Sandrine Gruda aura donc joué son dernier match sous le maillot de l’équipe de France le 25 juin 2023, lors du championnat d’Europe de la même année et d’une victoire sur la Hongrie (82-66). Personne ne s’attendait vraiment à ce que l’intérieure martiniquaise aux 225 sélections et 2878 points inscrits en sélection soit ainsi éjectée du groupe, sans même prendre part à une longue préparation qui va réunir dix-huit joueuses.
L’annonce de cette liste, jeudi en fin d’après-midi, met donc fin de façon abrupte à un bail de dix-huit ans de Sandrine Gruda avec les Bleues. Une longue aventure où elle a tout vécu : trois championnats du monde (2006, 14, 18), neuf championnats d’Europe (2007, 09, 11, 13, 15, 17, 19, 21, 23), trois Jeux Olympiques (2012, 16, 21), sans compter les TQO (2012, 16, 20).
C’est une page historique de l’histoire de l’équipe de France que Jean-Aimé Toupane a tournée – arrachée ? – en décidant de ne plus compter sur l’impact et le leadership de Sandrine Gruda, arme fatale à l’intérieur, roc défensif, combattante de la dernière heure, et menace respectée par tous les adversaires des Bleues. Bien sûr, Sandrine Gruda, avait vécu une saison 2023-2024 compliquée, à l’image des déboires de son club de Lyon-Villeurbanne, avec qui elle n’avait joué que 13 des 22 matches de Ligue Féminine. Bien sûr, elle a 36 ans, et n’a plus le même physique. Mais tout de même, on connait l’expérience et la compétitivité de l’intérieure martiniquaise.
« De toute manière, quoi qu’il arrive : Sandrine Gruda est irremplaçable. Ce qu’elle a apporté en équipe de France, c’est de l’ambition. Sa première force, c’est que elle a toujours été à fond dès qu’elle était avec le maillot bleu, elle était toujours à 300 %, elle était exemplaire dans le travail qu’elle a fait, et ce combat qu’elle a eu. Car elle n’avait peut-être pas un talent inné, comme ça, par contre elle s’est donnée, elle a travaillé, elle s’est donnée les moyens d’avoir la carrière incroyable qu’elle a eu par l’acharnement au travail, par cette ambition », convenait Céline Dumerc, la manager générale des Bleues.
« Elle a été une des premières joueuses françaises qui a dit qu’elle voulait être la meilleure joueuse du monde. Moi ça me choque, mais pour elle, ce n’est pas de la grosse tête, c’est juste de l’ambition pour toucher ça du bout des doigts. Oui c’était une killeuse, une des seules capable de donner deux trois coups de coude, et ça nous manquera. Donc, oui elle ne sera pas remplaçable ? On fera différemment. Ce sont des choix. On doit peser le pour, le contre, avoir une vue d’ensemble, faire de suppositions ».
« Ce n’était pas mon plan. Je voulais pouvoir arrêter après les Jeux, remercier le public une dernière fois, pour toutes ces années passées. Et ça je ne pourrai pas le faire. Même plus porter ce maillot bleu, une dernière fois »
Des suppositions qui n’ont pas pris en compte le fait de laisser à Gruda la chance de s’exprimer en préparation, mais la volonté d’un « plan de jeu » cher au sélectionneur. « Sandrine est une joueuse exceptionnelle qui a toujours apporté sous le maillot bleu, avec beaucoup d’engagement. Ça n’a pas été une décision facile. On a essayé de respecter la joueuse. J’ai rencontré Sandrine, on a échangé sur le projet de jeu. Je sais que depuis deux ans, c’est un événement important pour elle. On n’a pas fait un choix sur l’individu mais sur la performance, pour construire une équipe avec la meilleure alchimie possible », a justifié Toupane.
Qui a réfuté toute volonté de représailles, par rapport aux critiques émises par la joueuse à la suite de l’Euro 2023. « Je ne mélange pas les émotions, je fonctionne sur un aspect sportif. Il n’y a pas de ça. Je veux juste la meilleure équipe possible ». Mais il est resté très - trop - évasif sur la façon de compenser la dureté, l’agressivité, l’expérience de l’intérieure martiniquaise, notamment dans les moments décisifs. « Moi, je vis avec le présent. J’ai beaucoup de respect pour elle. Je ne sais pas qui pourra remplacer Sandrine dans ce rôle. Peut-être qu’on le fera différemment. Peut-être que chaque schéma est différent. On va le compenser différemment. »
Ça faisait au final bien peu d’arguments réels et de solutions prévues pour expliquer la porte claquée au nez de Sandrine Gruda. Nous avons pu la joindre en soirée, et il était clair, au son de sa voix, qu’elle était blessée par cette fin de non-recevoir qui termine sa carrière en équipe de France.
« Je suis choquée. Je subis la situation. Ce n’était pas mon plan ; je voulais pouvoir arrêter après les Jeux, remercier le public une dernière fois, pour toutes ces années passées. Et ça je ne pourrai pas le faire. Même plus porter ce maillot bleu, une dernière fois », nous a-t-elle confié avec beaucoup d’émotion.
C’est pourtant quelque chose qui m’était si cher. Je fais partie de cette génération qui valorise davantage les services rendus en équipe de France qu’une carrière en club. Les mentalités ont changé mais pour moi, l’équipe de France, ça a été ma première porte ouverte vers le monde professionnel. Parce que quand j’ai quitté la Martinique, quand je foule le sol de la métropole, je vais découvrir le haut-niveau par l’équipe de France.
Pour moi l’équipe de France a toujours eu une place prioritaire. Même quand j’allais en WNBA, j’y allais en ayant vu au préalable avec le staff que je puisse revenir à temps pour servir l’équipe de France. Pour moi, l’équipe de France devait être le projet de départ et le point d’arrivée dans ma carrière et là, ce n’est pas possible, et ça m’attriste énormément. »
« Je suis sous le choc. Je ne sais même pas quoi lui dire en fait ; le rendez-vous, il a duré dix minutes. Je ne sais pas quoi lui dire. La seule chose que je lui demande, c’est "pourquoi" ? »
Ironie de l’histoire, l’entrevue qui a mis fin à la carrière en bleu de Sandrine Gruda s’est tenue au… Train Bleu, le très select et très feutré restaurant de la gare de Lyon, qui surplombe les voies. Et nous l’avons écoutée nous raconter cet entretien qui bouclait dix-huit années de matches sous le maillot de l’ équipe de France.
« Je le sais depuis huit jours pour rester exacte. Et je suis choquée depuis huit jours. Aujourd’hui, c’est encore plus dur, parce que c’est officiel. Mais c’est vrai que ça a été un choc. Le coach a demandé à me parler. Il me donne rendez-vous, gare de Lyon. Au Train Bleu… C’est marrant, parce qu’on parle quand même d’une campagne en bleu.
Et là, il est accompagné de Christophe Léonard, il me parle et me dit qu’il ne me prendra pas cet été. Et là c’est vrai que… à partir du moment où il prononce cette phrase, c’est comme si j’avais un sifflement, un bourdonnement dans les oreilles, je n’entends plus rien ; j’avais une tasse de thé devant moi, que je buvais. Je voyais bouger ses lèvres, donc je savais qu’il parlait, mais je n’entendais plus rien. Je suis sous le choc. Je ne sais même pas quoi lui dire en fait ; le rendez-vous, il a duré dix minutes. Je ne sais pas quoi lui dire, la seule chose que je lui demande c’est "pourquoi" ?
« J’avais envisagé d’accompagner cette jeunesse, pas seulement sur le terrain, mais aussi au niveau de de l’équilibre émotionnel. D’être une sorte de leader mental, qui est au soutien moral et mental de ce jeune groupe ».
En fait, de ce qu’il m’explique, je retiens que je ne corresponds plus au plan de jeu qu’il veut appliquer à l’équipe de France. Là, je déconnecte encore, je n’entends plus rien. En fait, le rendez- vous ne dure pas. Il n’y a plus d’échange. Comme lui n’a rien à me dire d’autre et que moi je suis totalement, limite paralysée, la discussion s’achève et il part. Et moi, je reste assise à ma place.
Je reste dans le Train Bleu facilement une demi-heure parce que je suis sous le choc, incapable d’aligner ma pensée de savoir ce que je vais faire.
J’arrivais de Lyon, et je venais à Paris pour faire des entrainements avec mon coach individuel, j’avais prévu des tas de trucs pour arriver dans les meilleures conditions avec l’équipe de France. J’avais mis un plan en place pour arriver fin prête. Et donc là, lorsqu’au bout d’une demi-heure, j’ai les pensées qui fusent dans tous les sens, je me dis que je dois annuler mes entraînements, je n’arrive pas à avoir une pensée claire…
Je reste donc une demi-heure à ma place, en train d’essayer de me refaire, de réaliser, et je n’y arrive toujours pas ; je me dis même que je dois faire attention, car je ne suis pas présente dans l’instant, et qu’il faut je reste vigilante, que je fasse attention en descendant l’escalier, en traversant la rue. Il fallait que je reste suffisamment connectée. Et après j’ai appelé ma famille, parce que j’avais besoin de soutien moral, d’être réconfortée ».
Il n’y aura donc pas de quatrième campagne olympique pour Sandrine Gruda, pas d’opportunité de boucler la boucle à domicile. L’intérieure martiniquaise y croyait pourtant, comme elle l’explique.
« J’avais envisagé d’accompagner cette jeunesse, pas seulement sur le terrain, mais aussi au niveau de de l’équilibre émotionnel. D’être une sorte de leader mental, qui est au soutien moral et mental de ce jeune groupe. Car jouer les JO à domicile, c’est à double-tranchant. Ça peut être un formidable moteur mais aussi un frein.
Je ne revendiquais pas un temps de jeu, mais je me voyais contribuer à bien des niveaux pour faire briller la France. Moi, quand je suis en équipe de France, je suis impliquée. Quand je suis aux JO, je me réveille JO, je mange JO, ça ne commence pas seulement le jour de mon arrivée. C’est tellement plus que ça »...