C’était glacé, incommode, d’un autre âge, et pourtant La Moutète d’Orthez est un lieu saint de l’Elan Béarnais et un monument national pour tout le basket français.
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A notre goût, plus encore que la Maison des Sports de Villeurbanne, La Rotonde ou Mans, Coubertin ou Japy à Paris, et même le Palais des Sports de Beaublanc à Limoges, La Moutète d’Orthez est le monument national du basket français. Une construction pas franchement belle, inconfortable, recouverte à l’intérieur de panneaux publicitaires disgracieux, mais pittoresque, unique, étroitement liée avec l’ascension de l’Elan Béarnais, théâtre de quelques moments et que tout amateur de sport visite avec délectation comme le stade olympique à Rome ou le stade Santiago Bernabeu à Madrid.
Pendant une quinzaine d’années, les meilleures équipes de France et d’Europe ont pu apprécier l’endroit. Apprécier ? C’est, en fait, du deuxième degré. Le 3 décembre 1986, les Italiens du Tracer Milan, plus beau représentant du tout puissant Spaghetti Circuit, le championnat italien, ont failli tomber à la renverse en découvrant cette soi-disant salle de basket. La température y était si basse que Bob McAdoo, ancien MVP de la NBA et équipier de Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar aux Lakers, pénétra dans la Moutète avec une casquette de skieur enfoncée jusqu’aux oreilles. Dans quel traquenard suis-je tombé ? devait-il se demander. Son équipier Dino Meneghin n’enleva même pas ses gants pour la traditionnelle séance d’échauffement d’avant match. À la sortie, Milan fut refroidi de deux points (73-75) par la bande à Freddy Hufnagel. « Vous êtes une anomalie du basket, » dira le président milanais à Pierre Seillant. « Une anomalie, mais je vous respecte. »
Sans doute que si McAdoo, Meneghin, et tous les autres étaient venus sur place dès le mardi matin, ils auraient carrément halluciné. Depuis des décennies, c’est jour du marché. Chaque fois, les tribunes étaient démontées, le terrain bâché, et La Moutète livrée aux canards, poulets, veaux, maquignons et autres paysans béarnais. Roger Duquesnoy, pivot à l’allure médiévale de l’Elan dans les années soixante-dix, faisait partie du corps d’employés municipaux chargés de remonter les gradins une fois la dernière fiente de canard nettoyée.
Ancien sociétaire des Hawks et des Pistons, George Trapp ne voulut pas croire que cette Moutète, qu’il découvrait en pleine effervescence de marché, allait servir de cadre le soir même à un match d’essai. L’Américain alla s’en étonner auprès du président Seillant, se mit finalement en tenue une mi-temps, puis, dégoûté, se rhabilla, et repartit, sans demander son reste, en direction de Bagnolet.
L’Elan Béarnais partageait son terrain de jeu avec l’autre club de la ville, l’USO, d’où sortit un arrière à ressorts au caractère bien trempé, Alain Larrouquis. Longtemps, le sol fut recouvert d’une couche de béton, parfois si glissante qu’il aurait mieux fallu s’y rendre muni de patins, à tel point que Jean-Noël Perpère, autre figure symbolique de l’Elan, s’y brisa la jambe un soir de mars 1973. Son sacrifice ne fut pas vain : la ville décida l’achat d’une moquette d’un coût modeste de 50.000F. L’Elan Béarnais fut ainsi, avec les Vendéens de Challans, l’un des deux clubs français à disposer de cet étrange revêtement davantage utilisé pour les salons d’appartement. « On n’avait pas l’argent pour acheter un parquet, » raconte Pierre Seillant. « On nous avait dit que la moquette empêcherait les gens de tomber. Le problème, c’est que lorsque ça arrivait à un joueur, il pelait. Ça mettait du temps à guérir. Et puis, un jour, le comité de haut niveau nous a obligés à mettre un parquet ». La mythique moquette fut découpée en 5 000 petits morceaux vendus au profit d’une œuvre caritative.
Il n’y avait pas que les joueurs à prendre des risques. Les spectateurs aussi. Henri Page, dont les frères René et Roger ont porté le maillot vert et blanc, fut pendant vingt ans le gardien de la salle. Il témoigne : « Au début, on avait des gradins de fortune. Les piquets étaient posés sur des socles en bois et, à force de sauter, les pièces de ferraille transperçaient presque le bois. Heureusement, Il n’y a jamais eu d’accidents, sinon, une fois, un gars assis sur la rambarde, a basculé et est passé par-dessus, il aurait pu se tuer ! » « J’ai des souvenirs de gamin. Quand les mecs étaient mécontents, ils tapaient du pied. Putain, tout bougeait ! Impressionnant, » confirme l’actuel assistant-coach Jacky Commères.
En creusant davantage dans sa mémoire, Henri Page ajoute : « Ah ! si, Il y a très longtemps, à l’époque de la Fédérale, une tribune s’est désarticulée. Le plus ancien supporter de l’Elan, qui avait 90 ans, s’est relevé et sans regarder l’étendue des dégâts, il a continué à fixer son attention sur le match. En ce temps-là, les spectateurs étaient à un mètre du terrain et certains allongeaient la jambe pour faire tomber les arbitres. Les joueurs étaient proches des gens, on les voyait partout en ville toute la journée, Américains compris, il y avait un chauvinisme terrible ! »
Une bassine d’eau chaude pour se dégourdir les doigts
Henri Page se plaît à raconter que, longtemps, les joueurs furent contraints de se changer à la salle des sports. Qu’ils soient Villeurbannais ou Denaisiens, ils se devaient, même par temps de pluie ou de neige, de traverser les cent cinquante mètres qui séparaient la Moutète des vestiaires. « Et même parfois, il fallait partager un vestiaire avec les joueurs de pelote qui continuaient à s’entraîner ». On aménagea ensuite à l’intérieur même de La Moutète des vestiaires plus en rapport avec le standing européen de l’Elan. Mais c’est bien le froid qui était le pire ennemi d’adversaires pas habitués à des conditions aussi inconfortables. Qui n’a pas connu la venue à Orthez de Zalgiris Kaunas et de sa majesté Arvydas Sabonis n’a rien vu d’épique… « Il faisait huit degrés en-dessous de zéro. Il faisait aussi froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. J’ai vu Sabonis arriver dans la salle en pardessus. Il a soufflé et c’est un immense nuage qui s’est formé au-dessus de sa tête », dit Henri Page. Ce soir- là, les journalistes durent réchauffer leurs doigts engourdis avant d’envisager de commencer leur article, pour louanger les Orthéziens auteurs d’un nouvel exploit. Car Kaunas, comme Milan, comme le Real Madrid, n’a pas résisté aux assauts d’une équipe sublimée par un public vigoureux qui n’avait d’équivalent que celui de… Beaublanc. « Je me souviens aussi que j’ai dû apporter une bassine d’eau chaude pour que le Brésilien Oscar Schmidt puisse se dégourdir les doigts. Ils étaient gelés ». Peut-être la seule façon d’interdire au brillant Oscar de scorer comme un malade…
C’est de toute la région que l’on venait soutenir Orthez, seul club représentatif du Sud-Ouest, qui a toujours su préserver en son sein quelques produits locaux, comme l’enfant du village.
Alain Larrouquis, Freddy Hufnagel de Seyches ou les trois frères Gadou, des Landais. L’Elan fut le dépositaire d’un « esprit rugby » et l’international Jean-Pierre Garuet ne s’y trompa pas à la sortie de ce fameux match contre Milan. « Comme on dit au rugby, on avait laissé la dentelle aux vestiaires. Je ne pensais pas qu’il y avait une telle intensité, qui me rappelle un peu un match du Tournoi des 5 nations. »
Les festivités se poursuivaient ensuite chez Moulia, bar-restaurant de La Place des Armes, où il ne faisait pas bon retenir une chambre les soirs de match si l’on voulait passer une nuit en père peinard. Du temps d’Orthez, on profitait d’un match à La Moutète pour diner à la Reine Jeanne où faire le plein de foie gras chez un fermier des environs. Toute l’économie locale a profité de la renommée de l’équipe de basket.
« C’est vrai que dans notre coin, on aime faire la fête. Un des éléments importants, c’est le temps. Quand il pleut, la fête est moins réussie, » explique Claude Bergeaud, actuel coach de l’Elan Béarnais. « Mais la fête n’était pas l’apanage d’Orthez. Les anciens te disent que lorsque tu allais Jouer à Villeurbanne, on te ramenait au train ! A Denain, avec Degros et compagnie, c’était pareil. Tout ça n’est plus possible. La saison dernière, on a fait 65 matches ! Tu ne trouveras pas dans les années 80 et même 90 une saison avec autant de rencontres. Avant, le basket, c’était l’amateurisme marron. T’étais pas bon, tu prenais une avoinée du président. Maintenant, t’es viré ! » « Si aujourd’hui, après le match à la salle VIP, un sponsor voit un joueur faire une roulade derrière le bar, il ne va pas comprendre, » ajoute Freddy Hufnagel.
C’est pour suivre cette évolution vers un professionnalisme chaque année plus intransigeant que Pierre Seillant a choisi de transférer son Elan d’Orthez à Pau. « Soit on restait à Orthez et on se faisait hara-kiri en détruisant en vingt minutes ce que l’on avait mis vingt ans à construire, soit on se décidait à faire ls grand saut en sachant qu’on allait se faire traiter de pourris, de traîtres. Ça été dur, mails les gens ont vite compris que c’était ça ou rien. Si la greffe s’est faite, c’est que ce n’était pas l’association de deux villes. On ne peut pas comparer Orthez et ses 10 000 habitants et Pau et ses 150 000. C’était en fait l’association d’un grand club avec une grande ville. Ce sont aujourd’hui les fils et petits-fils de ceux qui venaient à La Moutète qui sont au Palais des Sports de Pau ».
Interdit aux Limougeauds !
Seillant est forcément fier de ce monumental Palais des Sports de 7.800 places, plus belle œuvre architecturale française – si l’on excepte Paris-Bercy – qui a inspiré Antarès au Mans et même une salle en Chine. « Je vois qu’il se construit des salles de 3,4, 5.000 places. C’est forcément limité. Alors qu’avec 8.000 places, le Palais des Sports de Pau, comme je l’imaginais il y a plus de dix ans, est prêt pour un championnat d’Europe des clubs à moitié franchisé. Avec André Labarrère (le maire de Pau), on a pris un risque, mais on a vu juste. »
Cela fera onze ans en janvier que le club a déménagé. Deux cars, mis gratuitement par le club à la disposition des supporters, partent depuis d’Orthez chaque jour de match, pour rallier Pau. Ils sont 7 à 800 Orthéziens à demeurer fidèles à leur Elan Béarnais. Pour fêter ses titres nationaux, l’Elan se rend systématiquement chez Moulia et, cette année, il a été reçu en grandes pompes par la mairie.
La Moutète sert toujours de salle à l’USO et l’Elan y a fait un entraînement à la rentrée devant 6 à 700 personnes. À l’avenir, un match amical sera programmé chaque début de saison.
La bâtisse est l’été visitée plus que jamais par des touristes de passage, amateurs de basket et nostalgiques d’une époque révolue. Henri Page se souvient avoir accueilli le footballeur international Lucien Muller, équipier de Raymond Kopa au Stade de Reims des années 50-60 et supporter de l’Elan Béarnais. « Une fois, des Limougeauds se sont présentés. Je leur ai répondu : ‘je n’ouvre pas à des gars de Limoges ! C’est la guerre entre nous, jamais je ne vous ferai visiter La Moutète !’… Ils ont vite compris que je plaisantais. »
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A notre goût, plus encore que la Maison des Sports de Villeurbanne, La Rotonde ou Mans, Coubertin ou Japy à Paris, et même le Palais des Sports de Beaublanc à Limoges, La Moutète d’Orthez est le monument national du basket français. Une construction pas franchement belle, inconfortable, recouverte à l’intérieur de panneaux publicitaires disgracieux, mais pittoresque, unique, étroitement liée avec l’ascension de l’Elan Béarnais, théâtre de quelques moments et que tout amateur de sport visite avec délectation comme le stade olympique à Rome ou le stade Santiago Bernabeu à Madrid.
Pendant une quinzaine d’années, les meilleures équipes de France et d’Europe ont pu apprécier l’endroit. Apprécier ? C’est, en fait, du deuxième degré. Le 3 décembre 1986, les Italiens du Tracer Milan, plus beau représentant du tout puissant Spaghetti Circuit, le championnat italien, ont failli tomber à la renverse en découvrant cette soi-disant salle de basket. La température y était si basse que Bob McAdoo, ancien MVP de la NBA et équipier de Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar aux Lakers, pénétra dans la Moutète avec une casquette de skieur enfoncée jusqu’aux oreilles. Dans quel traquenard suis-je tombé ? devait-il se demander. Son équipier Dino Meneghin n’enleva même pas ses gants pour la traditionnelle séance d’échauffement d’avant match. À la sortie, Milan fut refroidi de deux points (73-75) par la bande à Freddy Hufnagel. « Vous êtes une anomalie du basket, » dira le président milanais à Pierre Seillant. « Une anomalie, mais je vous respecte. »
Sans doute que si McAdoo, Meneghin, et tous les autres étaient venus sur place dès le mardi matin, ils auraient carrément halluciné.
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Article paru dans Maxi-Basket en 2002
Photos: Maxi-Basket