Ruddy Nelhomme est à la fois le coach emblématique de Poitiers et l’adjoint de Vincent Collet en équipe de France. Il a cette saison au PB 86 deux jeunes, Youssoupha Fall et Sekou Doumbouya, qui pourraient un jour rejoindre le groupe des Bleus.
Vous êtes coach de Poitiers depuis 2007 et vous avez re-signé un contrat de trois ans en juin. Quel est votre secret de longévité à une époque où les turnovers sont la règle d’or ?
Je suis tombé sur un président (Ndlr : Alain Baudier), qui a arrêté dernièrement, avec qui j’ai fait un bon bout de chemin. Il y avait une pleine confiance entre nous et il m’a permis de travailler comme je le souhaitais au niveau sportif. Je ne sais pas s’il y a un secret particulier. J’essaye de m’impliquer dans le club, je suis présent dans toutes ses strates notamment par rapport à la formation. Je crois qu’il y a une certaine compétence qui est mise en valeur.
Vous êtes arrivés il y a longtemps à Poitiers, en 1988, en provenance de la Guadeloupe ?
J’y étais étudiant et j’ai joué au CEP jusqu’en Nationale 2. J’ai été ensuite assistant de Greg Thiélin pour la montée du club en N1 avant d’aller à Cholet. J’ai participé à la mise en place des premières pierres et ensuite il y a eu l’union avec le Stade Poitievin et le PCBB qui a donné le PB 86. C’est un club que j’apprécie beaucoup et que j’aimerais voir encore grandir dans la ville, le département et la région.
A une époque vous avez eu Pierre Vincent comme coach. Envisagiez vous alors de vous retrouver un jour tous les deux au niveau professionnel ?
Pour lui, oui, je pouvais l’envisager puisqu’il était déjà entraîneur national, des juniors (Ndlr : champion d’Europe en 2000 à Zadar avec Tony Parker). Je pensais qu’il aurait une opportunité à un moment donné. De mon côté, je n’avais pas un parcours de joueur de haut niveau, je ne m’étais pas donné comme objectif d’être coach en Pro A. Je voulais simplement progresser en tant que formateur. Comme tous je voulais aller le plus haut possible dans mon boulot. La compétence aidant j’ai eu les opportunités pour arriver à ce niveau là.
« Si Youssoupha Fall parvient à avoir la nationalité française, je pense qu’il sera rapidement candidat à un groupe élargi de l’équipe nationale »
Est-ce le fait d’être depuis longtemps dans un club qui permet de faire jouer des jeunes comme Youssoupha Fall (21 ans) et Sekou Doumbouya (16 ans en décembre) en ne sentant pas l’Epée de Damoclès au-dessus de la tête à chaque match ?
Ça fait partie des éléments, je connais le fonctionnement du club, ses dirigeants, certains bénévoles, les gens ont aussi confiance en moi. Ceci dit, même si cette épée est moins présente que dans d’autres clubs, il existe toujours la pression du résultat. Je me suis remis en cause après des saisons où on n’a pas eu de résultats. Quand il n’y en a pas, c’est comme partout avec des gens qui ne sont pas contents, des dirigeants posent certains problèmes. J’ai connu aussi Cholet et je peux dire que le club de Poitiers a aussi ses exigences mais, oui, quand on y est depuis longtemps, c’est plus simple.
Youssoupha Fall fait 2,21m. Il a une présence sur le terrain unique, mais ne faut-il pas aussi adapter le jeu de l’équipe à son gabarit ?
C’est sûr, aussi bien en attaque qu’en défense. Quand on joue avec des joueurs de grande taille, ce n’est jamais simple de les trouver. Ça s’apprend avec le temps, aux entraînements et en matches. Défensivement il y a des rotations qu’il ne peut pas faire aussi bien que des petits. Il y a des choses que l’on peut faire quand on a Pierre-Yves Guillard ou Mike Joseph sur le terrain et que l’on ne peut pas avec Youssoupha Fall (Ndlr : après 4 matches de Leaders Cup Pro B, Fall est à 8,3 pts, 6.0 rbds et 0,8 ctr en 18 min/moy).
Il est désormais JFL mais il souhaite aussi obtenir la nationalité française. Peut-on le considérer comme un vrai espoir pour l’équipe nationale ?
Je pense que oui. Un joueur comme ça va aller crescendo sur sa carrière et s’il parvient à avoir la nationalité française, je pense qu’il sera rapidement candidat à un groupe élargi de l’équipe nationale. Il a le style, la mobilité pour. C’est un gamin qui a beaucoup travaillé au centre de formation du Mans avec de la qualité et qui aujourd’hui a la possibilité de jouer dans le monde des adultes alors qu’il n’a connu que le championnat espoir. Ce qui est intéressant avec ces grands-là c’est de les voir évoluer physiquement dans le temps. J’ai eu Moustapha Fall (2,18m, 24 ans, Chalon) longtemps chez nous. S’ils sont tout le temps en muscu, qu’ils font leurs gammes quand ils viennent à la salle, au niveau du gainage, du renforcement, sur le travail spécifique d’appui, si on peut leur montrer des choses qu’ils peuvent reproduire sur le terrain, j’adore ça. C’est gratifiant en tant qu’entraîneur de voir des joueurs évoluer physiquement.
Peut-on le comparer à Moustapha Fall au même âge ?
Ça ne fait qu’un mois et demi que je travaille avec Youssoupha aussi c’est difficile de le comparer avec Moustapha. Et puis Moustapha, on l’a eu plus jeune alors que Youssoupha a déjà un bagage, on l’accompagne dans le monde des pros. Il est prêté pour un an par Le Mans. Je voulais avoir un joueur de grande taille et cette opportunité s’est produite dans le recrutement et on est très content de ce partenariat que l’on a au moins pour un an avec le MSB.
« Sekou Doumbouya a un potentiel énorme »
Sekou Doumbouya (2,05m) est-il en avance physiquement sur son âge, ce qui expliquerait son impact dès aujourd’hui ?
C’est sûr qu’il est impressionnant physiquement, qu’il est en avance sur son âge mais au-delà de ça c’est aussi un basketteur très facile sur le terrain, dans le dribble, la connaissance du jeu. Il sait jouer avec la balle les pick and roll, il peut mettre des coupes dans le dos sans ballon. Il est intelligent, à l’écoute, il comprend vite. Il s’est mis rapidement au niveau que l’on attendait de lui. Il est à la fois patient et agressif sur le terrain. C’est un garçon qui a dominé rapidement avec les jeunes et à lui aussi c’est très intéressant de montrer le basket des adultes. Il a un potentiel énorme. (Ndlr : après 4 matches de Leaders Cup Pro B, Doumbouya est à 3,3 pts et 2,3 rbds en 15 min/moy).
Il a été écarté de l’INSEP à cause de son comportement. Qu’en est-il à Poitiers ?
Je suis entièrement satisfait de lui. Il y a des antécédents mais pour l’instant il est dans les clous par rapport à ce que l’on attend de lui, du côté basket comme scolaire. Il est en première pro logistique et ça se passe très bien. On a mis en place un ensemble vis à vis du lycée où il est afin qu’il soit présent à l’entraînement et à l’école.
Il participe également aux matches du Centre Fédéral en N1 ?
Oui, il possède la double licence mis en place avec la fédé. Il est amené à jouer certains matches en N1 en fonction de notre calendrier qui est prioritaire. Il en a déjà fait un (Ndlr : 8 pts à 4/11 contre Quimper). Il jouera en fonction de nos blessés et puis il y a le fait qu’il joue déjà beaucoup avec nous.
Les scouts NBA sont-ils en train de tourner autour d’eux ?
Il y a déjà du monde à nos matches et à nos entraînements, mais on a déjà géré ce genre de chose dans le passé avec Carl Ona Embo, Evan Fournier et Moustapha Fall. Ils se présentent à nous, on discute. Ça fait partie de la construction d’un joueur de savoir qu’il est observé, que c’est bon pour sa carrière. Il y a l’apprentissage du basket et ce qui est en dehors, comment gérer la presse, les réseaux sociaux, faire attention à ce que l’on fait. Former un joueur ce n’est pas aujourd’hui que sur le basket, l’entourage est important.
En quoi consiste le projet du club Cap 2020, de retourner en Pro A ?
On a connu la Pro A pendant quatre ans, on est redescendu, on a eu quelques difficultés financières et on est revenu dans une phase très positive par rapport à ça. Ce qui est important c’est de stabiliser encore plus le club au niveau de la formation, des jeunes et de l’équipe première, de consolider notre place en haut de la Pro B et si on a la possibilité de monter en Pro A, on ne dira pas non. Il faut beaucoup d’équilibre dans le club pour envisager de remonter en Pro A.
« C’est très gratifiant pour un entraîneur de représenter son pays, d’être le numéro un sur un match amical »
Avez-vous conservé la vidéo du match de l’équipe de France de cet été contre la Lettonie ?
(Rires) Oui comme une grande partie des autres matches. C’était un très bon moment de ma campagne de cet été (Ndlr : le match était le premier de la préparation des Bleus pour le TQO et Vincent Collet avait fait un break après la finale des playoffs de Pro A. C’est ainsi que Ruddy Nelhomme fut appelé à être le coach principal pour cette rencontre).
Savez-vous que vous êtes a priori le 17e coach des Bleus depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ?
Je ne le savais pas. J’ai surtout bénéficié de circonstances particulières pour faire ça. C’est très gratifiant pour un entraîneur de représenter son pays, d’être le numéro un sur un match amical. C’est un honneur pour moi. Je voulais que ça se passe bien et que ça se termine par une victoire (Ndlr : la France a gagné 89-72). Je suis content aussi de continuer le parcours avec Vincent pour les trois prochaines années.
En quoi ce job d’été vous permet d’évoluer dans votre quotidien ?
Ça me permet de grandir, de côtoyer l’été des joueurs, des coaches, des équipes qui jouent de façon différente, des situations différentes, que ce soit dans la victoire ou l’échec, de bonnes ou de moins bonnes campagnes, avec une pression totalement différente. Quand on revient à Poitiers on ne peut pas transposer toutes les choses mais ça permet de grandir comme entraîneur et en tant qu’homme.
Photo : FFBB