbable à quelques questions dont certaines, avec le recul, nous apparaissent bien sottes. On y apprend que son père fait 1,87 m et sa mère deux centimètres de moins, qu’un arrière-grand-père avait été mesuré à 1,97 m, et aussi que Jean-Claude « n’ose pas remonter plus loin car j’ai peur de trouver des ascendants qui seraient plus grands que moi. A 10 ans, lorsque j’ai fait ma communion, je me rappelle que j’étais plus grand que le curé qui faisait déjà 1,75 m. »
Sinon Vincent Pourchot (2,22m) et le naturalisé Youssoupha Fall (2,21m), Jean-Claude Lefèbvre est le plus grand basketteur français de tous les temps, à peu près égalité avec Frédéric Weisz et, pour situer son gigantisme, il faut savoir que la Nationale 1 de l’époque – la Pro A actuelle – ne dénombrait que neuf double mètres. Jean-Paul Beugnot et Pierre Cordevant représentaient les cimes françaises avec leurs 2,04 m. Jean-Claude a tout d’abord pratiqué le lancer du poids au CA Montreuil. Victime d’une entorse du genou, il ira consulter à l’INS le docteur Andrivet, qui le mettra en relation avec Robert Busnel, alors entraîneur de l’équipe de France de basket.
Busnel est persuadé avoir capturé l’oiseau rare avec ce jeune fils de paysan originaire d’Epiais-les-Louvres, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Paris. Lefèbvre laisse tomber les études et Busnel lui donne des cours accélérés de basket quatre heures par jour. Il a déjà 18 ans et ne sait rien faire avec un ballon et ses deux mains. « Pas de muscles, pas de vitesse, pas de détente mais une réelle volonté de réussite malgré les ampoules et les courbatures » écrit Gérard Bosc dans Une Histoire du Basket Français… « Le garçon souffre aussi de quelques difficultés hormonales et porte, comme Krouminch – un pivot soviétique qui a la même taille -, quelques stigmates de gigantisme. Retenu très rapidement en équipe de France – première sélection en février 1957 – il ne fait pas l’unanimité bien que ses prestations ne soient pas mauvaises. A Roanne, où Busnel le place pour s’aguerrir, il n’arrive pas à s’exprimer et perd une année. » De fait, jusqu’à la fin de sa carrière, Jean-Claude va souffrir de l’incompréhension de ses équipiers, de ses adversaires, des autres et de leur « normalité »…
L’université de Stockton et Turiaf
Robert Busnel, lui, estime que le géant peut être l’arme fatale lors des Jeux Olympiques de Rome. Lorsque Jim McGregor le découvre lors d’un tournoi aux Pays-Bas et propose de l’envoyer en formation dans une université américaine, Busnel incite son protégé à tenter l’aventure. McGregor est un globe-trotter polyglotte, qui coachera quantité d’équipes à travers la planète et sera longtemps un agent de joueurs incontournable. « Jolly Jim » a notamment entraîné le Whitworth College à Spokane, dans l’Etat de Washington, entre Seattle et Portland. C’est là-bas qu’il va envoyer le Français, mais dans la fac concurrente, l’université de Gonzaga, une institution privée catholique. Son antre habituel est alors le Gonzaga gymnasium qui ne peut recevoir que 1 500 spectateurs, mais l’équipe peut éventuellement être abritée par le Spokane Coliseum, qui est doté d’une capacité de 7 500 places pour le basket-ball.
Il faut bien comprendre que la NCAA est alors, vue d’Europe, un monde aussi inconnu que les galaxies de l’amas du Centaure. A notre connaissance, Lefèbvre est le premier Français à s’y rendre, du moins dans un major college. « C’était l’université où avait étudié le chanteur Bing Crosby et je me souviens qu’il avait fait un don pour construire une bibliothèque », nous avait commenté Jean-Claude. C’est bien plus tard que le dreamteamer John Stockton rendra la fac célèbre, puis que Ronny Turiaf, le Brésilien du Mans et de Limoges João Paulo Batista et Killian Tillie revêtiront le maillot des Bulldogs.
C’est un pote du coach Thor Henry Anderson qui a payé les billets d’avion. Un reportage dans Sport Illustrated raconte que Lefèbvre est arrivé sur place muni de ses pyjamas, de serviettes de toilette, d’une garde-robe modeste mais bien taillée, et de « neuf mots d’anglais ». Et aussi d’une paire de baskets, taille 17, trop petite pour lui. Il lui faut du 19, mais pas un magasin n’en possède en ville. Un chausseur promet d’en fournir au plus vite une paire avec une semelle en éponge. Lefèbvre doit suivre des cours d’anglais – avec un professeur particulier -, de théâtre français depuis 1930, d’histoire de la littérature française, de tragédies de Racine et d’économie. « Comme je ne parlais pas anglais, j’ai dû obtenir une autorisation spéciale pour être accepté au college. La première année, j’ai passé les examens en français. La seconde, en anglais. Les études, le basket, c’était quelque chose de sérieux. Je me souviens que trois joueurs avaient été surpris un soir dans une taverne et ils avaient été virés aussitôt de l’équipe. » Sports Illustrated précise que « Lefèbvre a rapidement acheté un dictionnaire français-anglais, quatre bouteilles de lotion de rasage, un appareil photo et un ordinateur portable (sic) pour étudier les schémas de jeu et le tableau noir d’Anderson. » Notre homme se fait également dix dollars d’argent de poche par semaine en effectuant quelques tâches sur le campus, notamment en installant des étagères en hauteur dans la bibliothèque !
50 points dans un match
Le Spokane Chronicle salue l’arrivée du Français, dans sa langue natale, d’un « Golly, Quel Homme ! » A l’évidence, la présence du big man provoque une grosse effervescence dans la région. Le prestigieux magazine Life viendra également faire un reportage sur le phénomène. Anderson, qui fait à la fois fonction de coach et de promoteur, estime alors que le nombre d’abonnés va passer de 300 à plus d’un millier. « Il semble se déplacer parfaitement et je suis satisfait de son agilité. Son hook shot est vraiment bon pour un big man, mais il a besoin d’expérience, notamment au rebond, » commente-t-il.
La suite des événements ? Elle s’est perdue dans le temps ou reste probablement enfouie dans la mémoire collective des vieux fans de Gonzaga. Les archives nous délivrent juste quelques pistes.
Lefèbvre est équipier de Frank Burgess, qui sera trois fois le top-scoreur de l’équipe – 32,4 points de moyenne en senior, ce qui sera le meilleur score de toute la NCAA -, avant de jouer professionnel à Hawaï dans l’American Basketball League, puis de devenir avocat. Ça n’empêchera pas Jean-Claude, le 18 février 1958 – merci au media guide de Gonzaga ! – de marquer 50 points – avec 20 paniers et 10 lancers – contre Witworth, dans ce que l’on peut appeler le derby de Spokane. Aujourd’hui encore, cette marque constitue la deuxième performance all-time de l’université de Gonzaga derrière les 52 points de Frank Burgess, accomplis trois ans plus tard. Lefèbvre nous dira avoir joué contre un certain Elgin Baylor de l’université de Seattle qui sera ensuite une star des Lakers et un piètre general manager aux Clippers. On n’en sait guère davantage, sinon qu’après le retour du Français au pays, Sport Illustrated notera « qu’après avoir essayé sans succès de faire un basketteur du Français de 7 pieds et 3 pouces Jean-Claude Lefèbvre, Gonzaga continue l’expérience avec un grand Grec George Trontzos, 2,15m, et un Suédois de 2,05m, Hans Albertson. »
« Busnel m’avait envoyé aux Etats-Unis pour que je me perfectionne avec, comme objectif, les Jeux de Rome. Malheureusement, je suis tombé malade et je ne suis pas allé aux JO. Ma maladie s’est prolongée durant un an et je ne suis pas non plus retourné à Gonzaga. Je n’ai pas eu ainsi le loisir de passer mes diplômes, » nous expliquera Jean-Claude.
Il n’ira jamais aux Lakers
Sa draft ? Cette saison-là – 1959-60 -, la National Basketball Association ne compte que HUIT équipes, réparties dans deux Divisions, sachant qu’il n’y en a aucune dans toute la partie ouest du pays. C’est justement le moment que choisissent les Lakers pour partir de Minnesota et emménager à Los Angeles. Ils draftent au 1er tour un certain Jerry West de West Virginia, qui sera leur emblème – et celui de la NBA – pendant quatre décennies. Et puis, ce sont Jim Hagan, Wally Frank… Jean-Claude Lefèbvre est retenu au 9e tour, en 64e position Le premier Français et, probablement, le premier « véritable » Européen de l’Histoire.
Quelle importance accorder à cette draft ? Très relative. Un 9e tour, c’est un gadget. C’est bien sûr son immense taille qui a fait de Jean-Claude Lefèbvre un pionnier. Et puis, les Lakers, en installant la franchise en Californie du Sud, ont cherché à recruter dans le Far West, avec notamment John Werhas de USC et Sterling Forbes de Pepperdine. « Je ne me rappelle plus très bien comment j’ai été averti. Par courrier, je crois. Ce dont je suis sûr, c’est que j’étais déjà revenu en France lorsque j’ai appris la nouvelle. Non, je ne suis pas allé faire le camp des Lakers. De toute façon, comme je le disais, j’étais tombé malade et je ne pouvais plus jouer au basket, » nous dira t-il en fouillant dans sa mémoire. Pas un journaliste ne l’avait interrogé sur le sujet depuis trois décennies! D’ailleurs, si Jan-Claude entretiendra toujours une correspondance avec ses anciens équipiers, plus jamais il ne remettra les pieds aux USA.
Après avoir passé trois mois alité et un an sans jouer, Jean-Claude Lefèbvre portera le maillot du Racing Paris en 2e division. On le verra ensuite à Antibes et Charleville. Entre 1956 et 1963, il aura porté 57 fois le maillot de l’équipe de France avec, à la clé, le Championnat du monde à Rio. Il marquera d’ailleurs à cette occasion 21 et 22 points contre l’URSS. « Jean-Claude était moins physique qu’un Krouminch, mais plus mobile. C’est pour cela, à mon avis, qu’il a intéressé les pros. Comme il avait commencé le basket très tard, il aurait été mûr vers trente ans,» nous commentera Jean-Paul Beugnot, considéré à l’époque comme l’un des meilleurs pivots européens.
En fait, Jean-Claude Lefèbvre mettra un point final à sa brève carrière à 26 ans. Il avait entamé des études de kiné à Charleville, tout en étant aide-moniteur dans un centre de rééducation. Et puis, il retournera dans la ferme de ses parents, pour faire de l’élevage de poules, de la céréale, de la betterave. Un peu plus tard, il s’occupera d’une équipe féminine d’un village voisin. On verra plusieurs fois son imposante stature lors de matches à Coubertin, à Paris. Il décèdera en 1999. Sans trop savoir qu’il a marqué à jamais l’histoire du basket français.
Histoire d’un scoop
En 1960, il n’y avait pas Internet, peu de moyens de communication, le basket américain snobait totalement le reste du monde. Combien de basketteurs français s’étaient rendus aux Etats-Unis ? Une poignée non identifiable. « C’est lui qui m’a expliqué ce que voulait dire « drafté ». Je ne connaissais pas ce mot-là. Pour nous, ça ressemblait à une sélection régionale ou quelque chose comme ça… », nous dira Jean-Paul Beugnot.
Trente ans plus tard, la NBA n’était toujours pas installée en Europe, et se rendre à un match NBA était encore une Aventure avec un grand A. La National Basketball Association ne nous abreuvait pas encore de communiqués et de tweets et pour obtenir ses fameux media guides, et ses écritures sacrées, il fallait les commander en espérant que le club accepte de nous les envoyer en payant lui-même les frais postaux ! Celui des Los Angeles Lakers, saison 88-89, est tombé entre les mains de l’auteur de cet article, qui s’est mis à le parcourir religieusement. Page 36, un chapitre intitulé « Laker story ». Et cette illumination : « Claude Lefevre (sic) » de Gonzaga au 9e tour de la draft de 1960… Personne à l’époque n’était au courant en France ! Vraiment. C’était une sorte de scoop à retardement. Nous étions remontés jusqu’à Jean-Claude Lefèbvre grâce aux indices donnés par Jean-Paul Beugnot. Il était donc cultivateur en banlieue parisienne. Les témoignages des deux géants du basket français des années 50 inclus dans cet article datent de cette époque. Jean-Paul a rejoint depuis Jean-Claude au paradis des basketteurs.
Article paru dans Maxi-Basket en 2011 et revu pour BasketEurope.
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Le reportage est daté de février 1961. On voit le géant débonnaire déambuler dans Paris du côté de la place de la République. Les rues sont pavées et un flic avec un képi agite son bâton blanc pour faire la circulation. « Jean-Claude Lefèbvre, le géant du Racing, a recouvré la santé et continue de se promener dans la rue, comme vous et moi, en suscitant simplement un peu de curiosité de ci, de là » commente la voix off. Le Parisien entre dans une cabine téléphonique, forcément en se baissant. Il prend le combiné et appelle un interlocuteur imaginaire. « Ici Jean-Claude Lefèbvre, 2,18 m, 125 kilos, pointure 55… Bien voilà, vous savez tout. »
Ensuite, pendant cinq minutes, les téléspectateurs de l’ORTF eurent droit au même plan fixe : le basketteur et le journaliste assis à la table d’un restaurant. C’est incroyablement kitch. Jean-Claude répond avec un sourire imperturbable à quelques questions dont certaines, avec le recul, nous apparaissent bien sottes. On y apprend que son père fait 1,87 m et sa mère deux centimètres de moins, qu’un arrière-grand-père avait été mesuré à 1,97 m, et aussi que Jean-Claude « n’ose pas remonter plus loin car j’ai peur de trouver des ascendants qui seraient plus grands que moi. A 10 ans, lorsque j’ai fait ma communion, je me rappelle que j’étais plus grand que le curé qui faisait déjà 1,75 m. »[/arm_restrict_content]
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