Sort demain 12 novembre, aux Editions Solar/L’Equipe, un livre écrit par deux journalistes référencés dans le basket, Thomas Berjoan et Yann Ohnona sur Kobe Bryant. Celui-ci a eu un fort impact sur le basket planétaire. La préface est de Tony Parker. Entretien avec les deux auteurs.
En plus de ses trophées en NBA en 2009 et 2010 avec les LA Lakers, Kobe Bryant a conquis deux médailles d’or olympiques en 2008 et 2012, ainsi qu’une autre au Championnat des Amériques en 2007. Porter le maillot américain était-il important pour lui ?
TB : Kobe est venu assez tard à Team USA. Il n’a pas fait partie des équipes de 2002, 2004 et 2006 qui n’ont pas remporté l’or, contrairement à la plus jeune garde des LeBron James, Carmelo Anthony et Dwyane Wade. En 2006, il est motivé, mais blessé. Il vient de traverser la période la plus compliquée de sa vie, tant au niveau personnel qu’avec les résultats collectifs des Lakers. Et la sélection a perdu son éclat d’antan. Pourtant, Kobe sait que s’il veut marcher dans les pas de Michael Jordan, il doit régner également, comme son modèle, sur le basket international. L’arrivée de coach K (Mike Krzyzewski) change tout. Il débarque en 2007. Le projet de rédemption lui parle. Au niveau collectif bien entendu, mais la thématique résonne également au niveau personnel. Les deux quêtes coïncident et l’or olympique de 2008 marque le début de son règne.
YO : Le maillot américain a tout changé. Et refait basculer la carrière de Kobe Bryant du bon côté. En 2004, il se débat encore avec la justice suite à l’accusation de viol dont il fait l’objet. En 2006, il sort de sa saison individuelle la plus aboutie (35,4 points, son match à 81 unités), mais manque le Mondial au Japon à cause d’une blessure au genou. Pourtant, c’est bien sous la tunique nationale que s’amorce sa rédemption -auprès de ses coéquipiers, du grand public… En 2007-2008, alors que tout le monde le voit encore comme un soliste sublime mais égoïste et incapable de mener les Lakers au titre, il atteint la finale contre Boston. La campagne olympique qui suit, en Chine, confirme le renversement : il affiche un visage aux antipodes de sa réputation : affable, avenant, souriant et ouvert sur le reste du monde. Les observateurs n’y croient pas s’interrogent. Mais sportivement, il est aussi la clé de la victoire. Le coéquipier supposé tyrannique accepte le rôle de distributeur défenseur proposé par Coach K, et il soude le groupe en initiant des entraînements collectifs à 5 heures du matin où le suivent bientôt Dwyane Wade, LeBron James… En finale contre l’Espagne, il inscrit les paniers décisifs en fin de match. Les deux années suivantes, il retrouve le firmament en NBA. Et récidive en 2012 avec Team USA.
Il avait aussi accepté d’être l’ambassadeur de la FIBA pour la Coupe du monde 2019. Quel était son rôle ?
TB : Kobe Bryant était la personnalité idéale pour regrouper toutes les familles du basket. Sa sensibilité à la culture de jeu européenne liée à son enfance, la légitimité de son parcours tant en NBA qu’avec Team USA, sa popularité immense en Chine où s’est jouée la Coupe du monde 2019… Kobe était une icône globale. Qui savait la difficulté à remporter une compétition au format FIBA, avec des matches couperets et un niveau qui progresse partout sur la planète. Il tenait auprès du basket international un rôle de passeur, un peu à l’image du discours qu’il portait sur le basket féminin. Plus que Jordan ou LeBron, il prenait à coeur ce rôle qui lui allait comme un gant de grand frère de la planète basket.
Kobe a grandi en Italie. Quelle a été l’influence du basket européen sur lui ?
TB : Déterminante. A la fois parce que Kobe s’est enrichi très tôt d’une façon de penser le jeu et d’enseignements un peu différents de ce que propose le système américain, dont il était très critique. Surtout, il était au contact de professionnels, les coéquipiers de son père, en permanence. Et puis, la vie solitaire faite de déménagements successifs et d’une enfance « lost in translation » l’ont amené à se centrer sur lui-même, à développer une personnalité à la fois forte et égoïste.
YO : Kobe Bryant se décrivait comme un « import italien ». Il dit que le minibasket l’a beaucoup aidé dans l’apprentissage des fondamentaux. Dans l’école catholique qu’il intègre à Rieti, où la famille vit de 1983 à 1986, il apprend l’Italien avec ses soeurs, prend des cours de karaté et… de danse classique. Il joue aussi au foot dans le rôle de gardien de but. Il s’imprègne donc de la culture européenne. Il dira deux choses paradoxales à ce sujet : que cela lui a ouvert une perspective plus large sur le monde, mais en même temps qu’il a aussi appris à ne compter que sur lui-même. Car même s’il a des amis, il est souvent solitaire, fait du « shadow basket », joue seul, parfois sans ballon et reproduit des situations de matches ou les moves des stars, dont il voit les exploits sur les VHS envoyées par ses grands-parents en Italie. Dans sa chambre, un poster grandeur nature de Magic Johnson, son idole. Il construit son jeu en le calquant sur celui de son père, qu’il suit sur les parquets et à l’entraînement. A Reggio Emilia, la ville où il passe ses premières années collège, de 1989 à 1991, ses coéquipiers se rappellent d’un loup solitaire, déjà programmé pour le haut niveau. « On était des rêveurs, lui un robot. Après le match, on allait manger une glace, lui retournait s’entraîner », raconte l’un d’eux.
Parlez-vous de son court passage à Mulhouse lorsque son père Jo en fin de carrière a joué pour le MBC ?
YO : Jimmy Verove, qui jouait pour Mulhouse cette même saison, nous a accordé, dans le cadre du livre, un entretien où il se rappelle d’un jeune « déjà un enragé du travail », dit-il. Lui débarquait de l’équipe de France jeunes et s’installe au même hôtel que les Bryant, le Squash 3000, où Kobe, encore ado, dribblait dans les couloirs à toute heure. Verove restant systématiquement après les entraînements pour continuer à shooter, le jeune Kobe le provoque en duel quotidiennement. « Quand il perdait, il te disait. On rejoue. On aurait pu continuer toute la nuit. On n’a pas eu de discussions existentielles, mais sa détermination crevait les yeux », nous a dit Verove. Joe Bryant, lui, suscite beaucoup d’espoir mais est sur le déclin et n’apporte pas les succès immédiats escomptés par le MBC. Il sera débarqué après quelques mois seulement, accélérant le retour des Bryant à Philadelphie. De cette période Kobe a gardé des traces, puisque lors de l’interview qu’il a accordée à L’Equipe en 2017, il a bredouillé quelques phrases en français.
Pau Gasol vous a donné une longue interview pour ce livre. Ses rapports avec Kobe Bryant relevaient-ils véritablement de l’amitié ?
TB : Ceux qui connaissent très bien Bryant le décrivent comme quelqu’un qui n’a pas vraiment d’ami. Mais le respect pour Pau était palpable. Kobe et la perception qu’on a de son palmarès, son héritage doivent beaucoup à Gasol. Il a trouvé en lui le complément parfait. Sur les trente dernières saisons en NBA, combien il y a-t-il eu de joueurs aussi forts que Pau Gasol qui se sont clairement contentés d’un rôle de lieutenant. Au niveau de l’égo, c’était le négatif de Shaq. Il fallait un caractère aussi conciliant doublé d’un joueur aussi fort pour porter Bryant au sommet sans pour autant lui faire de l’ombre.
YO : Je dirais que cela allait au-delà de l’amitié. Les deux ont développé un rapport fusionnel, presque instantanément. Gasol parle de destin. Alors que les deux sont présentés comme des personnalités radicalement opposées, l’intellectuel versus le mâle alpha absolu, Bryant les décrivait comme les deux faces d’un même être –« Animal différent, mais même bête ». Dès le transfert de Gasol de Memphis à Los Angeles, en 2008, Bryant débarque dans la chambre d’hôtel de l’Espagnol au milieu de la nuit pour une longue discussion. Sur le terrain, les deux se complètent, Bryant parle à Gasol en espagnol castillan, le surnomme « Pablo » en référence à Escobar -« pour faire ressortir le tueur qui est en lui »-. Et en dehors, ils partagent encore plus. Passent leurs étés ensemble. Gasol devient « l’oncle Pau », qui inculque aux filles du couple Bryant la culture et les arts. La tragédie a encore plus rapproché les deux familles qui passent énormément de temps ensemble. Jeune papa, Gasol a donné pour deuxième prénom à sa fille Elisabet « Gianna », en hommage à la fille de Kobe Bryant, décédée avec lui dans l’accident d’hélicoptère du 26 janvier 2020.
Vous avez écrit ce livre à quatre mains. Comment vous êtes-vous réparti la tâche ?
TB : Personnellement, il m’a occupé tard le soir et tôt les matins, cet été. C’est un peu comme si j’étais parti en vacances avec Kobe. Pour le travail à deux, cela a été très fluide. On a d’abord défini la structure du livre, sa construction, les thèmes et les différents papiers qui le composent. Puis on s’est réparti le boulot, par affinité pour les sujets. On s’est ensuite attelés à une relecture mutuelle de nos textes, pour harmoniser le propos, mettre de l’ordre dans le récit et s’accorder sur d’éventuels points de désaccords -sa place dans l’histoire, etc-. C’était un véritable plaisir de bosser avec Yann.
YO : La vie de Kobe Bryant est déjà largement documentée. Aux Etats-Unis, la littérature sur lui est virtuellement illimitée. L’un des challenges a ainsi été, dans un temps de travail plutôt court pour un ouvrage retraçant toute sa carrière -trois mois-, de trouver des interlocuteurs assez proches de lui pour apporter quelque chose en plus. Nous avons obtenu notamment un entretien de 30 minutes avec Pau Gasol presque entièrement consacré à sa relation avec Kobe, une interview avec son assistant vidéo personnel Mike Procopio de 2009 à 2013, qui était aussi son confident et parlait avec lui quotidiennement, ou encore le témoignage d’Andrew Bernstein, le photographe star de la NBA basé à Los Angeles qui a suivi toute sa carrière et réalisé avec lui son livre Mamba Mentality, ainsi que Gabby Williams, ancienne star de Connecticut, qui était la joueuse préférée de Gianna Bryant, et proche de sa famille.