La vie de Michael Brooks a dérapé deux fois en cinq ans. Une première fois dans la douleur, en NBA. Une deuxième fois dans la douceur, à Limoges. La NBA a trop longtemps oublié ce joueur qu’on croyait cassé. C’est Limoges qui l’a retrouvé. Au top niveau. Brooks aujourd’hui, c’est un joueur tout neuf dans une vie toute neuve…
Cette semaine, place à quatre joueurs américains, qui ont fait la gloire du Limoges CSP dans les années 80-90 et dont Liliane Trévisan avait brossé le portrait à l’époque pour le mensuel Maxi-Basket. Clarence Kea (lundi), Michael Brooks (mardi), Don Collins (mercredi) et Michael Young (jeudi).
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A Tel-Aviv, dans l’antre du Maccabi, les égarements des officiels lui avaient valu de quitter le combat prématurément pour une cinquième faute parfaitement fantaisiste. Du coup, on avait vu les 2,01 m de Michael Brooks terminer le match à quatre pattes, rampant fiévreusement le long du banc limougeaud en hurlant des encouragements aux petits camarades…
A Limoges, face à Den Helder, Brooks n’a pas terminé le match à quatre pattes. Den Helder, si. Car cette fois, les 2,01 m du n°8 limougeaud étaient bel et bien dépliés sur le terrain. Sur le terrain et au-dessus de tout le monde. Une vraie déferlante. C’est peu dire que ce soir-là, Michael Brooks a survolé le match. Il a fait voir toute l’étendue de sa polyvalence, et un registre de jeu, cultivé entre college-NBA-équipe nationale US, qui l’avait fait passer là-bas de deuxième arrière à intérieur, en passant par toutes les variantes de l’ailier. Bref, il a été partout, tentaculaire, percutant, inévitable. Comme ses stats qu’on vous ressort rien que pour le plaisir : 23 points, 10 sur 16 aux tirs (62% de réussite), 3 sur 5 aux lancers francs, 17 rebonds, 4 contres, 5 interceptions, 3 dunks bien saignants,3 passes,3 fautes personnelles… Ah oui, on oublierait presque, une balle perdue. Et le tout en 27 petites minutes de jeu… Jouer en face de Brooks ce soir-là, ça donnait plutôt envie de tout remballer et d’aller se reconvertir dans le commerce des bicyclettes aux Pays-Bas. C’est moins fatigant, et surtout, ça va moins vite. On ne sait pas si c’est ce que va faire Tito Cooper, mais il avait l’air bien atteint en quittant les vestiaires, répondant d’un geste vaguement las à la simple évocation du nom de Brooks, dans le style « qu’on ne me parle plus jamais de ce mec-là… »
Pourtant, il y en a des choses à dire sur Michael Anthony Brooks. Ne serait-ce que parce que, quand ce vrai-faux pivot est arrivé à Limoges, on avait là-bas comme ailleurs, quelques doutes à son sujet. Doutes sur ses qualités physiques (ce genou était-il vraiment guéri ?), ses facultés d’adaptation, au basket français, à une équipe de tempérament, et à un poste qui n’était pas vraiment le sien. Doutes enfin sur l’issue de la confrontation entre Brooks et les «big men » du top européen… Bref s’inquiétait-on, ce Brooks-là, à 30 ans, ne serait-il pas encore qu’un autre vieux cheval de retour, fourbu en plus, que la NBA aurait viré de ses écuries ? La réponse est simple aujourd’hui. Brooks crève l’écran, n’a pas fait un mauvais match depuis le début de la saison, prend aussi bien avec la même énergie et la même hargne 20 rebonds contre Saint-Quentin, que 17 face à Den Hendler. Brooks assure. Brooks est présent. Mais, il n’en a pas toujours été ainsi. La saison dernière Michael Brooks a fait des erreurs. A eu des manquements, des absences. Sur le terrain comme en dehors. Il s’en explique aujourd’hui. Avec une belle franchise, et un rien de candeur enthousiaste, comme celle d’un gamin qui sait très bien qu’on lui a pardonné, puisqu’aujourd’hui, il est irréprochable.
Et puis, de toute façon, Michael avait envie de parler de Brooks, et le joueur de l’homme. Et Michael aime parler. Parce qu’il est plutôt du genre chaleureux et communicatif. Un Brooks, ça vous parle comme ça joue avec générosité, enthousiasme, un rien d’exubérance, ça pétille, ça s’excite, ça bouge tout le temps, ça va vite et ça s’arrête difficilement. Le genre d’interviewé qui fait rendre l’âme aux Duracel du magnéto et épuise très vite le stock des cassettes. Ce garçon-là a visiblement de l’énergie à revendre.
La Salle ? « Comme Joe Bryant… »
Nul doute qu’avec un rejeton pareil, Mme Brooks mère (d’origine italienne) n’a pas eu le temps de s’ennuyer du côté de Philadelphie. C’est en Pennsylvanie que le petit Mike grandit au milieu de ses deux jeunes sœurs. Et le basket ne lui occupe pas vraiment l’horizon. Ses trucs, ce sont plutôt le foot et le baseball. C’est simplement parce qu’un jour il va gagner un séjour dans un camp d’été, que Michael se rend compte qu’il a certaines… facilités. Il va même tellement progresser à la West Catholic high-school de Phila (une école très chrétienne), de sophomore en senior, que quelques collèges s’intéressent à lui: Memphis State, St.John’s, Villanova, La Salle.
Pour Michael, ce sera La Salle, même si maman n’est pas tout à fait d’accord. « J’ai choisi La Salle, d’abord parce que ce collège était régi par les Christian Brothers, dont faisait partie ma high-school. Ensuite parce que j’aimais bien le coach, Paul Westhead. Et, en plus, comme beaucoup de gamins de ma région, j’avais une idole, Joe Bryant, qui vivait dans le coin. Bryant, Il était passé à La Salle, avant d’être drafté par Golden State puis vendu aux Sixers. C’était une vedette. Ma mère, elle, aurait préféré me voir partir à St. John’s, pour l’enseignement, parce que c’était tenu par les Jésuites. » Mais Mike préfère suivre les traces de Joe Bryant.
Simplement, on ne sait pas si Bryant, lui, a eu un méchant coup de spleen en se retrouvant dans sa chambre à La Salle. Michael, si. « L’université avait beau être située au voisinage de la ville, mes premières nuits de freshman, je me suis senti bien seul, et bien loin de tout. Je pleurais, j’étais seul dans ma chambre. Il n’y avait pas beaucoup d’étudiants noirs qui vivaient sur le campus. C’était difficile de s’adapter. Comme étudiant aussi. Les cours c’était important à La Salle. On se souciait peu de savoir si tu étais basketteur, athlète ou nageur. Et comme c’était une petite école, on était une vingtaine, au maximum une trentaine par classe. Si tu n’allais pas aux cours, ça se savait. En plus, Westhead avait une règle : si tu manquais la classe une première fois, tu n’avais pas le droit de t’entraîner, si tu manquais encore tu ne jouais pas. » Visiblement Michael était plutôt bon élève. Il n’a pas dû sécher beaucoup de cours, car il a beaucoup joué. Et le minot de 18 ans qui se morfondait dans sa chambre a vite fait de gagner ses galons de vedette. La presse, de Phila et d’ailleurs, et les coaches s’extasient sur cet ailier profilé et caréné comme une statue de Rodin. « Michael est le meilleur joueur à l’Est, et il n’y en a pas beaucoup comme lui à travers tout le pays, » clame Massimino le coach de Villanova.
« Brooks, c’est grandiose, » s’époumone Digger Phelpa de Notre-Dame. Ca l’est même tellement que Bobby Knight le sauvage sort de son antre d’Indiana et convoque Brooks au camp de sélection pour les Jeux Panaméricains en 79.
Bobby Knight l’aime avec ou sans moustache
Et Brooks s’échine sous le coaching d’acier de Knight. Brooks gagne sa place, aux côtés des jeunes laiah Thomas, Ralph Sampson et autres Kevin McHale. « Quand j’ai su que j’étais retenu, je suis allé le voir pour le remercier. Il m’a répondu «Michael, je ne t’ai pas choisi dans cette équipe. C’est toi qui a choisi d’en faire partie en jouant comme tu l’as fait. » Alors, je lui ai posé une deuxième question : « Coach, je sais que vous n’aimez pas que vos joueurs à Indiana portent la barbe ou la moustache. Alors… Est ce que je dois raser ma moustache ? Non. Pas la peine. Ca c’est valable pour mon équipe uniquement. » Avec ou sans moustache, Brooks va faire très mal.
A La Salle, Brooks, ailier naturel, avait aussi l’habitude de glisser au poste bas et Westhead ne se privait pas d’utiliser à l’intérieur les qualités athlétiques, la prise de balle et la mobilité de son joueur. Bobby Knight, lui, va en faire carrément un deuxième arrière. Expérience concluante : les Ricains gagnent la médaille d’or et Michael termine les Jeux à 17 points de moyenne. Sa carrière est lancée : élu meilleur joueur de l’année 80 par un jury de journalistes et de coaches. Il quitte La Salle avec 23,1 points de moyenne, 12 rebonds et 2628 points, le record du meilleur marqueur de tous les temps de l’université (record qui sera battu par Lionel Simmons). On l’annonce comme capitaine de la prochaine sélection US pour les jeux de Moscou, et San Diego le drafte au premier tour. Bref, en ce début des années 80, la vie et le basket sourient à Michael Brooks.
Et le soleil de Californie va éclairer pendant ses deux premières saisons le basket de Michael Brooks. 33 minutes de jeu, 50,4% de réussite aux tirs, 15,6 points, 7,6 rebonds de moyenne, Michael est gagneur dans une équipe qui perd. Les premiers nuages assombrissent l’horizon après que certains bouleversements remuent l’équipe des Clippers: changement de propriétaire, arrivée de premiers tours de draft comme Tom Chambers, Terry Cummings, puis changement de coach, de general manager.
Alors, côté terrain, insensiblement on pousse légèrement Brooks plus souvent vers le banc pour faire de la place aux nouveaux venus. Michael ne joue plus que 29 minutes lors de sa quatrième saison, mais tourne toujours à 11,3 points et 7,2 rebonds de moyenne. Et surtout, il répond toujours présent. Même si le courant ne passe plus vraiment avec les Clippers. Et qu’il a des envies d’évasion… « A cette époque, j’étais naïf. Je pensais qu’être fidèle à un club, une équipe, c’était important. Si j’avais su ce que je sais aujourd’hui, je n’aurais sans doute pas fait les même choix. Je n’aurais pas joué certains matches. Pendant trois ans et demi je n’ai pas raté un match. J’ai joué dans des conditions parfois difficiles, comme cette fois où j’ai joué alors qu’on venait de m’arracher une dent de sagesse, j’avais mal mais j’ai joué jusqu’au bout.…. Parce que j’étais naïf, il ne me venait pas à l’idée de dire « ce soir, je ne joue pas parce que je suis malade. Je pensais qu’on s’en souviendrait un jour… » Compte-là dessus Mike… Les Clippers, eux, s’en foutaient royalement.
Fini, brisé, foutu – « J’ai pleuré comme un gosse… »
Quatre ans de bons et loyaux services, mais parce qu’un soir du 4 février 84, Michael Brooks va s’effondrer sur le parquet de Cleveland et ne se relèvera pas, les Clippers n’auront plus aucun regard pour leur joueur. Michael se souvient bien : « on jouait en défense, et moi je défendais sur Paul Thompson. Ils avaient la balle, mais je réussis à la dévier pour nous sur Billy McKinney. Qui relance tout de suite. Je suis parti très vite, mais Thompson était en face de moi. Il a touché la balle du bout des doigts. Alors je me suis bloqué net dans mon élan et j’ai voulu me retourner pour revenir sur la balle. Et je suis tombé… J’ai senti que quelque chose n’allait plus. J’ai essayé de me relever, mais je n’ai pas pu…» Et pour cause. Le genou droit a sauté. Tout, ligaments, cartilages, ménisque. Brooks est rapatrié sur San Diego. Le diagnostic est pessimiste et l’opération inévitable. « Mon docteur m’avait dit: «Mike, tu ne pourras plus jouer cette saison… Et tu ne pourras sans doute jamais plus jouer en pro…» Jusqu’à ce moment, je m’étais cru indestructible, invulnérable. Je n’avais jamais raté un match, j’avais la vie devant moi, et là, dans cette chambre d’hôpital, toute ma vie s’effondrait en quelques instants. Alors, j’ai pleuré. Pleuré comme un gosse, pendant vingt minutes. C’était tout ce que je pouvais faire…»
Et puis, c’est le début du cercle infernal : opération, puis fièvre, infection, complications, réopération. Le soleil de Californie éclaire la galère d’un Brooks exsangue, affaibli et salement largué par les Clippers. Bien sûr, Mike perçoit toujours son salaire, mais aucun dirigeant du club ne passera le voir ou prendre de ses nouvelles. Aucun signe, ni du coach, ni du propriétaire. Les seuls de l’équipe à visiter Mike sur son lit d’hôpital seront Norm Nixon et Bill Walton. Un Walton fiévreux et malade, et qui va, ironie du sort, contaminer son copain Mike qui n’avait pas besoin de ça… « Mais, avec le recul, ce qui m’a fait le plus mal, c’est que, excepté Norm et Bill, personne des Clippers ne soit venu me voir. J’ai su, dès ce moment, que quoiqu’il arrive, je ne jouerai plus jamais pour eux…»
Heureusement pour lui tenir chaud au cœur, Mike reçoit des centaines de lettres, fleurs et bonbons de fans de la région, qui eux ne l’ont pas oublié. Il distribue gentiment tout ça au personnel médical, prend ses affaires, et ce qui lui reste de courage, à deux mains pour remonter la pente. Cahin-caha, le nez dans le guidon, au bord de l’abandon, Michael Brooks mettra plus de deux ans pour revenir dans le peloton de la NBA.
Déprime, cafard, rumeurs – «Mais je voulais revenir…»
Après avoir failli tout foutre en l’air. Après avoir abandonné pendant un moment sa rééducation, écoeuré de voir sa jambe toujours aussi inerte. Amertume, écoeurement, cafard, idées noires, Brooks ne sort plus, ne vit plus. S’enferme chez lui, change de numéro de téléphone et se coupe de tous ses amis. « Quand je me réveillais le matin, je me regardais dans la glace, puis je voyais ma jambe, maigre, squelettique. Je n’étais pas heureux, je gâchais ma vie, je n’étais plus Michael… J’étais complètement déprimé. Tellement déprimé qu’on a commencé à répandre le bruit que je me droguais..»
Mais Michael ne se droguait pas. Ou alors, à la revanche. « Non, jamais je n’avais eu l’idée de renoncer au basket. Je voulais être un de ceux qui étaient revenus…»
Alors il reviendra. Après avoir ramé et trimé en rééducation. Et surmonté l’instant douloureux où il a refait ses premiers pas sur un terrain comme un infirme. « J’étais incapable de courir. C’était presque ridicule. Tout ce que je pouvais faire, c’était rester planté là et shooter… » Sa vraie chance de jouer, il la retrouve plus de deux ans après, en CBA avec Bill Musselmann et… Don Collins. Du coup les Pacers lui proposent deux intérims de dix jours. Puis c’est Charleston. Mike termine la saison avec les Gunners en CBA. Et sent lui revenir au fond du ventre la faim du terrain. Alors, il bouffe du basket en USBL, tape en passant dans l’oeil de l’agent Didier Rose, avant d’aller rejoindre Musselmann à nouveau. A Albany pour une saison d’enfer en 87-88: MVP de la CBA, nommé dans le All-Star team, meilleur rebondeur de la ligue (11.9 rbds), Michael n’a pas encore retrouvé ses gambettes d’avant. Maís il a fait un grand bond en avant. Qui lui vaut d’être appelé par Denver. 16 matches sous le maillot des Nuggets, où Michael joue les dépanneurs. Mais c’est là-bas qu’il enlèvera enfin, pour la première fois, cet appareillage de contention qui lui maintenait le genou.
« A Denver, leur kiné, c’était une légende vivante pour ce qui était de faire revenir les joueurs blessés. Il m’a dit un jour qu’il voulait me voir m’entrainer sans ma protection. J’hésitais. Le docteur de l’équipe m’a dit que ma jambe avait l’air parfaitement saine et forte. J’hésitais encore. Puis finalement, je l’ai enlevé… » Et j’ai repris la thérapie, les entrainements spécifiques, les un-contre-un avec Wayne Cooper, qui lui revenait d’une blessure au dos… La confiance revenait enfin à Brooks. Pourtant, malgré le désir des Nuggets de le voir à leur prochain camp, malgré sa draft par les Charlotte Hornets. Michael brooks va quitter la NBA. De son plein gré cette fois. Pour venir en France, à Limoges. Maman Brooks toujours présente s’inquiète : « Mais Michael, tu ne veux donc plus rejouer en NBA ? » Oui il voulait mais… «J’étais fatigué. Fatigué de négocier avec les équipes de passer des heures à discuter, envoyer des lettre, de demander des contrats garantis… et puis, je n’avais plus 20 ans, mais 30… » Alors, voilà notre Michael Brooks excité comme un gamin à Noël, qui cherche partout Limoges sur les cartes chez lui puis saute par-dessus l’Atlantique pour débarquer en Limousin dans les bras du président Xavier Popelier venu l’accueillir a l’aéroport.
Doutes, pivot, pas pivot – « Je hais le mot « pivot »… »
« Des doutes? Bien sûr qu’on a eu des doutes au sujet de Michael, » confie le coach du CSP Michel Gomez. « Bien sûr j’aurais voulu un vrai pivot. En plus, il avait été blessé. Quand on l’avait eu, on a fait quelques tests avec lui , il n’était pas encore tout à fait au top physiquement. D’ailleurs, compte tenu de sa blessure, il y a par exemple certains gestes qu’il ne peut plus faire en tant qu’ailier. Et puis, il a fallu qu’il s’adapte au niveau jeu. Avec Steph (Ostrowski) par exemple au début, ils se marchaient un petit peu sur les pieds… »
Et puis, comme l’avait dit un jour Don Collins, Michael a du faire face à Limoges au syndrôme « Clarence Kea »…» D’un côté un des plus petits pivots d’Europe, mais un vrai, et de plus, vieux baroudeur titré du basket européen. De l’autre un ailier naturel reconverti, encore vulnérable physiquement et qui débarquait dans le basket européen. Passe encore pour le championnat de France, mais on avait peur que ça fasse un peu léger comme pivot en coupe d’Europe.
Pivot… Michael n’a fait qu’un bond sur son siège… « Pivot? je hais ce mot, je le déteste ! Quand tu dis «pivot» on s’attend à voir un monstre de 2,10m et 130 kilos. C’est ce que Limoges attendait, je sais. Mais ce que tu as, c’est ce que tu vois. Avant ils avaient Kea. Il était plus petit que moi. Plus lourd, plus épais d’accord, mais il ne pourrait pas faire certaines choses que je fais. Alors, je ne fais pas 2,14m, mais je pense en faire autant qu’un joueur de cette taille. J’apporte ce qu’on attend de moi : augmenter le capital rebonds, points, jouer au poste, défendre poste haut, et puis contre le grand d’en face qui est obligé de me tenir, je peux souvent exploiter ma vitesse… Bon, je ne contre peut-être pas beaucoup. Mais je pense que pour quelques désavantages que j’ai, j’ai des avantages de l’autre côté. »
Limoges a appris à exploiter les avantages, Et Michael à se positionner sur le terrain sans empiéter sur le rayonnement de Stéphane Ostrowski. Il glisse du 4 au 5 suivant que Vestris soit ou non sur le terrain. Mais, pour sa première saison, Brooks coince encore parfois. Il n’est pas encore vraiment un super. Un certain manque de constance, de consistance montre deux visages du même Brooks. Surtout dans son registre offensif. D’un côté il est capable de protéger et de glisser dans le filet le plus pourri des ballons au milieu de la pire des mêlées, et de l’autre il est capable de rater en fin de contre-attaque le plus facile des lay-up, ou d’expédier un véritable «air-ball» sur un tir pourtant préparé et en position. Comme s’il disjonctait son basket l’espace de quelques secondes. A s’arracher les cheveux. Manque de concentration ? « Ça faisait partie de nos doutes,» dit Gomez. « Michael manque parfois de concentration. Il se disperse. Ce qui nous a valu quelques doutes sur ses facultés de compréhension, d’approche du basket européen. C’était visible pendant certaines préparations de matches. Et puis, sur des ballons décisifs par exemple, il était parfois pris en défaut. C’est un garçon qui aime les situations difficiles, mais qui négocie mal certaines situations faciles. »
Erreurs, bars, nuits blanches – « Tout ça, c’est fini. Ma vie a changé »
Ca c’est l’explication côté terrain. Mais honnêtement, il n’ y avait pas que ça. Michael le sait. Et il est honnête. Et suffisamment franc pour reconnaître lucidement que certaines de ses lacunes l’an dernier résultaient du fait qu’il menait une vie nocturne «difficile ». Michael Brooks n’est pas homme à se défiler. Et il reconnaît aujourd’hui qu’il avait gaspillé dans quelques bars l’énergie qui lui a parfois fait défaut sur le terrain. «Je suis sans doute sorti plus que je n’aurais dû l’an dernier. Mais c’était naturel je crois. Je me sentais seul, un peu largué, et il n’y avait rien pour me retenir à la maison. Des erreurs ? Quand j’ai raté l’entraînement avant Split, c’était une énorme faute. Heureusement, on a gagné. Oui, j’ai fait des erreurs. Qui n’ont pas été énormément graves pour le club, mais qui l’étaient pour moi, personnellement. Sortir chaque nuit, traîner, boire plus que de raison en sachant qu’il faudra se lever le matin pour l’entraînement… Ce n’était pas bon pour moi physiquement, et ce n’était pas la meilleure image que je pouvais projeter à mes coéquipiers. Alors cet été, je me suis assis à ma table, et j’ai écrit ce que je pouvais faire et ne pas faire. Ce que je ne pouvais plus faire, c’était sortir et rentrer ivre, rater l’entraînement ou arriver en sentant encore l’alcool. Pour Limoges mais aussi pour moi. Parce que, sur certains matches, j’ai senti que, parce que j’avais peut-être un peu trop bu la veille, ou que j’étais rentré trop tard… et bien… physiquement j’étais pas capable de prendre le rebond en plus, ou de marquer le panier important… Mais tout ça, c’est fini. Cette année sera différente. Je suis beaucoup plus sérieux… »
Sérieux ? On pourrait tout aussi bien dire amoureux. Tout simplement. Si la vie de Michael Brooks a changé, c’est parce que contrairement à ce qu’il s’était toujours juré, Michael s’est marié cet été. C’est simple la vie comme ça. Michael a craqué pour la blondeur et les grands yeux de Patricia, et il sera papa en février d’une petite fille. Qui arrivera au monde le mois où son papa, actuellement en période de probation, sera considéré comme un citoyen français. «Je sais ce que les gens peuvent raconter dans ce genre de situation, et je voudrais que ça se sache. Je me suis marié par amour. Et pour avoir ce bébé. Pas parce que je pouvais devenir un joueur français. Si ça avait été le cas, j’aurais pu très facilement me marier l’an dernier. Mais je suis heureux aujourd’hui. Parce que j’ai envie de faire ma vie en Europe, et pourquoi pas en France. II se passe trop de mauvaises choses aux Etats-Unis, et je ne veux pas que ma fille soit soumise à tout ça. Ceux qui se sont mariés par intérêt, n’ont jamais cherché à s’intégrer à la vie française. Moi, je pense qu’il faut être très respectueux du mode de vie français. Et je crois aussi que les gens, ici, savent faire la différence entre celui qui est honnête et sincère, et celui qui ne l’est pas. »
Voilà. Michael sera bientôt français, et Brooks autorisé dans trois ans à jouer comme français. Et ce Brooks-là, son rêve, ce serait de porter le maillot tricolore aux JO… Avec Demory, Dacoury, Ostrowski, Vestris… Entre Limougeauds quoi… Bon malgré la FIBA, Michael ne serait pas le premier à avoir porté dans une carrière le maillot de deux sélections nationales. On peut rêver. Mais il y a toujours trois ans de délai. Ça risque de faire un peu juste pour les JO, Mike.
L’Europe, le Final Four – « Pour moi, c’est l’année décisive »
Alors en attendant 92, reste 90. Et la coupe d’Europe, le Final Four. Limoges et Brooks ont fait une entrée fracassante chez les Champions. Invaincus en championnat, les Limougeauds ont démarré sur le même mode en Coupe d’Europe. Malgré ce qu’on avait senti de pression, de tensions et de relations plus ou moins conflictuelles en ce début de saison. « Il y aura toujours des divergences dans une équipe,» répond Michael. « Mais le seuil de perturbation, il est déterminé par les victoires et les défaites. Tu ne peux pas laisser des problèmes humains perturber ton boulot. Si tu n’y arrives pas, c’est que tu n’es pas pro. Parfois, peut-être, tu dois te retenir, te mordre la langue. Ça fait un peu mal. Mais je préfère me mordre la langue que de provoquer des problèmes. Et puis, on peut dire ce qu’on veut, la meilleure réponse, c’est qu’on continue à gagner.»
Vous l’aurez compris, Brooks n’est pas un caractériel. Et, chez lui, l’enthousiasme finit toujours par reprendre le dessus. C’est ce qu’apprécie aussi Gomez chez son joueur. Ce désir juvénile, cette impatience gamine de toujours vouloir en faire plus, en savoir plus. « Ce qu’il y a de formidable chez lui, c’est son envie de toujours vouloir donner le meilleur de lui-même. Il est toujours curieux, à la recherche d’informations, avec Frédéric (Sarre), avec moi. Il a ce désir de toujours vouloir apprendre… » De son coach, Brooks dit « Il m’a redonné l’esprit du college ». Ça promet pour la suite. On n’a visiblement pas fini de voir Brooks courir comme un lapin sur les parquets européens. D’autant, qu’au fond de lui-même, Michael a une revanche personnelle à prendre sur cette satanée coupe d’Europe.
« Dans cette coupe d’Europe, ce qui est important pour moi, c’est que c’est à son niveau que je veux me juger. Parce que l’an dernier, contre les Russes, les Yougos, ou même contre les Espagnols, je ne me suis pas senti fort. J’ai même eu le sentiment d’être dominé parfois. Cette année je serai là. Parce que tout me revient en même temps: le mental, la confiance, le physique. Alors, pour moi l’année décisive, ça doit être maintenant…»
Il y a presque six ans Brooks paraissait perdu pour la NBA. Aujourd’hui, la NBÁ en voudrait bien car ce Brooks 90 vaut bien celui d’avant la blessure. Trop tard. Pour une fois la NBA a quelques années de retard, qui permettent aujourd’hui à Limoges de compter quelques longueurs d’avance…
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A Tel-Aviv, dans l’antre du Maccabi, les égarements des officiels lui avaient valu de quitter le combat prématurément pour une cinquième faute parfaitement fantaisiste. Du coup, on avait vu les 2,01 m de Michael Brooks terminer le match à quatre pattes, rampant fiévreusement le long du banc limougeaud en hurlant des encouragements aux petits camarades…
A Limoges, face à Den Helder, Brooks n’a pas terminé le match à quatre pattes. Den Helder, si. Car cette fois, les 2,01 m du n°8 limougeaud étaient bel et bien dépliés sur le terrain. Sur le terrain et au-dessus de tout le monde. Une vraie déferlante. C’est peu dire que ce soir-là, Michael Brooks a survolé le match. Il a fait voir toute l’étendue de sa polyvalence, et un registre de jeu, cultivé entre college-NBA-équipe nationale US, qui l’avait fait passer là-bas de deuxième arrière à intérieur, en passant par toutes les variantes de l’ailier. Bref, il a été partout, tentaculaire, percutant, inévitable. Comme ses stats qu’on vous ressort rien que pour le plaisir : 23 points, 10 sur 16 aux tirs (62% de réussite), 3 sur 5 aux lancers francs, 17 rebonds, 4 contres, 5 interceptions, 3 dunks bien saignants,3 passes,3 fautes personnelles… Ah oui, on oublierait presque, une balle perdue. Et le tout en 27 petites minutes de jeu… Jouer en face de Brooks ce soir-là, ça donnait plutôt envie de tout remballer et d’aller se reconvertir dans le commerce des bicyclettes aux Pays-Bas. C’est moins fatigant, et surtout, ça va moins vite. On ne sait pas si c’est ce que va faire Tito Cooper, mais il avait l’air bien atteint en quittant les vestiaires, répondant d’un geste vaguement las à la simple évocation du nom de Brooks, dans le style « qu’on ne me parle plus jamais de ce mec-là… »
Pourtant, il y en a des choses à dire sur Michael Anthony Brooks. Ne serait-ce que parce que, quand ce vrai-faux pivot est arrivé à Limoges, on avait là-bas comme ailleurs, quelques doutes à son sujet. Doutes sur ses qualités physiques (ce genou était-il vraiment guéri ?), ses facultés d’adaptation, au basket français, à une
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Article paru dans Maxi-Basket en février 1990
Photo d’ouverture : Maxi-Basket