Elle mesurait près de 2,20m et elle a semé la terreur pendant vingt ans sur tous les terrains du globe. Personne n’a trouvé la parade.
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Reconstituons le cadre de ses apparitions en France. Au début des années soixante-dix, le sport français est à la ramasse. Les « demoiselles » du Clermont Université Club, rassemblement un peu artificiel des meilleures joueuses françaises, échappent à la morosité ambiante. Elles enchainent les finales de Coupe des Champions et font des percées médiatiques. Ces finales sont diffusées en direct sur la première chaîne de l’ORTF et de nombreux reportages sont réalisés pour les besoins des JT de 13 h et de 20 h. Toute la France profonde connaît Jacky Chazalon, les Dames en noir, et celle qui invariablement les empêche de conquérir le Saint Graal, la Soviétique Ouliana Semenova — Uliana Semjonova en letton —, une géante du TTT Riga dont la taille oscille suivant les sources entre 2,10 m et 2,20 m. Le 12 avril 1971, le Journal Télévisé de 13 h consacre un reportage de ONZE minutes au CUC. La veille, les ogres soviétiques sont venus terrasser les petites Françaises au Palais des Sports de Clermont-Ferrand gavé de 6 000 spectateurs, et le journaliste François-Henri de Virieu — celui qui, plus tard, présentera L’Heure de Vérité — réalise un micro-trottoir. « Elles ont gagné grâce à la grande Semenova, qui récupère pour shooter, mais pour moi, elle n’a pas de jeu {sic} » dit une femme. Un homme : « Pour moi, c’était même un peu écœurant. D’ailleurs, il y a eu cinq minutes de beau basket quand la grande s’est arrêtée (re-sic). »
Ouliana Semenova incarne le mal absolu, on la voit à l’œuvre et François-Henri de Virieu commente : « Sa spécialité, c’est le basket ou plus exactement le captage des balles hautes sur les terrains de basket. Imaginez une sorte de grue qui serait montée sur rails, aux qualités plus mécaniques que sportives, une grue dont les mains levées arriveraient à 15 cm du panier. Les règles du basket sont respectées bien sûr, mais le spectacle en souffre. Semenova n’a que deux tâches sur les terrains, récupérer la balle sous le panier de son équipe et l’envoyer d’une chiquenaude dans le panier de l’adversaire. Le reste, ce sont ses équipières qui le font. »
À cette époque, les salles françaises ne sont pas des salons de thé. On y vient supporter ses couleurs et parfois avec rage. Semenova est sifflée, huée, brocardée. « Le public est inconscient et cruel. C’est une fille qui se rend compte de sa taille et elle a énormément de complexes » estime la capitaine Annie Prugneau. Plus tard, la Lettone dira que, totalement concentrée sur son job, elle ne faisait absolument pas attention au courroux du public.
« Et si, à la fin des matches. Les stylos se tendent, c’est davantage au phénomène de foire qu’à l’internationale de basket que l’on demande un souvenir » conclut le journaliste. C’est vrai que pour le bon peuple auvergnat, Ouliana Semenova, c’est un peu Elephant Man. « On ne lui pardonne pas de ruiner les espoirs des joueuses ordinaires, de celles qui ne sont que rapides et adroites et qui savent que tant que Semenova jouera, elles ne gagneront pas. »
21 fois championne d’Europe avec l’URSS et Riga
Sans doute que la chose la plus extraordinaire donnée à voir dans la carrière d’un journaliste de basket sont les mains et les pieds démesurés d’Ouliana Semenova. Elle chausse du 54 — ou même du 58 selon d’autres sources — et Adidas lui envoyait encore des chaussures faites sur mesure alors qu’elle avait pris sa retraite sportive. Comme Gheorghe Muresan ou Vladimir Tkatchenko, la Lettone avait été victime d’une tumeur à l’hypophyse qui avait provoqué son gigantisme. À 13 ans, elle mesurait déjà 1,90 m. De ses quatre frères et une sœur, pas un seul n’atteignait le 1,80 m.
Ouliana a pratiqué le ski, le handball, le volley-ball, avant de se mettre, forcément, au basket. Elle est entrée dans une école sportive de Riga puis à l’Institut d’Éducation Physique. À 15 ans, elle jouait en équipe première et, l’année suivante, elle réalisait son premier triplé : championne d’URSS et d’Europe aussi bien avec le TTT Riga que l’équipe nationale.
Son curriculum vitae est plus imposant encore que celui d’un Maréchal de feu l’Union Soviétique. La ligne la plus incroyable est celle qui stipule que l’équipe nationale est demeurée invaincue pendant les dix-huit années (1968-86) où elle en fut le pivot ! Personne sur cette planète n’a un pourcentage de victoires aussi important qu’elle. Le règne du TTT Riga fut également sans partage, en Europe, comme sur le territoire national. Semenova a gagné 15 titres de championne d’URSS et 11 de championne d’Europe. Elle a scoré 54 points lors d’un match de Coupe des Champions contre l’équipe italienne de Geas, en 1975, et encore 32 points en finale des Jeux Olympiques de Montréal, l’année suivante. C’est le boycott de son pays qui nous a privés d’un fabuleux face-à-face avec l’équipe américaine de Cheryl Miller pour les JO de Los Angeles, en 84. Ouliana a reçu douze fois le trophée de « Sportif de l’Année » en Lettonie et surtout, elle fut la première étrangère à être intronisée au Hall of Fame de Springfield, Massachusetts.
Au temps de sa splendeur, il suffisait à Semenova de recevoir la balle dos au panier, de pivoter et, sans un dribble de dégagement, de faire un double pas et de shooter, main gauche. Un geste très sûr. Elle dominait ses rivales de la tête et des épaules, sans besoin de sauter. Personne ne pouvait s’opposer à ses claquettes sur un rebond offensif. Son pourcentage de réussite dans les shoots était énorme. Quand elle était en défense, c’était comme s’il fallait lancer un ballon par-dessus le Mont-Blanc. Combien de shoots sont venus mourir dans ses bras et ses mains ?
À un journaliste de télé qui lui demanda un peu bêtement « on vous donne le ballon et vous n’avez pratiquement plus qu’à le mettre dans le panier, ça vous amuse de jouer au basket de cette façon ? », elle répondit de sa voix grave : « vous savez, c’est difficile de shooter de loin même quand vous êtes très grand, et j’ai dû beaucoup m’entrainer, deux à trois heures par jour. »
« Elle est très, très bonne. Elle progresse chaque année » commenta Elisabeth Riffiod, qui fut tant de fois dans ses jambes avec le CUC comme avec l’équipe nationale. « Chaque année, on tente une nouvelle tactique pour essayer de la contrer. Je pense qu’aujourd’hui, on a bien réussi cette défense sandwich, que Bill Sweek, notre entraîneur, nous avait fait travailler toute cette semaine, mais malheureusement, les autres autour ont fait leur travail. » Car les Lettones comme toutes les Soviétiques — dont Olga Soukharnova que l’on vit à Mirande et Challes au soir de sa carrière — n’étaient pas manchotes. Elles surent totalement se mettre au service de leur pivot venu du Monde de Gulliver, qui reconnaissait que son plus gros handicap était la lenteur. « D’ailleurs, tous les matches me sont difficiles, car courir est pour moi toujours un effort. »
A Orchies en fin de carrière
Ouliana eut à supporter la vindicte populaire. La géante dut aussi composer avec des arbitres peu complaisants.
La Finlandaise Lea Hakala se remémore : « Je pense que tout le monde pouvait jouer durement contre elle. Les arbitres ne lui sifflaient rien, car elle était si énorme. Je pense qu’ils se disaient, elle est so big, alors laissons les autres la charcuter un peu. Je ne me souviens pas qu’elle se plaignait beaucoup. Je suppose qu’elle était habituée. » Impression confirmée par Serguei Chernov, qui fut assistant coach de l’équipe soviétique : « Parfois, elle était déçue ou en pleurs, mais elle n’a jamais voulu répondre physiquement. C’était une chouette fille. »
En d’autres termes — un peu niais —, c’est ce que fit remarquer un journaliste télé français : « c’est une jeune femme de 22 ans, timide, eh oui !, et très pacifique. Contrairement aux apparences. » Quliana Semenova était tout sauf un monstre, et bien au contraire une jeune femme à la sensibilité à fleur de peau, à la gentillesse débordante.
La Lettone n’en a jamais voulu à Clermont-Ferrand et à la France de l’avoir accueillie les premières fois avec des colliers d’épines. Lorsqu’elle accepta à 36 ans, de rallier l’US Orchies du coach Marc Silvert, elle lâcha dans un sourire : « Mes plus beaux souvenirs de Coupes d’Europe datent de mes voyages à Clermont-Ferrand contre le CUC. Ce que j’aime surtout de la France, c’est l’architecture et la culture, et c’est pourquoi j’étais tout de suite d’accord pour venir à Orchies. » Quelques années plus tard, elle nous avait parlé de son immense respect pour les basketteuses du CUC. « Parmi les joueuses du passé, sans aucun doute le plus forte a été Chazalon. Sa technique était tout bonnement irréprochable. La Soviétique Zakharova et la Yougoslave Veger m’ont donné pas mal de fil à retordre. Cependant, l’équipe la plus sérieuse que nous avons eue à rencontrer a été le CUC avec Chazalon, Guidotti, Riffiod, Passemard, Quiblier. »
À Orchies, son corps était à bout de forces et, rattrapée par son diabète — elle fit un coma à la mi-temps d’un match de Coupe d’Europe à Paznan —, elle lâcha bien malgré elle ses équipières en cours de route.
Quarante ans après ses premières joutes contre le CUC, Ouliana Semenova et sa silhouette surnaturelle font toujours fantasmer. Elle a révolutionné le basket féminin mondial comme aucun de ses confrères masculins ne l’a fait, Ni Wilt Chamberlain, ni Bill Russell. Pas même Michael Jordan. C’était l’arme absolue.
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Reconstituons le cadre de ses apparitions en France. Au début des années soixante-dix, le sport français est à la ramasse. Les « demoiselles » du Clermont Université Club, rassemblement un peu artificiel des meilleures joueuses françaises, échappent à la morosité ambiante. Elles enchainent les finales de Coupe des Champions et font des percées médiatiques. Ces finales sont diffusées en direct sur la première chaîne de l’ORTF et de nombreux reportages sont réalisés pour les besoins des JT de 13 h et de 20 h. Toute la France profonde connaît Jacky Chazalon, les Dames en noir, et celle qui invariablement les empêche de conquérir le Saint Graal, la Soviétique Ouliana Semenova — Uliana Semjonova en letton —, une géante du TTT Riga dont la taille oscille suivant les sources entre 2,10 m et 2,20 m. Le 12 avril 1971, le Journal Télévisé de 13 h consacre un reportage de ONZE minutes au CUC. La veille, les ogres soviétiques sont venus terrasser les petites Françaises au Palais des Sports de Clermont-Ferrand gavé de 6 000 spectateurs, et le journaliste François-Henri de Virieu — celui qui, plus tard, présentera L’Heure de Vérité — réalise un micro-trottoir. « Elles ont gagné grâce à la grande Semenova, qui récupère pour shooter, mais pour moi, elle n’a pas de jeu {sic} » dit une femme. Un homme : « Pour moi, c’était même un peu écœurant. D’ailleurs, il y a eu cinq minutes de beau basket quand la grande s’est arrêtée (re-sic). »
Ouliana Semenova incarne le mal absolu, on la voit à l’œuvre et François-Henri de Virieu commente : « Sa spécialité, c’est le basket ou plus exactement le captage des balles hautes sur les terrains de basket. Imaginez une sorte de grue qui serait montée sur rails, aux qualités plus mécaniques que sportives, une grue dont les mains levées arriveraient à 15 cm du panier. Les règles du basket sont respectées bien sûr, mais le spectacle en souffre. Semenova n’a que deux tâches sur les terrains, récupérer la balle sous le panier de son équipe et l’envoyer d’une chiquenaude dans le panier de l’adversaire. Le reste, ce sont ses équipières qui le font. »
À cette époque, les salles françaises ne sont pas des salons de thé. On y vient supporter ses couleurs et parfois avec rage. Semenova est sifflée, huée, brocardée. « Le public est inconscient et cruel. C’est une fille qui se rend compte de sa taille et elle a énormément de complexes » estime la capitaine Annie Prugneau. Plus tard, la Lettone dira que, totalement concentrée sur son job, elle ne faisait absolument pas attention au courroux du public.
« Et si, à la fin des matches. Les stylos se tendent, c’est davantage au phénomène de foire qu’à l’internationale de basket que l’on demande un souvenir » conclut le journaliste. C’est vrai que pour le bon peuple auvergnat, Ouliana Semenova, c’est un peu Elephant Man.
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Paru dans Maxi-Basket en 2010