Il y a trente ans, le 16 mars 1988, le Limoges CSP remportait la Coupe des Coupes, la C2 de l’époque, en battant en finale les Espagnols de la Joventud Badalone. Après Padoue en 1982 et Berlin une année plus tard, le club organisa pour ses supporters un déplacement ferroviaire à Grenoble. C’est ce voyage que nous avions raconté à l’époque.
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Du vécu, coco !, comme on dit dans la confrérie des journalistes. Objectif : sortir des terrains battus, quitter notre univers ouaté d’observateur privilégié, vivre de l’intérieur la furia verte, entrer dans la peau d’un supporter ordinaire du CSP. Se rendre à Grenoble par ce fameux « train vert », qui convoya déjà les fans limougeauds pour d’homériques épopées à Padoue et à Berlin. Pouvoir dire, moi aussi, « j’y étais ! ».
Mercredi, 6h15, gare des Bénédictins. Petits yeux, et bouches pâteuses, ils sont tous là depuis longtemps déjà, armés jusqu’aux dents, parés pour cette énième campagne. Sur un panneau, le nom de tous les voyageurs par ordre alphabétique, avec le numéro de leur compartiment respectif. Tout est parfaitement organisé. On ne cessera de le constater tout au long des sept heures de transhumance.
Affréter un train spécial, c’est presque devenu de la routine pour la SNCF. Les partis politiques, les organisations syndicales utilisent souvent ce moyen pour rameuter leurs ouailles à un meeting. Les clubs sportifs, c’est quand même beaucoup plus rare. En basket, Limoges est un cas unique. C’est le rugby qui a eu l’initiative. Pour monter à la capitale, les finalistes du championnat de France en investissent chacun souvent plusieurs. A la SNCF, on commence à se faire tirer l’oreille, car on a déjà eu à déplorer des exactions de type hooliganisme, vitres brisées et sièges lacérés. « Les supporters du CSP ont toujours eu, eux, un comportement exemplaire », certifie un représentant de la SNCF.
La SNCF, qui a demandé 170 000 F pour accrocher les 15 wagons à la loco. Elle se charge de dénicher un parcours, jonglant entre les horaires des trains ordinaires, et préférant les lignes à double-voies pour ne pas perturber le trafic. C’est pourquoi, on est remonté jusqu’à Vierzon avant de plonger vers Lyon et Grenoble, plutôt que de foncer à travers le Massif Central ravitaillé par les corbeaux. Mais, par contre, l’intendance est à la charge du club. Et c’est là que se met en branle « L’armée de l’ombre » du CSP, comme l’appelle si bien le Populaire du Centre.
Cette armée pacifique est composée de plus de 150 bénévoles. Un record national que les autres clubs sont très loin d’égaler. A sa tête, Roger Joly, un sexagénaire qui ne voulait pas passer sa retraite sur une chaise longue. Joly et ses amis ont dû enregistrer, canaliser, la formidable demande de réservations qui a suivi la qualification du CSP pour la finale. 2 400 billets avaient été alloués par les organisateurs grenoblois. Nettement insuffisant. Une fois vendus 1 108 billets de trains, 102 places d’autocars, affrétées deux caravelles de 114 sièges chacune, et distribué le solde à des gens désirant rallier le Dauphiné en voitures particulières, ou en car spécial comme les pompiers de la ville, le CSP, en désespoir de cause, a dû annoncer par voix de presse que tout était archi complet. « Il est certain que l’on aurait pu louer un second train », assure Roger Joly.
Soixante-cinq dirigeants se sont chargés d’encadrer le millier de supporters du train vert. Pour servir de contrôleur dans chaque compartiment, pour organiser un concours de pronostics quasi-obligatoire, pour vendre la panoplie du parfait petit supporter, et pour servir les 2 000 bières, les 500 panachés, les 600 sandwichs, ou encore les 2000 rations de café prévus pour le périple.
Jean-Luc Thomas, journaliste à L’Equipe, et auteur d’un livre, « Trans Korac Express », sur l’expédition de Padoue, m’avait prévenu : « Tu vas voir, ce qui frappe, c’est la formidable convivialité qui existe dans ce train ».
On avait décidé de jouer le jeu. D’être, nous aussi, des Mimiles, comme on dit péjorativement. On a apporté notre baguette, notre saucisson, notre calendos, et notre litron de rouge. Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’est que d’emblée nos semblables allaient mettre à rude épreuve les foies des journalistes, qui ont pourtant la réputation d’être blindés. Première mission : faire un aller-retour pour explorer le train de fond en comble. Je l’avoue humblement, j’ai fait demi-tour à mi-parcours. Une question de survie. Car à chaque compartiment, le sourire aux lèvres, et l’œil déjà pétillant, voilà que l’on me proposait, en guise de laissez-passer, du pinard, du scotch ou du pastis. Car nos congénères ont prévu des provisions à profusion. Il y en a même un qui a hissé dans le train une barrique de rouge, qui sera éclusée à gorges déployées. Car personne, ici, n’a le vin triste. Pas question de dire non à un pt’it coup, sous peine de passer pour un affreux petit bourge qui refuse de s’encanailler. Me voilà dans la position délicate du facteur de campagne. Seulement, vous avez déjà avalé un p’tit blanc à 7 h du mat’ ? Moi, non. Et visiblement mon métabolisme ne supporte pas. Il y a des limites aux risques du métier. Il fallait mieux battre en retraite, si je ne voulais pas finir la soirée dans les lavabos du Palais des Sports de Grenoble.
« On boit, on mate, on drague, on chante. « oh-é, oh-é, oh-é, oh-é, Limoges, Limoges… »
Pour 380 F, tout compris, ces gais lurons ont décidé de s’offrir non seulement une finale européenne (et une victoire i-né-vi-table du CSP), mais aussi une bonne tranche de rigolade. Avant l’aube, ils ont donc commencé très fort, trop fort peut-être. Les braves parmi les braves se sont regroupés au wagon-bar transformé en night club ! En boîte du p’tit jour, plutôt. Tout a été prévu. Une piste de danse a été aménagée avec des spots bleu, rouge et jaune. Une cassette enregistrée par un D.J de Limoges est ressassée invariablement. Et voilà que nos supporters, peinturlurés, enrubannés, se lancent dans des farandoles rythmées par France Gall ou Stéphanie de Monac’ et… le roulis du train, qui tangue à chaque aiguillage. On boit, on mate, on drague, on chante. « oh-é, oh-é, oh-é, oh-é, Limoges, Limoges… ».
Le club des supporters a embarqué trois énormes sacs de confetti. Bientôt les compartiments sont recouverts d’une épaisse marée blanche. Il neige. Et voilà le Père Noël ! Ce n’est pas une hallucination. Juste un déguisement.
A l’arrière du train, les musiciens de la banda de Bessines sortent leurs instruments de leurs étuis, et remontent les compartiments, grosse caisse en tête.
Il y a dans ce train vert un échantillonnage représentatif de toutes les couches sociales de la population limousine. Des chômeurs, qui se sont fait offrir le voyage par leurs copains qui se sont cotisés. Des mémères, des pépères. Des cadres moyens. Des étudiants. Beaucoup restent toutefois sagement assis, suivant le spectacle permanent des yeux, parfois du palais. Jouant aux cartes, et prenant les dernières nouvelles de leurs petits préférés dans leurs quotidiens. C’est sympa, très franchouillard. C’est l’ambiance que l’on devait trouver lors des premiers congés payés du front popu. Ca chambre gentiment quand, à l’arrêt de Vierzon, on croise des quidams qui vont au turbin. Un supporter les interpelle : « vous allez au boulot ?! Nous, on va à Grenoble ! ».
A Lyon, notre troupe va prendre un peu d’air frais sur le quai. Des costards-cravates BC-BG interloqués regardent, sans rien comprendre, nos Limougeauds danser frénétiquement au son de la Banda. « Qui sont ces barbares ? », doit se demander ce type avec ses lunettes en écailles et son attaché-case, l’air passablement hautain. S’est-il, lui, au moins une fois amusé dans sa vie ?
13h30. Xavier Popelier est venu nous accueillir à la gare de Grenoble. Popelier n’avait laissé le soin à personne d’animer les expéditions à Padoue et à Berlin. Le président aime la ferveur populaire, comme Michel Léger à Cholet. Mais cette fois, il a pris la Caravaelle pour accompagner les VIP. Et c’est Jean-Claude Biojout, l’éminence grice, qui s’était mêlé pour l’aller aux supporters, n’hésitant pas à retrousser ses manches au bar-corail.
La Banda donne une aubade sur le parvis de la gare. On chante, on agite les drapeaux. Les caméras d’Antenne 2 n’en perdent pas une miette. Et puis, on s’éparpille. On investit les cafés. On déambule dans les rues piétonnes. On vient porter la bonne parole. Les badauds découvrent ces petits bonhommes verts peu ordinaires dont certains seront même tentés de diriger la circulation à l’un des principaux carrefours de la ville. Mais là encore, même si quelques uns sont victimes de turbulences intérieures ( !), tout ça se fait en rigolant, sans véritables excès. Le speaker, dans le train, avait multiplié les appels au calme, insistant sur la bonne tenue à avoir en ville, sur la réputation du club. Il sera écouté.
« Les bouchons des 300 bouteilles de champ’ que le CSP avait emmenées dans les bagages ont sauté joyeusement »
La surprise, en fait, c’est que nos supporters limougeauds vont parfois être submergés par les décibels espagnols. Car la Juventut Badalone a déployé une armada digne de son rival du FC Barcelone. On peut d’ailleurs les confondre. N’ont-ils pas les mêmes drapeaux catalans sang et or, le même genre de répertoire, les mêmes feux de Bengale, la même façon de sautiller sur place au rythme des slogans ? Ce sont eux qui ont pénétré les premiers dans l’arène. Ils sont également en vert, mais le noir qui s’y associe empêche de les confondre avec les nôtres. Et puis, ils sont généralement plus jeunes, beaucoup plus jeunes, et on dénombre presque autant de filles que de garçons. A Limoges, on n’est pas sexiste, mais c’est un dénominateur commun des clubs français, supporter, c’est une affaire d’hommes.
Le CSP avait invité sa Banda, et aussi ses majorettes transformées en pom-pom girls et son ours blanc. Mais la Banda et les nanas se replièrent avant le premier entre-deux aux alentours du… 30e rang des tribunes. Perdant ainsi une bonne partie de leur efficacité. Et tandis que le kop de la Juventut ne cessait de s’agiter et d’hurler, on apercevait dans la tribune d’en face, certains de nos Limougeauds, tranquillement assis, applaudir comme au théâtre. « On a été impressionné… par les emplacements réservés aux supporters espagnols », nous dira avec un demi-sourire Jacques Lalande, président du club des supporters. « Heureusement, un groupe d’une cinquantaine de supporters a réussi à s’installer de force derrière le panneau. Ce sont ceux-là qui ont créé l’ambiance ». Supporters par les gestes, par la voix, par les drapeaux ou les cornes de brume, la nuance est importante avec, disons, les supporters de cœur, certes, mais beaucoup moins exubérants, et qui finalement formaient la majorité des trois milliers de Limougeauds. Des gens venus-là pour un événement, mais qui ne ressemblent guère au noyau de durs, qui ont déjà soutenu leur équipe à Lorient ou à Antibes, et qui pour la plupart se sont retrouvés isolés tout en haut des tribunes grenobloises. « Ceux que vous avez vu dans la tribune derrière le panneau, ce sont ceux qui ont pris l’avion à 1 300 balles. Nous avons un public vieillissant », nous dira un supporter de base un peu amer.
La force du public des collèges américains est d’être constitué d’étudiants, et à cet âge-là, que voulez-vous, on a davantage de punch qu’à cinquante balais. C’est la recette reprise – volontairement ou non – par les équipes espagnoles et italiennes. Des jeunes, lycéens, étudiants, mais aussi employés ou ouvriers, nourris dès leur plus tendre enfance par le sport-spectacle. D’un naturel aussi plus extraverti. Comme les Béarnais montés à Coubertin en 84, et qui avaient fait souffler un vent de folie douce sur le vieux gymnase de la Porte de Saint-cloud.
Alors, voilà, on a admiré l’organisation de ce voyage par rail, la détermination, l’abnégation, le sourire, avec lesquels ces dames tartinaient les sandwichs pour offrir à déjeuner à tous dans le train, la bonne humeur ambiante, mais, mais, si on se montre un peu difficile, on doit constater que nous, supporters, nous avons pris dans les tribunes une petite leçon d’espagnol.
Seulement, c’est NOUS qui avons gagné. Alors, c’est NOUS qui nous nous sommes levés de nos sièges durant la prolongation, qui avons déferlé sur le parquet pour tenter d’approcher NOS héros et leur coupe. Le reste, c’est du bla-bla de journaliste.
Comme prévu, les cars nous attendaient à la sortie de la salle, et le train est reparti à 11h45, pile. Quelques supporters se sont égarés sur le chemin du retour. Ils ont dû se débrouiller tout seul. Les bouchons des 300 bouteilles de champ’ que le CSP avait emmenées dans les bagages ont sauté joyeusement. Et puis, très vite, le marchand de sable est passé au-dessus du convoi. Tout le monde était heureux, mais crevé. A part quelques irréductibles, infatigables, qui ont continué à chanter et gesticuler sur la piste de danse jusqu’à l’aube. Ceux-là aussi méritent une Coupe.
Le klaxon du mécano, en gare de Limoges, a réveillé les derniers endormis. Un millier de Limougeauds, ceux qui avaient suivi le match à la radio, à la télé, ou sur un écran géant en ville, attendaient le train vert sur le quai D. Et surtout, comme au retour de Padoue et de Berlin, les joueurs étaient là, pas rasés, les yeux rougis, mais plus heureux que jamais. Tenant le trophée à bout de bras. Un trophée en porcelaine. Clin d’œil du destin. Encore des chants, une dernière java, et quelques clichés fixés sur la pellicule pour l’éternité. Une ultime communion… avant le grand bal prévu le lendemain soir dans le hall de la gare des Bénédictins.
En attendant, les plus veinards pouvaient aller poser la tête sur leurs oreillers. Les autres avaient tout juste le temps d’aller pointer à l’usine ou au bureau. Ils raconteront tout en détail aux copains.
Il était 8 ou 9 heures. Toutes les radios annonçaient : « Limoges a gagné la Coupe des Coupes, alors que Bordeaux… ». Il y a des instants où l’ont est fier d’être supporter de basket.
Article paru dans Maxi-Basket en avril 1988.
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Du vécu, coco !, comme on dit dans la confrérie des journalistes. Objectif : sortir des terrains battus, quitter notre univers ouaté d’observateur privilégié, vivre de l’intérieur la furia verte, entrer dans la peau d’un supporter ordinaire du CSP. Se rendre à Grenoble par ce fameux « train vert », qui convoya déjà les fans limougeauds pour d’homériques épopées à Padoue et à Berlin. Pouvoir dire, moi aussi, « j’y étais ! ».
Mercredi, 6h15, gare des Bénédictins. Petits yeux, et bouches pâteuses, ils sont tous là depuis longtemps déjà, armés jusqu’aux dents, parés pour cette énième campagne. Sur un panneau, le nom de tous les voyageurs par ordre alphabétique, avec le numéro de leur compartiment respectif. Tout est parfaitement organisé. On ne cessera de le constater tout au long des sept heures de transhumance.
Affréter un train spécial, c’est presque devenu de la routine pour la SNCF. Les partis politiques, les organisations syndicales utilisent souvent ce moyen pour rameuter leurs ouailles à un meeting. Les clubs sportifs, c’est quand même beaucoup plus rare. En basket, Limoges est un cas unique. C’est le rugby qui a eu l’initiative. Pour monter à la capitale, les finalistes du championnat de France en investissent chacun souvent plusieurs. A la SNCF, on commence à se faire tirer l’oreille, car on a déjà eu à déplorer des exactions de type hooliganisme, vitres brisées et sièges lacérés. « Les supporters du CSP ont toujours eu, eux, un comportement exemplaire », certifie un représentant de la SNCF.
La SNCF, qui a demandé 170 000 F pour accrocher les 15 wagons à la loco. Elle se charge de dénicher un parcours, jonglant entre les horaires des trains ordinaires, et préférant les lignes à double-voies pour ne pas perturber le trafic. C’est pourquoi, on est remonté jusqu’à Vierzon avant de plonger vers Lyon et Grenoble, plutôt que de foncer à travers le Massif Central ravitaillé par les corbeaux. Mais, par contre, l’intendance est à la charge du club. Et c’est là que se met en branle « L’armée de l’ombre » du CSP, comme l’appelle si bien le Populaire du Centre.
Cette armée pacifique est composée de plus de 150 bénévoles. Un record national que les autres clubs sont très loin d’égaler. A sa tête, Roger Joly, un sexagénaire qui ne voulait pas passer sa retraite sur une chaise longue.
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