La suite de l’interview de Richard Billant, le coach des équipes de France de 3×3 à l’occasion de la Coupe du Monde qui se tient actuellement à Nantes.
Quelles sont les qualités spécifiques que doit avoir un joueur de 3×3 ?
Il y en a beaucoup aussi c’est difficile de les classer. L’adresse est une qualité très importante vu que le point marqué à l’extérieur de 6,75m vaut double. La polyvalence technique. Il y a moins de postes spécifiques, il faut savoir passer, tirer, pénétrer, aller au rebond, défendre sur des grands. Il faut être un peu couteau suisse.
Comment équilibrer une équipe de 3×3. Un meneur, un extérieur, un intérieur ou plutôt des joueurs polyvalents ?
Il faut des joueurs polyvalents, c’est beaucoup mieux. Les garçons et filles que l’on a retrouvent de la polyvalence au fil des tournois qu’ils avaient un peu perdu en 5×5 car on les avait cantonnés à des rôles spécifiques. Le jeu les oblige à être polyvalent. Il faut avoir un bon cardio, il faut être vite et endurant. Le 3×3 c’est un sprint de dix minutes. La FIBA a fait un clip sympa sur les règles et c’est ce qu’ils disent et c’est vrai que ça va très vite. Il y a beaucoup moins de breaks que dans le 5×5. Comme le temps imparti est de douze secondes on passe très vite de l’attaque à la défense, on est tout le temps en réactivité, alors qu’en 5×5 parfois le meneur monte la balle en marchant, ça joue parfois d’un côté et on a le temps de souffler à l’opposé, il y a des lancers-francs, des arrêts de jeu. Nous, il n’y a qu’un lancer-franc, les temps-morts ne durent que trente secondes. C’est le même jeu mais en plus vite.
« Je leur avais dit aux joueurs et aux joueuses : vous êtes tous des experts de 5×5 mais vous êtes des débutants de 3×3 »
Comment se fait le recrutement ? Les joueurs se proposent ou sont-ils sollicités ?
Parfois ça se fait de façon anecdotique. C’est arrivé récemment avec une joueuse professionnelle, Ana Maria Filip. Elle m’a carrément sollicité. Je lui ai dit qu’elle est courageuse car ce n’est pas évident de sortir de son contexte (NDLR : l’ex-internationale n’a finalement pas été retenue dans l’équipe de France pour le Mondial). Je leur avais dit aux joueurs et aux joueuses : vous êtes tous des experts de 5×5 mais vous êtes des débutants de 3×3 donc il faut avoir beaucoup d’humilité, se remettre en question. Le recrutement se fait beaucoup par bouche à oreille.[arm_restrict_content plan= »registered, » type= »show »]Je passe énormément de coups de fil, je prends des avis de coach, de tout le monde, j’essaye d’avoir des joueurs polyvalents. Ensuite, on essaye de faire des rassemblements. On en a fait un au moment de la Leaders Cup où on avait fait venir seize garçons pour les tester.
Le CV de 5×5 compte-t-il dans le recrutement ? Un joueur de Pro A sera-t-il mieux considéré a priori qu’un joueur de NM1 ?
Au départ peut-être que oui mais après il faut qu’il le prouve sur le terrain. Des joueurs de NM1 peuvent être meilleurs en 3×3 que des joueurs de Pro A. On a par exemple un joueur de NM3 qui se débrouille très bien. Une équipe de Bordeaux s’est constituée pour disputer des tournois avec des gars qui jouent au maximum en Nationale 2 et ils ont un très bon niveau 3×3. Les Serbes ont un niveau NM1-Pro B mais ce sont les meilleurs joueurs de 3×3 du monde. En filles, on s’appuie essentiellement sur des joueuses de Ligue 1 et de Ligue 2.
Dans votre pré-sélection, il y avait trois anciennes internationales, Ana Maria Filip, Sandra Dijon et Sabrina Palie ?
C’est bien mais ce n’est pas une garantie. Je dis toujours : la porte est grande ouverte, venez essayer, venez prouver. Je ne peux pas vous dire à l’avance si vous allez réussir ou pas. Je ne sais déjà pas si vous allez aimer car c’est spécial. Il faut jouer dur, plus qu’au 5×5.
La défense est un élément très important ?
Un gars ou une fille qui arrive là, au début c’est très dur. Les arbitres sont beaucoup plus tolérants.
C’est l’esprit américain du « no blood, no foul » ?
C’est presque ça. Il faut vraiment des fautes très dures pour que ça siffle.
« Les changements sont tellement énergétiques, tout le monde veut sortir à un moment donné tellement ils sont fatigués »
Il y a eu 8 joueurs et 8 joueuses en stage pour 4 places ?
Oui. Après durant les matches, ils se débrouillent entre eux puisqu’il n’y a pas de coach, c’est aussi l’une des grandes particularités du 3×3. Dès lors qu’il y a un coup de sifflet de l’arbitre on peut demander un changement, ça se passe très vite. Ce n’est pas un capitaine qui décide, je dirai plutôt un leader naturel qui se fait dans l’équipe et qui prend les choses en main, mais les changements sont tellement énergétiques, tout le monde veut sortir à un moment donné tellement ils sont fatigués. Parfois, il y en a même deux qui se battent presque pour sortir. Ce n’est pas comme au 5×5 (rires). C’est pareil pour prendre les temps-morts, ils gèrent.
Les garçons et les filles font les mêmes stages, s’entraînent ensemble ?
C’est quelque chose que j’ai mis en place et que je souhaite maintenir. Pour l’instant, ça marche. Pour ne pas faire du copier/coller du 5×5, j’ai souhaité avoir une vision globale des garçons et des filles et donc un travail commun. Dès lors que les deux équipes sont qualifiées sur un même lieu de compétition, on travaille ensemble. Ce matin, on a travaillé une heure et demie avec les gars puis une heure et demie avec les filles mais cet après-midi, on va travailler tous ensemble, un groupe va faire de l’adresse, un autre va faire des matches. Parfois sur des exercices, naturellement, les garçons et les filles jouent ensemble. Ce que j’aime bien c’est les mettre en opposition comme faire des concours de tirs garçons contre filles. J’adore ! C’est une émulation extra. C’est un état d’esprit exceptionnel ! Je suis un entraîneur comblé car j’ai l’impression de faire quelque chose d’unique. Avec mes assistants, en France, je suis le seul entraîneur à pouvoir travailler avec des hommes et des femmes et sur un même lieu, c’est génial. L’ambiance entre les gars et les filles est fabuleuse et en même temps ils progressent dans le jeu 5×5. C’est vraiment une famille. Je souhaite que ça perdure le plus longtemps possible.
Y a-t-il du scouting pour le 3×3 comme il existe pour le 5×5 ? Avez-vous une idée du niveau de l’opposition à Nantes ?
Ça n’a rien à voir avec le 5×5. On ne sait jamais à l’avance quelle équipe on va nous proposer, ça change tout le temps. Il y a simplement du scouting à partir du moment où l’on rentre dans la compétition et que l’on voit les autres. Il y a quelques équipes comme la Serbie et la Slovénie qui ont des équipes qui désormais sont toujours les mêmes. Les Italiens, ça fait deux ans qu’ils ont les mêmes. Celles-là, on comme commence à les connaître. Il y a aussi des nouveaux pays qui apparaissent tous les ans. Le Salvador ! Guam !
« Il suffit qu’un riche magnat ou un président-dictateur veuille exister au plus haut niveau, c’est facile pour lui de constituer une équipe de 3×3 et au bout de deux ou trois ans, ils peuvent faire les Jeux Olympiques alors que c’est impossible en 5×5 »
Des Serbes sont devenus professionnels de 3×3…
Exactement. L’objectif de la FIBA est clair. C’était déjà que le 3×3 soit sport olympique en 2020. Et ils pensent que comme pour le beach volley il y aura à terme des joueurs professionnels qui joueront une ligue mondiale sur l’ensemble de l’année. Ce qui fait que des joueurs et des joueuses devront faire des choix, savoir s’ils doivent s’orienter vers le 3×3. On n’en est pas là, ça se fera peut-être dans huit, dix ans. Le fait que ce soit olympique change déjà tout en termes de renommée, de moyens, ça va booster le 3×3. Des pays vont s’y intéresser et plein peuvent être très forts. Prenez les Philippines. Ils ne sont pas mauvais au 5×5, ils avaient organisé le Tournoi de Qualification Olympique. Il parait que le 3×3 c’est de la folie là-bas. L’année prochaine, il y aura le championnat du Monde. Là, on tombe dans leur poule. D’après ce qu’ils ont communiqué, ils vont avoir une énorme équipe. C’est plus facile d’avoir quatre joueurs que douze. Nous, on a la chance d’avoir plein de joueurs en réserve mais des petits pays n’ont pas cette chance là mais peuvent avoir quatre très bons joueurs. Et puis, il y a ceux qui ont des naturalisés comme le Qatar ; ils sont champions du monde en 2014 ! Ils ont deux Américains, un Africain et peut-être un mec du Qatar. Ils l’ont fait au handball. Il suffit qu’un riche magnat ou un président-dictateur veuille exister au plus haut niveau, c’est facile pour lui de constituer une équipe de 3×3 et au bout de deux ou trois ans, ils peuvent faire les Jeux Olympiques alors que c’est impossible en 5×5. C’est incroyable comment les Pays-Bas montent en deux ou trois ans au niveau du 3×3. Je crois qu’à un moment donné ils se sont dits, en 5×5 on n’existe pas, on va tout mettre dans le 3×3. Ils sont des U18, c’est très bien structuré, ils mettent de l’argent.
Comment peut-on envisager l’avenir pour l’équipe de France ? Plutôt des joueurs spécialisés dans le 3×3 qui pourraient même abandonner le 5×5 ou plutôt un recrutement dirigé vers des joueurs de 5×5 qui seraient à la limite d’être internationaux en 5×5 ?
Comme le dit la FIBA, le 3×3 requiert des joueurs spécifiques. Il faut de l’expérience. On est actuellement sur une formule hybride puisqu’on travaille avec des joueurs qui viennent du 5×5 et qui l’été font du 3×3. Cela pose parfois des problèmes surtout chez les hommes. Il y a des joueurs que je voulais solliciter sauf qu’ils sont en playoffs Pro B. Un joueur d’Evreux et un autre de Nantes n’ont pas pu ainsi nous rejoindre. On a un de nos joueurs Anthony Christophe, qui vient de faire un tournoi en Mongolie avec son équipe. On en a discuté avec lui ce midi à table. Il a joué contre les Serbes. Il m’a dit qu’ils sont affutés, bons, ils ne font que ça. Si on prend quatre joueurs de l’équipe de France A et qu’on les met contre ces Serbes-là, je ne suis pas sûr qu’ils les battent. Bien sûr, si on leur donne un mois d’entraînement, trois ou quatre tournois, peut-être que là on va monter le niveau. Mais si vous les mettez comme ça, sans presque jamais avoir joué au 3×3, ça va être difficile. L’évolution pourrait amener à terme la création d’équipes professionnelles comme dans certains pays. Il faut bien sûr que les joueurs puissent gagner leur vie du 3×3. C’est un peu difficile en ce moment. Les Serbes peuvent, entre guillemets, se satisfaire d’un salaire plus modeste que nous, même si on m’a dit que ce qu’ils gagnent équivaut déjà à un très bon salaire de Pro B. Mais ce sont les numéros un mondiaux. Il va y avoir de plus en plus de tournois, de prize money qui vont monter, des villes, des départements, des régions vont financer. Je compare ça à la voile où des collectivités, des banques, donnent leurs noms à des bateaux. Il faut que les joueurs de 3×3 constituent leurs propres équipes, indépendamment de la fédération, et il faut qu’ils allient eux-mêmes rechercher des sponsors, des ressources économiques. Et cumulés aux prize money, ils pourront gagner leur vie. L’exemple, c’est cette équipe de Bordeaux avec des joueurs de 5×5 modestes mais qui sont devenus très bons en 3×3. Anthony Christophe a fait son équipe « Team Monaco » qui commence à avoir des sponsors. Ils ont financé eux-mêmes leur déplacement pour aller à Oulan-Bator. Dans un premier temps, ils veulent trouver des sponsors pour que ces voyages ne leur coûtent rien et après ils pourront gagner de l’argent. Ce sont les balbutiements. S’il y a trois, quatre, cinq équipes comme ça, qui vont faire des tournois partout dans le monde, ça sera beaucoup plus facile pour moi comme sélectionneur. Je pense que c’est vers ces joueurs-là qu’il faudra que je me tourne. Je les connais déjà tous, ils dont tous plus ou moins partie de l’équipe de France. Va-t-on s’inspirer du rugby à sept ? La fédération va-t-elle financer elle-même des joueurs professionnels qu’elle va rétribuer comme le rugby ? Pourquoi pas. Est-ce bien de le faire ? Je ne sais pas. Pour l’instant c’est trop tôt, il n’y a pas assez de tournois dans l’année.
« Pour l’instant, on est mal considéré dans le milieu du basket. C’est normal, les gens ne connaissent pas les règles. Ils associent ça au jeu de playground »
Les Américains sont l’étalon or du basket, en 5×5 mais on sait que ce sont aussi de gros pratiquants de basket sur les playgrounds. Où en sont-ils en 3×3 ?
Avant 2016 les Américaines étaient intouchables. En octobre, elles se sont fait battre en demi-finale par les Tchèques qui ont gagné. En 2015, en juniors, nous sommes la première équipe –dont j’étais le coach- à avoir battu les Américaines en finale. L’année dernière –avec Ana Kotocova comme coach- on les a à nouveau battues en finale en junior. En garçons, l’année dernière, c’est la première fois qu’ils ont fait une médaille d’argent en perdant en finale contre les Serbes. Pour l’instant, ils ne sont pas à la hauteur de leur réputation. Je pense qu’ils vont progresser.
Peut-être ne prennent-ils pas encore le 3×3 au sérieux ?
Je ne sais pas… Mais Jerry Collangelo, qui est le directeur de USA Basketball, a clairement dit qu’il était favorable à l’arrivée du 3×3 aux Jeux Olympiques. Ils sont conscients que le 3×3 va aider le développement du basket.
Le fait que ça devienne un sport olympique va aussi contribuer à leur intérêt pour le 3×3 ?
Tout à fait. Ca va donner un coup de projecteur, des lettres de noblesse qui n’existent pas actuellement. Pour l’instant, on est mal considéré dans le milieu du basket. C’est normal, les gens ne connaissent pas les règles. Ils associent ça au jeu de playground. A la FIBA, il y a onze personnes qui ne travaillent que sur le 3×3 à temps plein. J’ai encore un pied dans la formation au centre fédéral mais en ce moment 100% de mon temps, c’est le 3×3. Il y a des cadres techniques qui sont désormais sur le 3×3. Ça évolue bien.[armelse][arm_setup id= »2″ hide_title= »true »][/arm_restrict_content]
Photos: FFBB et FIBA