À travers les décennies, la France et son équipe nationale ont été en déficit chronique de big men. Les temps ont bien changé. C’est devenu une force des Bleus, Vincent Poirier en est l’une des illustrations.
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Les Bleus se faisaient manger la soupe sur la tête. Ils furent longtemps dépendants de la bonne volonté d’un seul pivot – Apollo Faye, Georges Vestris, Félix Courtinard -, ils ont dû recourir à des big men d’origine étrangère – Mathieu Bisseni, Bob Riley, Bill Cain, Jim Deines, Crawford Palmer -, et le coach Pierre Dao employa sur quelques séquences un stratagème osé au championnat d’Europe de 1981 : utiliser les bondissants Richard Dacoury et Patrick Cham comme intérieurs alors qu’ils ne mesuraient qu’1,95 m. « Quand on voit le nombre de pivots que l’on a aujourd’hui, il faut se souvenir de la situation il y a vingt ans en arrière. Quand le pivot titulaire n’était pas là, le deuxième faisait souvent 2,03 m », a rappelé le coach Vincent Collet.
Aux JO de Sydney, c’est notamment la conjonction de deux évènements heureux qui a permis aux Français d’aller jusqu’en finale : un Américain naturalisé, Crawford Palmer, et un vrai big men, Frédéric Weis (2,17 m), qui fut indispensable pour contrer, en demi-finale, l’Australie et son géant Luc Longley (2,18 m), un ancien équipier de Michael Jordan aux Chicago Bulls.
Durant les années Tony Parker, Ronny Turiaf et ses 2,06 m rendirent de précieux services. S’il n’avait pas une taille de big man, le Martiniquais avait au moins le coffre, et sur la durée, il fut plus convaincant que Johan Petro (2,13 m) et Alexis Ajinça (2,15 m), même si ceux-ci étaient dans la peinture lors de la conquête du titre européen de 2013. Pas un hasard. Quant à Joakim Noah (2,11 m), il donna un sacré coup de booster à l’équipe de France à l’Euro de 2011, mais ce fut un one shot.
Tout a radicalement changé. Avec, par ordre de taille, Victor Wembanyama, Moustapha Fall, Rudy Gobert et Vincent Poirier, il y avait quatre sept pieds (2,13 m) dans la pré-liste de Vincent Collet pour l’Euro, alors que la France en avait comptabilisé en tout et pour tout que six préalablement, dont l’éphémère Rudy Bourgarel, père de Rudy Gobert*. Et il faut se rappeler que le Team France recense également le Villeurbannais Youssoupha Fall (2,21 m), dont l’éventuelle entrée en piste est bloquée par la fédération sénégalaise.
Les Français ont-ils grandi ? Les jeunes big men, notamment d’origine africaine et antillaise, sont-ils mieux détectés, mieux formés ? Leur parcours en professionnel est-il davantage… à la hauteur ? Un peu de tout ça. « Les mamans nourrissent mieux les enfants », plaisante Vincent Collet. « Avant, on avait des Jean-Claude Bonato (1,98 m) et maintenant, effectivement, on a des tours. Il y a quand même eu Jean-Claude Lefèbvre dans le passé. » « Ça prouve que la formation française est bonne à ce niveau-là. Le contingent français en Europe et aux Etats-Unis s’est beaucoup développé ces dernières années. Le fait que l’on puisse expatrier nos talents dans les meilleures équipes du monde, c’est hyper positif. Il y en a encore qui arrivent. Je pense que le poste de pivot est bien garni pour les prochaines années », se félicite Vincent Poirier.
Ultime preuve d’un bouleversement en notre faveur : il y avait 3 sept-pieds français aux JO de Tokyo contre 2 Espagnols, 2 Tchèques, 2 Iraniens, 1 Slovène et 1 Américain, JaVale Mcgee, l’un des deux joueurs les moins utilisés de l’équipe. Depuis, l’Espagne a perdu les frères Gasol et par corollaire ses deux géants.
Une poussée tardive
Examinons le cas de Vincent Poirier. Le pivot du Real Madrid n’est pas très (très) grand par hasard. Ses grands-parents l’étaient, sa mère aussi (1,88 m), tout comme son père (1,92 m). « Avant, j’aurais tout fait pour être invisible mais, finalement, il vaut mieux sortir du lot. Mon corps est devenu ma force. Grâce au basket, le regard des gens sur moi a changé et mon regard sur moi aussi », a-t-il confié un jour au Parisien. C’est que la vie d’un géant n’est pas marrante tous les jours. Au cinéma, en avion, dans le métro, on manque de place et on est partout la cible des regards. Depuis l’enfance, le natif de Clamart a pris l’habitude de dormir les jambes pliées, et de faire gaffe à ne pas se cogner la tête en franchissant une porte.
Son éclosion a été tardive. C’est pour suivre des potes qu’il a commencé le basket à Bussy Saint-Georges. C’est Thomas Drouot, alors assistant au Paris-Levallois, qui l’a détecté. Il a transité par Hyères-Toulon, le Centre Fédéral et la Nationale 1 grâce à une licence AS, et c’est Freddy Fauthoux, qui venait en relais d’Antoine Rigaudeau, démissionnaire au PL, qui lui a donné sa chance dans le monde pro.
Vincent Poirier n’a connu que les U20 en équipe de France jeune, en 2013, avec une modeste contribution (1,9 point et 2,1 rebonds). Ses copains de promo, Mam Jaiteh et Livio Jean-Charles étaient bien plus développés que lui au même âge. Pas de draft NBA, pas de hype, et un sacré coup dur : la mort de son père. Parmi ses nombreux tatouages figure sur son bras gauche, cette promesse écrite en anglais : « Mon premier devoir est que mon père soit fier de moi. »
On connaît la suite : Vitoria, la NBA et le Real Madrid. La NBA ? Des miettes. 22 matches à Boston et 10 à Philadelphie. Le general manager des 76ers, Elton Brand, lui annonça à l’arrivée d’un déplacement à Los Angeles qu’il était transféré aux New York Knicks… mais son agent l’informa qu’il allait être très certainement immédiatement coupé. Il a été jeté comme une vielle chaussette, mais en touchant le restant dans son contrat. Sa priorité fut alors de trouver un club avec une garantie de temps de jeu afin de prétendre à une place en équipe de France pour les Jeux de Tokyo. Ce fut l’opportunité du Real Madrid. Utile tout de même ce passage fugace en NBA ? « Bien sûr », nous répond-il. « J’ai appris d’autres façons de faire. Ça m’a permis de pouvoir savoir comment je pouvais être, me comparer à d’autres pivots. Ça m’a fait mûrir, prendre conscience de plein de choses, que j’ai pu mettre en pratique à mon retour en Europe. »
Backup en club et en équipe nationale
Dans la capitale espagnole, Vincent Poirier est le backup de Walter Tavarès, l’immense Capverdien de 2,21 m. Une situation qu’il retrouve en équipe nationale avec Rudy Gobert comme pivot titulaire. « Ça me va bien. Mais actuellement, je suis backup car Moustapha (Fall) n’est pas encore là », précise-t-il, prêt visiblement à voir son temps de jeu décroître si le pivot d’Olympiakos est de retour pour l’Euro. « C’est un rôle dans lequel je me sens bien. Lorsque le coach me met dans cette position à répétition sur plusieurs matches, ça donne de la confiance. Je reste dans mon rôle, je fais le travail que l’on me demande. »
En l’absence de Moustapha Fall, Vincent Poirier a été excellent durant les matches de préparation, rejetant au passage Mam Jaiteh, pourtant MVP de l’Eurocup, sur le banc en attendant de fouler le parquet lors du garbage time. Evidemment, ses prestations ont été rassurantes pour Vincent Collet : « Il n’y a pas d’équipes nationales sur les podiums mondiaux et européens qui n’ont pas de pivots de plus de 2,10 m, voir 2,15 m. C’est presque obligatoire. Je crois que les seuls qui ont fait exception, c’est l’Argentine (NDLR : championne olympique en 2004) et ce fut une énorme surprise. Luis Scola était exceptionnel. Mais globalement, c’est presque indispensable d’avoir de la taille. Et nous, en ce qui concerne Rudy, et pas seulement, il y a beaucoup de dissuasion. Non seulement Rudy est grand, mais en plus, il a une motricité d’un joueur d’1,90 m ou 95. Cette dissuasion est la clé de voûte de notre système défensif. Même quand on a Mouss voire Vincent, on a aussi cet aspect-là. »
Aux JO de Tokyo, Vincent Collet a utilisé une sorte de botte secrète : associer dans la peinture Rudy Gobert et Vincent Poirier. Une véritable chaîne de montagnes. Qu’on est loin du duo Cham-Dacoury d’il y a quarante ans ! « Ça peut poser des problèmes car l’un des deux peut se retrouver sur un intérieur peut-être plus rapide qu’eux qui va s’écarter. C’est parfois difficile. Mais ça pose aussi des problèmes à nos adversaires car il faut aussi qu’ils matchent cette taille, et ça nous donne forcément des solutions supplémentaires », analyse le coach des Bleus. « Même si le jeu a beaucoup évolué, en particulier en NBA, et aussi dans le basket international, avec de plus en plus de pick and roll, et le postup est moins important qu’avant, malgré tout l’ancrage intérieur demeure quand même un élément important du jeu. Et donc, lorsque tu es dominateur dans ce secteur-là, c’est un atout. Par exemple, si on a pu se comporter comme ça face aux Américains, c’est qu’ils ne faisaient que switcher sur tous les écrans, ils se mettaient volontairement en situation de mismatch. Sauf que face à des joueurs normaux, il n’y a pas mismatch car ils font aussi deux mètres, et comme ils sont plus athlétiques, même si le joueur fait 2,07 m, 2,08 m, il n’y a pas de problème. Mais lorsque c’est Mous Fall qui est sous le cercle, même les Américains, même (Jayson) Tatum, mettent le casque pour se protéger, en espérant que ça va bien se passer, mais ce n’est pas le cas. C’est pour ça que c’est important. »
Le pivot du Real Madrid apprécie son association sur le terrain avec Rudy Gobert, mais précise : « Je ne vois pas ça comme 5 ou 4. C’est plutôt soit je suis le seul big, soit on est deux. Je conserve mes réflexes de poste 5, je suis attiré par la protection du panier. Je ne vais pas shooter à trois points tous les jours ! C’est pour moi plus un rôle de supplément de Rudy ou du poste 5. Aux JO, cela avait été un peu à la surprise de tout le monde et ça avait bien fonctionné. Avec Rudy, on arrive plutôt bien à se compléter. Quand tu as deux grands à l’intérieur et que tu n’as personne pour contrer ça, c’est compliqué. »
Vincent Collet explique qu’il a sous la main trois big men différents dans leur profil : « Mous Fall est un vrai joueur dos au panier. C’est ce que l’on appelle un joueur à l’ancienne, de position, alors que Rudy et Vincent sont plutôt des joueurs de mouvement. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas les servir près du panier. Tout ça est un peu compliqué, mais on y travaille car ça reste un point fort. »
« Maintenant, il faut gagner ! »
L’un des atouts maîtres de Vincent Poirier, c’est le rebond. Il en gobe parfois davantage qu’il met de points. « Cela a toujours été ma marque de fabrique, ce que je savais faire de mieux. Il faut toujours trouver des talents dans la vie et moi j’ai choisi le rebond. Je n’ai jamais regardé comment faire pour prendre un rebond. Cela a toujours été quelque chose qui a bien fonctionné. L’avantage de continuer à le faire au poste 4, c’est qu’ils n’ont pas forcément l’habitude. Ils sont plus petits. Ils sont plus focus sur Rudy dans la raquette pour les rebonds. Ça me laisse plus d’espaces pour en attraper encore plus. »
A l’Euro, dans le groupe de Cologne, Vincent Poirier et les big men français vont avoir à faire à des ténors : les Lituaniens Jonas Valanciunas et Domantas Sabonis, les Allemands Franz Wagner et Johannes Voigtmann, le Bosnien Jusuf Nurkic, le Slovène Mike Tobey… « Ce sont des pivots que l’on a déjà rencontrés, sur les JO ou avant. Ce sont des très grands joueurs. J’ai hâte de les rencontrer. Pas de me comparer mais de fighter avec eux, et que le meilleur gagne. »
Vincent Poirier, sa barbe fournie et ses tatouages ignore la peur et nourrit de hautes ambitions comme Rudy Gobert et Evan Fournier qui sont de sa génération. « Je n’ai pas fait toutes les équipes jeunes, comme eux, c’est un peu différent. J’ai juste fait les U20. Mais ça fait un moment que l’on partage les terrains avec Evan et Rudy et c’est sûr qu’avec cette équipe qui a été vice-championne olympique, on est tous sur la même longueur d’ondes, on fait partie de ces cadres qui ont envie de réaliser de belles choses, de marquer l’histoire. Je sais ce que ça fait de perdre, je sais ce qu’il faut faire pour gagner. Il faut faire en sorte pour ne plus perdre les finales. Quand tu as toutes les armes pour aller au bout et que tu perds, tu le regrettes et tu as des remords. J’en ai assez perdu, j’en ai eu assez des remords et maintenant, il faut gagner ! »
En ce qui concerne les étapes suivantes, l’équipe de France devrait recevoir le renfort de Joël Embiid, l’un des meilleurs joueurs du monde, qui vient d’obtenir le passeport français. Un autre 7 pieds. Un équipier aussi de quelques semaines de Vincent Poirier à Philadelphie. Tout en espérant que Victor Wembanyama soit cette fois en bon état de marche. On est entré dans l’ère de l’abondance.
* 2,13 m : Rudy Bourgarel, Johan Petro, Vincent Poirier, Georges Vestris ; 2,15 m : Alexis Ajinça, Rudy Gobert ; 2,17 m : Frédéric Weis ; 2,18 m : Moustapha Fall, Jean-Claude Lefèbvre.
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Les Bleus se faisaient manger la soupe sur la tête. Ils furent longtemps dépendants de la bonne volonté d’un seul pivot – Apollo Faye, Georges Vestris, Félix Courtinard -, ils ont dû recourir à des big men d’origine étrangère – Mathieu Bisseni, Bob Riley, Bill Cain, Jim Deines, Crawford Palmer -, et le coach Pierre Dao employa sur quelques séquences un stratagème osé au championnat d’Europe de 1981 : utiliser les bondissants Richard Dacoury et Patrick Cham comme intérieurs alors qu’ils ne mesuraient qu’1,95 m. « Quand on voit le nombre de pivots que l’on a aujourd’hui, il faut se souvenir de la situation il y a vingt ans en arrière. Quand le pivot titulaire n’était pas là, le deuxième faisait souvent 2,03 m », a rappelé le coach Vincent Collet.
Aux JO de Sydney, c’est notamment la conjonction de deux évènements heureux qui a permis aux Français d’aller jusqu’en finale : un Américain naturalisé, Crawford Palmer, et un vrai big men, Frédéric Weis (2,17 m), qui fut indispensable pour contrer, en demi-finale, l’Australie et son géant Luc Longley (2,18 m), un ancien équipier de Michael Jordan aux Chicago Bulls.
Durant les années Tony Parker, Ronny Turiaf et ses 2,06 m rendirent de précieux services. S’il n’avait pas une taille de big man, le Martiniquais avait au moins le coffre, et sur la durée, il fut plus convaincant que Johan Petro (2,13 m) et Alexis Ajinça (2,15 m), même si ceux-ci étaient dans la peinture lors de la conquête du titre européen de 2013. Pas un hasard. Quant à Joakim Noah, il donna un sacré coup de booster à l’équipe de France à l’Euro de 2011, mais ce fut un one shot.
Tout a radicalement changé. Avec, par ordre de taille, Victor Wembanyama, Moustapha Fall, Rudy Gobert et Vincent Poirier, il y avait quatre sept pieds (2,13 m) dans la pré-liste de Vincent Collet pour l’Euro, alors que la France en avait comptabilisé en tout et pour tout que six préalablement, dont l’éphémère Rudy Bourgarel, père de Rudy Gobert*. Et il faut se rappeler que le Team France recense également le Villeurbannais Youssoupha Fall (2,21 m), dont l’éventuelle entrée en piste est bloquée par la fédération sénégalaise.
Les Français ont-ils grandi ? Les jeunes big men, notamment d’origine africaine et antillaise, sont-ils mieux détectés, mieux formés ? Leur parcours en professionnel est-il davantage… à la hauteur ? Un peu de tout ça. « Les mamans nourrissent mieux les enfants », plaisante Vincent Collet…
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Photos : FFBB